Chapitre 10

Par Degmo

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Il resta figé un long moment.

 

Le petit colis était toujours là, à ses pieds, comme un animal endormi, prêt à mordre au moindre faux mouvement. Le morceau de céramique blanche brillait faiblement sous la lumière du matin, gravé d’un symbole étrange : un cercle dans un carré. Et ce message sibyllin, griffonné à l’encre noire : Tu cherches mal.

 

Lars se leva lentement, comme s’il craignait de déranger quelque chose. Son dos le lançait. Il se sentait usé, vidé. Et pourtant… quelque chose venait de s’ouvrir. Il le sentait. Une fissure. Un fil invisible tendu entre le passé et le présent.

 

Il glissa le morceau dans une enveloppe, y ajouta le mot, puis verrouilla le tout dans un tiroir.

 

Quelqu’un jouait avec lui.

 

Et ce quelqu’un connaissait ses horaires. Son bureau. Ses habitudes.

Il savait que Lars finirait par s’endormir là.

 

Dans les toilettes, Lars se passa de l’eau sur le visage. Son reflet lui rendit un homme vieilli. Pas juste fatigué : vieilli. Comme si la nuit lui avait volé dix ans.

 

— Ce n’est pas Lan Wei. Pas entièrement… C’est plus ancien que ça, murmura-t-il.

 

De retour à son bureau, il alluma la lampe et étala tous les documents : dossiers, photos, coupures de presse, relevés médicaux. Il plaça le vieux rapport de 1963 au centre.

 

Une femme asiatique, retrouvée près de la carrière.

 

Toujours pas de nom.

 

Et ce symbole.

Le même.

Un cercle dans un carré.

 

Ce n’était plus une énigme. C’était un avertissement.

 

__

 

Dans la cour intérieure, cigarette aux lèvres, Lars grelottait. L’air était froid, sec, chargé d’électricité. Un ciel bas. Une pluie fine tombait en biais, grise comme de la poussière.

 

C’est là que Boris apparut.

 

Pas un mot. Juste sa silhouette massive, plantée dans l’encadrement de la porte. Les yeux plissés, le visage fermé.

 

— T’as pas dormi, lança-t-il.

 

— Toi non plus, apparemment.

 

Boris s’approcha, alluma une cigarette. Le silence entre eux avait une forme. Solide. Presque respectueuse.

 

— Tu penses à elle ? demanda Lars.

 

Boris souffla lentement sa fumée, sans répondre.

 

— J’ai reçu un colis cette nuit, reprit Lars. Juste après un rêve… étrange.

 

— Quel genre ?

 

— Le genre qui reste dans les os, même réveillé.

 

Il lui parla du sable devenu cendre, de la fillette, de la voix, du visage sans yeux.

 

Boris resta figé un instant, puis murmura :

 

— Tu l’as entendue chanter, toi aussi…

 

Lars se raidit.

 

— Quoi ?

 

Boris écrasa sa cigarette. Ses doigts tremblaient, presque imperceptiblement.

 

— Il y a vingt ans… Non. Laisse tomber. Ça n’a rien à voir.

 

Mais Lars ne lâchait pas son regard.

 

— Tu sais quelque chose.

 

Boris fit quelques pas, lentement, comme s’il marchait dans un souvenir trop lourd.

 

— On ne peut pas toujours affronter les morts, Lars. Parfois, ils te regardent en silence. Et c’est déjà trop.

 

Lars sentit un frisson dans le dos. Il n’avait jamais vu Boris comme ça. Pas inquiet. Pas en colère. Hanté.

 

__

 

À l’intérieur, il consulta les registres les plus anciens du commissariat. Il cherchait un écho. Une trace. Un lien. N’importe quoi qui ramènerait ce symbole à la surface.

 

Il pensait à ce rapport retrouvé, celui de l’adolescente qui parlait de la fille de sa voisine disparue après avoir suivi un inconnu « qui lui chantait une drôle de chanson sur des carrés et des cercles ».

 

Et puis, une archive l’interpella.

1962. Enquête abandonnée. Une série de disparitions, toutes concentrées autour d’un même lieu : la carrière.

 

Les victimes ? Des femmes. Jeunes. Solitaires.

 

Le lien ? Aucun, sauf un symbole gravé sur une pierre, trouvé près du site.

 

Un cercle dans un carré.

 

Lars sentit son estomac se nouer.

 

Ce n’était plus une simple série de meurtres récents.

 

C’était plus ancien.

 

Beaucoup plus ancien.

 

Et Lan Wei n’en était peut-être pas l’origine.

 

Peut-être qu’elle n’était qu’un fragment.

Ou pire : un produit de tout ça. Une réminiscence.

 

Il retomba dans son fauteuil, les pensées en vrac, la gorge sèche.

 

Quelqu’un creusait sous leurs pieds depuis longtemps.

 

Et lui…

Il commençait seulement à en deviner la profondeur.

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