Ils nous restent une heure, avant de rejoindre les gars à la salle d’arcade. Comme toujours, Manon et moi nous nous sommes rejoints un peu en avance. De mon côté, cela me permet de profiter d’elle tout seul et du sien, cela lui permet d’assimiler le lieu et le monde.
C’est avec mon éternel café venant de chez Starbucks que je la rejoins alors qu’elle est penchée sur son livre. Je ne l’ai laissé que quelques minutes, mais c’était déjà suffisant pour lui permettre d’avancer dans son roman. Manon ne relève pas les yeux lorsque je m’assois à côté d’elle, je me doute que c’est un passage dans l’histoire qui est particulièrement intéressante et qui nécessite toute sa concentration. Je bois quelques gorgées de mon café brûlant tout en observant ses traits qui changent au fur et à mesure des mots qu’elle assimile.
- Je suis à toi dans cinq secondes, je termine juste ma page, je me dépêche
- Prends ton temps, ne t’inquiète pas.
Au bout d’une petite minute, elle termine sa page et referme son livre en poussant un soupir de satisfaction. Elle regarde les alentours et sort son téléphone qui était dans sa poche arrière, elle jette rapidement un coup d’œil à son écran d’accueil.
- Je suis désolée, je devais absolument terminer ma page. Ce roman a trop de cliffhanger et les personnages principaux sont tellement attachants, j’ai énormément de mal à les quitter en pleine action.
- Tu es comme ça pour la plupart de tes lectures. Celui-ci parle de quoi ?
- Tu veux vraiment que je te parle de ma lecture en cours ?
Ses yeux s’ouvrent comme des soucoupes et s’illuminent comme si j’avais dis la chose la plus extraordinaire du monde. Son ton est enjoué et je vois qu’elle a dû mal à maîtriser son excitation. Je hoche la tête pour lui montrer mon accord. Elle détourne rapidement la tête et prend une pochette matelassée pour ranger en toute sécurité son roman.
- Ok, alors ça s’appelle Inheritance Games, je ne sais pas prononcer le nom, mais ce qu’il faut savoir c’est qu’Avery. Avery Gr-truc est une adolescente normale, je sais ça ressemble à tous les romans que je lis, surtout si j’ajoute le détail qu’elle n’a pas une thune. Mais, ce qui fait le tout de ce roman, c’est que du jour au lendemain, elle reçoit l’héritage de Tobias Hawthorne, un célèbre milliardaire sauf qu’elle ne le connait pas. Vraiment pas ! Donc on se demande tous pourquoi elle et pas ses petits-fils qui sont d’ailleurs extraordinairement beaux et intelligents. Cependant, elle ne va pas toucher l’héritage comme ça, le vieux qui est mort c’était un sacré filou.
Pendant qu’elle me parle de sa lecture en cours, je comprends pourquoi elle a mis autant d’attention à protéger son livre. Elle n’arrête pas de lui donner des coups pour ponctuer ses phrases et de remettre ses cheveux derrière son oreille. Son enthousiasme me contamine rapidement et l’intérêt que je porte envers sa lecture grandit au fur et à mesure.
- Pour toucher son héritage, elle doit vivre dans le manoir des Hawthorne.
- Et comment ils vont réagir à cette annonce ?
- Pas bien, tu t’en doutes ! En plus d’être insondables et séduisants, ils sont bien décidés à l’empêcher de subtiliser leur dû ! Ella va se retrouver dans un tourbillon de manigances, d’énigmes et de trahisons et surtout elle va devoir se prêter à un inquiétant jeu de dupes qui pourrait bouleverser sa vie à jamais.
- Et qu’est-ce que tu aimes autant dans ce livre ?
Ses yeux pétillent d’intérêt comme si elle n’en croyait pas ses yeux que je lui pose toutes ses questions. C’est pourtant simple et pas la première fois que je m’intéresse à ses passions. Je veux savoir et comprendre tout ce qui la rend heureuse.
- Il y a tellement de choses… Déjà, j’adore tout le mystère qui tourne autour de l’héritage. Pourquoi Avery ? Ça me pousse à faire des théories, imaginer des scénarios. Le mystère ne s’arrête pas à Avery, tous les Hawthorne sont tellement mystérieux et sans oublier mes deux préférés qui sont incroyablement séduisants. Je parle beaucoup trop, pardon ce n’est pas intéressant ce que je te raconte et les autres ne devraient pas tarder.
- À vrai dire, ils sont arrivés quand je t’ai rejoint avec mon café
- Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?
Elle se lève en sursaut et me jette un regard furibond en enfonçant toutes ses affaires dans son tote-bag.
- On est en retard, lève-toi bon sang !
- Calme-toi, je leur ai dit de commencer à jouer sans nous.
Elle n’écoute même pas entièrement ma phrase et s’en va. En tout cas, elle fait mine de partir seule et se retourne après 100 mètres.
- Dépêche-toi, je ne vais pas y aller en première !
- Comme si ce n’était pas évident.
Lorsque nous rentrons dans l’arcade et nous arrivons au jeu de basketball où tout le monde nous attend, elle se tient derrière moi et fait mine d’être absorbée par son téléphone. Ce n’est que lorsque je lance la conversation, qu’elle daigne lever les yeux et faire un sourire poli et un petit signe de main.
