Chapitre 10 : Deux sœurs, un passé

Par Elly

Alizéha se réveilla en sursaut. Même éreintée, son sommeil était rarement tranquille. Ivys, le dieu de la culpabilité, y veillait.

Elle se redressa, essoufflée. Son regard balaya la grotte dans laquelle le groupe s’était installé. Evan n’avait pas bougé. Allongé sur le dos, son visage hermétique contrastait avec l’expression féroce qu’il avait affichée dans la cage la veille. Le feu entouré de pierres répulsives à monstres projetait les ombres de Tila et Novaly sur le mur. Elles étaient enroulées l’une contre l’autre sous la couverture. Leur sommeil semblait paisible. Alizéha constata que l’une d’elles avait étendu sa courtepointe sur elle. Elle la repoussa et grimaça de dégoût en découvrant son état. Le sang sur sa peau avait séché, formant des croûtes craquelantes. Des couches d’habits lui avaient été retirées et avaient été pliées à côté d’elle. Novaly avait probablement tenu à vérifier l’absence de blessure, ne sachant pas pour ses pouvoirs. La déesse saisit une mèche de ses cheveux et les examina. Ils étaient aussi empourprés et verdis que ses vêtements ou le sol sur lequel elle s’était allongée. Refaire sa teinture n’était plus une option. Demain matin, ils se dépêcheraient de partir. Elle ne pouvait pas rester ainsi. Se laver maintenant lui permettait également de s’occuper discrètement de sa coloration.

Alizéha se leva, se rhabilla et dégaina Virko pour l’analyser. Lui aussi avait besoin d’une douche, comme sa dague. Elle prit sa sacoche et quitta la grotte. Le ciel étoilé était dégagé, et les rayons de la lune l’éclairaient. Elle sortit tout de même sa lampe stellaire par sécurité. Bien que les géants dormaient la nuit et que leur présence se remarquait facilement, elle préférait être prudente et éviter les combats dans le noir. Elle était assez désavantagée comme ça.

Dans le silence de la montagne assoupie, Alizéha slalomait entre les sapins à la recherche du lac qu’elle avait découvert en cheminant vers la grotte. La forêt semblait figée dans le temps comme si la vie ne reprendrait qu’au lever du soleil. La silhouette des arbres formait des ombres qui se ressemblaient toutes. S’y repérer était plus difficile qu’en plein jour, mais elle finit par trouver l’étang. La surface reflétait le ciel scintillant comme un miroir. On aurait dit qu’un morceau de la voûte céleste s’était détaché pour s’incruster dans la terre. Alizéha déposa ses affaires au bord de l’eau et se dévêtit. Des frissons coururent le long de son corps. Malheureusement, sa baignade n’allait pas la réchauffer. Elle trempa ses orteils. Une onde se répandit sur l’eau lisse et constellée. Le plus dur, c’était de s’immerger, pas d’y rester. Après une courte inspiration, Alizéha s’enfonça dans le lac. Elle serra des dents pour encaisser la morsure du froid, puis souffla quand elle s’habitua. Il était rare de trouver des sources chaudes en pleine nature. Lorsqu’on n’avait pas de quoi payer des chambres d’auberge, on faisait avec ce que Mère Nature laissait à disposition.

Le cadre était féérique. Alizéha avait l’impression de nager parmi les étoiles. Le calme de la nuit la berçait et l’enfermait dans une bulle hors du temps, là où rien ni personne ne pouvait l’atteindre. Une sérénité à laquelle elle ne pouvait pas pleinement goûter. Elle était en territoire ennemi. Flâner nue, au milieu de la forêt, était dangereux.

Elle frotta sa peau aussi bien pour retirer les croutes de sang que pour réveiller ses muscles engourdis par le froid. Elle avait rarement été sale à ce point. La seule fois où elle avait été jusqu’à récurer ses ongles comme en ce moment fut après le massacre de Feulhem. Déchue par la reine des divinités nouvelles et encore couverte des traces de son crime, Alizéha avait profité de l’intimité qu’offrait la nuit pour sortir de sa cachette et laver ce nouveau corps qui était désormais le sien. Alors que le lac dans lequel elle se baignait se colorait de rouge…

  —  Je savais que je te trouverais ici.

… Tila avait surgi des ténèbres comme une étoile dans le ciel noir.

