« ...a atteint un stade d'infection trop avancé, mais on peut le garder pour lui assurer un confort maximal jusqu'à la fin. »
Non. Juste non. Il avait peut-être les poumons noyés dans le pus, mais dans ce cas tu lui fais des massages et des tapes dans le dos jusqu'à ce qu'il puisse respirer.
Ça allait durer des heures ? Eh bien qu'à cela ne tienne : j'ai massé pendant des heures. En comparaison de toute une vie, c'était très rentable.
Et puis je m'étais toujours demandé si je pouvais jouer de la batterie.
J’espérais juste ne pas lui avoir déplacer une côte au gosse, à force de lui taper dans le dos. Il était déjà bien assez amoché comme ça.
Et qu'est-ce qu'il était maigre ! Combien de temps avaient-ils traîné dans cette forêt ? Des semaines ? Des mois ?
Des mois d'après leur odeur, surtout celle de la fille. Elle sentait le fauve, littéralement : elle avait des cheveux marrons emmêlés à des branches et à des morceaux d'os, le tout lui arrivant à la moitié de ses cuisses. Elle portait des loques beaucoup trop grandes pour elle, alors je lui ai trouvé des vêtements à sa taille au village. Ainsi que de sangles pour l'accrocher au lit.
Comme quoi on trouve de tout dans un hôpital.
Quand je leur avais dit que les sangles étaient pour la fille, les villageois n'ont même pas voulu s'en approcher. Ils avaient vu mon bras, ils savaient que ce qui pouvait me blesser était forcément dangereux. Ça n'allait pas être de la tarte pour leur trouver une famille d'accueil...
Ma chienne était couverte de bandages sur ses pattes arrières et sur son flanc. Depuis quand des enfants attaquent des chiens à coup de dents ?
Je ne sais pas, ils auraient pu prendre une pierre ou un morceau de bois.
Que ce que c'était que ces gosses ?
Et qu'avaient-ils fui nom de Dieu ? Est-ce que leurs parents avaient été attaqués par un ours alors qu'ils se promenaient dans les montagnes ? Une attaque de bandits ? Leur village avait-il été ravagé ? Ou tout simplement, est ce qu'ils avaient été abandonnés ?
Ma chienne gardait le lit du gamin, le pneumonique. Elle l'avait adopté.
Je me rappelle une attaque de loup qui avait décimé une dizaine de brebis en laissant vivre les agnelets. Eh bien c'est ma chienne qui s'en était occupée. Elle ne les allaitait pas, mais elle les a gardés nuit et jour durant des mois, jusqu'à ce qu'ils soient assez grands pour qu'ils puissent s'occuper d'eux, tout seul.
Eh bien là c'était pareil. Elle allait même voir le fauve de temps à autre. Elle aussi avait de la fièvre. Et elle vomissait. Et elle avait aussi la diarrhée. Ça puait l'intoxication alimentaire. Je ne savais pas ce qu'elle avait mangé mais c'était du costaud.
En attendant je changeais les draps. Ça allait être la dernière chose que je ferai tous les soirs. Depuis que ces gosses étaient chez moi, j'allais les voir toutes les trois heures pour vider les poumons du gamin, donner à boire à la gamine, même la nuit.
J'avais installé la saloperie dans ma chambre pour attacher les sangles aux pieds du lit, et le gamin sur le canapé du salon. Moi je dormais dans un hamac improvisé à côté de lui.
Je me demandais pendant encore combien de temps j'allais devoir jouer les garde-malades.
Mes moutons allaient finir par être jaloux.