Chapitre 9

Une main posée sur le bras, Olympe le regarda.

Amaury dormait depuis deux jours et aujourd’hui, elle avait été réquisitionnée pour changer ces bandages. Le pirate s’était réveillé brusquement et semblait désorienté. Elle retira sa main et prit une lotion crémeuse sur la table de chevet près du lit.

  • Vous vous réveillez enfin, l’équipage commençait à s’inquiéter, souffla-t-elle doucement.

Le Capitaine l’observa du coin de l’œil en respirant rapidement. Effectivement, il était désorienté. Il tenta de se redresser mais la jeune femme l’immobilisa doucement.

  • Attendez, je dois nettoyer la plaie.

L’homme obéit en ne cessant de la fixer. Olympe appliqua soigneusement la crème sur son torse entaillé. Amaury ferma un instant les yeux puis souffla en passant une main dans ses cheveux.

  • J’ai dormi longtemps ?
  • Deux jours.
  • Deux jours… répéta-t-il en soupirant.
  • Sachez que John et Samuel ont pris les choses en main.

Elle lui offrit un petit sourire en terminant son massage. Elle reprit en prenant des bandages propres.

  • Est-ce que vous pouvez vous redressez quelques instants, je vous prie ?

Le pirate s’exécuta en grimaçant légèrement. Son corps était endolori. La jeune femme enroula les bandes autours de son buste.

  • Où sommes-nous à présent ? questionna-t-il en regardant sa cabine. Il remarqua que la nuit été tombée.
  • Plus très loin de Tortuga. Nous avons été retardés par la météo. On traverse une petite tempête…

Il hocha la tête. Une fois libre, il se leva du lit. Torse nu, il se balada dans la pièce en se remémorant son rêve, perturbé. La jeune femme posa ses mains sur ses cuisses et le suivit du regard, sentant le malaise l’envahir.

  • Je voulais vous remercier pour l’autre jour…, souffla-t-elle avec précaution.

Amaury resta silencieux. Il ne l’écoutait pas vraiment. Il regarda autour de lui et s’approcha d’un miroir. Son regard se posta sur sa nouvelle cicatrice, au torse. Il y avait une belle entaille rougie. Elle était encore fraiche et gonflée.

Le navire tanguait et le vent faisait vibrer les fenêtres. Un orage éclata dans l’air, faisant sursauter la jeune femme. Son regard se posa sur le capitaine. Il était dos à elle et malgré le peu de lumière dans la pièce, elle distingua de nombreuses zébrures sur son dos qui semblait anciennes. L’homme porta inconsciemment une main à celui-ci en entendant l’orage. Sa respiration se fit sifflante et il ferma les yeux. Les orages lui rappelaient toujours le jour où il avait été châtié.

Il se retourna brusquement vers elle.

  • Comment va votre blessure ? demanda-t-il en désirant penser à autre chose.
  • Pardon ?

Olympe cligna des yeux. Elle avait cru qu’il ne lui répondrait pas. Elle porta une main sur son épaule. La blessure était à présent guérie dû au fait qu’elle était superficielle.

  • Ça va mieux. Rien de bien méchant.

Amaury la regarda en hochant la tête, encore dans ses pensées. Il se rapprocha du lit et s’y recoucha. Il faisait une chaleur épouvantable et ça lui donnait un mal de crâne. La jeune femme humidifia un linge et lui tendit.

  • Tenez, ça vous fera du bien. Si vous le souhaitez, je peux demander à Henry un bol de soupe, de l’eau chaude pour un bain… Ce dont vous avez envie, enfin, répliqua-t-elle maladroitement, s’agitant sur sa chaise.

Le capitaine prit le linge qu’il étala sur son front puis la regarda du coin de l’œil.

  • Il y a un problème ?

Olympe se crispa et prit une grande inspiration avant de murmurer doucement.

  • Je ne sais pas comment vous remerciez pour l’autre jour...
  • Vous ne pouvez pas.

La jeune femme releva la tête, les sourcils élevés face à cette réponse brusque. Préférant garder le silence, elle décida de se lever et de prendre le matériel de soin lorsqu’Eliot entra dans la pièce sans toquer.

  • C’est bon, il est réveillé le capitaine ?! s’écria l’adolescent, toujours aussi agité.

Le jeune homme s’approcha en souriant, le visage rayonnant.

