Chapitre 10 : La tempête de sable

Notes de l’auteur : Si j'étais vous, je trouverai un abri... ^^

Le début de cette nuit se déroula comme les précédentes, par une marche paisible dans le désert, sur le dos de Saade et sous le regard bienveillant des étoiles, à échanger des histoires, traditionnelles ou inventées au fil de l’imaginaire, des comptines, des souvenirs. La peur reculait : après plusieurs jours d’aventure, les enfants n’avaient fait aucune mauvaise rencontre ou affronté de dangers auxquels ils ne s’étaient pas préparés. Azianne en venait même à se demander si le Karamora était aussi redoutable qu’on le lui avait appris, ou si tout avait été exagéré afin de garder les Voogs en sécurité derrière leur mur. Les monstres défiaient bien les guerrières avec insistance devant cette immense protection, mais ils ne semblaient pour l’instant pas très intéressés par leur piste. Tant mieux.

— Si j’ai bien écouté tannie Yeleen et la maîtresse, si nous avons bien avancé, alors, nous ne devons plus être très loin de la première oasis. Nous allons rencontrer les Oasestams, Liory !

Le petit garçon se retourna et lui décocha un sourire radieux. Tout se passait très bien : ils allaient pouvoir remplir leurs outres d’eau, laisser boire la chamelle à loisir, peut-être même se procurer un peu de nourriture pour remplacer celle déjà consommée. Ils avaient encore de quoi tenir, mais autant en profiter.

Azianne se demandait à quoi ressemblaient les nomades, elle n’en avait jamais rencontré ! C’était toujours les Voogs qui venaient à eux pour le commerce, et seules les guerrières escortaient les marchands. Elle savait qu’hommes et femmes vivaient ensemble chez eux, parce qu’il n’était pas possible de les séparer en bougeant régulièrement d’une oasis à une autre, et qu’on avait sûrement trop besoin de bras lors des déplacements. Mais ils n’avaient un statut inférieur, et tant qu’à risquer leur vie, elle espérait mieux pour Liory. En revanche, s’ils allaient dans la même direction, elle n’avait pas exclu de voyager à leur côté un moment. Elle se demandait quel accueil leur serait réservé… Ils n’avaient pas grand-chose a troqué, mais elle avait emporté une couverture supplémentaire et quelques petites poteries, au cas où.

— Il faudra cacher Takkie, comme à Atahari, les Oasestams détestent autant les towennaars met goue oé que les Voogs. S’ils la voient, nous risquons de gros ennuis.

Liory hocha la tête, Azianne, elle, espérait que la gerbille ne couinerait pas en passant l’immense cercle de sel qui protégeait les oasis. Elle le faisait systématiquement pour le leur ! La seule amélioration constatée depuis le départ, c’est qu’elle acceptait davantage la proximité de la petite fille. Elle ne pouvait toujours pas la toucher, mais Takkie restait désormais à quelques centimètres d’elle.

Les enfants en étaient à imaginer à voix haute ce à quoi pouvait ressembler une oasis avec son point d’eau clair, sa végétation luxuriante et les tentes établies autour quand Azianne plissa les yeux. Il y avait quelque chose au loin, mais c’était difficile à voir entre les dunes et dans la pénombre nocturne.

— On ne peut pas déjà arriver, c’est très tôt, quand même.

Son cœur accéléra néanmoins d’impatience, d’un peu d’appréhension. Non, ce n’était pas ça, c’était dans le ciel, comme une sorte de brume. Le vent se leva, le sable autour d’eux voleta, et un sombre pressentiment la gagna. Il lui fallut encore quelques instants pour comprendre et pour réagir :

— Une tempête de sable !

La petite fille stoppa aussitôt la chamelle et lui demanda de s’allonger pour leur permettre de descendre. Liory avait peur, elle le voyait dans ses yeux. Des tempêtes, ils en avaient connu, bien sûr, mais à la maison, protégé par les murs, avec au moins ouma Bahiya pour les rassurer, ou quelquefois, pour Azianne, sa maîtresse et les copines. Ici, c’était une autre histoire.

— N’ait pas peur, ça arrive de nuit, ce pourrait être pire : nous n’aurons qu’un danger à affronter. Je sais quoi faire, Liory, on m’a appris et je nous aie préparé.

Il acquiesça, mais il était toujours très inquiet.

Azianne ne sortit pas le cercle de sel, inutile de risquer de le perdre alors qu’il faisait encore nuit, que la tempête serait sûrement passée au réveil des moordenaars. Elle laissa la chamelle au sol et fouilla dans ses affaires à la recherche de la bâche. Elle en coinça les bords aussi loin que possible sous le lourd animal qui la maintiendrait par son seul poids, puis elle la drapa avec eux. Il était temps : les grains les fouettaient déjà.

Elle lesta les autres coins avec tout ce qu’elle trouva, les sacs de nourriture de Saade et Takkie, une partie de leurs fruits secs ; elle enterra les pans restants dans le sable. L’abri était petit, mais ça irait.

— Et Takkie ?

— Elle est bien plus à l’abri dans son nid : ce sera elle la plus en sécurité.

