Chapitre 10

09H01.

Gabriel ne s'était pas levé. Il n'avait pas eu le courage de quitter son cocon pour affronter le regard des autres. Il était lâche. Il se sentait lâche. Sa mère avait essayé de lui arracher ses couvertures mais il avait persisté. Il n'irait pas en cours aujourd'hui.

Depuis qu'il s'était réveillé, il essayait de se rendormir mais rien n'y faisait. Une fois que le sommeil le quittait, il lui était impossible de retourner dans les bras de Morphée. Il jura sous sa barbe. Il n'osait quitter sa chambre de peur de tomber sur la mauvaise humeur de Gloria. Elle avait plutôt mal pris sa désobéissance.

Il vérifia l'heure sur son réveil. Il s'était écoulé à peine 5 minutes. Le jeune homme soupira. Au bout d'un long moment à ne rien faire, il se décida à bouger. Sur la pointe des pieds, il se hâta dans la salle d'eau. Il maudit au passage le grincement du parquet à chacun de ses pas. On ne pouvait pas se déplacer tranquillement ici ! pensa-t-il en fermant délicatement la porte.

Lorsqu'il eut fini de faire ses besoins, il mit ses vêtements dans le panier à linges sales et profita du jet d'eau chaud sur sa peau pour se débarbouiller. Ses muscles se détendirent et il parvint enfin à se détendre. Il était très tendu depuis qu'il était revenu de l'école, le jour précédent. Sa mère n'avait pas réussi à lui ôter le moindre mot de la bouche. Gabriel pouvait se montrer aussi têtu que cette dernière quand il le voulait.

Il coupa l'eau puis mit son peignoir. Les cheveux trempés, il secoua la tête tel un canidé pour les sécher. Depuis qu'il était tout petit, avec son frère, ils s'amusaient à tourner leur grand-mère en bourrique. Dès qu'elle eut le malheur de s'occuper de la tâche du bain, ils la gratifiaient d'une séance de tee-shirt mouillé.

Se rappeler de cette époque le rendit nostalgique. Cela remontait à si longtemps... Pendant son enfance, il n'avait pas eu à essuyer le dégoût ou la pitié que provoquaient son visage. Sa grand-mère ne l'avait pas épargné de ce côté-là depuis l'incident.

Gabriel soupira. Le lycéen rejoignit sa chambre pour se munir de ses lunettes et les poser sur son nez. Son portable, qui reposait à côté des verres, affichait un message provenant de son frère :

"Alors comme ça, on sèche l'école ? LOL"

Il se dit que son frangin devait vraiment s'ennuyer pour lui envoyer ce genre de message dès le matin. Le plus jeune des deux devait souvent prendre de ses nouvelles sur les réseaux sociaux. Ce dernier portait une véritable obsession pour son apparence : il postait une photo sur Instagram tous les deux jours ! Mais grâce à eux, le gringalet pouvait suivre la vie quotidienne de Raphaël sans être "envahissant". Il le lui avait reproché le mois de son départ. Depuis, Gabriel avait réduit son débit de message au week-end.

"Qu'est-ce que tu veux ?" Renvoya-t-il sans plus de préambule.

Son comportement cachait forcément quelque chose, se dit le cadet. Sauf s'il était bourré.

En attendant sa réponse, il fit un tour sur Facebook. L'homme fut étonné de voir une pastille rouge lui signifiant une notification. Une demande d'amis. De la part de Charlotte Duquesnes. Avant d'accepter la demande de son ami, il défila rapidement son fil d'actualité, afin de vérifier la véracité du compte. Il appuya sur "Accepter" puis se mordit la lèvre.

En dehors de sa mère, il n'avait jamais reçu ce genre de demande. Tout de même, il se demande comment la jeune fille avait trouvé son compte. En guise de photo de profil, il avait mis un personnage de mangas qu'il affectionnait particulièrement. D'autant plus qu'elle n'aurait pu le deviner en regardant son fil d'actualité : il n'avait jamais rien partagé.

Sa réflexion fut interrompue quand il vit une bulle de conversation s'ouvrir sous son doigt. Bouche bée, il observa le visage de Charlotte qui souriait à pleine dents. Elle avait l'air plus fine sur la photo. Il ravala sa salive et cliqua dessus.

 

"Pourquoi tu n'es pas venu en cours ? J'espère que c'est bien toi cette fois-ci..."

 

Il fronça les sourcils après sa lecture. Avait-elle essayé plusieurs comptes avant de tomber sur le sien ?

"Qu'est-ce que tu veux dire ? Et oui, c'est Gabriel."

 

"MERCI mon Dieu ! J'avais peur de tomber sur un type louche LOL"

"Et tu n'as pas répondu à ma première question !"

 

La rouquine répondait si vite qu'il n'avait pas le temps de taper quoi que ce soit. Ça le frustrait. Il voyait déjà la bulle pleine de points de suspension s'afficher. Elle était aussi causante par message qu'à l'oral. Avec ce moyen de communication, il n'y avait pas cette tension dans l'air.