  • Je pense que le capitaine voudrait se reposer encore un peu…, répliqua calmement la demoiselle.
  • Rien à faire ! J’ai trop de choses à raconter, maronna-t-il en montant sur le lit d’Amaury.

Le capitaine haussa les sourcils en se massant l’arrêt du nez. Olympe fronça les sourcils et le sermonna.

  • Eliot ! Descends de là !
  • Laissez, souffla l’homme en balayant ses propos d’un revers de main.
  • T’as entendu Olympe ?

Le garçon lui tira la langue en ricanant. Elle retenu un juron.

  • Très bien, je vous laisse.

Et sur ces dires, elle quitta la pièce, agacée par les manières d’Eliot. Celui-ci attendit que la porte se referme pour s’adresser à son capitaine.

  • Alors comment ça va ? Vous allez bien ? J’peux voir votre cicatrice ? babilla-t-il, les yeux pétillants.

Amaury leva les yeux au ciel et retira doucement les bandages. Eliot inspecta la nouvelle cicatrice d’un air concentré.

  • Elle est pas mal celle-là. Ça fait mal ?
  • Plus maintenant.

Il hocha la tête. Amaury laissa un petit sourire apparaître sur ses lèvres. Il répliqua.

  • Tu n’as pas été blessé ?
  • Non. J’aurai bien aimé comme ça j’aurai eu une belle cicatrice !
  • C’est parce que tu es très fort. Les garçons puissants ne se font pas toucher…
  • Vous croyez ? Je suis très fort ?
  • Bien entendu.
  • Donc, vous, C’ptaine, vu que vous avez une cicatrice comme ça c’est parce que vous êtes nul ?

Le jeune garçon pencha la tête sur le côté. Amaury regretta ses propos. Il ne s’étonna pas vraiment, il lui avait tendu une belle perche. Il esquissa un sourire forcé.

  • On va dire ça comme ça, grommela-t-il.

Eliot ria légèrement et s’allongea à ses côtés. Il regarda le plafond.

  • Adam commence à m’énerver.
  • Pourquoi donc ? demanda le blessé.
  • Depuis la bataille, il n’arrête pas de s’en prendre à Olympe. Toujours en train d’lui dire qu’elle est bonne à rien, qu’elle devrait retourner pleurnicher dans les jupons d’sa mère et qu’elle est trop faible pour être ici.
  • Tu connais la raison de cet acharnement ?

L’adolescent haussa les épaules, les sourcils froncés.

  • Non. J’lui ai dit que s’il continuait à l’emmerder, je l’empoisonnerai.
  • C’est un peu radical.
  • Oui mais non finalement parce qu’il m’a dit que lorsqu’il serait Capitaine, il me jettera par-dessus bord !

Amaury fronça les sourcils.

  • Oh vraiment ?
  • Il m’énerve. Vous croyez qu’il est sérieux ? Il était amusant avant mais depuis quelques temps… Il a changé.
  • Ne te prends pas la tête, souffla-t-il en se redressant.

 

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Le lendemain, au matin, la tempête était passée. Les vagues étaient redevenues calmes et le ciel s’était découvert, retrouvant son soleil scintillant. Le Mary pouvait reprendre une vitesse adéquate.

Après avoir fait ses tâches quotidiennes, Olympe contemplait l’océan d’un air pensif. Les coudes sur le bastingage, son menton dans la paume de main, elle songeait à tous les événements qui s’étaient produits ces derniers jours. Entre l’altercation avec Maria Rozario, le combat avec la Navy et le comportement des matelots à son égard, elle se demandait ce qu’elle faisait encore ici. Sa faiblesse prenait beaucoup de place dans son quotidien. Malgré les entrainements qu’elle pratiquait avec John, elle n’avait pas su se battre lors de la précédence bataille. Si le Capitaine n’était pas intervenu, la mort l’aurait attrapée. Cette situation la minait et l’atmosphère l’oppressait. Peut-être que finalement, elle n’était pas faite pour vivre ces aventures. Les matelots lui faisaient bien souvent comprendre, notamment Adam. Ces derniers-temps, elle ignorait pourquoi mais l’homme appréciait beaucoup l’humilier et la rabaisser surtout en public. Par crainte, elle ne disait rien. Au fond, elle savait qu’il avait raison. Elle n’avait pas sa place ici.

