Chapitre 1 : Une baleine dans le lac

Lila adorait les abeilles et les fourmis et trouvait qu’elles avaient bien de la chance : elles n’étaient jamais seules, elles. 

Elle aimait se rendre près du lac, afin d’observer les six pattes et deux ailes avec une loupe.

Ce qu’elle aimait moins, c’était l’école. 

“Lila, vous écoutez ?” demanda la maîtresse d’un ton agacé (elle semblait toujours agacée par Lila). “Vous vous mettez avec qui, pour l’exposé ?”

Lila n’avait aucune amie. Pas une, pas deux, pas trois : zéro. Elle déjeunait seule, marchait seule, jouait seule. “Je ferai l’exposé toute seule”, répondit-elle. 

La maîtresse leva les yeux au ciel, puis maugréa : “J’espère au moins que vos parents vous aideront à choisir un sujet.”

Mais quand Lila rentra, la maison était vide. Son papa travaillait à l’atelier (il étudiait les insectes) et sa maman voyageait pour son travail (elle étudiait les pieuvres). Lila dîna seule, lut seule et s’endormit seule.

*

Au petit matin, elle s’installa à son bureau pour trouver un sujet d’exposé. Elle cherchait, cherchait, mais rien ne venait. Elle se servit un verre de lait, se prépara une tartine de confiture, fit tomber son crayon, le ramassa, chantonna quelques notes, puis décida d’observer le lac par le télescope. Peut-être qu’elle verrait des fourmis de loin… 

Pas de fourmis en vue. En revanche, il y avait une drôle de forme qu’elle n’avait jamais vue avant sur le lac : comme une bosse… Non, une colline ! Non, une montagne !

Elle prit sa tartine de confiture et dévala la pelouse jusqu’au bord du lac.

Il n’y avait rien. Rien du tout, du tout, du tout.

Elle se mit à observer sa fourmilière préférée, lorsque soudain elle reçut un jet d’eau qui tombait du ciel.

Du ciel ? Non ! Du lac !

Elle se tourna à toute allure et aperçut… une minuscule baleine. Affamée, celle-ci fixait la tartine. Dans le doute, Lila tendit son petit-déjeuner, et frrraoum, la baleine le happa.

“Les baleines, ça ne vit pas dans les lacs”, lui dit Lila. C’était sa maman qui le lui avait dit, et sa maman savait tout - même la météo au Kirghizistan (c’était un pays) et la taille du lac de Chapala (c’était au Mexique).

“Je vais t’appeler Bourrique”, décida Lila, face au silence têtu de la baleine. “Elle est où, ta maman ?” demanda-t-elle comme le faisait la maîtresse parfois.

Bourrique ne disait décidément rien. Lila eut envie de se fâcher et piétiner l’herbe, mais elle se ravisa : il valait mieux une amie réservée que pas d’amie du tout.

Elle voulut quand même mener sa petite enquête sur la nouvelle arrivée. Pour ne pas attirer ses soupçons, elle inventa un prétexte. 

“Ah, j’entends mon père m’appeler, je dois rentrer, à demain”, dit-elle très vite en se retournant. Les joues de Lila avaient la mauvaise habitude de devenir rouge crabe quand elle mentait.

Chez elle, Lila hésita. Le bureau de sa mère était verrouillé. Elle savait qu’elle n’avait pas le droit d’y aller, mais toutes les meilleures encyclopédies marines s’y trouvaient…

Elle vérifia que son père était encore en blouse blanche, le nez collé à un microscope, dans son atelier du bout de la maison. Il avait sa tête des jours longs et trois tasses de café vides : la voie était libre pour un bon moment.

Lila fouilla dans le tiroir de l’entrée, palpa les étagères de la bibliothèque du couloir, grimpa sur une chaise de la cuisine pour fouiller le placard à biscuits (elle en croqua deux ou trois pour se donner du courage). Rien, rien, rien.

Elle regarda sous son lit, ouvrit la boîte aux lettres, souleva le tapis du salon. Elle souleva tous les pots de fleurs et gratta même la terre dedans.

