Chapitre 10

Chapitre 10

 

Olympe était chamboulée après cet échange avec le Capitaine. Elle avait vu une facette qu’elle ne lui connaissait pas : bouleversé et tendre. Elle se rappelait la douceur de ces mains sur son visage, de la chaleur qui émanait de son corps et de ces yeux plongés dans les siens. Elle ne cessait d’y penser.

Depuis le début, sans qu’elle ne s’en rende compte, il s’était montré attentionné envers elle. Il n’avait jamais manqué une occasion de la protéger, jusqu’à même mettre sa propre vie en danger.

Pourtant, elle avait pris sa décision. Elle voulait partir et continuer sa destinée seule. Elle ne les quitterait pas sans regret, car, elle les appréciait tous malgré le peu d’égard qu’ils lui portaient. Elle se remémorerait les bêtises d’Eliot et la courtoisie de John. Ils avaient été les piliers sur lesquels elle avait pu s’accrocher. Elle n’oublierait pas.

 

Le Mary était proche de la prochaine île, Tortuga. Ils arriveraient sur terre d’ici quelques heures. Olympe avait déjà préparé son sac et attendait dans la cale, assise sur son hamac. Il ne lui manquerait pas, celui-là. Elle secoua la tête, un rictus sur les lèvres.

John décida de la rejoindre à ce moment-là. Il avait appris le départ de la jeune femme la veille et s’en voyait chagriné. Il appréciait Olympe. Plus qu’il ne l’aurait cru.

L’homme s’avança avec toujours ce sourire bienveillant collé aux lèvres.

  • Alors nos chemins se séparent…
  • Il semblerait, oui, confirma-t-elle en portant son attention sur lui.

Il vint s’asseoir à ses côtés. Le hamac menaçait de céder sous le poids des deux individus.

  • Je vais vous regretter, vous savez ?
  • Ne dîtes pas cela, John…
  • C’est la vérité. Vous avez apporté un souffle nouveau sur ce navire.
  • Vous êtes un piètre menteur, répliqua-t-elle d’un ton moqueur.

John leva les yeux vers le plafond, souriant toujours.

  • C’était agréable de côtoyer quelqu’un d’aussi incroyable.

Elle fit une petite moue et s’autorisa une imprudence. Elle se pencha et déposa un léger baiser sur sa joue. L’homme fut surpris. Il la regarda en clignant des yeux.

  • Oh.

La jeune femme lui sourit et se leva. Il fit de même et s’agita en trépignant sur place .

  • Olympe.
  • Mmh ?

Elle tourna la tête vers lui.

  • Accordez-moi un dernier entrainement.
  • Oh John, je ne tiens pas à me faire humilier une nouvelle fois…, répliqua-t-elle en roulant des yeux.
  • Je vous laisserai gagner, affirma-t-il de bonne foi.

Olympe fit de nouveau la moue et pencha la tête sur le côté en posant ses mains sur sa taille.

  • Très bien. Une dernière.

Ravit, il l’amena sur le pont. Il y avait beaucoup de matelots présents. Russel assis à la table près du gouvernail, plongé dans ses cartes, Charlie en train de vérifier l’usure des canons, Samuel hissé sur un mat à corriger les défauts d’une voile, Eliot somnolant sur le plancher. Elle les observa à tour de rôle, un regret dans le cœur.

John sortit l’épée de son fourreau et se plaça au centre du pont.

  • Prête, mademoiselle Fiennes ?

La jeune femme se mit en position et dégaina à son tour son épée. Le sourire aux lèvres, elle dressa sa lame et fléchit ses jambes.

  • Prête, monsieur Lewis.

Les deux individus commencèrent à combattre gentiment, riant de temps à autre. John s’amusait à l’effleurer tandis qu’Olympe donnait de plus sérieux coups. Elle prenait le dessus en sachant bien évidemment que John comptait la laisser gagner.

La jeune femme heurta violemment la lame de son adversaire en gloussant. Elle prenait plaisir à participer à ce divertissement. John lui offrait un dernier souvenir agréable.

Le second repoussa la lame de la demoiselle et vint coller son corps au sien. Il plongea ses yeux dans les siens, lisant de la surprise mêlée à de la gêne. Elle resta interdite et hésita à reculer d’un pas. John souffla en la détaillant du regard.

  • Vous allez me manquez.

