Chapitre 10

Par Ety

Le seigneur Vayne haleta et se retourna dans son lit.

 

Jamais les escaliers ne lui avaient paru si interminables.

Il savait qu’il pouvait gagner du temps en évitant l’ascenseur, mais tant de marches et de personnes à éviter étaient presque plus qu’il ne pouvait endurer. Il ne pouvait pas cesser de supporter cette situation à cet instant, puisque rien ne pouvait être plus important que son objectif.

— Son Altesse est au vingt-troisième ?

— On l’a descendue au vingt-deuxième, répondit une servante très souriante qui portait un paquet de draps.

Elle entamait une explication tandis que le garçon avait déjà détalé vers les étages supérieurs. Il aimait bien le personnel du Palais, mais cette fois-ci il n’avait le temps d’écouter personne. De même que plus personne ne l’écouterait, puisque celui ou celle qui devait prendre sa place, l’usurpateur ou usurpatrice de ventre, avait décidé d’arriver ce jour-là.

Il était sûr que sa mère avait tout fait pour que les détails restassent secrets, mais il avait tout de même réussi à entendre à travers les couloirs que son état de santé après l’accouchement était loin d’être glorieux. Les langues variaient les causes, mais pour lui cela revenait au même : Sentia Solidor n’allait pas bien à cause de ce maudit bébé, et il comptait bien lui faire justice.

— Pardon !

Il venait de bousculer un valet qui tenait au bout de son bras un énorme plateau chargé de pichets dont le contenu tanguait en même temps que lui.

— Il faut que j’y arrive !

Certes, il faisait de son mieux pour arriver devant la porte à temps, mais rien ne lui disait qu’on allait le laisser entrer. Non qu’il n’eût aucune autorité sur les serviteurs des Solidor – quoique sans l’urgence de la situation il n’aurait jamais osé agir et parler aussi rapidement et fortement –, mais malheureusement pour cet instant l’autorité de l’Impératrice, même couchée, même malade et peut-être au bord de la mort, n’avait aucune commune mesure avec celle de tout autre Archadien.

Et effectivement, lorsqu’il arriva à l’étage indiqué après avoir sauté les sept escaliers quatre à quatre, il trouva une rangée de soldats entourant les plus larges des portes, ainsi qu’une foule de servantes chargées de linge et de nourriture et attendant les ordres. Aucune de ces personnes-là ne se retourna lorsqu’il arriva, ni même lorsqu’il tapa bruyamment du pied contre le sol en se raclant la gorge.

— Où est ma mère ?

Un brouhaha modéré s’échappait de l’intérieur d’une pièce et de ses environs.

— Où est ma mère ? répéta Vayne. Laissez-moi la voir !

Dans cette pièce, Seigneur, dit une servante en se retournant avec un sourire obligeant. Vous pourrez la voir tout à l’heure. Pour l’instant, personne n’a le droit d’entrer.

— Est-elle vivante ?

— Oui, bien sûr. Le docteur s’occupe d’elle en ce moment même. Elle ne craint rien.

Un immense soupir de soulagement remonta depuis sa poitrine et s’échappa dans l’air froid du couloir. Soudain, la double porte s’ouvrit et une autre servante en sortit. Vayne tenta d’apercevoir ce qui se passait à l’intérieur mais les portes se refermèrent aussitôt, comme si un vent puissant venait de souffler contre elles. La servante qui était sortie poursuivit son chemin, et revint moins d’une minute plus tard. Cette fois-ci, elle s’arrêta devant le seigneur Vayne, sembla réfléchir une seconde puis tira les portes en souriant, après quoi elles se refermèrent à nouveau. Et enfin, en moins de trente secondes, la jeune femme reparut en disant :

— J’ai prévenu Son Altesse de votre présence. Vous êtes autorisé à entrer.

 

Le jeune seigneur sentit une nouvelle montée d’apaisement s’emparer de ses poumons. Il expira longuement avant d’entrer la suivre d’un pas empressé au-delà des portes qui se fermaient. Il entendit des conversations sur un ton très bas, tandis qu’il progressait. Il ne s’arrêta que lorsque ses genoux heurtèrent les parois du lit de l’accouchée. Dès qu’il se rendit compte de cette limite, il posa ses deux petites mains sur le rebord en bois et leva la tête.