 

Le visage fermé, elle regarda les vagues se bousculer tranquillement. La jeune femme sortit brusquement de ses pensées quand elle entendit une voix roque lui grincer dans les oreilles. Elle se redressa et tourna la tête. Adam se trouvait à ses côtés, le visage rouge de colère. L’homme avait le crâne rasé, des yeux vert clair et un début de barbe rousse.

  • Qu’est-ce que tu fais plantée là à ne rien faire ? Je suppose que tu n’as pas nettoyé le pont. Active-toi ! ordonna-t-il en fulminant.

Olympe le dévisagea. Elle en avait assez de ces remontrances, surtout qu’il n’était qu’un simple matelot : comme elle.

  • C’est déjà fait.

Elle détourna le regard et reporta son attention sur la mer, les sourcils froncés, contrariée.

  • Tu plaisantes ? Le sol est dégueulasse. Tu vas recommencer. Tout de suite.
  • Non, répliqua-telle indifféremment en continuant de regarder droit devant elle.
  • Non ? Ce mot ne devrait pas être autorisé dans ta bouche…, souffla-t-il en sentant une veine prête à exploser sur son front.
  • Ça m’est égal.

Le pirate s’approcha précipitamment vers elle. Il attrapa son chignon et le tira en arrière. Il souffla hostilement contre elle, le nez collé à sa joue.

  • Tu vas m’obéir ou je me ferai un plaisir d’éclater cette petite bouche.

Etonnement, Olympe n’avait pas peur. Au contraire, elle était lassée. Lassée de se faire malmener gratuitement par cet homme qui n’avait jamais pu l’apprécier. Elle accrocha ses mains au bastingage en serrant les dents. Un mouvement de plus et elle lui décrocherait un coup de pied entre les jambes.

Mais elle n’eut pas l’occasion d’agir. Amaury s’en chargea à la place. Il balafra la peau de son bras à l’aide de son épée, s’appliquant à taillader son membre.

  • Règle numéro huit : quiconque osera toucher un autre membre de l’équipage se verra retiré de ces fonctions.

Adam grogna en sentant son bras se faire lacérer. Il lâcha les cheveux d’Olympe, s’écarta en portant une main sur sa blessure puis posa son regard sur son Capitaine, le visage remplit d’amertume. La jeune femme s’écarta vivement en respirant vite, les dents serrées.

  • Vous n’allez pas défendre une femme comme elle, tout de même ?
  • Elle fait partie de l’équipage.

Amaury rangea son épée en fixant Adam. Celui-ci avança d’un pas, furibond.

  • Elle ne vaut rien ! Il n’y a jamais eu de femmes à bord et du jour au lendemain, on doit se coltiner une pleurnicheuse !
  • Le bureau des plaintes, c’est à l’intérieur, trancha-t-il fermement.
  • Vous aussi vous ne valez rien en tant que Capitaine. Une femme et un môme à bord, une quête qui n’a aucun sens, très peu de mouillage sur terre. C’est absurde !
  • Tu as mis du temps à craquer, à ce que je vois.
  • Avoir cette putain à bord est la goutte de trop.

Olympe serra les dents de plus belle en l’entendant l’insulter. La discussion attira certaines personnalités curieuses. Les matelots s’approchèrent, intrigués. Samuel se posa contre une poutre et croisa les bras. Eliot le rejoignit, une dague à chaque main, impatient de découper cet enfoiré.

  • Ça y est, c’est bon, on peut s’le faire ? demanda l’adolescent en trépignant sur place.
  • Shhht, siffla Samuel en regardant la scène.

La jeune femme préféra s’éloigner et se faufila parmi les hommes pour rejoindre John qui venait d’arriver. L’homme s’essuyait les mains dans un tissu. Il revenait du réfectoire.

  • Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda le second en haussant un sourcil.
  • Adam m’a malmené, encore. Seulement, le Capitaine l’a remarqué cette fois-ci, souffla-t-elle en se frottant les avant-bras, lassée.
  • Cela doit cesser.

Amaury haussa les épaules en affichant une attitude décontractée. Il répondit d’air désabusé.