Alizéha sursauta lorsqu’elle aperçut la silhouette de sa guide se détacher de l’obscurité. Sa stupeur se transforma en soulagement, puis en contrariété.

  —  Tu me fais une reconstitution du passé ?

Tila esquissa un sourire à l’évocation de ce souvenir pourtant affligeant, où seules elle et la lune avaient été témoin du désespoir de la déesse. Sous les rayons de l’astre, ses cheveux blonds resplendissaient. Ils se mouvèrent avec légèreté sous l’effet d’une brise.

L’eau arrivait aux clavicules d’Alizéha, mais il n’y avait aucune gêne entre elles. Elles se connaissaient depuis leurs dix ans et se considéraient comme des sœurs. Elles s’étaient baignées ensemble de nombreuses fois, voir le corps de l’autre ne leur faisait ni chaud ni froid.

Tila s’assit près des effets personnels de la déesse.

  —  Evan et Novaly… ? l’interrogea Alizéha.

  —  Ils dorment comme une masse. Pas étonnant après une journée aussi éprouvante. Il n’y a que toi pour choisir de te laver plutôt que de dormir.

  —  Ose me dire que je pouvais faire autrement ? s’offusqua-t-elle.

Tila fit la moue. D’habitude, elles se lavaient ensemble. Il était plus prudent de ne pas rester seules dans une telle vulnérabilité : les monstres n’avaient pas meilleures occasions pour attaquer. Depuis qu’elles étaient accompagnées, Alizéha prenait ses douches à part, comme Evan. Elle craignait de mouiller ses cheveux par mégarde et que les traces noires dans l’eau éveillent les soupçons de Novaly. Cette dernière n’avait fait aucune remarque sur sa pudeur et se lavait qu’avec Tila.

  —  Non, c’est vrai, soupira la guide. Je ne sais pas quand nous tomberons sur un lac après, et je pense que les géants trouveront les corps dans la matinée. Ils ratisseront leur territoire pour attraper les coupables. Plus on part tôt, mieux c’est. Tu n’auras pas le temps pour te nettoyer ni de meilleur moment. Et retirer le sang de tes cheveux implique de refaire ta teinture…

Alizéha lui répondit par le silence. Sa teinture n’était pas un sujet tabou, mais elle n’aimait pas en parler. L’évoquer, c’était lui rappeler ses erreurs. Ce qu’elle avait perdu. Ce qu’elle était aujourd’hui. Elle préféra détourner la conversation.

  —  Novaly m’a examinée ?

  —  Ne lui en veut pas, elle était vraiment inquiète et dubitative face à ton excuse. Des amphiptères, vraiment ?

La déesse se renfrogna. Elle reconnaissait que son excuse était douteuse. Tuer un animal sacré était délicat, raison pour laquelle Virko n’avait pas achevé le serpent ailé qui poursuivait Worlo. Enfin, la concernant, Ninielle ne lui en aurait pas tenu rigueur, mais les égorger ne donnait pas l’impression qu’on avait nagé dans une mare de sang.

  —  J’ai pas trouvé mieux. Ils sont vraiment arrivés à la fin du combat. J’ai vu celui qui vous avez poursuivi.

  —  Les deux amphiptères nous ont laissés tranquilles dès qu’Evan et toi aviez disparu. Et, avant que tu t’énerves, je ne regrette pas de vous avoir suivis. Tant que mon intuition ne m’alerte pas, je fais ce qui me plaît.

  —  Ça aurait pu très mal finir pour toi, gronda Alizéha.

  —  Pour Evan aussi, rétorqua-t-elle. Une chance que j’aie été là pour le soigner.

Malgré sa frustration, la déesse ne la contredit pas. C’était Tila qui portait l’essentiel des produits médicaux et qui, en tant que passionnée de botanique, avait le plus de connaissances en soin.

  —  Tout de même, bougonna-t-elle. N’oublie pas que tu peux mourir.

Les guides devenaient immortels après avoir bu quelques gouttes du sang de la divinité qu’ils servaient. C’était un pacte important qui les liait. Cette longévité héritée de la déité en était le symbole. En revanche, elle ne s’accompagnait pas d’un pouvoir de guérison. Si le guide était gravement blessé, il pouvait succomber à ses plaies, d’où leur surnom de « semi-mortel ».