 

Bon nombre de ceux qu’il espérait voir se trouvaient là.

Zecht, le chef de l’Ordre des Juges, était absent, mais il reconnaissait l’armure familière de Bergan près de la table de chevet, qui ressemblait davantage à une armoire. Près de lui, Drace se tenait toute droite et avait les poings sur ses hanches bouffies de métal. Et enfin, Zargabaath avait pris appui sur la tête de lit, avec, posée sur sa paume de fer, la main de Sentia Solidor qui fermait les yeux et tremblait. Il la lâcha pour faire signe au garçon d’avancer.

— Maman ! cria Vayne.

— Est-ce bien lui ? demanda sa mère à Zargabaath, comme si elle n’arrivait pas à voir celui qui venait d’entrer, malgré la faible distance.

Quelle voix ! Le ton clair et autoritaire avait laissé place à un murmure à peine audible, plein de peine et de douleur.

— Maman, que t’est-il arrivé ?

— Ah ! C’est bien toi ! Mais qui t’a dit d’entrer ?

— C’est moi, Votre Altesse, intervint la servante qui avait ouvert la porte.

— C’est vous-même, en réalité, ajouta Drace de son ton sarcastique. Vous disiez il n’y a pas deux minutes qu’il était temps que Vayne vienne vous voir. Est-ce d’une césarienne qu’on vous a opérée, ou d’un lavage de cerveau ?

— Ah, oui... peut-être...

Sentia avait porté les deux mains à ses yeux et se pinçait la lèvre. Soudain, sa nuque se redressa et elle plongea le regard dans celui de son fils :

— As-tu vu la viéra quelque part dans le Palais ?

Il avait presque cru pouvoir y échapper. Déjà, il sentait le regard métallique, très lourd, des juges se poser sur son ombre.

— Parce que vous pensiez réellement que votre accouchement était une raison suffisante pour la faire venir ? ironisa Drace.

— Taisez-vous ! lui ordonna Sentia. C’est très lâche de votre part d’insinuer des comparaisons insensées, puisque vous n’aurez jamais d’enfant.

Comme au treizième, Vayne sentit la frustration monter des deux côtés, mais cette fois-ci sa mère se calma bien vite.

— Je suis sûre qu’elle serait venue, si quelque chose d’important ne l’en avait empêchée. Réponds-moi, mon garçon, lui as-tu parlé aujourd’hui ?

— Non, Maman, réussit-il à répondre sans manifester aucune trace de tristesse.

Tout à coup, il repensa aux exercices que lui faisait faire son professeur de théâtre : celui-ci mettait tous ses efforts à plonger l’esprit du jeune seigneur dans une situation tragique puis lui demandait de jouer une scène joyeuse, et vice versa.

— Alors elle est partie... Je savais bien qu’elle reprendrait ses voyages un jour, mais je ne pensais pas qu’elle aurait choisi ce moment.

— Vous êtes bien trop clémente, parfois, Madame, déclara le juge Bergan. Vous devez montrer un peu plus de fermeté, même s’il s’agit d’une des plus loyales à votre service ! Une puissance telle que vous se doit de montrer l’exemple.

— Je suis bien d’accord, répondit Sentia en lui adressant un large sourire. Est-ce que quelqu’un d’autre doit venir ?

— Pas à ma connaissance, dit Bergan. Pah ! Qu’avez-vous à faire d’autres personnes, de toute façon ?

Sa mère fermait les yeux dans ce qui semblait être une contorsion douloureuse tandis que le juge riait.

— Qu’est-ce qui se passe, Maman ? Pourquoi tout le monde vient-il te voir ? interrogea Vayne d’une voix inquiète.

— Ce qui se passe ? dit-elle, ses yeux bleus grands ouverts. Il se passe que je viens de perdre mon gros ventre. Ah ! Regardez-la, qu’ils disaient ! Réjouis-toi, mon fils ; tu n’as plus un yéti à la place d’une mère.

— C’est une bonne chose, répondit-il en souriant, mais il doit y avoir un autre souci. Pourquoi es-tu allongée sur ce lit tout le temps, si tout est terminé ?

 

Vayne remarqua à cet instant que l’Impératrice ne semblait pas porter grand-chose, en-dessous du drap blanc.

— Parce que cet imbécile de docteur me l’a commandé...