 

"Envoies-moi une photo pour confirmer que c'est bien toi et pas un vieil homme de 40 ans"

 

Gabriel n'envoya pas son portrait mais ses converses en photo. Il espérait que cela lui suffise parce qu'elle n'obtiendrait rien d'autre de lui à travers un objectif. Heureusement, elle lui renvoya un pouce levé en retour. Le jeune homme prit tout son temps pour taper une réponse qui satisfera sa curiosité.

 

"J'avais mal à la tête."

 

Il lui mentait. Il en avait conscience. Mais il ne pouvait lui avouer qu'il n'avait pas eu le courage de se lever pour affronter leurs regards et leurs mots. Si le gringalet avait quitté cette vie quelques années plus tôt, ce n'était pas pour y replonger maintenant.

 

"J’espère que tu vas mieux..."

 

Charlotte se souciait de lui. Le jeune homme en fut touché. Pouvait-il la considérer comme une amie ? Il ne voulait pas trop s'avancer, de peur d'être déçu. Malgré lui, il sentit un sourire figer ses lèvres. Il appréciait beaucoup cette fille parce qu'elle n'essayait pas de le brusquer. Puis, pour l'instant, il n'avait pas surpris son regard étudier la cicatrice qui lui barrait le visage alors il pouvait peut-être se permettre d'espérer.

 

"Oui. Ne t’inquiète pas."

 

Il s'apprêtait à reposer son téléphone sur la table de chevet quand il sentit l'appareil vibrer dans sa paume. Raphaël avait enfin répondu à son message !

"Rien du tout. Maman m'a appelé pour se plaindre, comme d'habitude."

Gabriel avait l'impression d'essuyer un reproche de sa part. Son grand frère avait toujours été jaloux de l'attention que ses parents portaient au plus jeune. Ce dernier était dorloté comme un bébé depuis l'incident, ne laissant rien d'autre que des restes pour l'aîné. Cette différence de traitement avait étiolé les liens fraternels des deux garçons.

Le balafré soupira. Il posa son portable pour s'habiller, puis il descendit jusqu'à la cuisine. En le voyant arriver, le beagle s'approcha mollement de lui, quémandant des caresses.

- Comment tu vas, Pikachu ? Demanda-t-il à l'animal en lui gratouillant le sommet du crâne.

La chienne remua vivement la queue en entendant son prénom. Son maître était heureux de la voir si heureuse dans ce nouvel environnement. La secrétaire du refuge les avait mis en garde sur le temps d'adaptation de l'animal mais pour l'instant, elle n'avait fait ses besoins dans la maison qu'une ou deux fois. Il n'aimait pas ramasser mais il se dit que la situation pourrait être pire. Et puis, il en avait voulu de ce chien ! Il devait faire avec maintenant, même si sa mère lui posait un sacré dilemme : 

- Comme tu ne vas pas à l'école, tu peux aller la promener.

- Maman, tu sais que je ne--

- Elle a besoin de sortir, Gaby. Tu l'as voulu, tu t'en occupes.

Gloria se montrait dure envers son fils mais il ne lui laissait pas le choix. Elle devait parfois le pousser dans ses retranchements pour qu'il se rende compte qu'il pouvait accomplir des choses qui lui semblaient impossibles à atteindre.

Gabriel la regardait comme s'il avait à faire à une inconnue. Voilà des années qu'il restait cloîtré chez lui par peur de rencontrer des personnes susceptibles de le juger sur son apparence, ou pire, d'être capables de lui faire du mal. Et elle lui demandait de sortir dans la rue, en plein jour, pour sortir son chien. Avec son apparence. Avec sa cicatrice. Il avait l'impression de rêver éveillé.

Le jeune homme sentit son corps frémir devant cette perspective. Il ne pouvait pas...

- Je vais t'accompagner, le rassura la cinquantenaire.

Elle voyait bien qu'il était effrayé à l'idée de sortir seul. La dernière fois qu'il l'avait fait, les choses avaient pris une tournure dramatique. Cette fois-ci, Gloria ne le lâcherait pas d'une semelle. Elle se le promit.

- Mais tu peux y aller toute seule... indiqua la voix chevrotante du fils.

- Et s'il m'arrivait quelque chose ?

Elle s'en voulut. Ce n'était pas le genre de mots que l'on pouvait sortir à une victime d'enlèvement. Et pourtant, elle l'avait fait. Je suis désolée, désolée, désolée... pensa-t-elle très fort. Les yeux larmoyants, elle observa Gabriel ouvrir puis fermer la bouche.

Il n'avait pas les mots. Il avait l'impression de manquer d'air. Elle osait le faire culpabiliser en utilisant son passé pour le faire obéir. Était-ce vraiment sa mère qui venait de prononcer cette phrase ? Il n'arrivait pas à y croire.

- Gabriel, s'il-te-plaît, supplia Gloria du regard.

Elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle insista donc pour qu'il l'accompagne. Son intonation appelait au pardon. La cinquantenaire le mettait devant le fait accompli. Elle ne s'y prenait peut-être pas de la meilleure façon mais elle en avait parlé avec son mari le jour précédent : il fallait bousculer leur fils pour qu'il avance. Ils l'avaient laissé trop longtemps marcher à reculons, entravé par les chaînes de son passé. Ils voulaient le pousser vers l'avant, même si pour cela, Gabriel devait trébucher en chemin.

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