Tila roula les yeux, puis pouffa devant l’air outré d’Alizéha. Quelle audace ! Sa guide avait oublié quelle était sa place. Pour la punir, la déesse l’éclaboussa. Un mélange entre le rire et le cri échappa à Tila au contact de cette giclure d’eau froide. Elle pesta, ce qui provoqua un sourire triomphant sur le visage d’Alizéha. Sa guide se déshabilla.

  —  Pour la peine, je vais venir me baigner avec toi.

  —  Oh non, quelle cruauté ! Te supporter au quotidien est déjà un supplice, et maintenant, tu me prives de mon seul moment de liberté ?

Tila saisit une pierre qui traînait et la jeta sur Alizéha, qui esquiva le projectile en riant. Vexer sa guide était un de ses passe-temps.

La semi-mortelle entra dans le lac. Son visage se contracta quand le froid l’enlaça, mais se détendit rapidement. Elle nagea vers la déesse.

  —  Ton visage est encore tout crasseux. Je vais t’aider à le nettoyer.

Les minutes suivantes, Alizéha les passa à fuir Tila qui tentait par tous les moyens de la noyer. Leurs gloussements résonnaient dans la forêt avec les clapotis de l’eau absorbés par les ténèbres du bois qui les conserveraient comme des trésors. Alizéha avait l’impression de danser au milieu des étoiles avec Tila, dans cet endroit où le passé et le futur n’existaient pas.

Épuisées par leurs chamailleries, elles se calmèrent et observèrent le ciel. Les constellations se reflétaient dans leurs prunelles tels des diamants. Alors qu’Alizéha savourait cet instant de paix comme si c’était le dernier, Tila se tourna vers elle.

  —  Lize, tu veux que je m’occupe de tes cheveux ?

La déesse se raidit. Elle n’aimait pas quand les yeux violets de Tila la scrutaient. Son regard surnaturel était si intense qu’il était difficile de le soutenir. Alizéha hésita. S’occuper de ses cheveux était un fardeau pour elle. En fait, qu’ils soient colorés ou naturels, elle les haïssait. Moins elle y touchait, moins elle les voyait, et mieux elle se portait.

Elle finit par acquiescer. Les deux jeunes femmes s’approchèrent du bord du lac pour avoir à porter de main les produits. En premier lieu, il fallait laver les cheveux pour retirer le sang et la teinture que l’eau n’avait pas emportés. Tila prit une pincée de poudre blanchâtre dans sa paume. Elle y ajouta quelques gouttes d’eau et frotta ses mains l’une contre l’autre. Une mousse duveteuse se forma, qu’elle appliqua sur la chevelure de la déesse. Cette dernière avait enlevé son cache-œil et tourné le dos à sa guide. Son cœur cavalait dans sa poitrine, et l’appréhension lui nouait l’estomac. Ce n’était pas la première fois que Tila la voyait sans artifice, elle était sans doute la seule qui en avait le droit, mais Alizéha détestait se montrer ainsi. Si faible, si impuissante, si vulnérable. Peut-être exécrait-elle davantage ses cheveux gris que noirs, finalement.

La mousse se teinta de rouge.

  —  T’en as bavé avec les géants, hein ? s’enquit Tila.

  —  À peine, ricana Alizéha.

Les gestes de sa guide ralentirent et s’alourdirent sur sa tête.

  —  Tila ?

  —  Hm ? Désolée, c’est juste… Quand Nova transportait Evan et que je la guidais vers un lieu sûr, je savais que te laisser gérer était la bonne solution mais… j’avais peur pour toi. C’est dur de faire confiance à son intuition dans ce genre de cas.

Alizéha ne pouvait qu’imaginer le doute qui l’avait assaillie, à devoir garder son sang-froid pour soigner Evan et calmer Novaly tourmentée par les mêmes craintes qu’elle.

  —  Et dans la cage, tu n’as pas eu peur ? la questionna la déesse.

  —  Non, je savais que tu viendrais. Je n’étais pas non plus rassurée, surtout quand le géant s’est approché… Ce malotru a osé dire que je cachais ma laideur ! Fais-moi un compliment pour me réconforter.

  —  Tu es trop susceptible.

