Alors que le temps ralentissait autour de Soreth, le rythme cadencé des sabots d’Apalla égrainait irrémédiablement la distance qui le séparait de son adversaire. En dépit de la peur qui l’étreignait, ce dernier avait pris soin de se positionner devant le chariot afin d’empêcher son assaillant de le charger. Si bien que pendant qu’il brandissait sa pique en se demandant s’il allait mourir, le prétorien cherchait un moyen de l’éliminer rapidement.
Juste avant que le brigand paniqué ne puisse l’atteindre, Soreth lança une dague dans sa direction et fit virer sa monture sur la droite. Le bandit grogna de douleur. Assez pour qu’il soit sûr de l’avoir touché. Trop peu pour qu’il espère en être débarrassé. Il profita néanmoins du temps qu’il avait gagné pour arrêter Apalla et sauter dans l’herbe humide. Il se tourna ensuite vers son opposant, son épée dans sa main gauche et une nouvelle lame courte dans sa droite.
Malgré la dague plantée dans son épaule, le brigand ne semblait pas prêt à se rendre. Jouant sur la taille de sa pique, de loin supérieure à celles des armes du prétorien, il lui porta plusieurs coups rapides à la tête et aux jambes afin de le garder à distance. Tandis que Soreth repoussait les assauts, les déviant quand il le pouvait et les esquivant lorsqu’il n’avait plus le choix, des grognements et des cris aigus s’élevèrent de l’autre côté du chariot. Indiquant au prince que son adversaire n’était pas près de recevoir de l’aide, ils l’inquiétèrent en même temps. Si le combat s’éternisait, les pillards se débarrasseraient de la paysanne indocile pour se concentrer sur lui. Il grimaça. Il ne devait pas leur laisser l’opportunité d’y penser.
Soreth para encore quelques frappes, ne ripostant que mollement pour mettre le bandit en confiance, puis, dès que celui-ci espéra avoir une chance de l’emporter, l’attira dans son piège. Exposant volontairement son visage, il se baissa au dernier moment pour éviter de se faire empaler et en profita pour poser sa lame sur le manche de la lance. Il laissa ensuite celui-ci guider son épée et la fit glisser jusqu’aux doigts du brigand. Le malandrin hurla lorsque l’acier lui mordit la main, puis recula en chancelant, sa garde brisée. Pressé par le temps, le prétorien pria ses ancêtres pour qu’il ne s’agisse pas d’une feinte et sauta dans l’ouverture. Sa dague perfora la cuisse du malheureux, puis, tandis qu’il s’écroulait dans l’herbe, sa gorge sans protection.
Alors que le brigand rendait son dernier soupir à ses pieds, Soreth abandonna sa lame courte et roula instinctivement sur le côté pour éviter une nouvelle attaque. Il se releva ensuite à distance de sa deuxième adversaire, qui devait en avoir fini avec la prisonnière, et constata qu’elle portait une armure de meilleure qualité que celle son camarade. En ajoutant cela à ses cheveux cendrés et la nonchalance avec laquelle elle lui faisait face, il était facile de deviner qui dirigeait le trio. Sans un regard pour le corps sans vie de son équipier, la brigande leva son sabre courbe dans un rictus et passa à l’assaut.
Plus douée que son défunt partenaire, elle frappait avec force et précision sans se laisser perturber par les feintes et les contre-attaques du prince. Ce dernier, conscient que la moindre erreur lui serait fatale, ne chercha plus à accélérer le combat ou à s’inquiéter pour la captive et se concentra entièrement sur la lame qui sifflait autour de lui.
Après quelques secondes rythmées par le fracas des armes, il baissa les bras pour éviter un coup vertical et se déplaça sur la gauche en visant la tempe de son opposante. Puis, pendant que cette dernière paraît, il tourna son épée autour de la sienne pour frapper l’autre côté sa tête. Elle recula trop tard, surprise, et l’acier traça un sillon rouge au-dessus de ses sourcils. Les dents serrées par la douleur, elle adressa un regard meurtrier à Soreth en guise d’avertissement. Celui-ci ne fut pas dupe et se remit en garde le visage impassible. Ce n’était pas la première esquive qu’elle ne réussissait que de justesse. S’il restait concentré, il l’emporterait.
Sans laisser le temps à son adversaire de reprendre sa respiration, le prétorien frappa une fois en direction de sa cuisse gauche, puis deux fois au niveau de son épaule droite, et feinta finalement une attaque verticale vers sa tête. Pendant que la bandite levait son sabre pour bloquer sa lame, il ramena prestement ses bras contre son corps et estoqua ses mains. Il y eut un choc métallique suivi d’un cri de douleur, puis la bretteuse battie en retraite, une estafilade sanglante le long du poignet.
