Chapitre 10

Par Eldir

Le prince toussa et cracha :

  • Par la pierre et par le fer, il m’a pas raté ! maugréa Jorka.

Magnamon soupira de soulagement.

  • Soit heureux d’être nain, camarade. La tête d’un homme aurait éclaté comme un fruit trop mûr sous un coup pareil, répondit le minotaure avec ce que son ami avait appris à reconnaître comme un sourire.

Jorka aidé de son camarade s’assit contre une souche près du feu pour reprendre ses esprits. Il observa les orcs tombés cette nuit, ils avaient la peau verte, mais les nuances allaient du vert épinard au vert jaune pâle en passant par le bleu-vert. Ils portaient des haillons probablement volés et des peaux mal tannées « Du bon travail de s’être débarrassé de cette vermine ! » pensa le nain satisfait. Pendant ce temps, Magnamon fit le tour des orcs agonisants pour les achever. Une fois sa triste besogne accomplie, il revint vers le nain et lui offrit à boire. Le nain encore sonné déglutit avec difficulté. C’est à ce moment qu’Hujir se réveilla, Magnamon dans une colère noire oublia ses précédentes allégations et demanda immédiatement :

  • Où sont les plans que tu as volés ?
  • Là, répondit le traître en désignant de la tête un sac de cuir posé près de l’endroit où il dormait.
  • Quel sont ces créatures avec qui tu t’es accoquiné ?

Ce fut Jorka qui répondit :

  • Des orcs, me dit pas que t’en avais jamais vu avant !

Les deux minotaures firent non de la tête, le nain poursuivit :

  • Sacré beau pays que vous aviez s’il n’y avait pas un seul orc. Ils ressemblent à des gobelins, mais plus grands et plus forts… pas plus malins en revanche.
  • Pourquoi est-ce que tu étais avec eux ? reprit le minotaure.
  • Ils m’ont attaqué alors que je me rendais dans ces montagnes. Ils ont tué mon guide. Moi j’ai tué leur chef. Après cela les six autres ont embarqué son cadavre et m’ont suivi, ils parlaient la langue des hommes alors je leur ai commandé de m’aider à réaliser mon plan.

Etonné de trouver son adversaire si loquace, Magnamon décida d’en profiter.

  • Et c’était quoi ton plan ?
  • Certain de ces documents sont d’une grande valeur pour les ennemis des nains, j’ai compris cela en parlant avec leurs sages. Je me suis dit que si j’arrivais à trouver ces fameux elfes noirs dont ils parlaient avec une telle haine, je pourrais en tirer un bon prix.

Interloqué par cette réponse le chef de clan fixa Hujir d’un air d’incompréhension, puis d’un ton ou perçait la colère il demanda.

  • Un bon prix ??! mais il y a trois ans de cela tu ne savais pas même que les monnaies de métal existaient ! Qu’en ferais-tu ?
  • Ce que tu n’as pas pu faire ! Trouver une terre pour les minotaures, dit-il avec véhémence persuadé d’être dans son bon droit. J’utiliserai ces monnaies de métal pour acheter des bonnes terres aux humains du sud, ceux qui vivent en dehors de l’empire. Ainsi je pourrais y faire venir notre clan.

Magnamon garda le silence un moment pour digérer la réponse puis déclara :

  • Tu es donc parti chercher ces elfes noirs et tout ce que tu as trouvé ce sont ces orcs stupides et puants.

Jorka rit de la pique acerbe, mais la douleur dans son visage le ramena vite au calme.

  • Non, l’une des mes recrues est partie il y a des jours dans un tunnel qui mène chez ces elfes noirs pour négocier avec eux.
  • Les elfes noirs ne négocient pas, ils tuent ! trancha le prince. C’est pour cela qu’ils n’ont pas encore conquis le monde. S’ils arrivaient à arrêter de s’entre-tuer, ils auraient déjà fait tomber tous les royaumes des hommes, des nains et des autres.
  • Ils ne négocient pas avec le petit peuple barbu, mais moi je saurais leur imposer mes conditions, déclara Hujir.

Jorka s’esclaffa une nouvelle fois nonobstant la douleur. Si la situation n’était pas si grave il aurait adoré voir ce pauvre minotaure essayer de négocier avec les elfes des profondeurs … « parlent même pas la langue » pensa le nain moqueur. Jorka fixa Hujir et dit :

  • Alors c’était ça ton plan pour sauver ton peuple ? Voler un trésor nain pour le vendre à des elfes noirs et utiliser l’argent pour acheter des terres à des humains. Mais même si les deux premières parties avaient fonctionné, sais-tu ce qui se serait passé quand tu serais allé à Oled pour leur acheter des terres ? ils auraient pris ton or, ils t’auraient donné des terres et le lendemain ils seraient venus te faire la guerre sainte. Pourquoi ? car tu ne respecte pas leur croyance des quatre dieux égaux et que tu ne brûle pas tes morts.