Tila appuya sur la tête d’Alizéha pour la faire couler. Elle se laissa faire pour que la mousse écarlate se dissolve, ravalant tant bien que mal son rire pour ne pas boire la tasse. La pression sur son crâne s’allégea et elle remonta à la surface. Tila reprit un peu de poudre et recommença à masser sa chevelure. La mousse se teinta de noire.

  —  Tes cheveux sont rêches, les teintures les abîment. Tu devrais faire des soins.

  —  Pas besoin. Il suffit de me décapiter pour qu’ils repoussent en bonne santé.

  —  Lize. Tu attises en moi des pulsions meurtrières qui m’effraient.

Elle souffla du nez. Pousser les gens dans leurs retranchements était un don qu’elle avait. C’était plutôt amusant, sauf quand un de ses proches passait à l’acte, et qu’elle n’était pas la cible…

Son sourire s’effaça. Jamais elle ne l’avait souhaité, et jamais elle n’aurait cru ça de lui, et pourtant… Tila l’avait prévenue. Alizéha avait fait la sourde oreille, et maintenant, elle en payait le prix. Aujourd’hui, la culpabilité hantait son sommeil et le regret l’étouffait. Tila, qui était liée à elle, subissait les frais de ses erreurs.

Elle ouvrit la bouche pour parler, mais Tila lui pinça la joue pour l’en empêcher.

  —  Ne t’excuse pas, lui interdit-elle. Tu l’as assez fait ce soir-là.

Alizéha fit la moue en appuyant sur sa joue.

  —  Toi aussi, lui rappela-t-elle.

Alizéha savait que Tila s’en voulait encore de ne pas avoir été là au moment où la déité avait eu besoin d’elle, lorsqu’elle avait décimé Feulhem. Un étau comprima sa poitrine quand les souvenirs ressurgirent. Des pleurs désespérés, des giclures de sang et ses propres hurlements de rage assaillirent son esprit. Elle se concentra sur sa respiration pour garder son calme et apaiser ses nausées. Ce massacre hantait autant Tila qu’elle, car avec ses pouvoirs, elle aurait pu l’arrêter. La culpabilité était un poids avec lequel elles avaient appris à avancer. Tila se reprochait d’avoir failli à son rôle de guide, et Alizéha, d’avoir échoué dans sa mission de déesse.

Un silence lourd les enveloppa. Alizéha avait la sensation qu’un poids lui comprimait la poitrine. Elle fixa l’eau assombrie par la nuit qui devait aussi l’être par les résidus de sa teinture. Il devenait plus difficile de distinguer quoi que ce soit dans cette obscurité. Un nuage camoufla la lune. Tila dissolut la mousse en faisant couler de l’eau sur les cheveux de la déesse.

  —  Tu sais, je suis contente de voyager avec Evan et Nova, confia-t-elle. Je suis consciente que ça te rajoute du stress, mais il faut que tu renoues avec les humains. En plus, tu t’entends bien avec eux.

Un rire sarcastique s’échappa de la bouche d’Alizéha. Elle ne se moquait pas des propos de Tila, mais d’elle-même. Cette bonne entente était éphémère, un rêve voué à disparaître. Ce qu’elle avait aujourd’hui, elle ne le méritait pas, ni ne lui était destiné. Ce n’était pas Alizéha, la déesse de la colère, qu’ils côtoyaient, mais Lize, la voyageuse. Leur périple n’était qu’une mascarade. Un spectacle dans lequel elle avait l’audace de jouer un personnage qui s’attirait leur sympathie et de s’y complaire en sachant que les rideaux finiraient par se baisser, et son masque par tomber. Ils constateraient alors qu’en plus d’être celle qui avait piétiné des vies innocentes cette nuit-là, elle était une menteuse qui les avait bernés au détriment de leur sincérité.

Alizéha sortit sa main rougie par le froid de l’eau et observa le liquide s’échapper entre ses doigts, impossible à retenir.

  —  Nos relations se basent sur des mensonges. Leur affection n’est qu’une illusion. Elle s’évanouira à l’instant où ils connaîtront mon identité.

Et c’était peut-être mieux ainsi. Ni elle ni les humains n’avaient envie d’arranger les choses entre eux. Renouer était impossible. Pas quand la colère bouillonnait encore en elle cinq ans après. Pas quand les Hommes chantaient sa déchéance comme une victoire. D’un geste rageur, elle frappa l’eau. Elle savait pertinemment que toute relation était vouée à l’échec, que fréquenter cette espèce vicieuse et ingrate n’apporterait rien de bon, alors pourquoi se fatiguait-elle à supporter leur compagnie ?

