Lila adorait les abeilles et les fourmis et trouvait qu’elles avaient de la chance : elles n’étaient jamais seules, elles.
La petite fille aux grands yeux noirs aimait se rendre près du lac, afin d’observer les six pattes et deux ailes des insectes avec une loupe.
Ce que Lila aimait moins, c’était le gris, le rhume et l’école.
“Lila, vous écoutez ?” demanda la maîtresse d’un ton agacé (elle semblait souvent agacée par Lila). “Avec qui vous mettez-vous pour l’exposé ?”
Lila n’avait aucune amie. Pas une, pas deux, pas trois : zéro. Elle déjeunait seule, marchait seule, jouait seule.
“Je ferai l’exposé seule”, répondit Lila.
La maîtresse leva les yeux au ciel, puis maugréa : “J’espère au moins que vos parents vous aideront à choisir un sujet.”
“Oui, oui”, dit-elle pour faire taire la maîtresse. Mais Lila savait qu’elle rentrerait dans une maison vide. Son papa travaillait à l’atelier (il étudiait les insectes) et sa maman voyageait pour son travail (elle étudiait les pieuvres). Lila dînerait seule, lirait seule et s’endormirait seule.
La maîtresse reprit sa leçon sur les soustractions. On prenait deux chiffres imaginaires, on poussait l’un vers l’autre, et patatras ! L’un volait tous ses jouets au deuxième, qui restait petit et chagrin, assis dans la cour avec la tête sur ses genoux. Les mathématiques étaient de grandes histoires de tristesse.
La maîtresse interrogea les élèves pour vérifier qu’ils avaient compris.
“5 moins 4 !” s’écriait-elle en pointant vers Angélique.
“1 !”
“7 moins 3”, chanta la maîtresse en pointant vers Maxime.
Lila vit Maxime compter sur ses doigts sous la table. Comme la maîtresse soupirait d’impatience, il ne retira pas tous les doigts qu’il fallait et donna une mauvaise réponse.
Lila rit. Maxime avait presque réussi à tricher, comme on construirait un château de cartes lentement, lentement, et puis la maîtresse avait soufflé dessus et tout s’était effondré d’un coup !
Maxime jeta à Lila un regard froid. Elle ne put pas expliquer qu’elle ne riait pas de lui mais de la situation, car la maîtresse tourna son regard vers Lila avec une vivacité effrayante.
“9 moins 6”, demanda la maîtresse avec la voix des présentatrices à la télévision quand quelque chose de très grave a lieu.
On ne s’ennuyait jamais pendant les cours de Madame Dufléau.
Lila regarda la maîtresse dans les yeux en silence. Elle imaginait un raton laveur avec six pommes dans les bras. Un marsupial s’approchait par derrière pour subtiliser les pommes. Lila eut envie de gronder le malfrat et de prévenir la pauvre victime mais elle ne pouvait rien faire. Son visage devint rouge de tristesse et colère tandis que la maîtresse attendait et que Maxime ricanait.
Trois. Il ne restait plus que trois pommes au pauvre raton laveur (qui avait, il faut le préciser, lui-même volé les fruits sur les étals d’une supérette quelques heures plus tôt).
Lila leva son bras dramatiquement et hissa trois doigts vers le plafond.
“Voilà, donc ce n’était pas si difficile, dit la maîtresse. Maxime, nous n’allons pas refaire le cours sur la soustraction juste parce que vous n’avez rien compris. Vous voulez une autre chance à 7 moins 3 ou vous préférez des devoirs supplémentaires pour ce soir ?”
*
Le lendemain, Lila s’installa à son bureau pour trouver un sujet d’exposé.
Elle cherchait, cherchait, mais rien ne venait. Elle se servit un verre de lait, se prépara une tartine de confiture, fit tomber son crayon, le ramassa, chantonna quelques notes, puis décida d’observer le lac par le télescope. Peut-être qu’elle verrait des fourmis de loin…
Pas de fourmis.
En revanche, il y avait une drôle de forme qu’elle n’avait jamais vue avant sur le lac : comme une bosse…
Non ! Une colline.
Non ! Une montagne.
Elle prit sa tartine de confiture et dévala la pelouse jusqu’au bord du lac.
Il n’y avait rien du tout.
Elle se mit à observer sa fourmilière préférée, lorsque soudain elle reçut un jet d’eau qui tombait du ciel.
Du ciel ?
Non !
Du lac !
Lila se tourna et aperçut… une minuscule baleine. Affamée, celle-ci fixait la tartine. Dans le doute, Lila tendit son petit-déjeuner, et frrraoum, la baleine le happa.
“Les baleines, ça ne vit pas dans les lacs”, lui dit Lila. C’était sa maman qui lui avait dit et sa maman savait tout — même la météo au Kirghizistan (c’était un pays) et la taille du lac de Chapala (au Mexique).
