Au beau milieu de la nuit, alors que la Lune redescendait vers l’horizon, Lila lisait encore.
Avant de partir, sa maman lui avait dit : “Si quelque chose t’intéresse dans un livre, écris-le dans ton cahier. Comme ça, dedans il y aura tout ce que tu trouves beau et bizarre et incroyable et magique dans ce monde." Elles s’étaient promis de se montrer leurs carnets respectifs quand elle rentrerait de son voyage.
Ce soir-là, Lila griffonna sur son carnet :
“BALEINES. Migration : nourriture ? Bébés ? Muer ? Se repèrent avec étoiles ? Sonar ? En goûtant l’eau ? Savent qu’il est temps de partir avec hormones ? Changement de température d’eau ?”
Il n’y avait que des questions. Plus elle cherchait des réponses, plus elle se sentait perdue.
Au petit-déjeuner le lendemain, elle croqua dans sa tasse au lieu de sa tartine et essaya de boire le pot de confiture au lieu du jus d’orange. Elle s’en mit partout mais bizarrement, son père ne la gronda pas. Il prit une graaaaaande inspiration et demanda : “Qu’est-ce qu’il t’arrive, Lila ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette ces jours-ci.”
Lila hésita. “Papa, ça existe les baleines dans les lacs ?”
Il éclata de rire - ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps, ce qui était dommage, parce que ça lui allait très bien - et secoua la tête : “Pas plus que les fourmis dans les ruches.”
Lila hésita encore. “Papa, ça existe les choses impossibles ?”
Cette fois, il perdit tout sourire et la regarda longuement. “Maman te manque ?” demanda-t-il.
Lila hésita beaucoup. Bien sûr que maman lui manquait, mais c’était tout à fait hors de propos. Elle fit oui de la tête, puis posa une dernière question : “Quand tu ne trouves pas de réponses aux questions, qu’est-ce que tu fais ?”
Là, son père prit le temps de réfléchir. Il sortit de sa poche un petit carnet tout vieux et rabougri, avec des pages cornées (comme maman !) et dedans des milliers de questions (comme Lila !).
Il fit un dessin d’un petit labyrinthe. Il y avait plusieurs entrées. Certaines menaient au centre, d’autres non. “Quand une question ne marche pas, j’en essaye une autre”, dit-il en montrant les différents chemins dans le croquis.
*
Dans la salle de classe, le lendemain, Lila essaya de se faufiler dehors à l’heure de la cloche mais la maîtresse l’attrapa par le collet. “Un instant, mademoiselle, j’aimerais votre sujet d’exposé.” Elle tenait sa précieuse liste stupide et son stylo plume stupide et elle avait sur son nez ses lunettes stupides et… “Vous êtes là ? Allô Lila, ici la Terre.”
Lila leva des yeux glacés vers la maîtresse, qui recula d’un pas. “Bon”, continua-t-elle, vous avez besoin que je vous aide à choisir ? Pourquoi vous n’étudieriez pas les papillons ? C’est joli, les papillons.”
Lila enrageait et dit le premier truc qui lui passait par la tête : “Je vais étudier les scorpions”.
La maîtresse plissa les yeux et répondit : “Il n’y en a pas par ici, ce ne serait pas pratique. Je vous rappelle que vous devez faire des observations.”
Lila mourut d’envie de dire qu’elle étudierait une baleine mais n’en fit rien. Elle n’avait pas besoin que Madame Dufléau la prenne pour une folle et convoque son père. “Les vers de terre, ça irait ?” demanda-t-elle plutôt.
La maîtresse eut une moue de dégoût mais ne trouva pas d’argument pour refuser et elle en prit note sur la liste.
Lila s’enfuit si vite qu’elle bouscula fort Anton dans le couloir.
“Aïe !” s’écria-t-il en se se tournant vers elle tel un buffle déshydraté.
“Désolée”, dit-elle, “je regardais pas où j’allais.”
“C’est ce qu’on dirait, oui”, répondit-il avec les sourcils froncés. “J’espère pour toi que je pourrai quand même nager à l’aquarium ce soir, sinon mon père ne sera pas content.”
Il ne suffisait pas à Anton d’être habillé de la tête aux pieds en tenue de l’aquarium de Sainte-Marie-sur-Mer - le logo était sur tout : pantalon, pull, veste, chaussettes, cartable -, il fallait aussi qu’il le mentionne en permanence. C’était une manie que Lila trouvait particulièrement déconcertante.