Elle le savait.

Le capitaine assistait à la scène, les avant-bras appuyés sur la rambarde du gaillard-arrière. Un rictus déforma ses lèvres. Il recula et dévala les escaliers en trombe en sortant son épée de son fourreau, toujours accroché à sa ceinture.

L’homme n’avait pas digéré leur dernière discussion. Il n’acceptait pas son départ. Et il allait lui faire comprendre.

Amaury s’approcha et pointa le bout de sa lame vers Olympe.

Ses yeux sombres luisaient d’un éclat furieux.

  • Trouvez-vous cela amusant de vous battre maintenant alors que vous avez échoué précédemment ?

John se tut en haussant les sourcils. Il s’écarta de la jeune femme en sentant ce regard transperçant se poser sur eux.

Olympe resta interdite. Elle serra la poignée de son arme en dérivant son regard sur l’homme.

  • Ce n’est qu’un divertissement…, rétorqua-t-elle en tentant de se justifier.
  • Il n’y a rien d’amusant à être faible.

La jeune femme écarquilla légèrement les yeux en sentant sa mâchoire se crisper. Elle recula d’un pas, affaiblie par cette attaque verbale. Du bout des doigts elle tripota sa natte serrée.

  • Que je le sois ou non, ce n’est plus votre problème. Je m’en irai dès que l’encre sera jetée.
  • Alors, à mon tour, vous allez m’accorder un combat. Un dernier, comme vous l’avez précisé.

Olympe ne s’était jamais battu avec Amaury. Elle avait vu ces prouesses au combat avec d’autres hommes et redoutaient la force qu’il allait employer. Elle recula encore une fois, sa poitrine se gonflant d’appréhension. Elle ne voulait pas.

  • Non.
  • Je ne vous laisse pas le choix, déclara-t-il en se postant face à elle, la lame toujours pointée.

Les matelots déjà présents sur le pont s’approchèrent. Eliot émergea de son sommeil et se redressa sur les coudes, alerté par cet échange hostile.

  • Amaury, siffla prudemment le second en tentant de s’approcher.
  • Reste où tu es, John.

Le second serra les dents. Il n’appréciait pas la tournure des évènements. Le capitaine était furieux et frustré. Son aura lançait des piques et menaçaient de transpercer quiconque interviendrait.

Olympe s’exécuta et se mit en position, redressant son épée en la pointant vers son supérieur. Ses jambes ne voulaient pas lui obéir, bien trop tremblantes. Elles connaissaient l’issu de ce duel.

  • Prête, mademoiselle Fiennes ? demanda ironiquement Amaury.

Elle ne répondit pas. Elle fit preuve de courage en attaquant la première. Son pied s’élança et s’écrasa sur le plancher. Le buste en avant, elle contracta le muscle de son bras et abattit sa lame sur celle de son adversaire.

Il lui daigna un regard las en restant immobile. Il arborait une position paresseuse, nullement affecté par sa faible attaque.

La jeune femme voulut pleurer. Son estomac se nouait aux fils des secondes et elle comprit qu’il désirait défoulé sa colère sur elle.

  • Pourquoi ? Pourquoi faire cela après ce que je vous ai dit ?

Il s’approcha sans crier garde et fit pleuvoir plusieurs attaques. Il était vif, ses yeux lançant des éclairs. Elle s’écarta et jongla des pieds. Malgré la peur, elle tenta de faire face à ce déluge de coups qui augmentait en vitesse au fur et à mesure. Elle émit un gémissement en sentant la lame tailladée sa cuisse, déchirant le tissu de son pantalon.

  • J’ai tué un de mes matelots à cause de vous, répliqua-t-il, son torse se soulevant au rythme de sa respiration.

Olympe porta une main sur sa cuisse. Le sang coulait lentement. Elle le fusilla du regard en sentant la colère monter progressivement.

  • J’me suis mis à dos toute une taverne pour défendre votre impuissance.

C’était comme s’il venait de la gifler. Il était à deux pas d’elle et leva de nouveau sa lame pour l’abattre contre la sienne. L’acier grinça les oreilles.

Eliot s’était assis en tailleur, les bras croisés, observant la scène avec attention. Il ne semblait ni en colère ni choqué. Les hommes restaient silencieux et interdit. Ils observaient seulement, presque indifférent. Qu’est-ce qu’ils en avaient à faire d’elle, de toute façon ?