  • Dans ces cas-là, au prochain mouillage, tu seras libre de partir.
  • Partir ? Certainement pas.
  • Il faut savoir ce que tu veux, répliqua le Capitaine en fronçant légèrement les sourcils.
  • Je m’investis depuis mon arrivée. Sans mon aide, le navire aurait déjà coulé depuis longtemps. On n’a jamais pu compter sur vous, « Capitaine », répliqua Adam en dégainant son épée de son fourreau : Je vais prendre les choses en main et vous destituez de votre rôle.

L’assemblée fut stupéfiée par la scène se déroulant sous leurs yeux. Seul Eliot rugit. 

  • Là c’est bon on peut s’le faire ! Vas-y viens Samuel, on va lui refaire le portrait ! s’écria le gamin en avançant tandis que l’espagnol l’attrapa par le col de sa chemise.
  • Ne bouge pas. Ce n’est pas à toi de régler cela.

Olympe écarquilla légèrement les yeux alors que le second grognait de rage.

  • Une mutinerie, souffla-t-il.

Le Capitaine dégaina à son tour son épée et pointa la lame en direction de son matelot.

  • J’ai hâte de voir ça.

Adam fonça vers lui en toute réponse et brandit son arme. Le capitaine recula de quelques pas et se déplaça sur le côté pour esquiver l’attaque. Face à son élan prématuré, le matelot s’arrêta et fit volteface. Il renouvela sa manœuvre et croisa le fer avec Amaury. Les deux hommes tournèrent en cercle. Le reste de l’équipage gardait le silence, observant la scène. Intervenir signerait leurs arrêts de morts.

  • Il n’est pas encore tout à fait remit de sa blessure, répliqua la jeune femme en faisant référence à Amaury.
  • Ce détail n’a pas du échapper à Adam… Sous ses airs de bon matelot, j’ai toujours su qu’il était vicieux, siffla le second.
  • Il y a des chances qu’il gagne ?
  • Vu la blessure récente du Capitaine, peut-être.
  • Qu’est-ce qu’il se passera si c’est le cas ? demanda la recrue.
  • Adam prendrait la place de Capitaine. Les matelots décideraient de rester sous son commandement ou non. Mais vu le caractère du personnage, s’il venait à se faire rejeté, ça se finirait en bain de sang.

John soupira en espérant que son ami se batte vaillamment. Olympe de son côté se fit un sang d’encre. Elle n’avait pas spécialement envie de voir Amaury s’effondrer sous les coups du matelot.

Adam frôla Amaury avec son corps. Le Capitaine retourna son épée et asséna un coup dans les côtes d’Adam à l’aide du pommeau de la lame. Celui-ci recula en grimaçant. Le Capitaine créa une distance entre eux.

  • Tu penses pouvoir me battre car je suis blessé ? Sombre idiot.

Le Capitaine commençait à perdre son sang-froid, la colère le submergeant. Il avança et abattit violemment à plusieurs reprises son épée sur celle de son adversaire. Amaury s’appliquait à renforcer sa poigne à chaque nouvel assaut. Adam se vit forcé de reculer en tentant de contrer ses coups. Son épée ne tarda pas à valser au loin. Sans défense, le traitre se retrouva vulnérable. Amaury respira vite et les dents serrées, répliqua.

  • Je t’ai accueilli les bras ouverts, logé et nourri. La seule chose que je te demandais, c’était ta loyauté. Et tu n’as même pas été capable de me la donner, lâcha-t-il en abaissant son épée, fulminant de rage.
  • J’en ai rien à foutre, marmonna-t-il avec mépris.

Adam jeta plusieurs coups d’œil autours de lui. Il était acculé, visible de tous. Impossible de faire machine arrière. Ses démons l’avaient envoyé dans la fosse aux loups. Il pourrait se relever de cette humiliation en gagnant contre son adversaire. La sueur perlant sur ses tempes qui bouillonnait d’air chaud, il dégaina son pistolet à poudre et porta le viseur vers Amaury.

  • C’est terminé, maintenant.  

Une détonation éclata dans l’air et les hommes pâlirent. Adam abaissa les yeux vers son buste et constata que sa vieille chemise usée se teintait de rouge. Une balle s’était logée entre ses côtes. Il releva la tête en cherchant le coupable du regard.

Samuel rangea son pistolet et s’adossa de nouveau à la poutre.

  • Enfin un peu de silence.