Son père la trouva ainsi, la main trifouillant près des racines du gardénia, et son visage devint bleu, violet, jaune, rouge. Oh, oh, ça annonçait une grande colère. Le pire, c’est que Lila oublia tout à fait de prendre l’air contrite, parce qu’elle se rappela soudain où était la clé !

La dernière fois que son papa avait crié, ça avait été le soir avant le départ de sa maman. “Tu vois pas qu’elle se sent seule, la petite ?” lui avait-t-il reproché. “Je suis tout le temps avec elle quand je suis ici, avait répondu sa maman. T’as pensé à essayer de faire pareil ?” Et là, elle avait tiré une ficelle de sa veste en cuir, et au bout blam ! La clé !

“Pardon, papa, je suis vraiment désolée”, marmonna Lila très vite, avant de déguerpir du salon. “Mais tu laisses des traces de terre partout !” s’énerva-t-il derrière elle. Trop tard : elle arrivait déjà dans l’entrée, sous les porte-manteaux.

Derrière son imperméable et son gilet, la veste de maman attendait le retour de sa propriétaire. Lila étira ses doigts le plus haut possible et trouva la clé !

Elle ne pouvait plus ouvrir la porte, cependant : son père faisait les cent pas juste à côté, dans la cuisine où il essayait d’inventer un plat avec leurs restes. “Spaghettis aux petits pois, tu penses que c’est bon ?” lui lança-t-il de loin. Sans attendre sa réponse, il marmonna : “Les pâtes, c’est bon. Les petits pois, c’est bon. Il n’y a pas de raison que les deux ensemble ne soient pas bons.” Un instant plus tard, il chantonnait le tableau périodique des éléments en préparant le repas.

Lila dut attendre le repas, mâcha à toute vitesse l’étrange purée de farfalles trop cuites et de petits pois semi-congelés, mima un bâillement et souhaita bonne nuit à son père.

Dans sa chambre, elle écouta la maison bruire pendant la vaisselle, puis la porte de l’atelier de son père se fermer derrière lui.

Elle fonça jusqu’à la porte du bureau de sa mère, qu’elle ouvrit tout doucement. 

Son cœur battait très vite. Elle n’était pas entrée ici depuis le départ de sa maman, six mois auparavant. C’était long, six mois.

Dedans, c’était comme un univers magique. Il y avait une maquette de sous-marin, des figurines de cétacés, des illustrations de coraux, des lampes en forme de navires, un tableau de la mer, des fioles contenant du sable et trois cent quatre-vingt-deux livres. Rien n’était rangé ou classé. Lila adorait ce bazar : elle avait l’impression qu’elle pourrait tout y trouver, même un farfadet.

Elle savait que son père travaillait quelques heures avant de dormir, donc elle monta sur une chaise et se mit à lire les tranches des volumes empilés, alignés, entassés sur les étagères. Ils étaient parcourus de marque-pages, notes, pages cornées. Elle trouva enfin le titre parfait : “Des migrations et lieux de vie des baleines”.

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itchane
Posté le 25/07/2024
Hello Nanouchka !
Je découvre donc cette nouvelle histoire : )
Elle est trop choupette Lila ! J'aime beaucoup l'esprit très dynamique du personnage, renforcé par la narration en phrases courtes.
Je me suis demandé si un rythme un poil plus varié serait intéressant, avec des phrases de temps en temps un peu plus longues pour enrichir ? Je ne sais pas trop, je ne suis pas une spécialiste des récits jeunesse xD

J'aime aussi beaucoup que l'on plonge directement dans le coeur de l'histoire, en un seul chapitre tu parviens à planter tous les éléments, c'est super bien fait !

Je vais lire la suite : )
Nanouchka
Posté le 26/07/2024
Coucou ♥ Merci d'être passée par ici ! Intéressant, pour les différents rythmes de phrase. J'aime bien quand c'est varié aussi. Je ferai une relecture "musicale" à haute voix pour voir si j'ajuste par-ci, par-là, alors. Merci beaucoup !
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