Olympe réussissait par moment à contrer ses attaques violentes. Ses bras tremblaient et la sueur faisait glisser ses mains ; sa natte bougeait dans tous les sens.

  • Arrêtez, je vous en prie, supplia-t-elle alors que des larmes menaçaient de jaillir de ses yeux bleus.

Il n’en fit rien. Il continua de plus belle et avança nonchalamment. Sa lame rencontra une nouvelle fois celle d’Olympe brutalement. Sous le poids, elle tomba en arrière et s’écrasa contre le plancher. Son épée vola plus loin. Désarmée, haletante et épuisée, elle lui adressa un regard de détresse.

 Il avait menti. Il lui avait dit qu’il ne lui ferait jamais du mal. Est-ce que la tendresse dont il avait fait preuve était factice ? Est-ce qu’il la méprisait ? Avait-il honte d’elle ?

  • Ingrate et faible, incapable de surmonter les coups. Vous vous dîtes déterminée mais vous pleurnichez à la moindre difficulté. Je regrette amèrement le jour où j’ai accepté de croire en vous.

John sifflait l’air de ses narines, le visage rouge de colère, les poumons gonflés de fureur. Il s’avança, les poings serrés. Samuel lui attrapa fermement l’épaule en le maintenant en place. Il signa son refus de la tête.

  • Les faibles meurent, les forts survivent, asséna le capitaine en s’arrêtant.

Il la fixa intensément, une émotion étrange dans les yeux. Il reprit en relevant lentement son épée, comme s’il attendait quelque chose, comme s’il voulait que quelque chose se produise. Amaury fronça les sourcils et abattit sa lame sur elle.

Elle releva la tête et l’intercepta d’une main. Le contact de l’acier coupa sa chaire. Elle força sur la lame et se releva. Ses yeux suivirent le même moment et elle lui lança un regard flamboyant, les pupilles dilatées.

  • Assez.

Elle serra si fort la lame que le sang coula et s’écrasa sur le pont. D’un revers de poignet et en mettant suffisamment de force, elle tira sur l’épée ennemie et l’envoya valser au loin. Amaury haussa doucement les sourcils. Il la scruta en plissant les yeux.

Il vit le coup de poing arriver et s’écraser contre sa mâchoire. Il ne vit pas le second qui lui abima le nez ni le troisième qui lui fit tourner la tête. Chaque coup le faisait reculer et fermer les yeux. Car, il se rendit compte, qu’elle y mettait toute sa force. Elle se déchainait, déversant toute sa rage. Toute sa haine.

  • Je suis peut-être faible, ingrate et sûrement froussarde mais je ne vous autoriserai plus à me marcher dessus ! hurla-t-elle en décochant une nouvelle droite au pirate, les yeux remplis de rage et le souffle court.

Il ne cacha pas sa surprise face à ce regain d’énergie qu’elle déployait. Il avait cru qu’elle avait abandonné. Alors qu’il tentait de parer son nouveau coup en se protégeant le visage à l’aide de ses deux bras, elle releva sa jambe et lui asséna un coup de pied dans l’estomac. Il écarquilla les yeux en ayant le souffle coupé. Son corps fut projeté contre la paroi d’un mur.

  • Vous avez entendu, capitaine ?! Je ne suis pas faible ! cria-t-elle de plus belle.

L’homme s’écrasa contre les taules de bois et son dos glissa jusqu’à ce que ses fesses touchent le plancher. Le sang coulait abondamment de son nez et il rejeta la tête en arrière.

Les poings égratignés, elle redressa son buste et le regarda avec mépris. Elle ne réalisa pas tout de suite qu’elle venait de battre son supérieur, qu’elle l’avait humiliée comme il l’avait fait.

  • Bienvenue à bord, Olympe, parvient-il à souffler.

 Le visage abimé, un œil fermé, il s’autorisa à lui offrir un franc sourire. Olympe le regarda, incrédule. Ses sourcils se froncèrent tandis que l’équipage se mirent à hurler de joie, les poings en l’air.

  • Vive Olympe ! Vive Olympe ! s’écriaient-ils en chœur.
  • Elle lui a cloué le bec ! s’exclama Eliot en se redressant.
  • Elle l’a bien amoché, entendit-elle de Samuel.

