Chapitre 9 : Premier pas dans le sable

Notes de l’auteur : J'ai repris l'écriture de cette histoire après plusieurs mois au repos, ma narration a peut-être déjà commencé à évoluer ;)

Quelques jours plus tôt, justes après la fuite des enfants.

 

Azianne maintient longtemps Saade au galop, même après que les dunes et la distance eurent avalé les reliefs et jusqu’à la dernière ombre d’Atahari. Son cœur battait au rythme de leur course, elle avait l’impression de devoir fuir très loin, d’entendre des voix dans leur dos. Mais il n’y avait rien. Lorsqu’elle se retourna à nouveau, le seul spectacle s’offrant à ses yeux était une mer de sable, à perte de vu, comme s’il n’y avait jamais rien eu d’autre. Alors, sa poitrine s’emballa tant qu’elle lui fit mal et elle tourna la tête de tous les côtés. Rien.

Mais quelle folie avait-elle commise ?

Si Liory n’avait pas été là, elle se serait mise à pleurer de peur, mais son petit corps trembla en la sentant faillir et elle le serra dans ses bras malgré la protestation de Takkie. Elle lui dit que tout allait bien, qu’ils étaient ensemble, pour toujours. Elle n’ajouta pas : « pour le meilleur ou pour le pire », mais elle entendit presque ouma Bahiya lui souffler ces sinistres mots.

Ouma, mama… Non, elle ne devait surtout pas y penser, réfléchir. C’était trop tard de toute façon, ils avaient déjà fait leur choix. Alors, la petite fille remit la chamelle en route, plus lentement pour ne pas l’épuiser, et elle raconta à son frère l’histoire du fennec rouge qui offrait sept vœux à quiconque capables de le dénicher, puis de l’attraper, afin d’acheter à nouveau sa liberté. Liory chercha longtemps, tout comme elle, même si elle savait qu’il ne s’agissait que d’un conte pour enfants, juste au cas où. Mais naturellement, ils ne virent pas l’ombre d’un pelage incendiaire.

Le froid les rattrapa vite, quand Liory se mis à frissonner, malgré son appréhension, Azianne consentit à faire une pause et sortis leurs vêtements.

— Tu as de la chance que je n’aime pas les couleurs vives, sans quoi, tu aurais ressemblé à une fille.

Il sourit ; ce n’était pas si grave. Le genre n’aurait pas d’importance là où ils allaient, et c’était tant mieux.

— Tiens, mange un peu : ça t’aidera à ne pas t’endormir. Il va falloir être courageux, cette nuit, ensuite, ce sera plus facile, car on se reposera la journée.

Liory hocha la tête, elle se demanda s’il songeait déjà aux moordenaars. Elle, oui.

— On va faire un petit nid pour Takkie dans les affaires. Je vais avoir besoin de te tenir et elle sera plus à son aise.

Il s’en chargea en grande partie et l’y déposa délicatement après une dernière caresse sur le bout du museau et entre les oreilles.

— Moi, je vais m’occuper de toi, mais puisque je ne peux pas la toucher, c’est toi qui prendras soin d’elle, maintenant. C’est ta mission. Tu vas devoir t’assurer qu’elle n’ait pas peur qu’elle mange et boive comme il faut, ne tombes pas malade. Tu pourras la garder contre toi pour dormir.

Liory hocha fièrement la tête puis Azianne l’aide à monter sur la chamelle. Elle espérait qu’en se concentrant sur la gerbille, non seulement ils augmenteraient leurs chances qu’elle lui prête de la magie en cas de besoin, qu’elle les protège, mais qu’en plus, son petit frère songerait moins aux monstres et à tout ce qu’il allait leur falloir traverser.

— Aller, en route !

Ils remirent Saade debout puis au pas.

Il n’y avait pas grand-chose pour s’occuper, alors, entre les histoires et les comptines, la petite fille levait les doigts au ciel et récitait les noms des étoiles et des constellations. Elle expliquait à son cadet lesquels suivre pour rejoindre la première oasis, puis la suivante, jusqu’à leur destination. Comme elle l’avait elle-même appris à l’école, elle lui confia qu’en plus de leur beauté et de leur lumière rassurante, les astres leur offraient la meilleure des cartes. Eerste, la déesse créatrice, les avait inventés pour eux, afin qu’ils puissent toujours trouver leur chemin, sur terre et vers le monde des esprits.

Lorsque l’on dort, bien en sécurité auprès de sa famille, bercées par les ronflements et mouvements de chacun, les nuits, peuplées de rêves, défilent à toute vitesse. Sur une chamelle, en revanche, tous seul au milieu du désert, elle s’étire, même quand craint qu’elle prenne fin. Se battre contre le sommeil fut d’abord difficile pour Liory, parce qu’il était encore très jeune, mais jamais Azianne n’aurait cru que ce serait si compliqué pour elle. Malgré le danger, la tristesse et la peur qui guettait, ses paupières se fermaient, sa tête devenait lourde et elle lutta, non seulement pour rester en selle, mais aussi pour y maintenir son petit frère.

