Chapitre 10 - Blaine

Avant de rentrer chez moi, j'étais resté sur le perron en espérant pouvoir éviter tout le monde et rejoindre tranquillement ma chambre. Je ne supporterais pas une autre dispute pour ce soir... Surtout pas quand mon cœur était à ce point déchiré.

Je finis par ouvrir la porte, en retenant ma respiration. J'aperçus de la lumière dans la cuisine et tout était si silencieux que je pouvais entendre quelque chose comme des assiettes, des tasses ou des verres. Je m'approchai lentement, essayant de distinguer qui y était avant de me faire repérer.

Dès que je croisai les regards de ma mère et de ma grand-mère, un long soupir m'échappa et je m'installai à côté d'elles.

— Tu as l'air d'avoir extrêmement froid mon pauvre, lança ma grand-mère en prenant une de mes mains.

— J'ai passé quelque temps dehors... J'ai connu meilleur comme temps.

— Ne t'en fais pas, ton père est parti dormir, me rassura ma mère. Tu veux quelque chose à boire ?

Je lui répondis que je me contenterai que d'eau. Elle s'exécuta immédiatement et je pris une grande gorgée d'eau quand bien même mon estomac était encore bien serré.

— Ça va ? s'enquit ma grand-mère.

— J'en sais rien, finis-je par répondre.

Je fermai les yeux longuement et passai mes mains sur le visage. Je ne pouvais pas effacer toute l'horreur de la scène avec mon père, mais je savais que Charlie l'avait bien atténué. Pendant nos baisers, j'avais senti que j'avais lâché prise, mais ça n'avait été que de courte durée. La réalité revenait toujours au galop...

Et je me sentais vraiment con que ce soit juste un moment avec cette fille qui puisse m'apaiser. Mais depuis des mois, ç'avait été la seule qui s'était montrée compréhensive et à l'écoute.

— On a appris ce qui est arrivé à Wade, annonça ma mère. C'est terrible... et on ne savait pas qu'il était mort. Ça date de quand ?

— Mai.

Une légère pointe d'horreur parcourut le visage de ma mère, parce qu'elle se rendait compte que j'étais probablement en plein deuil depuis tout ce temps. Et elle ignorait tout ce que ça sous-entendait.

— Je ne savais pas qu'il se droguait, ajoutai-je faiblement. Je l'ai appris après sa mort... Et j'ai pas pu le sauver.

— Qu'est-ce qu'on a dit sur ce genre de regrets ? me sermonna gentiment ma grand-mère. Si tu ne peux rien y faire, cesse de te sentir coupable.

— Je sais...

— Ce n'était pas à toi de sauver ton ami. Et je suis sûre que s'il te voyait, il voudrait que tu sois heureux et que tu ailles de l'avant.

Je n'avais jamais imaginé que Wade puisse être si proche de moi, qu'il pourrait me voir, et cette simple pensée fut suffisante pour me faire pleurer. Je pris mon visage entre mes mains pour calmer mes pleurs. Ma mère se rapprocha de moi pour me prendre dans ses bras.

Jamais je ne m'étais autant mis à nu face à ma famille... Pour la première fois, je pleurais devant ma propre mère. Et elle découvrait maintenant que son gamin était brisé depuis bien longtemps.

Elle me relâcha et j'essuyai aussitôt mes larmes avec un mouchoir. J'aurais voulu ne pas me mettre dans un tel état devant ma mère et ma grand-mère, mais je sentais qu'au fond de moi, c'était assez rassurant, et j'en souris.

Désormais, je savais qu'il y avait au moins une personne qui me comprenait : Charlie, et c'était peut-être bien suffisant. Mais ma mère et ma grand-mère, c'était différent. Parce que je n'avais jamais été aussi proche d'elles que maintenant. Ou peut-être parce que je m'étais renfermé ces derniers mois et que j'en avais oublié qu'elles aussi pouvaient me comprendre.

Pour la première fois depuis des mois, je n'étais plus seul...

 

*

 

Au cours de la journée, mon père quitta précipitamment la boutique, donnant la responsabilité temporairement à Ulric. Avant de franchir la porte, il hurla simplement :

— Ils vont voir ce qu’ils vont voir ces Sullivan !

Mon frère me fusilla du regard et je l’évitai immédiatement pour vaquer à d’autres occupations.

— Qu'est-ce que t’as fait encore ? me demanda-t-il, se fichant de ma stratégie d’évitement.

— Absolument rien.

Il fronça ses sourcils, ne me croyant pas. Même s’il ignorait tout ce qu’il se passait avec Charlie, ses doutes pouvaient probablement aller au-delà.