John fut relâché et il la regarda, son cœur tambourinant dans la poitrine. La surprise se lisait sur son visage. Elle s’était défendue avec hargne et détermination. Elle avait montré qui elle était vraiment et ce qu’elle valait. Était-ce là le but d’Amaury ?

Olympe resta interdite face à ce déferlement de joie. Elle se retourna et ramassa son épée qu’elle rangea dans son fourreau et sans un mot, quitta le pont pour rejoindre la cale.

Elle s’enferma dans la pièce. Dos à la porte, elle se glissa le long de celle-ci. Ses jambes se replièrent sur sa poitrine et elle cacha son visage entre ses bras qu’elle croisa sur ses genoux. Un flot de larmes la submergea. Elle éclata en sanglot, son corps parcourut de secouement.

Maudits pirates, pensa-t-elle.

 

***

 

John entra en trombe dans la cabine du capitaine. Celui-ci était affalé sur un fauteuil, grimaçant tandis que William s’acharnait à enfoncer deux petits morceaux de tissu dans son nez en grommelant dans sa barbe poivre et sel.

Il fulminait de rage. La colère ne l’avait pas quittée depuis le duel d’Olympe et Amaury. Il s’approcha à grandes enjambées et attrapa le col de la chemise tachée de son ami, tentant de le surélever de son siège.

Amaury posa un regard impassible sur lui.

  • Lâche-moi, ordonna-t-il.
  • Pourquoi as-tu fait cela ?! Pourquoi l’as-tu brisée ?!

Eliot, qui se trouvait également dans la pièce assis sur le lit du capitaine, releva la tête.

  • Mais il l’a réparée, John, émit l’adolescent.

John blêmit en regardant le matelot. Il lâcha Amaury et recula.

  • Elle n’est pas un objet !

William s’essuya les mains sur un linge propre et remit ses lunettes en place en soupirant.

  • Capitaine, il va falloir cesser les combats. Votre corps en subit les conséquences et n’arrive pas à s’en remettre. Il vous faut du repos.

Amaury roula des yeux. Il le savait mais sa nature était plus forte. Il n’arrivait pas à refouler ses pulsions.

John fixa son capitaine et cracha, toujours aussi indigné.

  • Elle est fragile et tu t’en prends à elle ainsi. Quel est ton but ? La pousser dans ses retranchements ?
  • Elle est si fragile qu’elle m’a explosé le nez, rétorqua le Capitaine en reniflant. Cela lui couta une grimace douloureuse.

Le second ne démordit pas. Il garda les poings serrés.

  • Tout était calculé, n’est-ce pas ? Tu voulais lui faire repousser ses limites.
  • Plus ou moins.
  • Pourquoi t’obstines-tu ? Elle a le droit d’abandonner.
  • Parce que je crois en elle, trancha-t-il en posant son regard sur son ami.

John serra les dents. Il se détendit petit à petit.

  • Etrange façon de le montrer.
  • Je me fiche qu’elle me haïsse, je veux juste qu’elle réussisse.

Les deux hommes se fixèrent intensément. Amaury prit la chemise noire qu’Eliot lui tendit. Il l’enfila et la boutonna sans un mot.

  • Nous allons jeter l’encre. Je resterai pour surveiller le navire. Toi et les autres, partez sur l’île et faîtes ce qu’il y a à faire, reprit Amaury en se dirigeant vers la porte.

John le suivit du regard.

  • Elle va partir.
  • Qu’il en soit ainsi.

Et le capitaine quitta la cabine.

***

 

Le réfectoire était silencieux, faiblement illuminé de lanternes. Les matelots n’avaient pas mangé. La plupart étaient descendu à terre pour profiter de l’île.

Olympe posa son regard sur les vitres de la pièce, observant le croissant de lune. Elle n’avait pas quitté le navire et était restée toute l’après-midi enfermée dans la cale à ruminer. Malgré sa colère, sa tristesse, elle n’avait pas réussi à quitter les lieux. Ses émotions étaient chamboulées. Elle voulait faire le point et réfléchir calmement ; être seule dans ce réfectoire l’apaisait.

Elle ferma les yeux en poussant un soupir, après avoir bandé ses blessures. Une tisane à la main, elle huma la douce et délicate odeur qui s’en dégageait.