  —  Tu n’en sais rien, rétorqua Tila. Ce qui est sûr, c’est que tu les apprécies, et eux se sont attachés à toi.

Alizéha grimaça. Ivys tenait son cœur entre ses mains et s’amusait l’écraser dès qu’il voulait la ramener à sa place, une douleur qu’elle encaissait comme un juste châtiment. Son égoïsme allait de nouveau blesser tout le monde, y compris elle-même.

  —  Ce que je ressens n’a aucune importance. Je ne peux pas leur faire confiance. Ils ne m’aiment pas pour ce que je suis vraiment.

Alizéha sentait le regard pénétrant de Tila peser sur elle. Les gestes doux de sa guide qui rinçait ses cheveux lui donnaient envie de pleurer. Quand l’écoulement de l’eau cessa, Tila souffla :

  —  Et qui es-tu, Lize ?

Cette question eut l’effet d’un coup de poing dans l’estomac parce que celle qu’elle était, qu’elle voyait dans le miroir, lui faisait honte. Les paroles de Brudvir retentirent dans son esprit comme une réponse.

« Tu n’es ni humaine ni déesse. Juste un monstre immortel. »

Un monstre, c’était précisément ce qu’elle était. Un monstre à l’apparence déformée par ses erreurs. Celle d’avoir fait confiance. Celle d’avoir aimé.

  —  Lize ?

  —  Va te coucher, Tila. Je vais m’occuper de ma teinture.

Elle s’éloigna, pressée de dissimuler à ces yeux violets ses émotions qui l’étranglaient. Sa guide la retint par le poignet.

  —  Alizéha !

La déesse se figea au son de cette interpellation aux sonorités de supplication. Il était rare que Tila l’appelle par son prénom complet. Elle lui tournait toujours le dos, de peur de craquer en croisant son regard.

  —  Depuis le massacre de Feulhem, tu rejettes tout le monde. Même moi, tu me tiens à distance. Tu me fais peur, Lize. Que comptes-tu faire ? Ce n’est pas ta guide qui te le demande, mais ta sœur !

Le silence qui suivit fut plus assourdissant que n’importe quel cri. Les épaules d’Alizéha s’affaissèrent, comme si elle abandonnait toute résistance.

  —  J’en ai marre de vivre dans la peur et de sans cesse fuir. J’en ai marre de me tasser devant les humains, de les craindre alors que ça devrait être l’inverse. Et surtout, je refuse que ma situation continue de te mettre en danger. Il faut que ça change.

C’était la vérité. Outre ses pouvoirs, Tila la connaissait par cœur. Alizéha était incapable de lui mentir, elle le devinerait tout de suite. Sauf que la guide cesserait de l’aider à chercher la flûte si elle savait ce que la déesse comptait faire avec.

La pression autour de son poignet s’allégea.

  — Lize, regarde-moi.

Alizéha ne put se dérober à cette demande tremblante. Elle pivota pour se confronter à elle. Le nuage libéra la lune de sa prise d’otage, et les rayons argentés éclairèrent le lac. Tila contempla avec tristesse la déesse. De son unique œil gris, une larme dévala sa joue droite. Le vent se leva, faisant onduler ses cheveux plats et ternes. Leur couleur était celle de la cendre d’un feu ayant fini de flamber. Ils retombèrent lourdement autour de son visage. La dureté de ses traits était renforcée par la cicatrice qui griffait sa peau en passant par l’amas de chair qui bouchait son orbite gauche. Son regard furieux était froid comme du métal.

  —  Tu es cruelle. Je déteste me montrer ainsi.

  —  Je sais.

Un sourire désolé mêlé de compassion étira les lèvres de Tila. Alizéha essuya sa joue en reniflant. Sa vie était un désastre, mais elle s’était assez plainte durant ces cinq dernières années. Elle n’avait plus d’autre choix que d’agir, et elle était déterminée à protéger ce qui lui était cher. Trouver la flûte était le seul moyen d’échapper à ce destin misérable et de sauver Tila.

L’échec n’était pas une option.

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