Avant même qu’il puisse répliquer, prêt à m’étriper pour n’importe quoi, Kate entra dans la boutique. Elle enleva ses lunettes de soleil pour dévoiler ses yeux et ses longs faux cils.

Comme toujours, elle avait une tenue pour mettre ses formes en valeur, ou presque : un haut type corset qui lui compressait violemment les seins, un pantalon en vinyle et des cuissardes aux hauts talons.

— Oh Blaine ! Ça tombe bien ! C’est toi que je voulais voir.

Elle mordit une branche de ses lunettes en me dévorant du regard. Mon frère me jeta un bref regard perdu. Évidemment, il ignorait toute l’histoire avec Kate et c’était peut-être bien mieux ainsi. Alors, je m’approchai d’elle et la pris par l’avant-bras pour l’emmener à l’extérieur et discuter à l’abri.

— Qu’est-ce que tu veux ? demandai-je déjà épuisé par sa présence.

— Tu me manques.

Sa voix était suppliante et elle espérerait probablement que ce soit suffisant pour me convaincre.

— Kate, je ne veux rien avec toi. Plus jamais.

— On n’a pas pu vraiment discuter à la soirée et ça me pèse depuis, souffla-t-elle.

Elle repoussa ses grosses boucles derrière ses oreilles et baissa son regard un instant. Elle fronça ses sourcils, comme si elle voulait mimer sa douleur.

— Trouve-toi quelqu’un d’autre, lui suggérai-je assez fermement.

— Tu t’es trouvé quelqu’un d’autre ? C’est qui cette fille ?

Il y avait une pointe de colère dans sa voix et c’était dans ce genre de moments que je réalisai à quel point c’était une princesse. Elle voulait tout et surtout ce qu’elle ne pouvait pas avoir. Rien ne devait lui être inaccessible.

Je pourrais lui répondre par l’affirmatif sans dévoiler un quelconque prénom, mais ce serait prendre bien trop de risque.

— Non. Mais je ne veux pas de quelqu’un avec qui je me sens terriblement seul alors que je ne devrais pas.

— Pardon ?

Son visage se décomposa. Parce que désormais, je lui faisais comprendre qu’elle n’était pas indispensable dans ma vie et que c’était même bien pire.

— Trouve-toi quelqu’un d’autre qui acceptera d’être aussi seul que toi.

Alors que j’étais sur le point de retourner dans la boutique, elle s’empara de mon avant-bras. Ses yeux s’humidifièrent. D’habitude, je serais tombé dans le piège aussi facilement, comme j’avais pu le faire bien souvent, mais plus maintenant. Le pire, je savais qu'elle n'était pas volontairement méchante et manipulatrice, sauf que malheureusement, c'était ce qu'elle finissait par laisser transparaître.

— Blaine... Je t'en prie...

Sa voix était si aiguë que ça me faisait vraiment de la peine de la voir ainsi. Néanmoins, je ne devais pas céder. Pas une énième fois.

— On n'est pas heureux ensemble, il faut que tu t'en rendes compte. Et sinon, je devrais couper tout contact avec toi...

Sa lèvre inférieure tomba et trembla légèrement. Elle était dans une impasse cette fois-ci. Malheureusement, elle était en train de se rendre compte que je n'étais plus aussi docile qu'avant.

Je savais qu'elle était loin d'avoir dit son dernier mot. Heureusement pour moi, Kayla nous interrompit et m'annonça qu'elle avait terriblement besoin de moi. Elle m'aida à m'extirper de la belle brune.

Ma sœur me fit entrer dans la maisonnette et s'installa immédiatement dans le canapé.

— Tu peux me remercier quand tu veux ! lança-t-elle, très fière d'elle.

— Merci.

Nous échangeâmes un bref sourire et je m'assis à côté d'elle.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé avec cette fille ? Parce qu'elle semblait assez... proche de toi.

— Elle l'était. À une époque, soupirai-je péniblement.

Elle fronça ses sourcils. Peut-être que je devrais tout lui dire, mais je n'en avais pas tant envie que ça. Ces dernières heures avaient été beaucoup trop intenses pour moi dernièrement. D'un côté, je n'avais pas envie d'en rajouter une couche et de l'autre, j'avais bien vu que parler avec des personnes de confiance pouvait être extrêmement bénéfique.

— On a eu... une aventure. Mais c'était assez compliqué.

— Est-ce que tu l'aimes ?

Mon regard revint subitement vers elle et je restai silencieux pendant quelques secondes. Je ne m'attendais clairement pas à cette question. J'aurais pu répondre à tout et n'importe quoi dans l'immédiat, mais pas pour cette question.