Il hocha la tête et à la place, elle récupéra des foulards qu’elle passa autour de leur bouche et de leur nez, elle protégea même la chamelle.

— Il va y avoir beaucoup de bruit, dit-elle en haussant déjà le ton et en leur mettant du coton dans les oreilles. Avec ça ce sera moins effrayant et le sable ne rentrera pas.

Le vent commençait à faire ondoyer la bâche. Tout allait très vite. Azianne aussi tremblait de peur.

— Viens !

Elle plaça son petit frère sous son ventre, le serra très fort, les recouvrit enfin avec sa couverture.

— Tout va bien se passer ! Ne bouge pas Saade !

Sa dernière remarque était inutile : la chamelle, elle, avait déjà affronté ce genre de conditions. Elle avait été éduquée pour, et sans sa placidité, jamais elle n’aurait été choisie pour effectuer des treks avec une guerrière.

— Tout va bien !

Liory tremblait. Malgré le coton, les rafales sifflaient à leurs oreilles, malmenaient leur abri de fortune.

— Ça va tenir, ça va tenir, pria Azianne.

Ils ne devaient surtout pas perdre la bâche. La petite fille pressa ses pieds sur l’emplacement de l’un de ses bords.

Liory pleurait. Des trombes de sables s’abattaient sur eux. Azianne sentait son poids, leur morsure à travers le tissu, plusieurs fois elle faillit tomber sur le côté.

Le bruit était assourdissant, monstrueux. Le petit garçon plaqua ses mains sur ses oreilles, se recroquevilla sous sa sœur.

— Ça va aller, Liory ! Tout va bien se passer ! L’entendait-il ?

Azianne pensait à la maison, aux murs de terre, aux solides volets et à la porte barrée. À la chandelle qu’ouma laissait toujours allumée près d’eux lors des tempêtes.

Elle ne voyait plus rien, surtout à cause de ses paupières qu’elle serait très fort. Elle aurait voulu ne plus entendre non plus.

De la poussière entrait quand même dans l’abri, elle pénétrait partout. Malgré sa protection et les foulards, respirer était plus dure.

— ZIA ! appela le petit garçon entre ses pleurs. MAMA !

— S’il te plaît, Onkuld, protège-nous. Nous sommes des enfants, Liory est tout jeune ! Vuurvo, je t’en conjure, calme vite le sable de ton désert !

— WINORN ! Cria Liory.

— APAISE LE VENT DE TA TEMPÊTE ! REISNY ! LAISSE-NOUS POURSUIVRE NOTRE VOYAGE !

Ils se cramponnaient l’un contre l’autre, la bâche claquait, tapait contre le dos d’Azianne, se tendait à nouveau.

— Ne nous laissez pas mourir ! Surtout pas la veille de ses sept ans, supplia la petite fille.

Ils pleuraient tous les deux, lui blotti sous sa sœur, elle, le serrant à l’en étouffer.

— Protégez-nous…

 

*

 

Ce qui parut aux enfants des heures plus tard, les esprits finirent par les écouter.

D’abord, le sable accumulé autour de leur abri de fortune les isola de la tourmente, puis le vent faiblit, le bruit diminua.

Ils restèrent pourtant encore longtemps blottis ensemble, le souffle court, mais la bâche ne bougeait plus, la poussière ne pénétrait plus du tout à l'intérieur et celle entrée malgré leurs précautions demeura sagement au sol.

Le silence régnait de nouveau. C’était passé, et ils étaient toujours en vie.

— Zia…

Elle retira le coton de ses oreilles, se redressa lentement toute courbaturée, et s’assit.

— C’est fini, Liory.

À son tour, il se releva, puis la dévisagea, et fondit en larmes. Azianne le serra de nouveau dans ses bras : il avait eu peur.

— Tout va bien. On s’en est sortis, comme je t’avais dit.

Elle le consola jusqu’à ce qu’il se calme tout à fait, puis retira le sable de ses cheveux raz.

— Partout, dit-il en secouant ses vêtements et en laissant échapper un rire nerveux. Partout, partout.

Ils se débarrassèrent des grains, puis osèrent enfin soulever la bâche, ce qui les obligea à de nous époussetages. Azianne du tirer pour la dégager tout à fait, récupérer leurs affaires. Ils mangeraient probablement un peu de sable le restant du voyage, tout comme les animaux, mais la petite fille haussa les épaules : c’était déjà le cas.

Elle regarda autour d’elle, tout avait changé. Les dunes n’étaient plus du tout les mêmes : certaines avaient bougé, grandis. D’autre avaient grossi ou complètement disparus, de nouvelles étaient nés.

— Tu vois, Liory, sans les étoiles, nous serions perdus. On ne peut jamais se fier au désert pour retrouver son chemin : Karamora est vivant, lui aussi.

Il faisait toujours nuit, mais plus pour très longtemps et avec la peur qu’ils avaient eue, Azianne n’avait plus envie de reprendre la route ce soir. Elle tremblait encore, dans chacun de ses gestes.

— On va monter l’abri un peu plus loin.