La salle de jeu est bondée de monde, ce dont nous nous doutions depuis le début. C’est un immense espace, ayant peu de lumière naturelle, la luminosité provient principalement de toutes les bornes d’arcade et des LED disposées partout. Les jeux sont répartis en fonction de leurs catégories. Au fond de la salle, on peut retrouver les jeux d’immersion, impliquant un casque VR. La plupart ne nécessitent pas de bouger, il faut être assis et la machine nous transporte dans un autre univers. Il est plus que certains que nous allons finir la fin de notre soirée de ce côté, les jeux VR incluent souvent de fausses armes et des jeux de zombie remportant les suffrages de toute l’équipe.
Pour l’instant, on me donne un ballon pour que je participe au jeu actuel. J’enchaîne les paniers, il faut dire que même si je préfère le volley-ball, j’ai souovent eu l’opportunité de jouer au basketball. Je marque plusieurs paniers d’affilés, me valant des encouragements bruyants et des tapes sur le dos. Le taux d’adrénaline monte et la compétition commence à prendre place.
Elliott est le meilleur d’entre nous, ce qui n’est pas véritablement surprenant sachant qu’il fait partie d’une équipe d’e-sport. Le but n’est pas d’être le premier, mais d’être celui qui arrivera à la deuxième place et surtout celui qui arrivera le plus a challengé Elliott. Parfois, comme dans Mario Kart, nous faisons des alliances, qui soyons honnêtes, ne servent pas à grand-chose. Nous nous mettons tous d’accord pour lui envoyer toutes nos carapaces rouges, bleues et lui faire perdre un temps inestimable…Et cela n’a pas réellement d’impact sur son parcours ni sur son jeu. Il connaît les cartes comme sa poche, ce qui lui permet de prendre des raccourcis, que nous, simples mortels, ne connaissons pas l’existence. Ici, il ne s’agit pas d’un raccourci que tout le monde peut prendre. C’est le raccourci que tu peux prendre en ayant fait au préalable un dérapage et en ayant calculé la probabilité de l’hypoténuse et la tangente que cela implique pour sa voiture et l’adhérence de ses roues. Les stratégies s’arrêtent rapidement et on commence à tous se trahir puisqu’il semble impossible de le détrôner. Dans ce cas présent, aucune exception n’est présente.
On se bat, on se chamaille tandis que Manon tente de disparaître au fur et à mesure de la soirée. Pourtant je sais qu’elle adore ces jeux et qu’elle rêve de faire le jeu du piano et du rythme. C’est son jeu préféré et quand nous y allons tous les deux, elle me fait des scènes pour que je l’accompagne tandis qu’elle joue sans s’arrêter pendant des heures. Elle adore tout autant Mario Kart, mais elle ne veut pas s’imposer et reste en retrait. Et l’équipe est trop emballée par notre pseudo-compétition pour s’en rendre compte. Enfin, sauf quelque membre qui considère presque autant Manon que moi et qui arrive à lui tirer quelques rires et parties. Presque. Ce n’est pas possible de m’égaler. Pendant qu’elle échange avec Elyas, je ne peux m’empêcher de la regarder, si bien que je n’entends pas les autres membres m’appeler. Mais je suis trop occupé à regarder la personne que je veux que je ne me soucie pas du monde qui m’entoure.
Son niveau de sociabilité est proche de zéro après une sortie avec autant de monde, ce sont ses termes pas les miens. Si bien qu’elle ne veut rien faire d’autre que de rentrer à mon appartement et de se poser devant la télévision en mangeant des popcorns.
- Une préférence ? dit-elle en prenant la télécommande et en faisant défiler toutes les propositions de Netflix.
- Peu importe, choisis.
Je change de position pour me caler confortablement sur le canapé, je prends un coussin et le mets sous mes reins.
- Il y a un nouveau k-drama qui vient de sortir…
- Tu profites trop de ma gentillesse…
- Bien sûr, tu ne me dis jamais non.
- Ce sera donc le début, c’est non.
- Mais…
- Non, choisit autre chose. Regarde un anime pour une fois, je suis certain que tu vas adorer. Il y a de l’action, des rebondissements, des trahisons, de l’émotion. On peut même regarder un shojo si tu veux.
- Un sho-quoi ? dit-elle à moitié allongée et la bouche remplit de pop-corn.
- Un shojo, c’est un manga ou un anime avec beaucoup de romance.
- Une prochaine fois ! Il y a Cha Eun-Woo dedans…
- Et je ne peux pas lutter contre Cha Eun-Woo.
Un sourire de diablotin se crée sur son visage lorsqu’elle comprend qu’elle a gagné la bataille. Elle se redresse rapidement, court vers l’interrupteur pour éteindre les lumières et se jette sur le canapé en m’écrasant à moitié. Sans s’excuser, elle se remet de son côté et s’allonge en faisant dépasser la moitié de son corps du canapé. Alors que l’histoire de Kang Mi-Rae, qui est désespérée par les moqueries incessantes de ses pairs sur son physique et qu’elle prend une décision radicale pour changer la donne lors de son entrée à l’université, commence à peine, j’entends un léger sifflement à mes côtés. En quelques minutes, elle s’est déjà endormie et je trouve cela encore plus difficile de me concentrer sur l’écran.