Charlie Bennett vint s’asseoir à ses côtés, la même tisane dans les mains. L’homme à la peau ébène, qu’elle avait pu identifié sur une des chaloupes il y a quelques jours, lui adressa un petit sourire. Ils ne s’étaient encore jamais parlé.

  • On trouve ces herbes uniquement en Asie, dit l’homme doucement.

Elle tourna la tête vers lui et fut surprise qu’il lui adresse la parole. Elle avait auparavant remarqué qu’il était discret et réservé.

  • C’est loin.
  • Très loin.
  • J’aimerais beaucoup m’y rendre, un jour.

Charlie lui sourit brièvement et bu un peu de sa tisane.

  • Vous avez… été très forte tout à l’heure.

Olympe ne répondit pas. Elle ne savait plus. Elle ne savait plus qui elle était.

  • Le capitaine est un homme particulier. On n’approuve pas toujours ces méthodes mais le résultat final est à la hauteur de nos attentes. Je ne pense pas qu’il vous ait infligé cette humiliation par plaisir.
  • C’est une bête.
  • C’est un homme bon.
  • Je ne peux plus le croire, murmura-t-elle en regardant le contenu de sa tasse.

Charlie hocha doucement la tête en signe de compréhension. Néanmoins, il déclara en posant ses yeux noirs sur la jeune femme.

  • Avant d’intégrer cet équipage, j’étais esclave au sein d’une famille Américaine. Nous étions sur un navire, en route pour la France. Je servais cette famille depuis des années. Bien entendu, ils n’étaient pas bienveillant à mon égard. Notre navire à rencontrer celui du capitaine. Je crois qu’à la base, ils nous avaient abordé pour nous voler les biens de mes maîtres. Lorsque le capitaine m’a vu, avec mes chaines et mes haillons, son regard a changé.

Olympe l’écouta en silence. Charlie reprit d’une voix paisible.

  • Tout d’abord il a tenté de discuter avec mes maîtres. Il a essayé de convaincre mes maîtres de me libérer. Ils n’ont pas voulu. J’étais jeune, fort et surtout soumis. Alors, au lieu de voler leur or, de saccager leur navire, il m’a échangé. Il leur a donné de l’or et des biens contre ma liberté. Et enfin, ils ont accepté.
  • Et ensuite ? demanda la jeune femme, subitement curieuse.
  • Ensuite, il m’a dit que j’étais libre. Qu’il me poserait sur mon île natale ou peu importe où je voudrais me rendre. Mais je n’avais plus rien. J’ai été arraché à ma famille très jeune. J’ai grandi auprès des blancs. J’étais seul. Alors je lui demandé de rester. D’intégrer son équipage.

Il eut un silence. Charlie prit une autre gorgée.

  • J’aurai pu partir mais j’ai voulu rester. La bienveillance dont il avait fait preuve, je ne l’avais jamais vu chez un blanc. Ça m’a fait un déclic. Ils n’étaient pas tous les mêmes. J’ai voulu le suivre et apprendre à me battre à ses côtés. Combattre pour lui est une fierté car je sais, qu’un jour, il m’a sauvé la vie.
  • Je comprends.

Charlie lui sourit de nouveau. Olympe apprécia sa compagnie.

  • Je ne nie pas que l’acte du Capitaine est à revoir mais… Je ne pense pas qu’il ait agit ainsi pour vous causer de la peine.
  • Malheureusement, c’est le cas.
  • Allez-vous partir ?
  • Je ne sais pas. Je n’arrive pas à réfléchir correctement.
  • Laissez vous du temps.

Elle hocha la tête en toute réponse. La porte s’ouvrit et Eliot pénétra dans la pièce suivit de Samuel et de Russel.

  • On joue aux cartes ? demanda l’adolescent en s’installant sur un banc, près des deux individus.
  • Soit. Mais on ne mise pas d’argent, seulement de l’alcool, rétorqua Russel en s’installant à sa suite.
  • Mais pourquoi ? C’est plus amusant ainsi ! se plaignait Eliot.
  • Parce que tu vas vouloir te battre, encore, siffla Samuel en s’asseyant en face d’eux.

La jeune femme se renfrogna. Charlie décida de jouer.

  • Tu joues, Olympe ? demanda Russel.

Elle parut surprise qu’on lui propose de jouer. Des semaines qu’elle était sur le navire et aucun matelot ne lui avait jamais proposé une seule fois.

  • Je veux bien.