— Vous êtes peut-être à la tête de ce pays, mais vous avez enfin trouvé quelqu’un qui ait un pouvoir sur vous... en plus de Son Excellence, bien sûr.

Le garçon ne comprit pas les éclats de rire des juges et de sa mère après cette phrase du juge Drace.

— Pourquoi dit-il que tu ne dois pas te lever ? Que t’est-il arrivé ? insista Vayne, de plus en plus anxieux.

Sentia paraissait apaisée après son rire, mais eut un long soupir en fermant de nouveau ses yeux dans une expression de souffrance.

— Cela ne s’est pas passé aussi bien que nous l’aurions voulu. Tu m’avais causé bien moins de tracas... mais ne t’inquiète pas, mon petit, je ne risque plus aucun danger ; je suis seulement... fatiguée.

— Dans ce cas, nous ferions mieux de vous laisser vous reposer, suggéra doucement Zargabaath.

— Il faut d’abord que cet idiot revienne ! rétorqua-t-elle de sa voix la plus dure. Je ne peux pas tous vous mettre à la porte et dormir avant qu’il vienne me dire ses recommandations.

— Madame, le docteur sera bientôt revenu, annonça une servante en souriant, sans doute pour essayer de la calmer.

— Voilà qui est bien. Cela fait de longues minutes que nous l’attendons, déjà.

Zargabaath restait les yeux fixés à la porte close, sans manifester alarme ni calme. Bergan, quant à lui, avait posé la main sur une table où étaient alignés les trois casques.

— C’est bien notre chance, dit Drace au moment où une porte simple que Vayne n’avait pas remarquée s’ouvrit violemment.

La voix masculine vint du fond de la pièce, là où les quelques servantes étaient groupées :

— Bonjour ! Excusez-moi d’avoir un peu tardé.

Vayne n’avait jamais vu un invité adopter un ton si libéré en présence de ses parents ou des Hauts Juges.

 

Un stéthoscope autour du cou et vêtu d’une longue blouse blanche, un homme d’une quarantaine d’années, les cheveux châtain foncé, s’avança vers sa mère d’un pas manifestement très préoccupé. Il avait la tête un peu carrée et portait des lunettes. Sans les avoir déjà rencontrées, cette figure et cette voix semblèrent au jeune garçon vaguement familières.

— Prenez-lui la température. Vous devriez vous habiller.

Drace saisit l’occasion pour rire à gorge déployée tandis que l’une des servantes, elle aussi vêtue d’une blouse blanche, soulevait délicatement le bras nu de sa mère.

— Au diable les habits ! cria celle-ci. Il fait si chaud, ici. Et puis, laissez-moi profiter du corps que je viens de retrouver ! Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

— À moi, rien, mais il serait dommage que vous soyez abattue d’une simple grippe alors que nous venons de passer à côté de tout autre chose, répondit le médecin, et Vayne comprit qu’il était arrivé à sa mère quelque chose de très grave.

— Toujours la même température, murmura la jeune servante-infirmière apeurée.

— Très bien, dit le médecin en souriant et en notant quelque chose sur une feuille qu’elle lui tendait.

 

Sentia Solidor respirait longuement, la bouche ouverte, le front en sueur. Vayne sentit que tout ce qu’elle éprouvait s’était transféré dans son organisme à lui, à tel point qu’il eut peur de ne plus pouvoir tenir debout.

Le docteur se permit de commenter :

— Des accouchements de têtes couronnées, j’en ai fait quelques-uns. Des accouchements de quinquagénaires, j’en ai fait quelques-uns aussi. Mais les deux à la fois… j’ai bien cru que mes nerfs allaient lâcher. Un miracle que la grossesse soit arrivée à terme !

Les juges Bergan et Zargabaath échangèrent un regard, hilare pour le premier et très gêné pour le second, qui finit par rétorquer :

— Quinquagénaire, quinquagénaire… Son Altesse n’a que quarante-huit ans.

Bergan laissa éclater le rire qu’il retenait, accompagné par quelques servantes.

— Ne vous en faites pas, Votre Honneur, fit Drace la tête haute, vous atteindrez cet âge dans moins de trois mois ; et devinez quoi ? Vous deviendrez même quinquagénaire, Zargabaath !

— Lorsque vous serez sexagénaire, articula Sentia en souriant.

Le juge Drace, vu les circonstances, usa de tout le sang-froid dont elle était capable pour rester calme face à cette attaque frontale.