Ce fut interminable, elle retira même la couverture de ses épaules dans l’espoir que le froid l’aiderait un peu, mais ne tarda pas à la remettre. Dès qu’elle flanchait, de terribles images s’imposaient à elle et elle se redressait en sursaut. Un coup, un moordenaar sortait du sable, un autre, c’était toute une bande qui les encerclaient ! Elle vit des griffes, des crocs, beaucoup de feu. Elle crut même, une fois, avoir raté l’aube.

Heureusement, il n’en fut rien, et au premier signe d’éclaircit du ciel, la petite fille stoppa la chamelle. Il n’était pas question de se trouver sans protection lorsque le soleil pointera à l’horizon et tirerait les montres de leur sommeil. En premier, elle récupéra le cercle de sel et installa Liory et sa copine à l’intérieur. La gerbille hurla, trembla, mais fini enfin par se calmer. Azianne soupçonna quelque chose : Takkie avait crié de la même manière quand elle avait passé la porte. Mais l’animal leur avait déjà fait assez perdre de temps pour l’instant.

Azianne déchargea Saade, s’occupa de leur abri. La première fois, elle n’enfonça pas suffisamment les morceaux de bois qui en constituait la structure, et il s’écroula sous le poids des couvertures ; il fallut recommencer. Le sable du désert était plus meuble que celui d’Atahari, foulé tous les jours pas les pieds de ses habitants. La petite fille avait dû creuser et enterrer les piquets profondément puis les recouvrir. Mais c’était trop étroit, et elle se félicita pour leur arrêt prématuré. Au final, même en utilisant toute la surface du cercle de sel, leur repère n’était pas bien vaste, juste de quoi abriter leurs affaires puis s’allonger ensemble, Liory de tout son long, et elle en chien de fusil. Les enfants se réfugièrent aussitôt à l’intérieur et Azianne ajusta encore les couvertures pour les isoler de la chaleur diurne.

Takkie criait, dès qu’Azianne passait à côté d’elle, qu’elle se trouvait trop proche des parois. Liory essayait de la calmer de son mieux, peut-être n’en venait-il pas à la même déduction que sa sœur : le sel. Il composait le cercle protecteur comme le mur et les portes d’Atahari. Il repoussait les moordenaars, mais aussi, visiblement, celle qui devait les protéger d’eux en cas de confrontation. La petite fille espérait qu’il s’agissait de leur unique point commun.

Elle ne dit rien, et s’en est voulu. Elle se répéta qu’il ne servait pas à grand-chose d’effrayer son frère, qu’ils ne pouvaient plus abandonner l’animal, à moins de faire demi-tour, et ce n’était pas sûr qu’ils puissent encore : ils pourraient être bannis d’Atahari, être rejetés dans le désert, et sans le nécessaire, cette fois. La petite fille savait que, désormais, ils n’avaient plus le choix qu’espérer l’assistance de Takkie, et en parlant, elle risquait de créer la peur entre Liory et elle, de les condamner. Mais en gardant le silence, permettait-elle à la gerbille de le pervertir ?

Cette terrible question la hanta longtemps alors qu’à l’extérieur, le jour se levait.

— Zia ? Les monstres peuvent pas venir ?

— Non, ils ne peuvent pas. C’est impossible. Le cercle de sel est comme le mur d’Atahari. Nous sommes aussi en sécurité ici que là-bas. Il faut se reposer.

Elle aurait aimé s’en convaincre… Malgré la protestation de Takkie et même si elle alla se rouler en boule un petit peu plus loin, elle s’allongea contre son frère.

— Tu n’as rien à craindre. Si ça se trouve, nous franchirons le désert sans même en apercevoir un seul.

— Mais, ils sont dehors ?

— N’y pense pas.

Elle n’en savait rien. Peut-être ce que, plus tôt, elle avait pris pour des monticules de sable était déjà en train de bouger, et que dessous, les terribles créatures s’étiraient sous les premières lueurs du jour.

— Et Saade ?

Oui, Saade… Elle était bien trop grande pour loger dans le cercle de sel, Azianne avait dû l’attacher devant. Mais les guerrières faisaient sûrement ainsi, les chameaux n’intéressaient pas beaucoup les moordenaars. C’étaient les humains qu’ils voulaient.

— Ils ne lui feront pas de mal. Je n’ai jamais entendu que des guerrières en avaient perdu dans le désert. Tannie Yeleen dit que les moordenaars préfèrent les humains aux animaux.

— Ah.