Hujir se tourna vers son chef de clan et dit :

  • Il n’en sait rien. Magnamon, en tant que chef c’est à toi de protéger notre clan, tu dois m’aider à terminer mon œuvre. Il nous suffit de nous débarrasser de ce nain. « Notre peuple passe avant tout » c’est toi-même qui le disais. Pense à Heka et Firain !

Jorka sentit un frisson glacé lui traverser le dos. Il resta coi et observa Magnamon pour essayer de deviner ce qui pouvait bien se passait entre ses deux cornes blanches tachées de sang d’orc. Incapable de déchiffrer l’expression du minotaure, il chercha en déplaçant imperceptiblement sa main vers le manche de sa hache, mais elle était restée là où il était tombé plus tôt. Démuni et à bout de force, il décida de ne plus lutter. Son sort était à présent entre les mains de son compagnon de voyage et il l’accepta comme peu de gens en sont capables, il n’avait ni peur ni espoir. Il se contentait d’attendre, impatient de voir s’il avait jugé le minotaure aussi bien qu’il l’avait cru.

  • Tu es fou, tu as brisé les règles de l’hospitalité ! finit par annoncer Magnamon.

Le nain laissa un soupir silencieux s’écouler de sa bouche douloureuse, puis il sourit à la providence qui lui avait amenée un si honorable compagnon.

  • Le monde a changé ! les vielles règles ne nous permettent plus de survivre, il faut nous adapter à ce monde sinon nous ne nous en sortirons pas, répondit Hujir
  • Tu te trompes, le monde change, comme il a toujours changé, mais certaines règles seront toujours bonnes. Voler celui qui t’a hébergé restera toujours une faute impardonnable, argua Magnamon.
  • Je fais ça pour notre peuple. Tu ne peux pas me juger ! rétorqua le traitre.
  • Notre peuple croupit dans une cage sans lumière depuis ton crime ! Et je tiens la certitude qu’ils sont encore vivants car le prince qui m’accompagne a promis qu’aucun mal ne leur serait fait et qu’on les nourrirait correctement. Une promesse ! C’est la seule chose qui protège notre clan de l’extinction.

Cela fit taire Hujir, qui ne répondit plus à aucune sollicitation de la nuit. Jorka prévint Magnamon :

  • S’il y a vraiment des elfes noirs qui doivent venir ici, on ferait mieux de ne pas traîner.

Le nain se releva avec difficulté, il tâtonna dans la lumière décroissante du feu que personne n’avait alimenté depuis un moment pour retrouver sa hache. Sa tête le lançait terriblement, chaque pas lui vrillait les os. Malgré la douleur, la fatigue et le reste, ils se mirent en route. Ils marchèrent aussi vite que possible pour rejoindre la frontière de Tal’AMORTH. Après trois jours, ils atteignirent finalement le royaume des loups. Dans la journée même où ils passèrent la frontière, ils furent interceptés par quatre cavaliers. Jorka ne reconnut aucun de ceux qu’ils avaient croisé à l’aller. L’un des garde-frontières, après avoir échangé des salutations d’usage, leur dit :

  • Le minotaure à tête blanche, nous devons l’amener à Tal’Morod pour qu’il soit jugé pour le meurtre d’Aldon de Treflatre.

Il avait parlé poliment, mais son arc avec une flèche encoché laissait entendre qu’il n’accepterait pas « non » pour réponse.

  • Chevalier de Faujir, ce minotaure est effectivement un criminel, mais il n’est pas responsable de la mort du votre compatriote, déclara le nain. Cependant, nous sommes prêts à vous suivre à Tal’Morod pour éclaircir la situation.

Les cavaliers se concertèrent et acceptèrent, puis escortèrent les trois marcheurs jusqu’à la tombée de la nuit. Ils s’éloignèrent du camp de fortune que montaient à la hâte le nain et le minotaure pour attacher leurs chevaux à proximité d’un ruisseau. Pour la première fois depuis longtemps, les deux compagnons se réjouirent car ce soir ils dormiraient au chaud à coté du bon feu qu’ils étaient en train d’allumer. Le minotaure pris la parole un peu abruptement :

  • Jorka, je souhaiterais que tu m’assistes lors du jugement d’Hujir, car sans toi je n’aurais jamais pu laver l’honneur de ma tribu.

Le nain qui grattait un silex avec une tige de métal pour embraser des feuilles mortes leva les yeux de son office. Malgré les pansements improvisés par les cavaliers sur son visage, une émotion intense s’y lisait. Il hocha positivement la tête pour toute réponse.