— Des nouvelles de ma belle-sœur ? demanda le docteur, qui lisait sa feuille.

— Non, docteur Mid, répondit posément le juge Zargabaath. Vous savez bien que personne ne sait où elle se trouve.

— C’est bien dommage. J’aimerais au moins connaître son état de santé. Nul besoin d’être un pirate pour être au courant de l’hygiène qui règne sur les mers... Cela fait tout de même plusieurs années, il faut à tout prix que j’aie de ses nouvelles.

— Vous devez aussi savoir que vous serez considéré comme hors-la-loi à partir du moment où vous entrerez en contact avec elle, ajouta Zargabaath sans changer de ton.

— Oh, oui, oui, je le sais... Vous autres, ici, vous ne pensez qu’à faire appliquer vos lois, mais vous ne songez pas toujours à ce que peuvent ressentir les gens. C’est tout de même un membre de ma famille ! Ses parents et les miens ne cessent de prier son retour chaque fois que je leur rends visite. Vous n’avez vraiment aucun renseignement sur elle, pas même un rapport d’activité ?

— Ses activités, à l’heure actuelle, ne sont pas suffisamment dangereuses pour que nous prenions des mesures de suivi à son égard, déclara le Haut Juge. Néanmoins, le juge Zecht doit certainement savoir quelque chose. Il est en ce moment en mission.

— Ah, c’est bien dommage, répéta le docteur. Cela me fait tant de peine d’avoir perdu un membre de ma famille qui est encore en vie...

— Vous devriez avoir honte d’intégrer dans votre famille une telle racaille, s’exclama le juge Bergan.

— Non, je n’en ai point honte ; je suis médecin, je veille à la santé de tous, proches ou lointains. Cela me serait tellement utile d’avoir... ne serait-ce que la confirmation qu’elle est encore en vie !

— Lorsque le juge Zecht reviendra, soyez sûr que sortir ce dossier sera la dernière chose qu’il fera, ajouta Bergan. Depuis qu’il est avec nous, il a appris le sens des priorités !

— Je vous en prie, laissez-moi lui en parler !

— Laissez-le, fit la voix nouée de Sentia.

Toutes les têtes se baissèrent vers elle, la sienne était toujours couverte de sueur et les yeux clos.

— Vous pourrez...

La suite de sa phrase se perdit dans une sorte d’étouffement qui arracha un cri de stupeur à Vayne.

— Ne faites pas d’effort, dit Zargabaath. Reposez-vous.

— Dites-lui... expliquez-lui, alors, lui dit-elle d’une voix faible.

— Très bien. Lorsque Zecht reviendra, je le chargerai personnellement de vous envoyer une lettre, déclara le juge Zargabaath en se tournant vers le docteur Mid.

— Ah ! fit ce dernier, la face rayonnante. Voilà qui me soulage.

— Cid a bien de la chance d’avoir un frère qui accomplit ses devoirs à sa place, glissa Drace.

A ce nom, Vayne sursauta. Le docteur se déplaça vers le milieu de la salle.

— À propos... il est venu ici, n’est-ce pas ?

— Oui, dit Bergan. Comme s’il croyait que nous allions tomber dans le panneau ! Hahaha !

Zargabaath trébucha soudainement, et se releva en s’écartant de la tête de lit.

— Je... je suis désolé, fit le médecin en baissant la tête. J’ignore totalement ce dont il est venu vous faire part, mais... nous savons tous ce qu’il en est. Il est venu me voir aussi, comme si nous nous voyions tous les jours, pour dire des banalités et me souhaiter bon courage. Je n’ai toujours pas percé le secret de cette attitude. J’ai entendu dire qu’il a un nouveau projet en tête, sans plus de détails. Malheureusement, tout ceci n’est plus de mon ressort. Je vous conseillerais donc de rester sur vos gardes.

— Et des conseils médicaux, vous en avez ? dit Drace d’une voix dédaigneuse. C’est ce pourquoi vous êtes là, il me semble. Pour le reste, Son Altesse peut compter sur nous ; c’est notre rôle.

— Oui, répondit le docteur en lui souriant.

 

Il se retourna vers l’Impératrice, dont la peau était devenue très pâle.

— Comme vous devez vous en douter, Madame, vous serez en repos absolu pendant plusieurs jours, au moins une semaine.

