Amélia se tenait devant la Grand-rue, hésitant sur le chemin à prendre. Après un instant de réflexion – et refusant catégoriquement de repasser par le Quartier des Vampires – l’adolescente décida qu’il valait mieux traverser la rue commerçante et passer par le Quartier des Sylphes. Il lui serait alors plus facile de rejoindre celui des fées.
Résolue, Amélia rabattit son capuchon et commença à déambuler au milieu des passants. Il ne lui fallut que quelques minutes pour atteindre l’entrée du Quartier des Sylphes. Là, les façades colorées et l’agitation de la Grand-rue cédèrent leur place à des murs aux tons clairs et un silence reposant.
À première vue, le Quartier des Sylphe avait l’air parfaitement désert, on peinait à croire que des centaines de personnes peuplaient ce lieu. C’était à peine si la jeune fille croisa quelqu’un dans son errance. Pourtant, il aurait suffi de lever les yeux pour comprendre toute l’étendue de leur nombre. Et quand Amélia porta un regard au ciel, elle découvrit un tout autre monde.
Les sylphes savaient manier les courant aériens et s’en servaient pour voler et faire voler ce qu’ils voulaient. Peu d’entre eux se servaient véritablement des rues dans lesquelles évoluait la jeune fille. Tout se passait dans les airs : les jeux, les réunions, les fêtes comme le commerce. Là, sur ce bon vieux planché des vaches, c’était à peine si on sentait un courant d’air au passage d’un sylphe. D’ailleurs, en y regardant de plus près, Amélia remarqua qu’il n’y avait pas la moindre porte à sa hauteur, tout juste quelques fenêtres.
Pour espérer entrer chez un sylphe, il fallait être un sylphe ou s’en faire inviter.
C’était aussi simple que ça.
Se détournant de ce spectacle aussi étonnant qu’incongru, Amélia poursuivit son chemin. Passant de ruelles en venelles, elle traversa rapidement le quartier au mille et un courants d’air.
Néanmoins, et pour son plus grand malheur, Amélia tomba sur une ruelle extrêmement venteuse qui se révéla être le théâtre d’une dispute d’amoureux particulièrement violente. Pliée en deux, les genoux fléchis, l’adolescente avait dû traverser une véritable tempête sans qu’aucun des deux sylphes qui s’affrontaient à grand renfort de cris au-dessus de sa tête n’y prête la moindre attention. Quand elle s’en extirpa enfin le souffle court, elle ne put retenir quelques jurons en remettant de l’ordre dans ses cheveux emmêlés. Ce ne fut que lorsqu’elle releva les yeux qu’Amélia se rendit compte qu’elle avait enfin trouvé ce qu’elle cherchait.
Quand son regard plongea dans le Quartier des Fées, sa première réaction fut une grimace. La jeune fille avait l’impression de quitter la ville pour entrer dans un champ de ruine tant la différence de ressource était flagrante. Là où les sylphes arboraient des rues impeccables et quasi désertes, les fées, elles, semblaient patauger dans la crasse et la misère.
À chacun de ses pas, et peu importait où son regard se posait, Amélia ne voyait que vêtement en lambeaux, maison branlantes et regards éteins. Les rues étaient sales et sentaient mauvais. La sorcière ne savait même plus où poser les pieds tant les pavés étaient jonchés d’immondices. Et, à en juger par l’odeur, elle se demanda s’il n’y avait vraiment que de la boue.
Amélia accéléra le pas, elle ne voulait pas rester une seconde de plus ici. Mais plus elle avançait dans les rues sombres du Quartier des Fées, plus elle se rendait compte de la misère qui peuplait cette partie de la capitale. Des gens étaient assis à même le sol, enveloppés dans de vieilles capes élimées, une écuelle ou un bonnet à côté d’eux, dévoilant occasionnellement quelques piécettes de bronze. Mais rien qui puisse leur permettre d’acheter ne serait-ce qu’une miche de pain.
Le mot « mendiant » prenait alors tout son sens dans l’esprit de la jeune fille. Et, quand elle croisa le regard de l’un d’eux, Amélia sentit son cœur se briser. C’était une vieille femme aux traits fatigués, au visage émacié et dont la mâchoire tordue était creusée par ce qui ressemblait à une profonde balafre.
Incapable de soutenir son regard plus longtemps, Amélia se détourna, tirant un peu plus son capuchon sur son visage, honteuse de sa lâcheté. Mais plus elle s’enfonçait dans le Quartier des Fées et plus elle se rendait compte de son ignorance. Elle avait eu pitié de la petite fée qui vendait des fleurs sur la Grand-rue, mais jamais elle ne s’était doutée de la pauvreté qui régnait ici-bas. Elle qui avait grandi dans le quartier le plus luxueux de la capitale, elle sentait soudain le poids d’un monde s’écraser sur ses épaules.
Puis, une réalité plus douloureuse encore s’imposa à elle. Emily avait grandi dans cet enfer. Elle avait connu cette misère, cette détresse et cette faim qu’on pouvait lire dans les regards. Amélia chancela sous le poids de la culpabilité et dut s’appuyer sur un mur pour ne pas tomber. Elle se trouva soudain horrible et d’un incroyable égocentrisme. Jamais Emily ne s’était plainte de sa situation, jamais elle ne s’était départit de son doux sourire alors même que les demandes d’Azura lui rendaient la vie impossible.