Amaury dévisagea longuement Samuel et rangea son épée en pestant. Adam s’écroula au sol en portant une main sur ses côtes. Il émit une plainte tandis qu’Olympe plaquait une main sur sa bouche, les yeux écarquillés, visiblement sous le choc.

  • Termine ce que tu as commencé, Matilla, grogna le capitaine en s’approchant de lui.

Samuel roula des yeux en détournant le regard. Amaury l’attrapa par le col de son veston et siffla en rapprochant son visage du sien.

  • Une fois, pas deux, je te préviens.
  • De rien, Capitaine, rétorqua-t-il en soupirant.

Amaury le relâcha, sortit un pistolet de sa ceinture et retourna auprès d’Adam qui rampait sur le plancher, une trainée de sang derrière lui. Son regard reflétait la peur et l’anxiété. Il avait échoué.

Eliot soupira doucement en regardant Olympe.

  • Et dire qu’elle venait de nettoyer le pont…

Amaury leva le pistolet et sans hésitation tira une balle au niveau de son cœur. Le coup l’acheva, abrégeant ses souffrances. Amaury ferma les yeux et soupira en rangeant son arme. Par la suite, il s’éloigna et se mit en marche vers le pont inférieur.

  • Nettoyez-moi tout cela.

John s’approcha du corps, le visage dénué d’émotions.

  • Et le corps ?
  • Jetez le par-dessus bord, répliqua le Capitaine en regagnant sa cabine.

 

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Le capitaine était resté cloitré dans sa cabine depuis la mutinerie d’Adam qui s’était déroulée la veille. Olympe avait mûrement réfléchit pendant ce temps-là. Elle ne voyait aucun avenir sur ce bateau et mise à part John et Eliot, personne ne souhaitait sa présence à bord.

La jeune femme avait pris la décision de quitter l’équipage et de continuer à rechercher ses pirates, seule. Afin d’être honnête, elle décida d’avertir le Capitaine. Elle ne voulait pas informer ces deux nouveaux amis. Elle les appréciait sincèrement et ne voulait pas leur faire de peine. Cela lui en causait déjà suffisamment.

Prudemment, elle se posta devant la porte du capitaine et toqua. Aucune réponse ne se fit entendre. Olympe toqua une nouvelle fois et finalement, Amaury entrouvrit légèrement la porte, la moitié de son corps dépassant de celle-ci. Il fut surpris de voir la jeune femme.

  • Oui ?
  • J’ai à vous parler.

Elle leva les yeux pour le regarder, toujours intimidée face à sa prestance. Il était grand, avec ses larges épaules et son buste musclé. Le pirate avait les cheveux en batailles, le visage terne et des cernes sous les yeux. Il n’avait pas l’air d’avoir beaucoup dormi.

L’homme ouvrit complètement la porte et la laissa entrer en haussant un sourcil. Elle entra rapidement et joignit ses mains entre elles, trépignant sur place, agitée par les circonstances.

  • Je vais partir.
  • Plait-il ?

Amaury referma doucement la porte en retirant sa chemise qu’il jeta sur le paravent. Il s’apprêtait à prendre un bain. De la fumée provenant de la cuve se baladait dans la pièce. Olympe entrouvrit la bouche et détourna le regard, surprise de son geste.

  • Hum… Oui. J’ai décidé de quitter l’équipage.

Surpris face à cette révélation, Amaury pencha la tête sur le côté.

  • Comment ça ? Pourquoi ?
  • J’ai beaucoup réfléchi et face à tous ces évènements, je me suis rendu compte que ma place n’était pas ici.
  • Développez, ordonna-t-il en fronçant les sourcils.

Olympe se retient de soupirer. Bien entendu, il était logique de lui fournir des explications.

  • Ecoutez. C’est évident. Dès que la situation se complique, soit je fuis soit j’abandonne toute résistance. John s’acharne à m’entrainer mais lorsque vient le moment du combat, je lâche prise. Je ne ferai jamais l’affaire.
  • Vous pensez cela car Adam s’est défoulé sur vous ?
  • Pas seulement. J’ai bien conscience qu’il était stupide mais il y a eu l’altercation avec Maria, le combat avec la Navy où je n’ai pas su me défendre. Ça commence à faire beaucoup.
  • Maria est une idiote et au sujet du combat, mon devoir est de protéger les miens.
  • Je ne vous ai pas senti très protecteur lorsqu’il s’agissait d’abattre froidement Adam.
  • Adam est un traitre. Cela faisait des mois que son attitude se détériorait.
  • Et que se passera-t-il le jour où je ne serai pas en accord avec vous ? Est-ce qu’à mon tour, vous m’achèverez d’une balle ? demanda-t-elle soudainement avec de l’amertume dans la voix.