Et il s’endormit peu après, parce qu’il avait six ans, presque sept, et qu’il doutait moins des paroles de sa grande sœur que du cycle éternel du jour et de la nuit.

Pour Azianne qui avait déjà douze ans, ce fut beaucoup plus compliqué. D’abord de fermer les yeux, puis de ne pas s’éveiller en sursaut toutes les cinq minutes. Finalement, elle rêvait du moment où ils reprendraient leur route. Elle ne se reposa pas beaucoup, et bientôt il fut chaud, bien moins que dehors, s’aperçut-elle en glissant un coup d’œil pour s’assurer de l’absence de monstre et de la santé de Saade ; mais chaud quand même, bien que ce soit supportable. Elle se tourna, se retourna, dormit, se réveilla, essaya de ne plus fermer les yeux, fut l’objet malgré tout de terribles cauchemars.

Ensuite, elle songea à sa mama qui découvrait son message d’adieu, à la façon dont elle réagissait, la colère ? La peine ? La déception ? Et ouma ? Tannie Yeleen qui avait déjà eu tant de mal à laisser partir vivre son fils dans le quartier des hommes ? Tannie Jahia triomphait sûrement, elle : elle avait toujours détesté Azianne. Elle avait gagné, sa nièce s’était envolée avec son frère, enfui, qu’elle ne reverrait plus. Ses jumelles seraient désormais les seules héritières de la famille, comme elle devait être fière ! Les larmes vinrent, et puisque Liory dormait, Azianne les laissa couler. Elle aurait bien aimé y participer, à la course de chameau, battre Evi, puis les guerrières, devenir l’héroïne de ses copines et de toute la ville.

Les visages se succédèrent sur les paupières d'Azianne, sa maison, son école, les moindres recoins d’Atahari. C’était tellement injuste ! Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-elle pas rester chez elle, garder à la fois sa vie et son frère ? Pourquoi accusait-on les garçons pour les crimes passés de leurs aînés ? Pourquoi les punir tous ? Quand le soleil déclina, la petite fille était presque aussi fatiguée que la… veille ? Oui, désormais, leurs jours étaient des nuits.

— C’est le matin ?

— C’est le soir.

— Ah ! Oui.

Azianne avait entrouvert leur abri et scrutait la pénombre naissante.

— Il y a des monstres ?

— Je ne crois pas. Je n’en vois pas. Mais on va attendre encore un peu. Tu veux manger et boire ?

Ils grignotèrent, lui plus qu’elle ; il fallait économiser, mais garder des forces. Ils retardèrent le moment du départ, par peur, puis Azianne souleva enfin les couvertures, ils constatèrent l’absence de danger et commencèrent à démonter et ranger leur abri.

— Reste encore dans le cercle, Liory. On ne sait jamais. Moi, je cours vite.

Mais il ne vint aucun monstre, et ils reprirent leur route.

— Liory, on a voyagé toute une nuit rien que tous les deux dans le désert, dormi tout le jour dans notre abri, et nous allons bien. Nous sommes des survivants ! prôna-t-elle pour encourager son frère.

— On est des guerrières !

— Mais non, pas toi, toi tu es un… Un petit frère très courageux.

Des guerriers, ça n’existait pas. Pas chez les Voogs ni chez les Oasestams. Mais, là où ils allaient… dans la tribu… Peut-être, qui sait ?

— Tu aimerais apprendre la lance et le bouclier, un jour ?

— Non.

— Tu voudrais devenir quoi ?

— Gardien de Takkie !

Elle sourit, puis ils cherchèrent des formes d’animaux dans les dunes baignées de pénombre.

Les premiers jours passèrent ainsi, entre jeux de la nuit et frayeurs de l’aube, mais sans incident notables. Les enfants, plus particulièrement Azianne, étaient fatigués mas commençaient à s’habituer à leur nouveau rythme de vie. Bien sûr, ils songeaient aux monstres qui rôdaient atour d’eux, à leur famille et leurs amis demeurés en ville, perdue à jamais et qui leur manquait. Mais il n’y eut pas d’attaque, pas de flammes, de griffes ou de crocs ; les armes d’ouma Bahiya restèrent sagement dans le cercle de sel le jour, sur le côté de la chamelle la nuit.

Il y avait les vivres, l’eau, Saade pour les porter, une petite compagne chouineuse qu’un seul d’entre eux pouvait tenir, mais qui égayait leurs matins par des cabrioles et autres bonds ou frottements de moustaches. C’était presque trop facile, et sans le dire à voix haute, Azianne se demandait s’il en serait ainsi jusqu’à leur destination, ou s’il ne s’agissait que d’une simple parenthèse. Parfois, son humeur s’assombrissait, des vagues de peur et d’appréhension lui broyaient la poitrine, mais Liory avait une parole, un sourire, un doigt tendu vers un monticule de sable, et ça passait.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez