Chapitre 11

Pour cette promenade improvisée, Gabriel s'était couvert de la tête aux pieds. Sa capuche bien en place, il se munit de lunettes de soleil et d'une écharpe, un étrange duo pour un mois de septembre. En le voyant arriver vers elle, Pikachu se mit à aboyer et à montrer les crocs. Il essaya de la rassurer en lui offrant des caresses qu'elle refusa en lui grognant dessus. L'animal avait peur de lui dans cet accoutrement.

- Mais comment je suis censé faire moi...

- Tu n'as pas besoin de tous ces accessoires, Gaby. L'écharpe, c'est vraiment de trop...

Il soupira. Le jeune homme réajusta sa monture puis retira la laine qui lui entravait le cou. La chienne réagit positivement à ce changement puisqu'elle s'appuya sur ses jambes pour réclamer des papouilles. Le jeune homme les lui rendit, perdu dans ses pensées. Il fallait qu'il trouve une autre solution pour se cacher le visage.

À ses côtés, Gloria observait son manège. Elle n'aimait pas le voir aussi tracassé pour des broutilles. Son fils était beau, magnifique même. Une cicatrice ne pouvait dissimuler la finesse de ses traits ou encore la douceur de son regard. Elle ne comprenait pas pourquoi il cherchait à étouffer la lumière qu'il irradiait. Le jour où il laisserait tomber ces couches sombres qui le dissimulait du monde, un kaléidoscope de couleur aveuglerait tous ces gens qui avaient osé le rabaisser.

- Allez, on y va ! Le secoua-t-elle.

La mère de famille lui tendit la laisse du chien et lui força la main en verrouillant la porte d'entrée. Elle mit les clés dans l'une des poches de sa veste en jean et faillit se heurter à Gabriel, posté derrière elle, qui tournait le dos au monde extérieur. Le balafré fixait désespérément le sol, cherchant à nier ce qu'il s'apprêtait à faire. Il ne pouvait pas se balader dans la rue, pas avec son visage. On le regarderait, on le pointerait du doigt tel un paria. Il avait refusé d'aller à l'école pour éviter ce genre de scénario. Mais cette fois-ci, il voyait bien que Gloria ne flancherait pas :  elle l'envoyait au pilori.

Pour lui donner le courage d'avancer, Gloria lui tint le bras et l'invita à la suivre. Elle savait que son fils ne serait jamais capable de faire les premiers pas seul. Il avait besoin de soutien.

Les quelques mètres qui les éloignèrent de la maison pouvaient paraître anodins pour certaines personnes mais pas pour lui. Gabriel avait peur, et ce, malgré la présence maternelle à ses côtés. Il essayait de ne rien laisser paraître aux yeux de sa mère même si Gloria pouvait ressentir les tremblements qui lui secouaient le bras.

- Tu veux rentrer à la maison ? Lui demanda-t-elle en voyant la pâleur de son visage.

Voir son fils si mal en point l'obligea à se remettre en question. Elle n'employait peut-être pas les bonnes méthodes pour le faire sortir de son cocon. Dans tous les cas, la cinquantenaire ne risquerait pas la santé de son fils.

Le duo revint sur ses pas, malgré les protestations véhémentes de Pikachu qui tirait sur la laisse. Gabriel s'en serait voulu s'il n'était pas enfermé dans cette bulle de terreur qui le renvoyait au passé. Le jeune homme ne voyait rien d'autre que ces silhouettes floues qui cherchaient à lui faire du mal, qui voulaient l'enlever loin de ses parents. Il n'était qu'un petit garçon...

- Gabriel. Assieds-toi, l'invita sa mère en désignant le canapé.

Elle avait détaché la chienne qui se précipita aussitôt vers sa gamelle d'eau. Cette dernière était la seule à ne pas ressentir cette tension dans l'air. L'adolescent, quant à lui, avait le visage fermé. 

Bien malgré lui, il se retrouvait enfermé dans une période de sa vie qui n'existait plus. Il était malheureux. À quoi bon renier les cauchemars quand ils se manifestaient en plein éveil ? Il se couvrit le visage de ses mains puis ferma les yeux. Il ne voulait pas pleurer. Il ne voulait pas se sentir coupable vis-à-vis de sa mère. Il ne voulait pas être différent. Et pourtant, il l'était, différent. Ce mot était gravé, encré à l'encre noire dans sa tête et dans son cœur. 

Il avait essayé d'être comme tout le monde et d'aller à l'école. Seulement, ceux de son âge lui ont rappelé à quel point ce souhait ne pouvait être possible, ou du moins dans cette vie en tout cas. Souvent, il se demandait pourquoi le destin continuait à s'acharner ainsi sur un homme déjà à terre. La vie lui paraissait si cruelle, si injuste...

- Ne repars pas là-bas, mon chéri.

Gloria le serra dans ses bras. Elle ne supporterait pas de voir son fils replonger dans ce cercle vicieux, La dépression, et tout ce qu'elle provoque, obligeait ses victimes à franchir des limites qui ne devraient être franchies. Les maudits souvenirs qu'elle avait tentés d'oublier affluèrent prestement. Il était hors de question que sa famille subisse ces épreuves à nouveau.

- C'est fini... Chuchota-t-elle tout en lui caressant le dos. On est à la maison. Tous les deux. Avec Pikachu qui monte la garde. Il ne peut rien t'arriver.

Gabriel voulait la croire. Mais il les voyait toujours quand il fermait les yeux. Ces ombres le poursuivaient sans relâche. Elles cherchaient à lui faire du mal, à leurs faire du mal. Il ne pouvait échapper à leurs griffes acérées. Il avait déjà essayé, et n'avait récolté en retour que des traces indélébiles sur son corps. D'ailleurs, le jeune garçon souffrait toujours des marques laissées par ses bourreaux. Mais dans ce cas-ci, son physique n'était pas sa plus grande préoccupation.