Liory hocha la tête. Saade s’était redressait et Azianne lui retira son foulard, la félicita pour son courage, et lui donna du grain. Le petit garçon retrouva son amie de fourrure et les caressa toutes les deux.

Takkie n’avait rien dit, à moins qu’ils ne l’aient pas entendu, mais la chamelle, elle, hormis quelques légèrement plaintes, avait été d’une sagesse exemplaire. Elle les avait protégés aussi, grâce à sa masse. Contre son ventre, les enfants avaient été mieux isolés que s’ils avaient été seulement abrités de la bâche.

Azianne déchargea complètement les affaires, installa le cercle de sel et commençait à planter les piquets quand elle l’entendit crier.

Liory !

Un cri long ! Terrible !

Il était encore tôt et le petit garçon furetait autour d’elle avec la gerbille dans les mains.

Azianne se redressa aussitôt, le chercha des yeux, s’empara des armes d’ouma et courues dans sa direction.

Elle le plaça derrière elle.

— Zia ! Le monstre !

Elle suivit son doigt. Tout son corps se figea.

Il était là, roulé en boulle dans le sable, à demi enseveli.

Les yeux clos, totalement immobile, il semblait fait de pierre.

La petite fille se campa sur ses appuis, retint son souffle.

Mais il ne bougeait pas. Était-il mort ? Tué par la tempête ? Elle avança prudemment de quelques pas, Liory derrière elle.

Elle espéra, mais le ventre se souleva, retombé.

Endormi. Il faisait encore nuit, la chaleur du soleil ne l’avait pas tiré de son hibernation.

Azianne savait qu’ils devaient retourner s’abriter du cercle de sel, mais malgré elle s’attarda un peu sur cette vision d’horreur. Elle n’avait jamais vu de moordenaar, seulement en dessin.

La bête était monstrueusement moche, elle n’avait aucune couleur. Pas de poil ou de duvet, mais des écailles, si translucides qu’on pouvait apercevoir ses veines au travers pourtant, elle les savait résistantes, et dessous, une couche de graisse la protégeait encore. Sa tête était rabougrie, ses yeux, si elle les avaient ouverts, auraient été rouges, mais par chance, ils ne virent d’eux que deux minces fentes. De longues dents jaunâtres sortaient de sa mâchoire, aiguisées comme des lames. Elles ressemblaient aux défenses des éléphants, mais en bien plus terribles, et elles poussaient dans l’autre sens. Sur les pattes de devant, la petite fille frissonna à la vue des grandes griffes à demi transparentes, mais encrassées de sable, peut-être de reste de sang.

Une bourrasque charia sa putride odeur. Un fumet de reptile a donné la nausée aux enfants.

— Dans le cercle.

Ils reculèrent pas à pas, retenant leur souffle, sursautèrent quand ils franchirent la protection et que Takkie cria.

Mais le monstre ne bougea pas d’un pouce, semblable à du marbre.

— Là… Nous ne risquons plus rien, rassura Azianne à son petit frère tremblant. Il ne peut pas passer le cercle, nous serons sous l’abri avant qu’il ne se réveille. Il ne nous verra même pas.

Saade était inquiète, elle regardait en direction du moordenaars, gesticulait sur place.

Azianne la caressa un peu, puis délaissa la chamelle avec un frisson de crainte, monta la tente autour de son petit frère, de Takkie et d’elle-même.

Elle fit de son mieux pour ne pas montrer sa peur, mais elle gardait ses armes à portée de mains. Et surtout, elle se demandait si elle n’aurait pas dû profiter de l’occasion, laisser Liory et Takkie, s’avancer avec sa lance vers le monstre. Se réveillerait-il à l’approche de la menace, ou, sans soleil, en était-il tout simplement incapable ? C’était la tempête qui l’avait révélé, elle en était sûre. La nuit, les moordenaars s’enterraient dans le sable pour se protéger du froid.

La petite fille, qui hésita longtemps, se rongea les ongles. Elle risquait de se faire tuer, mais pouvoir se débarrasser de lui avant que la chaleur ne l’éveille… Elle pourrait très vite regretter de rester à l’abri, d’en sortir aussi. Si elle périssait, seul, Liory n’aurait pas la moindre chance.

Finalement, même si c’était lâche, elle s’en remit à lui :

— Si je le tue maintenant, pendant qu’il dort, nous en serons débarrassés.

— Non. Me laisse pas. Supplia-t-il.

— Il se réveillera avec le soleil… Nous n’aurons sans doute plus une telle chance. C’est la tempête qui l’a révélé…

— Non ! Le monstre peut pas entrer !

— Dans le cercle, non il ne peut pas. Mais il pourrait nous suivre… Si je le tue maintenant…

— Non, Zia ! Le monstre va te manger !

— J’ai les armes d’ouma…

— Non ! Non !

Liory s’accrocha à sa taille en pleurant et elle l’entoura alors de ses bras.

Azianne resta dans le cercle de sel avec son petit frère. Ensemble, ils attendirent le lever du soleil, le cœur battant la chamade.

Le regretteraient-ils ?

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