Amaury fut une nouvelle fois surpris. Elle ne lui laissa pas le temps de rétorquer.

  • Ou peut-être qu’un de vos hommes le fera à votre place ?

Il s’approcha d’elle, assez proche pour sentir son souffle contre sa bouche. Son visage trahissait ses émotions. Il la regardait étrangement, une lueur brillante dans les yeux. Il souffla lentement.

  • Je ne vous ferai jamais de mal.

Elle releva la tête vers lui et à son tour, sentit son souffle. Son cœur battit la chamade et ses mains étaient moites. Elle recula d’un pas en tournant la tête.

  • Pourtant vous avez laissé Maria le faire.

Amaury grimaça et passa une main derrière la tête.

  • Elle est compliquée. On ne peut pas agir directement avec elle, il faut faire preuve de subtilité.
  • Oh, vous voulez dire, de détourner son attention en lui proposant du plaisir charnel ?

Le Capitaine fronça légèrement les sourcils.

  • Je n’ai pas de compte à vous rendre.
  • Effectivement mais dans ces cas-là, ne me donnez pas ces excuses idiotes. Je ne suis pas sotte, je comprends très bien que vous essayez de me ménager. Vous savez très bien que je ne suis qu’un fardeau pour cet équipage.
  • Et même si c’était le cas, que feriez-vous ?  Vous serez seule.
  • Ce n’est pas grave. Je ne verrai plus ces regards navrés et ces sourires forcés. Je ne susciterai plus la pitié. J’en ai assez d’être la risée de tous, LA femme qui se prend pour une pirate. Vous savez, celle qui se fait humilier et menacer par une autre pirate. Celle qui se croit courageuse mais qui, finalement, n’est rien d’autre qu’une froussarde, lâcha-t-elle, les yeux débordants de larmes.
  • Olympe…

Il s’approcha doucement d’elle et tenta d’effleurer sa joue à l’aide de sa main. Elle la repoussa vivement en fermant les yeux.

  • Non !

Il resta interdit, ne sachant que dire ni que faire. Elle était aussi tourmentée que lui. Il n’avait pas l’habitude de côtoyer des personnes avec ce genre de tempérament. La jeune femme rouvrit les yeux et laissa quelques larmes rouler le long de ses joues.

  • Chaque jour je me demande si je vais réussir à devenir plus forte, à combattre mes peurs. Je lutte en forçant le destin mais la vie me démontre le contraire. A chaque occasion. Je n’appartiens pas à ce monde ni à cet équipage. J’aurai du périr avec mon père lors de cette attaque…

Amaury écarquilla les yeux. En un instant il était contre elle et tenait son visage entre ses mains. Il la regardait dans les yeux en haletant, les muscles contractés.

  • Ne dîtes plus jamais ça. Plus jamais…, souffla-t-il péniblement en fermant les yeux.

A son tour, elle écarquilla les yeux. Son ventre se noua et ses larmes cessèrent de couler. Elle posa ses mains sur les siennes en le contemplant. Le silence s’installa et pendant quelques secondes, elle apprécia. Elle apprécia cette proximité. C’était comme si le temps s’était arrêté. Comme si plus rien ne comptait.

Amaury brisa le moment. Il la lâcha doucement et recula de quelques pas.

  • Restez. Je vous assure que tout ira mieux. Il faut juste du temps.

Presque déçue de cet éloignement, elle laissa ses mains retomber et secoua négativement la tête.

  • Je suis désolée… J’ai pris ma décision.

Amaury prit une grande inspiration et rejoignit le paravent pour trouver son bain encore chaud. Il répliqua froidement.

  • D’ici deux jours nous mouillerons sur l’île de Tortuga. Vous serez libre de partir à ce moment-là.

Elle hocha la tête et se hâta pour quitter la pièce en se pinçant les lèvres.

  • Merci pour tout, je n’oublierai pas.

 Amaury la laissa partir en regardant le vide.

 

 

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