“Tu nages avec les poissons ?” demanda-t-elle, confuse.
“Mais non”, répliqua-t-il en rougissant, “j’ai un bassin rien que pour moi.”
Lila pencha la tête sur le côté pour essayer de mieux comprendre. “Mais alors les gens peuvent te voir quand ils visitent l’aquarium ? Il y a un petit écriteau qui dit humain ?”
Les joues d’Anton gonflèrent et rougirent comme des tomates trop mûres et il partit sans un mot ni un regard en arrière.
Lila haussa les épaules. Elle était pressée, de toute façon. Elle fila droit de l’école au lac, jeta son sac par terre et appela Bourrique. Rien ne bougea dans l’eau. Surprise, elle plongea sa tête dans l’eau fraîche du lac mais n’aperçut que les cailloux et plantes à proximité.
La baleine était-elle partie ?
Lila l’avait-elle inventée ?
Elle s’installa sur l’herbe, suspicieuse. Avant d’émettre quelque conclusion que ce soit, elle devait vérifier une autre hypothèse. Elle sortit de son sac une barre de céréales que son père lui avait préparée pour le goûter, l’ouvrit tout doucement et…
… les grands yeux de la baleine surgirent hors de l’eau.
“Tu ne serais pas mon amie juste par gourmandise, toi ?” lui demanda Lila d’un ton soupçonneux (elle ne pouvait guère se permettre de juger, étant donné que sa mère la surnommait “mon puits sans fond”).
Lila partagea la barre en deux moitiés égales et elles mangèrent le goûter ensemble.
Puis, la petite fille sortit trousse et carnet pour dessiner des croquis de l’animal. Tout en coloriant, elle posa des questions et déroula ses suppositions. “Voilà, écoute, tout porte à croire que tu es en voyage. C’est peut-être une migration. Mais d’habitude les migrations, c’est en groupe. Comme t’es petite, normalement, tu devrais être avec ton papa et ta maman. Tu sais où tu les as vus pour la dernière fois ?”
Aucune réponse. Lila soupira. “Je comprends que ce soit un peu emmêlé dans ta tête. T’as dû avoir si peur quand tu les as perdus. Est-ce que tu connais l’adresse de ta maison, sinon ?”
La baleine plongea la tête sous l’eau et propulsa un jet d’eau vers la ferme des Jullien. Lila vérifia sur sa boussole : le sud. Elle en prit note sur son carnet, puis sortit son dernier cadeau d’anniversaire et plus grand trésor au monde de son sac : un Polaroid. Elle demanda à Bourrique de rester tranquille et clic !
La baleine semblait bien triste sur la photo qui émergea de l’appareil. Lila la colla dans le cahier, remit les affaires dans son cartable et marcha jusqu’à l’eau pour caresser le visage mouillé de Bourrique.
Elle ne vit pas l’ombre se faufiler derrière elle.
Quand la baleine essaya de la prévenir, Lila crut qu’elle voulait jouer. Elle lui lança une pomme de pin au loin, sans succès : Bourrique fixait un point avec insistance.
Quand Lila se retourna enfin, son cartable avait disparu.
Quelqu’un lui avait volé ses affaires.
Je me demande ce qu'il nous réserve.
Il y a de nouveau beaucoup d'humour dans ce chapitre, j'ai beaucoup aimé cette baleine qui ne se montre que contre de la nourriture xD
J'aime aussi le rapport entre la prof et Lila, l'une propose les papillons et l'autre rebondit sur les vers de terre, haha.
Et quand le père montre son carnet lui aussi plein de questions, ce passage est très touchant.