Jorka et Magnamon levaient le drap de leur tente pour l’arrimer à une branche quand le nain entendit un sifflement suivi d’un bruit mat. Il tituba, le drap échappa à ses mains ondulant gracieusement sous le vent du soir. Le nain tanga puis le sol se jeta sur lui. Les herbes masquaient sa vue et un gout de terre s’imprégna dans sa bouche. Il voulait pousser sur ses bras pour se relever, mais rien ne fonctionnait. Il vit Magnamon se précipiter à ses côtés, il voyait sa grande gueule bovine s’agiter, mais aucun son n’en sortait. En fait, il n’entendait rien du tout, le monde semblait si calme. Puis survint une horreur sans nom, il cligna des yeux et l’instant d’après l’empennage noir d’une flèche dépassait de l’orbite de Magnamon. Le minotaure poussa un râle douloureux et s’effondra. Jorka tourna la tête il voulait hurler aux Faujir de venir s’occuper de son compagnon, mais il avait déjà du mal à respirer. Il tourna la tête une nouvelle fois avec difficulté, sa barbe coincée sous sa poitrine l’empêchait de relever le menton. Il tira plus fort et sentit ses poils s’arracher de sa peau. Il vit une silhouette encapuchonnée s’avancer vers Hujir toujours ligoté à côté du bois. La silhouette tenait un grand arc et un carquois de flèches à empennage noir lui battait le flanc. Sous la longue cape sombre qui le couvrait, le prince vit étinceler une épée et une cote de maille. Derrière lui venait un orc portant des vêtements noirs et un collier de fer. Avant que l’assassin n’ait eu le temps d’atteindre le prisonnier, les quatre chevaliers de Tal’Amorth débarquèrent à cheval et debout sur leurs étriers dans le champ de vision du nain. L’un d’eux décocha un trait sur l’orc qui s’effondra, un autre visa la silhouette, mais en un éclair noir, l’épée dévia la flèche. La cape noire vola et retomba à terre, Jorka eu la confirmation de ce qu’il soupçonnait depuis un instant. Celui qui avait tiré sur Magnamon était un elfe noir, personne d’autre n’aurait pu être aussi précis à cette distance. Deux cavaliers sautèrent au bas de leur monture l’épée au clair et foncèrent contre l’elfe. Ce dernier recula en parant toutes leurs attaques. Le prince remarqua que l’elfe noir n’avait pas l’air en difficulté. Il semblait attendre que ses adversaires se fatiguent ou fasse un faux pas. Un des archers sauta à terre épée et couteau en main pour venir prêter main forte à ses camarades. Pendant ce temps, le dernier homme tournait à cheval autour des combattants son arc levé et flèche encochée attendant l’opportunité. Au moment où un des épéistes fit une erreur, ne reculant pas assez vite après un assaut, l’elfe noir lui embrocha la cuisse. Ce mouvement était aussi une erreur, car il l’immobilisa un bref instant. Il n’en fallait pas plus à l’archer qui décocha son trait. L’assassin frappé en plein dos par le projectile trébucha et un des épéistes lui lacéra l’épaule. La douleur lui fit lâcher son arme. Alors qu’il attrapait un poignard à lame noire un autre chevalier lui transperça le flanc d’un estoc. Dans son dernier souffle, il tenta de poignarder son bourreau, mais un nouveau coup d’épée l’atteignit à l’avant-bras. L’elfe noir s’effondra et le cavalier sauta à bas de sa monture pour porter secours à son camarade blessé à la cuisse. Après avoir percé la gorge de l’assaillant avec une épée, les deux autres combattants se dirigèrent vers Jorka et Magnamon, mais le monde se troubla et tout devint noir pour le prince.

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Edouard PArle
Posté le 11/09/2021
Coucou !
Un chapitre riche en rebondissements ! Si j'ai bien compris, nous arrivons à la fin des aventures du prince et du minotaure.
J'ai trouvé particulièrement intéressant de placer Magamnon devant un choix entre son peuple et l'honneur. Peut-être un peu dommage que le choix soit si facile / vite fait.
Pour leur arrivée, les elfes noirs frappent fort. J'ai d'abord cru qu'ils avaient tué le minotaure mais peut-être n'est qu'il que blessé, la suite me l'apprendra j'imagine.
Sinon il y a un paragraphe un peu long que tu pourrais découper pour le rendre plus lisible.
Quelques remarques :
"avait appris à reconnaitre comme" -> reconnaître
"Là, répondit le traitre en" -> traître
"et que tu ne brule pas tes morts." -> brûle
"on ferait mieux de ne pas trainer." -> traîner
Bien à toi !
Eldir
Posté le 14/09/2021
Bonjour, en effet je n'ai pas développé le cheminement psychologique de Magnamon au cours du récit car j'ai voulu mettre le point de vue de Jorka en avant. L'histoire est vue à travers ses yeux donc on peut connaitre ses pensées et ses émotions, mais pas celles des autres personnages.

Merci pour les fautes relevées.
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