— Une semaine ! s’exclamèrent Bergan et Drace en chœur.

— Oui.

— Elle ne tiendra jamais ! ricana Bergan.

— Pour ce qui est du traitement, vous vous en tiendrez à la liste que voilà. Ce ne sont pas des ingrédients difficiles à trouver, mais vous devez suivre scrupuleusement les horaires et quantités indiqués. Et aussi...

— Et aussi quoi ? demanda Zargabaath, étrangement irrité.

— Et aussi, il faudrait que Madame fasse un voyage. Respirer le grand air l’aiderait à retrouver l’usage de ses muscles et un métabolisme indépendant. Je sais bien que vous avez les moyens de la transporter sans qu’elle ne fasse d’effort... même si évidemment, je lui déconseille de partir dans les trois prochains jours. Bhujerba, par exemple, serait une destination idéale. L’air de la cité céleste n’a pas de rival en Ivalice !

 

Tout le monde resta silencieux pendant quelques secondes.

— Ce n’était qu’une suggestion, précisa le médecin, mais je pense qu’elle vous fera le plus grand bien. Occupez-vous bien du petit... il est en forme pour l’instant, mais à cet âge les complications viennent très vite. Oh, et bien sûr... félicitations, je souhaite la bienvenue au nouvel héritier du trône d’Archadia.

 

Sur ces paroles, il s’inclina et se retira presque aussi vite qu’il était venu, par la porte dérobée.

— C’est pourtant vrai, murmura Sentia en adressant à son fils un regard plein de douceur. Tu ne l’as pas encore vu ! Va dire bonjour à ton petit frère.

Un petit frère ?

Vayne s’avança lentement et regarda du côté de la table avec les casques. À son côté, derrière le juge Drace, se tenait un couffin blanc qu’il aurait confondu avec le petit rideau d’une maison de poupée. Il fit quelques pas supplémentaires et y remarqua la présence d’un minuscule bébé qui gesticulait dans tous les sens.

— Oh ! fit une servante qui regardait aussi l’intérieur du couffin.

— Qu’y a-t-il ? demanda Drace.

— Il est réveillé... je croyais qu’il dormait.

S’ensuivit un instant de silence. Le jeune garçon n’avait encore jamais vu d’enfant aussi jeune ; c’était bien étrange de ne savoir s’exprimer ni même s’asseoir, d’être juste un fragment de sang noble dans un état d’impuissance totale et destiné à ne composer aucune mosaïque de l’Empire.

— Eh bien, quel est le problème ? s’enquit Sentia avant de reprendre sa respiration et sans se tourner vers ses fils. Il est réveillé, tant mieux !

« Alors c’est toi qui étais dans son ventre et la faisais souffrir durant tous ces mois... » se dit Vayne sans cesser de scruter les yeux tels deux gouttes d’eau sur le visage couleur coucher de soleil, ni les petites mains tentant de saisir l’air.

— Attendez, dit la servante visiblement chargée des premiers instants du petit frère en s’approchant d’eux.

Elle se pencha vers le nouveau-né, l’enveloppa délicatement dans son drap puis le souleva, d’un mouvement si lent qu’en le suivant en continu il était à peine perceptible.

— Tenez.

Elle se mit à sourire et ses deux bras lui tendirent le tout petit être, qui s’était mis à crier. Vayne crut qu’elle allait le reprendre immédiatement, mais comme rien ne se passait et que son nouveau frère continuait à crier, il se décida à le porter à son tour et lui ordonna de se taire.

— Il ne m’écoute pas, Maman, se plaignit Vayne tandis que le nourrisson hurlait de plus en plus fort.

— Alors, répète-lui, répondit-elle dans un état d’endormissement.

 

Vayne se retourna vers la petite tête toute rouge aux cheveux noirs naissants.

— Tais-toi, petit frère ! Tu fais un peu trop de bruit.

Mais il poursuivait ses cris et ses mouvements désordonnés. Le seigneur Vayne se mit alors à réfléchir. Momentanément déconnecté du reste de l’environnement, il se rendait lentement compte du poids qu’il avait sur les bras, de la vie qui venait de prendre forme au creux de la même source qui l’avait créé. Et qui aurait droit au même traitement de faveur, naturellement. Il se mit à sourire, lui aussi. L’enfant avait la peau encore toute douce, et il le sentait si fragile qu’il eut peur de le briser en avançant ses bras. Mais comme il restait entier, il se décida à recommencer son geste. Ses bras allaient et venaient tout doucement, et au même moment une drôle d’émotion lui montait au cœur. Il était si mignon, ce petit frère.