— Au début... Je l'aimais, peut-être un peu trop. C'était mon premier amour. Mais ce n'était pas vraiment réciproque. Et elle l'a toujours su. Enfin, je crois. Je ne sais pas ce qu'elle recherchait réellement dans cette situation... Mais je me rends compte maintenant que j'avais beau être avec elle, je me sentais terriblement seul.

Quelques larmes coulèrent sur mes joues. Parce que je prenais vraiment conscience que cette relation qui m'avait à ce point affecté n'avait peut-être eu aucune signification pour elle. Peut-être qu'elle s'était jouée de moi du début jusqu'à la fin. Il était fort probable qu'elle appréciait avoir un homme amoureux et d'une bonne famille à ses pieds. J'étais le prince charmant dont elle pouvait user à sa guise.

— Je suis désolée pour toi... Tu mérites tellement mieux que cette pouffiasse.

Ma sœur prit ma main dans la sienne et la serra fermement.

— T'es quelqu'un de trop bien pour quelqu'un comme elle.

Son sourire me rassura quelque peu. C'était suffisant pour égayer un peu cette discussion. Ou peut-être que mon esprit saturait de tous ces évènements néfastes et faisait comme si de rien n'était désormais. Peut-être que dans quelques jours, j'en paierais le prix.

Je repensai alors à ma virée avec Charlie de la veille. Et même si ses lèvres étaient encore un très doux souvenir pour les miennes, il y avait bien plus que ça.

— C'est quand que tu reverras Charlie ? osai-je lui demander.

Ma sœur arqua aussitôt un sourcil et eut une mine beaucoup trop amusée par rapport à cette question.

— Serait-ce bien ce que je pense ? me taquina-t-elle.

— Non, je veux juste changer de sujet de discussion !

— Mais bien sûr, répliqua-t-elle sans y croire une seconde. Pour l'instant, on n'a rien prévu mais si tu veux te joindre à nous, on peut arranger ça...

Son sourire malin était loin de partir de son visage. Au contraire, elle était totalement perdue dans son délire.

— C'est quand même drôle que lorsque tu changes de sujet, ce soit par rapport à Charlie. Je dis ça, je dis rien.

— Bon, ok ! On s'est embrassé !

— Oui, merci, je le sais ça. C'est pas du croustillant frais ça ! me reprocha-t-elle en riant.

— On s'est embrassé hier. Plusieurs fois. Et ça n'avait rien à voir avec notre premier baiser...

Sa lèvre inférieure tomba et ses yeux s'ouvrirent. Elle ne s'attendait probablement pas à cette nouvelle.

— C'est grâce à elle que j'ai compris ce qui n'allait pas avec Kate. Avec Charlie, je n'étais pas seul... Au contraire. Et elle a réussi à me faire ressentir ça en quelques minutes seulement. Kate n'a jamais réussi en plusieurs années de relation plus ou moins continues.

— C'est pour ça aussi que je l'aime beaucoup Charlie...

Qu'est-ce que cette situation pouvait être autant ironique que désolante...

— Et pour l'instant, on se laisse un peu temps pour prendre du recul. Parce qu'on ne sait pas comment ça va finir. Mais personne ne doit l'apprendre.

— Sa famille et la nôtre... Ça va finir en guerre.

— Je n'ai même pas envie d'imaginer ça. Malheureusement, la solution la plus simple serait d'arrêter ça le plus tôt possible.

La mine de ma sœur s'attrista, et probablement la mienne en retour. Ça faisait quelques mois déjà qu'on ne comprenait plus ses conflits familiaux et, désormais, c'étaient juste des obstacles absurdes.

— Mais je n'ai pas envie de ça. Charlie t'aide beaucoup et moi, je... je sais pas vraiment où j'en suis avec elle, mais ce n'est pas très grave...

— Est-ce que tu l'aimes ?

De nouveau, je restai un peu muet face à cette question, parce que je ne m'étais jamais posé la question.

— J'en sais vraiment rien... J'ai aimé notre rapprochement de la veille. J'ai aimé nos baisers. J'aime la manière dont elle t'aide. J'aime son recul, sa maturité... Mais si on parle vraiment d'amour, je crois qu'il est encore trop tôt pour le dire.

— En même temps, ça peut prendre un peu de temps ça.

Elle m'adressa un timide sourire puis me prit dans ses bras, un peu par surprise.

— Je suis sûre que tout va bien se passer, me rassura-t-elle d'une adorable voix.

— Je l'espère...

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MickyBlue
Posté le 25/08/2020
Coucou =)

Merci beaucoup !

Encore un super chapitre !

Au début je pensais que Kate venait foutre la merde par rapport à sa soirée XD J'ai flippé
MissRedInHell
Posté le 25/08/2020
Hey o/

De rien !
Merci :3

Et non, pour une fois, ça n'a pas été le cas haha :')
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