Alors qu’elle s’efforçait tant bien que mal de ressaisir, Soreth décida d’en finir sans effusions supplémentaires et l’interpella d’une voix assurée.
— Rendez-vous ! C’est terminé.
Une grimace passa sur le visage de son adversaire blessée.
— Qu’est-ce qui me fait croire que tu me laisseras en vie ?
— Je me moque de vous tuer. Je veux seulement votre prisonnière. Si je désirais vous éliminer, je n’aurais pas besoin de votre reddition.
La bretteuse détailla le prince avec suspicions, la mine défaite mais les yeux brillants de colère, et jeta soudainement son arme sur lui avant de se ruer derrière le chariot.
Soreth esquiva d’une roulade et se lança à la poursuite de la brigande. Il n’eut toutefois pas à aller bien loin, car elle l’attendait à l’angle de la carriole, sa main gauche agrippant la chevelure noire d’une jeune femme au visage meurtrie, et sa droite lui maintenant fermement une dague sous la gorge. Le prétorien s’arrêta aussitôt et leva les bras sous le regard victorieux de son adversaire.
— Alors ?! On ne veut plus jouer au héros ? Allez, recule et lâche tes armes.
Obéissant, Soreth fit deux pas en arrière et laissa tomber son épée dans l’herbe. Il était soulagé que la paysanne vivante et tenait à ce qu’elle le reste. Ce qui serait le cas tant que la bandite pensait avoir le contrôle de la situation.
— Je n’avais pas prévu de vous tuer, déclara-t-il calmement, vous n’aviez pas besoin de prendre une otage.
— Garde tes mensonges pour une autre ! J’ai vu trop de mercenaires comme toi ces derniers temps. Vous aimez trop le goût du sang pour avoir un minimum d’honneur.
Tout en parlant, la brigande appuya sa lame contre la gorge de la fermière. Cette dernière, qui ne devait pas avoir vingt ans, se raidit et jeta un regard implorant au prince. Il hocha doucement la tête dans sa direction.
— Ne vous inquiétez pas. Tout ira bien. Personne ne va tuer personne.
Intérieurement, le prétorien entendait déjà Milford lui expliquer que risquer sa vie pour une seule paysanne était irresponsable et sa mère lui faire remarquer qu’il ne fallait pas faire de promesse qu’on ne pouvait pas tenir, mais il en avait cure. Il s’était juré de n’abandonner personne entre les mains des brigands, et il préférait mourir que de se trahir. Fort heureusement, il lui restait une dernière carte avant d’en arriver là.
— Écoutez, tout ce que je vous demande c’est de la laisser partir.
La brigande secoua la tête alors qu’un filet de sang perlait le long du cou de sa prisonnière.
— J’ai l’impression que tu n’as pas compris que c’est moi qui commande ici, mon garçon. Et ce que moi je veux, c’est que tu te mettes à genoux pendant que je fiche le camp avec ma nouvelle amie.
Soreth feignit quelques secondes l’hésitation, il devait continuer de gagner du temps, puis s’exécuta d’un air incertain.
— Très bien, très bien. Inutile de faire quelque chose que nous regretterions tous. Promettez-moi seulement que vous relâcherez votre prisonnière. Il y a eu assez de morts aujourd’hui.
— Ça, ça sera à moi d’en décider. Si tu ne voulais pas de morts, il fallait nous chercher des noises. Par Eff ! C’est bien ma veine de tomber sur un crétin de héros. Quand je pense que la patronne avait dit que le coin craignait ri…
Avant que la brigande finisse sa phrase, Lyne abattit violemment son épée dans son dos, lui déchirant la nuque et la projetant à terre avec sa captive. Dès qu’elles heurtèrent le sol, cette dernière se dégagea de sa geôlière agonisante, incapable même de crier, et rampa aussi loin d’elle qu’elle le pouvait. Soreth laissa sa protectrice s’en occuper et, conscient que le sort de la bandite était scellé, ramassa sa dague et se dirigea vers elle pour clore leur combat.
Quand il se redressa, il constata que la paysanne pleurait à chaude larme dans les bras de Lyne, aux yeux eux aussi rougis par l’émotion. Il hocha discrètement la tête en direction de sa partenaire. Il était soulagé qu’elle ne soit pas blessée après leur charge téméraire. Pour une première bataille, ils s’en étaient bien tiré.
Tandis que la prétorienne réconfortait la jeune femme, Soreth fouilla les cadavres afin d’y récupérer ce qui pouvait leur être utile ou d’obtenir plus d’informations à leur sujet. Il ne trouva cependant rien d’autre que des restes de nourriture et quelques écus. Il les rassembla dans une petite bourse, à laquelle il ajouta une poignée de pièces de sa propre aumônière, et la mit de côté pour leur victime. L’argent n’enlèverait rien à sa tristesse, mais il lui donnerait le temps de reprendre pied.