Elle se glissa sur le banc pour être aux côtés d’Eliot. Il lui sourit, rayonnant de joie, comme à son habitude.

  • Tu n’es pas partie.

Russel commença à expliquer les règles du jeu. Olympe offrit un petit sourire à l’adolescent avant d’écouter les instructions.

  • Je vais vous donner quatre cartes chacun. Il faudra les mémoriser puis les mettre de dos. Ensuite, avec les cartes restantes, j’établirai des rangées avec tout d’abord six cartes, puis cinq, suivit de quatre, trois, deux et un, répliqua Russel en les regardant tous. Chacun hocha la tête : Les cartes seront de dos. On retourne les cartes une par une. A ce moment-là, vous verrez si vous avez la même carte. Si vous l’avez, vous pouvez distribuez des gorgées. Mais si vous ne l’avez pas, vous pouvez bufflez. Si on vous accuse de mentir, et qu’il s’avère, vous prendrez le double de gorgée.
  • C’est une histoire à finir ivre, répliqua la jeune femme.
  • C’est ça qui est bon ! ricana Eliot.
  • Chaque rangée comportera un chiffre, reprit Russel : La première est une gorgée, la deuxième deux et ainsi de suite…
  • Et lorsque nous n’avons aucune carte similaire ? demanda la jeune femme un peu perplexe.
  • Vous allez boire mais ne jamais distribuez sauf si vous bluffez.

Olympe fit la moue en observant toutes ces têtes amusées. Ils allaient la saouler.

 

                                                                                                                                   *** 

 

Le jeu avait débuté et la jeune femme était mal partie. Les matelots connaissaient que trop bien cet amusement et étaient devenu de fin stratège avec le temps. Ils ne mirent pas longtemps à faire boire la jeune femme qui grimaçait à chaque gorgée de rhum.

  • Argh, c’est si amer… souffla-t-elle en s’essuyant la bouche d’un revers de manche.

Russel ricanait à moitié, les yeux dilatés par tout le flot d’alcool qui coulait dans ses veines. Eliot semblait sur le point de s’endormir sur la table. Charlie et Samuel tenait le coup.

  • J’ai un roi, répliqua l’espagnol en désignant la carte qui venait d’être retournée.

C’était la dernière carte retournée de la rangée. Celle qui pouvait donner un cul sec. Fatale.

Tous les yeux se dressèrent sur lui. Le roi n’était pas déjà sorti quatre fois ? Trop éméchés pour réfléchir correctement, le petit groupe se crispèrent. Olympe marmonna dans sa barbe, une moue contrite sur le visage.

  • Tu l’as déjà dit plusieurs fois que tu avais le roi… Tu buffles.

Samuel plissa les yeux, un sourire amusé collé au visage.

  • Tu me traites de menteur ?

Face au silence qu’elle lui adressait, il rajouta.

  • Peut-être que je mens. Ou bien… Peut-être que je dis la vérité. C’est difficile de distinguer le vrai du faux dans ces moments-là…

Eliot manqua de taper sa tête contre la table, son menton ayant dérapé de la paume de sa main. Il somnolait de plus en plus.

  • Moi ‘veux bien boire le cul… sec, balbutia l’adolescent.
  • Toi tu es assez touché, en revanche Olympe… Je te sens encore un peu résistante. Vu que j’ai le dernier roi et que personne ne me traite de menteur, je t’adresse cette dernière longue gorgée.

Elle le fusilla du regard. L’enfoiré ! Elle s’affala contre le dossier de son siège en soufflant sur l’unes des mèches qui dépassait de son chignon mal coiffé.

  • C’est de la triche.
  • Attends, laisse-moi finir. Je te laisse le choix.
  • Mmh ?

Elle releva la tête, à l’écoute malgré les bourdonnements incessants dans ses oreilles. Son crâne commençait à chauffer.

  • Sois-tu bois ce cul sec soit… tu décides de rester dans cet équipage.
  • Envoie la bouteille.

Samuel garda la bouteille entamée contre lui en secouant la tête.

  • Réfléchis. Ca serait bête de partir pour… Ca.
  • Ce n’est pas comme si ça faisait longtemps que j’étais là.
  • Raison de plus. Tu as tout à apprendre ici.
  • Avec un capitaine tyrannique ? Non, sans façon.
  • Réfléchis-y.

Il reposa la bouteille sur la table en bois.