“Tu n’existes peut-être pas mais au cas où je vais t’appeler Bourrique”, décida Lila, face au silence têtu de la baleine. “Elle est où, ta maman ?” demanda-t-elle comme faisait la maîtresse parfois.
Bourrique ne disait décidément rien. Lila eut envie de se fâcher et piétiner l’herbe jusqu’à obtenir des réponses mais elle se ravisa : peut-être qu’elle tenait une chance de se faire une amie.
“Tu as l’air petite, comme moi, dit Lila. On peut être copines, si tu veux. Enfin, ne te sens pas obligée, hein, tu as peut-être plein de monde avec qui t’amuser, déjà.”
Lila regarda l’eau calme autour de la baleine. À bonne distance, un banc de poissons observait le cétacé avec sidération. Ou faisaient-ils la sieste ? Difficile à dire parce que les poissons dorment debout les yeux ouverts, contrairement aux chevaux qui eux aussi dorment parfois debout mais préfèrent tout de même fermer les yeux.
Une grenouille éloignait ses têtards curieux de la peau bleue et grise de Bourrique.
Même si la baleine commençait à peine sa croissance, elle dépassait déjà la taille et le poids de toutes les autres créatures du lac.
“Je suis sûre qu’ils t’aimeront mieux quand ils auront appris à te connaître”, dit Lila, un écho de ce que sa mère avait dit sur ses camarades.
Est-ce que la baleine avait causé du tort aux poissons du lac, cela dit ? Lila ne la connaissait pas, après tout.
La surveillante à l’école, une vieille dame douce comme la pluie et tendre comme les madeleines, disait souvent : “Ce que vous ne comprenez pas, observez-le longtemps.”
Alors, Lila s’allongea sur le ventre et pointa les yeux droits dans ceux de Bourrique, qui s’approcha jusqu’au bord du lac. Il n’y avait dans le regard de cette créature que la plus gentille des gentillesses.
“Amies”, dit Lila tout bas comme un serment.
Il ne lui restait plus qu’une chose à faire : comprendre ce que Bourrique, un animal marin, fichait dans le lac de son village.
J'aime bien les récits avec des enfants. Est ce un récit pour les enfants ? Je ne sais pas, le ton m'a paru "grave" assez vite.
En vrac :
- le vouvoiement de la maîtresse me renvoie dans le passé, car cela n'a plus trop lieu d'être aujourd'hui.
- je crois bien que la soustraction est 9 - 6, donc le raton devrait avoir 9 pommes, pas six, non?
- j'ai eu un peu de mal avec le lieu du lac, parce que je suis fatigué et j'ai raté quelques lignes, mais je te le dis quand même (a quel point est il loin?).
- lila est attachante avec sa belle imagination <3
- Mme Dufléau, sommes nous dans un conte ?
- autant Lila est très bien campée, autant, le thème ne m'est pas évident.
- cette histoire sera t elle une revisite du mythe du garçon et du dragon ?
- j'imagine une métaphore derrière tout ça, mais pas forcément. On verra bien !
- attention, Mme Dufléau a des cours dans lesquels "on ne s'ennuie jamais", par contre Lila n'aime pas l'école.
- le tout tout debut manque peut être de subtilité sur le fait qu'elle n'a pas d'ami, mais pour des enfants je ne sais pas.
- enfin, ça fait plaisir de lire ta plume <3
À bientôt et n'hésite pas si tu as des questions !!!
C'est drôle parce que pour quelqu'un qui adore voyager, j'ai toujours tendance à skipper les détails de comment on va d'un point A à un point B, alors que j'adore la cartographie et me représenter les lieux fictionnels. Ce n'est pas la première (mais peut-être la dernière, qui sait) fois que tu as besoin de me le dire, je vais mettre les bouchées doubles dessus !
Le tout tout début a commencé comme un album, et ensuite c'est devenu un court roman pour enfants, donc je pense que c'est cette incohérence que t'as senti dans le manque de subtilité du début. Il faut que je me mette au clair avec moi-même là-dessus, je vois bien que j'ai du mal à lâcher l'un des deux aspects ahaha.
Je note les autres remarques pour mes corrections, merciii.
Coucou ! Je trouve le texte bien écrit et l'atmosphère propice à l'histoire. Vous jouez bien avec des ingrédients tels que la nostalgie, le quotidien des enfants et les standards du genre.
C'est excellent !
Je découvre donc cette nouvelle histoire : )
Elle est trop choupette Lila ! J'aime beaucoup l'esprit très dynamique du personnage, renforcé par la narration en phrases courtes.
Je me suis demandé si un rythme un poil plus varié serait intéressant, avec des phrases de temps en temps un peu plus longues pour enrichir ? Je ne sais pas trop, je ne suis pas une spécialiste des récits jeunesse xD
J'aime aussi beaucoup que l'on plonge directement dans le coeur de l'histoire, en un seul chapitre tu parviens à planter tous les éléments, c'est super bien fait !
Je vais lire la suite : )