Quand il eut terminé son inspection, il se retourna vers les deux femmes.
— Tu es en sécurité maintenant, promettait Lyne d’un ton rassurant à sa protégée, ne t’inquiète pas. Nous allons t’escorter jusqu’à l’auberge la plus proche.
La paysanne ravala un sanglot et hocha la tête, faisant onduler ses longs cheveux noirs.
— Merci, madame.
— Je m’appelle Lyne, déclara la guerrière en oubliant d’utiliser son nom d’emprunt, et voici Soreth.
— Comme le prince ?
— Oui, acquiesça ce dernier sans se préoccuper de l’erreur de la prétorienne, on me le dit souvent.
Il esquissa un sourire, qu’il espérait réconfortant, et vit du coin de l’œil sa garde du corps grimacer en se rendant compte de son impaire. Il lui indiqua de ne pas s’en faire d’un signe de tête, puis se concentra sur leur interlocutrice qui se présentait à son tour.
— Je suis Jalith. Encore merci pour ce que vous avez fait. Je vous dois la vie.
— N’importe qui en aurait fait autant, répondit Lyne d’un air gênée. Nous n’allions tout de même pas vous abandonner.
— Je ne vois aucun blason. Seriez-vous des mercenaires ?
— Absolument. Lyne et moi nous rendions à la forteresse du col des faucons pour y chercher du travail lorsque nous avons trouvé vos pare… traces.
Soreth se maudit intérieurement en voyant la jeune paysanne retenir un nouveau sanglot, puis demanda en espérant changer de sujet.
— Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais examiner vos blessures. J’ai quelques onguents qui pourraient vous soulager.
Cette fois son interlocutrice opina discrètement et, après avoir accordé un sourire timide à la garde royale qui ne la quittait pas des yeux, se rapprocha du prétorien en remontant ses manches élimées.
Pendant que Lyne faisait le tour des environs, le galweid nettoya délicatement les plaies de sa patiente à l’aide d’une décoction de souci et de bardane, puis étala un baume de consoude sur ses avant-bras couvert d’hématomes. Il terminait tout juste lorsque la guerrière revint de sa ronde, son expression toujours partagée entre la tristesse et la colère.
— Est-ce bien du blé que contient votre charrette ?
— Oui, madame. Nous avons eu de bonnes récoltes cette année. Avec l’augmentation des prix à Hauteroche nous voulus vider notre grenier.
— Les marchands ne voyagent-ils généralement pas en groupe ? l’interrogea Soreth intrigué.
— C’est ce que nous avions prévu de faire quand nous aurions rattrapé la route principale. Ce n’est pas possible ici. Il y a peu de caravanes, ou de bandits…
Les lèvres de Jalith tremblèrent, puis elle réprima un sanglot et ajouta.
— Je ne comprends pas… c’était juste du grain… par Eff, pourquoi avons-nous été aussi stup…
Soreth posa une main rassurante sur son épaule.
— Vous n’y êtes pour rien. Comme vous l’avez dit, ces routes sont généralement sans danger.
— C’est vrai, renifla la paysanne, je ne vais pas me reprocher les crimes de ces pillards.
Rassuré de voir qu’il lui restait un peu de combativité, le prince lui adressa un sourire encourageant avant de reprendre la parole.
— Je suis désolé de vous brusquer, mais nous devons partir avant la tombé de la nuit. Nous ne sommes pas sûrs que ces bandits n’aient pas de complices, et il serait dangereux de nous risquer dans une nouvelle bataille.
— Très bien, acquiesça la jeune femme d’une voix un peu plus ferme qu’auparavant, allons-y.
Le trio quitta rapidement la clairière, les prétoriens ouvrant la marche à Jalith et son chariot, et s’arrêta moins d’une heure plus tard devant les corps des parents de la paysanne. Afin de lui laisser le temps de se recueillir, Lyne et Soreth restèrent silencieux pendant une dizaine de minutes. Puis, à sa demande, ils enroulèrent les morts dans de grands draps en lin et les chargèrent dans le véhicule.
À l’instar de Jalith, Lyne eut les larmes aux yeux durant toute l’opération. Elle s’arrêtait même parfois pour essuyer discrètement ses joues avant de s’excuser et de reprendre leur sinistre besogne. Soreth secouait alors la tête pour lui signifier qu’elle ne faisait rien de mal. Il partageait son chagrin. Il avait juste cessé de pleurer depuis bien longtemps. De temps à autre, il craignait de finir comme ces vieux soldats auxquels plus rien ne faisait d’effet. Pour compenser, il s’évertuait à s’ouvrir à la beauté du monde qui l’entourait. Cela ne lui arrachait pas de sanglots, mais au moins il se sentait encore en vie.