  • Et bois.

La jeune femme le défia du regard et prit la bouteille. Elle versa le reste du contenu dans sa tasse et déglutit en voyant tout ce qu’elle avait à boire. Faisant preuve de courage, elle la souleva par l’anse et bu. Son visage se déformait aux fils des gorgées qui lui foudroyait l’estomac. Ses joues étaient de plus en plus rouge et son foie prenait un sacré choc.

Elle finit cette torture en toussant fortement tandis que Charlie et Russel gloussaient.

  • Je crois qu’il est l’heure de dormir.

Samuel se leva et s’étira en baillant longuement.

  • Une longue journée nous attend demain. Ca sera à notre tour de partir sur Tortuga.

Eliot fut soulevé par Russel qui le transporta sur son épaule.

  • Pèse son poids le bougre… !

Olympe se leva lentement, les mains posées à plat sur la table. Y avait-il une tempête pour que le bateau tangue autant ? Elle cligna des yeux à plusieurs reprises.

  • Fait attention au hamac, ça risque de remuer, ricana Russel en quittant les lieux avec un Eliot contre son épaule, totalement endormi.

Samuel le suivit de près. Charlie aida Olympe à quitter le réfectoire.

  • Va te coucher, je vais tenir la garde un peu. L’air frais me fera du bien, souffla l’homme.

Elle hocha la tête et rejoignit le chemin des cales, longeant les couloirs étroits en tentant de garder un semblant d’équilibre. Elle réussit à retrouver la porte et du forcer pour l’ouvrir. Ses mèches de cheveux s’éparpillaient sur son visage. Elle traina des pieds jusqu’à son hamac et se demanda pourquoi ce maudit capitaine n’avait jamais investi dans des couchettes plus confortables. Finalement, elle n’était même pas étonnée qu’il laisse vivre ces hommes dans des conditions pareille. Il n’était qu’un homme sans cœur, purement égoïste et franchement détestable.

Alors qu’elle tentait de retirer les épingles de ses cheveux, elle perdit l’équilibre et s’écrasa contre le mur. La lanterne accrochée au-dessus d’elle vacillait. Elle lâcha une plainte et se laissa glisser en posant une main sur sa tête. Elle était bien plus alcoolisée qu’elle l’aurait cru. Ses yeux menaçaient de se fermer à tout moment. Elle n’avait plus assez d’énergie pour grimper dans ce fichu hamac. Le sol lui paraissait si confortable soudainement…

  • Vous allez avoir mal au dos en restant ainsi.

La silhouette du capitaine se forma. Il referma doucement la porte après avoir pénétré dans la pièce. Olympe resta interdite une seconde. Elle ouvrit un peu plus les yeux en silence et redressa lentement sa tête. Malgré les lanternes accrochées contre les poutres, elle avait du mal à distinguer son corps. La colère l’envahit de nouveau. Elle fut plus accentuée avec la dose d’alcool qu’elle avait dans le sang.

  • Je ne suis plus à ça près.

Le pirate s’approcha prudemment. Il passa son regard sur les éléments de la cave : les autres hamacs vides, les tonneaux débordants d’alcool et d’eau, les caisses de nourriture sèches. Il se sentait mitraillé par ce regard hostile que la jeune femme lui portait.

  • Sortez d’ici, ordonna-t-elle venimeusement en sentant son corps se tendre.

Amaury tourna la tête. Il retenu sa respiration un instant et continua de s’approcher. Olympe tenta de se relever. Elle s’accrocha au tissu du hamac en grommelant dans sa barbe. Ses jambes tremblaient et la lâchèrent. L’alcool la dominait. Elle abandonna en restant contre le mur, assise et fulminante. Des éclairs menaçaient de jaillir de ses yeux et elle secoua la tête en signe d’opposition.

  • Partez, partez. Je ne veux pas vous voir !

Le pirate se posta devant elle et s’accroupit lentement. Ses gestes étaient prudents.

  • Je suis désolé, souffla-t-il.

Il approcha doucement sa main d’elle, comme pour appuyer ces propos. Elle éleva son genou et plaqua sa botte contre le torse de l’homme, le repoussant vivement. Les dents serrées, les pupilles dilatées et le visage rouge de colère, elle s’écria.

  • Ne me touche pas !