Comme Henemiole, j'ai trouvé un peu confus le passage concernant Anton et sa nage à l'aquarium. C'est peut-être un peu rapidement amené et je ne trouve pas que de dire un truc genre "ça c'est Anton tout craché" suffise à justifier ce manque de précisions. Je me suis vraiment demandé la logique dans la phrase d'Anton moi aussi xD
Pour le reste, c'est vraiment super ! J'aime toujours autant, je pars lire la suite : )
J'ai clarifié le passage sur Anton après le commentaire de Henemiole, du coup je suis curieuse de la confusion qui te reste : est-ce que c'est "mais que fiche Anton à nager seul à l'aquarium et pourquoi c'est important pour son père ?" Si oui, ça me va que ça reste comme un mystère parce que c'est une question qui me plaît beaucoup. J'aime bien avoir des interrogations sans réponse dans les romans, ça me laisse imaginer. Et un ami m'a dit que ça ferait un bel album, cette image, et je me dis que j'aimerais bien l'écrire - une façon d'apporter une réponse dans un autre livre, ce que je trouve très satisfaisant et chelou à la fois. Si ta confusion est autre, ceci dit, je veux bien que tu m'expliques de quoi ça retourne, pour que je voie comment clarifier :)
hmmm j'ai bien tout relu et au final je crois que c'est la phrase d'Anton “J’espère pour toi que je pourrai quand même nager à l’aquarium ce soir, sinon mon père ne sera pas content.” qui m'a posé problème. J'avoue que je ne vois pas trop le rapport entre la situation et le fait de ne pas pouvoir nager. Il a peur d'avoir été blessé par la bousculade ? Même en prenant en compte qu'il tente toujours de placer l'aquarium dans la conversation, là je ne vois pas trop le rapport avec le contexte je crois. Et encore moins pourquoi le père ne serait pas content mais cela je comprends plus que ça puisse faire partie d'un mystère.
Je ne sais pas si ça t'aide ^^"
Bravo, ton style est très joli et doté d’un humour super mignon, c’est très agréable à lire !^^
Quelques petites remarques tout au long de la lecture :
« Avant de partir, sa maman lui avait dit : “Si quelque chose t’intéresse dans un livre, écris-le dans ton cahier. Comme ça, dans ton cahier, tu auras tout ce que tu trouves beau et bizarre et incroyable et magique dans ce monde.” » —> Je trouve qu’il y a une légère répétition du mot « cahier », je mettrais « Comme ça, tu auras dedans tout ce que tu trouves beau et bizarre […]». Mais après, c’est personnel, tu n’es peut-être pas du tout d’accord avec moi.
Le dialogue entre Lila et son père est très bien construit ! Il est touchant et on arrive bien à comprendre les réactions des deux personnages. De plus, les réflexions de Lila sont très bien introduites, sans que cela ne gêne la fluidité de l’échange !
« Elle tenait sa précieuse liste stupide et son stylo plume stupide et elle avait sur son nez ses lunettes stupides et… » —> Hi hi hi, j’adore quand tu fais des énumérations ! Celle-ci est particulièrement parlante, on s’est tous dit cela sur sa maîtresse, un jour (ou pas…).
« “C’qu’on dirait”, répondit-il avec les sourcils froncés, “j’espère pour toi que je pourrai nager à l’aquarium ce soir, sinon mon père ne sera pas content.” » —> On est d’accord que ce que dit Anton n’a vraiment rien à voir avec le fait que Lila l’ait bousculé ? En fait, je n’ai pas bien compris en quoi le père d’Anton pourrait s’en prendre à Lila, si l’aquarium est fermé… Mais sinon, le personnage d’Anton me plaît, surtout le fait qu’il n’ait que des habits avec le même logo.
« “Mais alors les gens peuvent te voir quand ils visitent l’aquarium ? Il y a un petit écriteau qui dit humain ?” » —> Hi hi hi, j’adore son humour innocent, c’est trop mignon !
La baleine gourmande aussi, elle est trop mignonne !^^
« “Voilà, écoute, tout porte à croire que tu es en voyage. C’est peut-être une migration. Mais d’habitude les migrations, c’est en groupe. Comme t’es petite, normalement, tu devrais être avec ton papa et ta maman. Tu sais où tu les as vus pour la dernière fois ?” » —> J’aime bien ses réflexions, on voit que c’est une enfant, mais on voit aussi qu’elle est intelligente ! C’est très habile !
« Elle en prit note sur son carnet sur son carnet, puis sortit son dernier cadeau d’anniversaire […] » —> Il y a un « sur son carnet » en trop, je crois.
« Quand Lila se retourna enfin, son cartable avait disparu.
Quelqu’un lui avait volé ses affaires. » —> Jolie fin, avec un joli suspense j’ai hâte de découvrir la suite ! :)
Voilà voilà, pardon pour le pavé et à bientôt pour la suite, ton histoire est super chouette !^^