— Il s’est rendormi, murmura la servante.

Vayne ne l’avait pas remarqué. Déboussolé, il baissa la tête vers les deux petites gouttes cachées par les paupières, alors que la jeune fille venait vers lui pour remettre le nouveau-né dans son berceau.

 

Il se tourna ensuite vers sa mère, conscient qu’elle devait se reposer.

— Bravo, Maman, ce petit frère est joli comme tout et il a l’air en pleine forme. Tu as été très courageuse. Je suis si content que tu sois en bonne santé ! Dis... pourrai-je me joindre à ton voyage ?

Sentia, dès les premières paroles, avait plissé son regard, des larmes aux creux des paupières. Cependant, lorsqu’il eut posé sa question, elle répondit d’une voix si ferme que le garçon crut qu’il allait s’effondrer :

— Non, mon garçon. Tu ne pourras pas.

— Pourquoi, Madame ? intervint le juge Zargabaath. Je ne vois aucun inconvénient.

Vayne avait craint un changement en lui lorsque le docteur s’était apprêté à partir, mais cette dernière remarque le rassura tout à fait ; il était bien celui qu’il avait toujours connu. Le fils scruta la mère d’un air sceptique, impatient d’entendre ses explications. Cependant, après un long moment, aucune explication ne vint, alors il demanda :

— C’est vrai, Maman. Je ne te dérangerai pas. Je ne ferai que t’accompagner et veiller à ce que tout se passe bien.

— D’autres peuvent le faire à ta place. Ne te dérange pas pour si peu... ce n’est pas la peine que tu viennes.

Pourquoi le rejetait-elle ? Pourquoi le rejetait-elle une fois encore ?

Il tenta du mieux qu’il put de cacher son choc et ajouta :

— Mais, tu sais que j’aime beaucoup Bhujerba. Et j’aime beaucoup lorsque nous y allons ensemble.

— Tu n’iras pas, Vayne, c’est sûr et certain, insista l’Impératrice avec un sourire qu’il détesta. Dans quelques jours je partirai peut-être, puisqu’il faut attendre quelques jours. Et il se peut que je décide de ne pas partir... je verrai bien comment je me porte. Mais dans tous les cas, je ne pourrai pas t’emmener avec moi.

Elle parlait sans amertume, sans aucun regret. Vayne sentit une blessure le menacer, mais il réussit encore une fois à paraître de marbre.

— Dans ce cas, je te souhaite une bonne journée, Maman. Repose-toi bien. L’essentiel est que tu ailles bien et que tu prennes les meilleures décisions pour que cela continue.

— À plus tard, mon chéri. Au revoir, Vos Honneurs.

Drace, Bergan, et Zargabaath suivirent le seigneur Vayne hors de la pièce. Tant de choses lui faisaient peur... mais il y en avait une dont le péril dépassait celui de toutes les autres.

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R.Azel
Posté le 18/03/2024
Ah là là ! ces accouchements !
Ils ne se déroulent jamais tous de la même manière. C'est pourtant connu. Cela dit, même si c'est regrettable, par toutes les quinquagénaires qui accouchent le font dans la complication. Oui, parce que comme pour tout le reste, pas toutes les femmes sont égale de ce côté-ci. M'enfin, à voir la suite, ne serait-ce que pour savoir si Vayne saura mettre sa frustration de côté. ^_^

Désolé pour mes intervalles plus longues entre mes lectures. J'ai décidé de gentiment m'éloigner du milieu littéraire et me concentrer d'avantage sur les priorités que la vie inflige. o_~
Ety
Posté le 18/03/2024
Ahah merci pour ton passage!
Et je comprends tout à fait; je suis là avec pour seule autre priorité chronophage le travail (quand il est là), mais j'imagine que pour les gens normaux il y a la famille fondée toussa... je laisse ça à mes personnages comme tu peux le voir! héhé.
A voir jusqu'à quel point cet accouchement était problématique! Et mes lecteurs ont vu des indices dans cette scène...
A la prochaine alors ^.^ et bon courage :)
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