Lorsque les parents de Jalith l’eurent rejoint dans le chariot, elle remercia à mi-voix ses protecteurs, et le trio se remit en route dans la lueur du soleil couchant.
Une vingtaine de minutes plus tard, Lyne approcha son cheval de celui du prétorien et chuchota pour ne pas déranger la paysanne endeuillée.
— Penses-tu vraiment qu’il y ait d’autres bandits par ici ? Elle a pourtant dit qu’ils étaient rares.
— En temps normal, je serais d’accord avec elle. Toutefois, ces charognards n’avaient pas assez d’affaires sur eux pour ne pas avoir une cachette dans les parages et étaient trop bien équipés pour ne pas faire partie d’une plus grande bande. Sans compter qu’elle a parlé de sa cheffe.
— C’est vrai qu’ils ressemblaient plus à des pillards expérimentés qu’à des bandits de grand chemin, grimaça la guerrière. Ils étaient bien ordonnés, se battaient correctement et avaient tous une armure.
— Sans parler de leurs flèches. Un empennage rouge comme celui-là ne peut que signifier qu’elles ont été manufacturées en grande quantité. Il s’agit normalement d’équipement de mercenaires, pas de brigands.
— S’ils font partit d’une bande plus organisée, ne penses-tu pas que nous devrions nous en occuper ?
Soreth sourit devant la fougue de sa protectrice, il était soulagé de voir qu’elle ne cherchait pas à le maintenir hors du danger à tout prix, mais secoua négativement la tête.
— Pour l’instant, c’est à l’armée régulière de s’en charger. Nous avons notre propre mission. Elle aussi importante.
— Tu as raison… c’est juste que je n’aime pas les imaginer cachés dans les bois, à attendre des victimes insouciantes.
— Moi non plus. Quand nous en aurons fini avec Brevois, nous pourrons peut-être voir s’ils ont encore besoin de nous par ici.
La proposition arracha un sourire triste à Lyne, puis elle inclina la tête en direction de son partenaire.
— J’ai hâte de m’en occuper.
Elle jeta ensuite un regard en arrière et ajouta.
— Je vais retourner avec Jalith. Je ne veux pas qu’elle reste seule.
— Prends soin d’elle.
Tout en acquiesçant, la prétorienne fit ralentir Zmeï pour permettre à la paysanne de la rattraper, puis entama une discussion avec elle à propos de Lonvois et des vergers qui bordaient la ville.
À l’avant du convoi, le prince soupira discrètement. C’était la deuxième fois que les bandits de la région agissaient étrangement en quelques semaines. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Quelque chose se tramait ici. Quelque chose qu’ils avaient intérêt à découvrir rapidement.
Voilà un chapitre rondement mené ! Tu décris très précisément les combats, il y a juste un moment où j'ai été surpris quand tu écris : "il tourna son épée autour de la sienne et trancha de l’autre côté sa tête." J'ai cru que Soreth avait tranché la tête de son adversaire et que la bataille était finie mais non. Je ne suis pas sûr d'avoir très bien compris ce passage.
Ensuite j'aurais aimé en savoir un peu plus à propos de Jalith : à quoi ressemble-t-elle ? quel âge a-t-elle ? Et à la fin ça me semble un peu léger qu'elle discute tranquillement des vergers de Lonvois avec Lyne, j'aurais aimé les découvrir un peu mieux au travers de cette discussion.
A bientôt pour la suite !
Merci pour ton retour. Il est vrai que cette conversation est un peu banal (c'est un peu celle de deux paysannes), je vais voir si j'ai une meilleure idée sur le sujet.
Je suis aussi très vague sur la description de Jalith, je pourrais faire un peu plus !
Je vais corriger cela ^^
Très bonne journée.
Merci pour ce super chapitre !
" la responsabilité ce n’est pas la culpabilité " > J'adore !
Tu abordes des sujets graves avec beaucoup de subtilité c'est intéressant !
Mon seul petit retour "constructif" concerne le passage de magie / soin / détente, où j'ai un peu de mal à comprendre exactement ce qu'il fait. Si c'est de la magie on pourrait s'attendre à de vraies sensations physiques en plus de l'euphorie (que l'on sent bien), par exemple ça fourmille à partir de ses mains et elle sent ses muscles qui se relâchent ? Ou alors Soreth pourrait parler en s'inspirant de techniques d'hypnose ?
Enfin juste la je n'ai pas vraiment eu la sensation de magie ;)
Parler de sujets importants tout en tuant des dragons, c'est ce que j'ai toujours aimé dans la fantasy.
C'est normal de ne pas avoir eut de sensation de magie pour Soreth, il n'en a pas fait ^^ Il s'est contenté d'aider Lyne à se détendre. Elle, elle hésite à prendre cela pour de la magie, mais ce n'est que le charisme du prince.
Il faudra que je vois, cela manque peut-être un peu de clarté.