Ses monstres le poursuivaient et il ne pouvait rien faire pour les en empêcher. Il enfonça son visage dans le tee-shirt de sa mère, à la recherche de cette chaleur maternelle dont elle était la seule à posséder. Dans son étreinte, il se sentait protégé sans pour autant oublier la menace qui menaçait de lui retomber sur la tête. Le danger n'était jamais loin. Il se ressaisit.

Il releva la tête et s'essuya lâchement le nez de sa main. S'il ne se reprenait pas, Gloria risquait de l'envoyer voir un psychologue. Le gringalet retira ses lunettes pour en essuyer la buée et renifla un bon coup. Il devait se rappeler qu'il n'était plus un petit garçon qui se réfugiait dans les jupes de sa mère au moindre trouble. Non, il ne pouvait plus faire ça.

Quand il croisa le regard de la cinquantenaire, ses larmes se tarirent. Il la rendait si triste, tout le temps. Gabriel se força à sourire pour la rassurer.

- Un petit coup de blues, essaya-t-il de justifier.

Il ne parvint pas à la convaincre, mais elle ne dit mot. Son fils restait pudique face à son passé. Il partageait difficilement, voire jamais, ses sentiments qu'il gardait enfermés à double tours.

- Est-ce que tu veux quelque chose en particulier ?

Sa culpabilité lui mordait les doigts. Elle voulait agir dans l'espoir de dissiper les angoisses de son petit. 

- Non, je veux juste retrouver ma chambre.

Ce n'était qu'à l'intérieur de son antre qu'il se sentirait véritablement en sécurité. Sa mère le regarda filer à la vitesse de l'éclair à l'étage avant de disparaître de son champ de vision. Elle sécha ses larmes. Elle se dit qu'un jour, elle serait suffisamment forte pour l'aider à supporter ces épreuves, qu'il pourrait éponger sa tristesse et ses états d'âmes sur son épaule. En entendant la porte claquée derrière lui, elle appela son mari pour lui faire part de cette promenade ratée.

 

Gabriel, quant à lui, s'était réfugié dans son lit. Il maudit ses réactions puériles. Il maudit son existence elle-même. Pendant qu'il s’apitoyait sur son sort, son téléphone reçut une nouvelle notification. Une nouvelle demande d'ami. Il fronça les sourcils en voyant un visage masqué par un chapeau sombre, ne laissant apparaître qu'une bouche sensuelle maquillée d'un rouge profond. 

Les yeux du jeune garçon s'agrandirent en voyant son nombre d'abonnés : 10348. Il ne pouvait rêver un tel nombre le concernant. Il se demandait si cette inconnue ne s'était pas trompée de contact. Il mena sa petite investigation jusqu'à sa liste d'amis où il remarqua le prénom de Charlotte. Ils avaient le même nom.

Duquesnes.

Clara Duquesnes.

Il ne connaissait personne avec un tel prénom. Devait-il se renseigner auprès de son amie ? Il ne saurait dire s'il s'agissait d'une cousine ou bien de la sœur qu'il avait brièvement côtoyée au refuge. Sa photo de profil ne lui permettait pas de l'identifier formellement. 

Le cœur au bord des lèvres, il accepta sa demande. Le jeune homme expira bruyamment après cette simple action. Il avait l'impression d'avoir fait un grand pas en avant en acceptant cette "inconnue". Il reposa l'appareil à ses côtés puis fixa le plafond.

Il n'avait pas envie de jouer à des jeux vidéo. Il n'avait pas non plus envie de lire des mangas sur internet. Quand il repensait à cette promenade qu'il avait lâchement abandonnée, il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire de sa vie.

Pendant son enfance, il s'était imaginé imaginer mille et une vies dans ce "plus tard". Et maintenant qu'il s'y trouvait, il effaçait chacun de ses projets aussi facilement que de la craie sur une ardoise. Il ne restait plus rien de ses rêves d'enfants. Il n'était rien d'autre qu'un jeune adulte restant cloîtré dans sa chambre. Finalement, il attendait un signe qui ne venait et ne viendrait probablement jamais. Il se dit qu'il était peut-être temps pour lui de provoquer le destin, surtout quand ce dernier lui faisait signe d'avancer.

Son regard parcourut le fil d'actualité de cette nouvelle "amie" et il découvrit des dizaines et des dizaines de photos. La jeune fille arborait différentes tenues, différents maquillages qui la rendaient aussi jolie que sensuelle. La sœur de Charlotte est très attirante. Gabriel rougit à cette pensée. Il planqua son téléphone sous son oreiller quand il entendit quelqu'un frapper contre sa porte.

Gloria entra puis s'arrêta nette en voyant son fils arborer une expression qui disait “pris la main dans le sac”. La mère de famille se demanda si elle venait d'interrompre un moment délicat. Elle s'apprêtait à rebrousser chemin quand elle le vit s'agiter dans tous les sens. La cinquantenaire le scruta un instant. Pourquoi s'appuyait-il de cette manière sur son oreiller ? Qu'est-ce qu'il cachait ?

Le gringalet avait ressenti des vibrations dans son dos. Un nouveau message. Et Gloria qui l'observait comme si elle mourrait de connaître l'objet de ses réactions.

- Maman, tu peux me laisser, s'il-te-plaît.

- Ça va mieux ?

- Oui, ne t’inquiète pas....

Il attendit qu'elle ait refermée derrière elle pour déverrouiller l'écran. Ses yeux s'agrandirent quand il vit le nom de la personne qui cherchait à le contacter : Clara Duquesnes.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez