Chapitre 10

  À peine de retour dans les profondeurs, Shy’r entra chez sa mère, piqua quelques croquettes d’algues dans ses placards et s’abandonna sur un rocher poli. Habituée à la nonchalance de sa fille, l’Oracle se contenta de lui embrasser le front et continua de limer ses longs ongles bleus comme la glace.

« Quand vous aviez mon âge, avez-vous douté de votre destin ? demanda Shy’r d’une voix plaintive.

— Pas une fois. À ton âge je sentais mes pupilles se dilater à la seule mention de l’Oracle. Je suis née pour jouer ce rôle.

— Je ne crois pas que cela soit mon cas.

— C’est la peur qui te fait parler. Ta cérémonie est passée Shy’r, tu n’es plus en retard sur les autres. Tu as toutes tes chances.

— Je le sais, je pense d’ailleurs être la plus apte à prendre votre suite, mais je ne pense pas que ce rôle me convienne. Pas en l’état. »

         Fini le temps de la manucure : l’Oracle s’agenouilla face à sa fille et prit sa main dans les siennes en essayant de ne pas trembler. Que s’était-il passé sur terre pour la déboussoler à ce point ? Shy’r inspira un grand coup :

« Nous ne pouvons plus demander à des enfants de se sacrifier pour un rôle pour lequel nous sommes censées être prédestinées. Nos peuples ont trop souffert.

— Tu voudrais jeter toutes nos traditions ?

— Pas toutes, mais la plupart ne me manquerait pas c’est certain.

— Je vois. (Elle se tut, pensive.) Et que proposerais-tu ?

— Une formation que l’on peut rejoindre et quitter quand on le désire. Une suppression pure et simple de la compétition qui s’élève dans nos rangs. Des relations avec les divinateurices des autres mondes. »

         L’Oracle se mit à rire.

« Et comment vas-tu communiquer avec les humains, ma chérie ? Ce sont eux qui nous ont chassés de nos territoires, te rappelles-tu ?

— Je vous pensais plus sage, Maman.

— Allons je n’ai rien contre eux, j’ai simplement peur qu’en voulant protéger les jeunes générations tu ne finisses que par rouvrir les blessures des anciennes.

— Je pensais passer par les enfants d’Itris. »

         L’Oracle pinça ses lèvres, finalement soulagée que sa fille n’ait pas sacrifié sa jeunesse pour rien. Shy’r bomba le torse avec fierté.

« Je ne dis pas que ce sera facile, mais iels sont le pont. Iels l’ont toujours été.

— Iels ne font que voir, il faudra leur apprendre à regarder.

— Je le ferai moi-même.

— Alors, passe l’épreuve. Deviens Oracle et reconstruis le pont. »

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