Amaury eut un mouvement de surprise et manqua de basculer en arrière. Son regard passa sur la botte puis sur la jeune femme qui était prête à mordre.

  • Olympe… Laisse-moi t’expliquer.
  • Je ne veux rien savoir, le coupa-t-elle sèchement.
  • Je ne voulais…
  • Tais-toi ! Tu n’es qu’une bête, un homme sans cœur ! Un pirate !

L’alcool la rendait amer. Il g arda le silence en encaissant les reproches. C’était mérité, après tout. Il attendit. Il attendrait longtemps s’il le fallait.

  • Pourquoi ? demanda-t-elle soudainement.

Alors qu’il avait baissé les yeux, il se vit les relever et la regarder. Il prit une longue inspiration et en soupirant, déclara.

  • J’ai été impulsif. C’était idiot.
  • Je n’ai pas mérité cela.
  • J’en ai conscience.
  • Je ne peux pas suivre tes humeurs. Un coup tu me sauves la mise et ensuite tu me restes interdit, voire tu m’attaques. Je ne comprends pas tes agissements. Ils n’ont pas de sens !

L’homme encaissa le coup. Il ne pouvait le nier, il était difficile à cerner. Il avait bien conscience de la complexité de sa personnalité.

Ne sachant que dire, il se redressa et attrapa la bouteille qui trainait près du hamac. Il fit quelques pas pour dégoter un verre en fer et y versa le contenu. Puis il retourna sur ses pas et retrouva la position qu’il avait adopté précédemment. Aussitôt, il lui tendit le verre.

  • Bois, ça te fera du bien.

Elle remarqua qu’ils avaient engagé une conversation plus familière. Ils ne se vouvoyaient plus désormais. Elle émit un hoquet en prenant le verre et observa le contenu.

Il attendit patiemment en l’observant prudemment.

  • Seulement… Je voulais que tu…

Elle jeta le contenu du verre sur son visage qui se déforma sous la surprise.

  • Tu ne voulais rien. T-tu voulais seulement évacuer ta colère. Te défouler sur moi.

L’eau coula sur son visage et il se pinça les lèvres. La dernière personne qui lui avait manquer de respect comme ceci avait fini par-dessus bord… Mais il refoula un juron et s’essuya le visage d’un revers de manche.

  • Combien de temps faudra-t-il pour que tu puisses t’apaiser ?

Il planta son regard dans le sien, prêt à être conciliant.

Elle le toisa et posa le verre au sol. Elle ramena ses genoux contre son buste.

  • J’ai envie de vomir.

Il écarquilla un instant les yeux tandis que le visage de la jeune femme commençait à former une grimace. Il se leva précipitamment et attrapa un sceau vide au vol.

Elle se pencha et vomit du liquide ambré tout en toussant. Le pirate fit la grimace et s’agenouilla à ses côtés.

  • Bon sang… Quelle idée de se mettre dans cet état-là.
  • A qui la faute ?

Elle releva légèrement la tête, une mèche de cheveux collée contre sa joue et les yeux vitreux. Il releva délicatement ses cheveux et posa une main sur le dos d’Olympe.

  • Vomis tout ce que tu as.
  • Les insultes ça compte ?
  • Je suis prêt à faire des concessions…

Une douleur à l’abdomen la fit grimacer et de nouveau elle vomissait dans le sceau. Ses yeux se fermaient lentement. La fatigue prenait le dessus et bientôt, sa conscience la quitta. Son corps devenait lourd, si bien qu’elle bascula contre le torse ferme du pirate. Il posa une main sur son visage et lui murmura :

  • Je suis là.

 

Lorsqu’elle reprit conscience, le jour s’était levé et la lumière éblouissait la pièce, à tel point que ses yeux prient un coup lorsqu’elle les ouvrit. Péniblement, elle les cligna afin de s’habituer à cette clarté si vive et dense. Elle sentait son corps endolori et une nausée naissante. Sa tête semblait peser des tonnes et son visage était encore bouillant.

Elle releva doucement son buste et tourna la tête. Elle porta un bras contre ses yeux encore sensible et constata que sa chemise était étrangement pendante. Amorphe, elle recula la tête et remarqua qu’elle ne portait pas les mêmes vêtements que la veille. Encore pire, qu’elle n’était pas dans la même pièce que la veille.

Elle était dans la cabine du capitaine et vraisemblablement, dans son lit.

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