Et elle, qu’avait-elle fait durant toutes ces années ? L’adolescente se lamentait d’être née trop riche, trop gâtée. Comment avait-elle pu ne serait-ce que se plaindre de ses robes hors de prix et de ces banquets auxquels on la forçait à participer ? Comment avait-elle pu se montrer si égoïste alors qu’il y avait tout un monde, là, dehors, qui se mourrait à petit feu ?
Amélia serra les poings et fronça les sourcils. Les choses devaient changés !
Mais alors qu’elle se redressait, plus déterminée que jamais, des cris lui parvinrent.
Amélia tendit l’oreille et suivit les éclats de voix, longeant le mur sur lequel elle avait pris appui. Un peu plus loin à un carrefour, elle jeta un œil à la dérobé.
Et sentit aussitôt son estomac se retourner.
À quelques mètres à peine, sous les yeux de dizaines de témoins qui se contentaient de regarder la scène en silence, Amélia découvrit deux hommes traînant un couple aux ailes colorées en dehors de ce qui semblait être une maison. Avec une violence inouïe, elle les vit se faire jeter à terre au milieu de la rue sous le regard d’un homme étrangement bien habillé.
À les voir agir ainsi, Amélia se sentit d’abord confuse puis furieuse. Leurs manières étaient tout bonnement abjecte et l’absence de réaction de ce publique silencieux ne faisait qu’ajouter à sa colère. C’est alors que des bribes de conversations lui parvinrent. Amélia comprit soudain que ce jeune couple au sol venait de se faire expulser de chez eux. Ils avaient, semblait-il, emprunté de l’argent à la mauvaise personne et n’avaient pu rembourser leur dette. En contrepartie, l’homme, qu’Amélia ne mit pas longtemps à identifier comme un sorcier, avait décidé de prendre le seul bien de valeur qu’ils avaient en leur possession : leur maison.
L’adolescente savait que le sorcier était dans son bon droit, la loi était avec lui – aussi cruelle soit-elle. Mais elle répudiait la manière avec laquelle ses deux lourdauds – des loups-garous, à première vue – traitaient ce couple. C’était cruel et gratuit. Ils n’avaient pas besoin de les malmener ainsi !
Devant la mine apeurée de ses débiteurs, le sorcier affichait un sourire goguenard qui fit grincer les dents d’Amélia. L’instant d’après, elle vit les loups passer à tabac l’homme qu’ils venaient de jeter à terre, pour donner l’exemple supposait-elle. Le sang et les cris fusèrent dans le silence de la rue. Amélia regarda de tout côté, s’attendant à voir quelqu’un intervenir pour le défendre contre tant de violence.
Mais personne n’esquissa le moindre mouvement alors que les gémissements du malheureux se faisaient de plus en plus bruyant. Son épouse à ses côtés pleurait et suppliait qu’on laisse son mari, mais, retenue fermement par l’un des sbires du sorcier, elle ne pouvait pas bouger.
Face à tant d’injustice, Amélia sentit son essence rugir dans sa poitrine. Des images filèrent devant ses yeux, des souvenirs qui la hantaient comme autant de lame qui lui déchirait le cœur depuis la mort de son amie. Elle la revoyait s’agenouiller devant la petite vendeuse de fleur pour l’aider. Elle se rappelait son sourire quand elle été revenu avec son petit bouquet de fleurs.
Non… Amélia ne pouvait pas laisser faire ça, c’était une insulte à la mémoire d’Emily. Elle devait intervenir !
La jeune fille s’apprêtait à faire un pas en avant, quand elle sentit une main se refermer sur son bras et la retenir. En se retournant, l’adolescente fut surprise de découvrir un vieil homme au visage ravagé. Elle avait l’impression de l’avoir déjà croisé, sans réussir à se souvenir où.
– Je te déconseille d’intervenir, petite, déclara-t-il d’une voix rauque.
Il n’avait pas quitté la scène des yeux et serrait si fort le bras de la sorcière dans sa main qu’Amélia commença à sentir des fourmis dans ses doigts.
– Mais… il va le tuer et personne ne fait rien ! Il faut…
– Si tu interviens, ce sera pire.
Quand il posa enfin les yeux sur elle, Amélia retint un cri. Ils étaient blancs, laiteux. L’un d’eux laissait à peine deviner la couleur qu’ils avaient dû avoir des décennies plus tôt. Il n’en fallut pas plus à la jeune fille pour comprendre. Et ce constat lui glaça plus encore le sang que ses paroles.
– Tu es loin de chez toi gamine. Ne traîne pas par ici, c’est dangereux.
– Mais, et lui ?
Ils se tournèrent vers le couple au milieu de la rue. L’homme-fée était toujours étendu au sol, bougeant à peine. À ses côtés, son épouse pleurait à chaude larme en le serrant dans ses bras. Le sorcier et ses loups les regardaient comme on regarde des déchets. Puis, lentement, comme lassés de ce pitoyable spectacle, ils se détournèrent et s’en allèrent dans l’indifférence générale.
– Il s’en sortira, dit-il abruptement. Il n’avait qu’à pas emprunter de l’argent à ce maudit Cellier.
– Vous parlez de l’homme aux loups-garous ?
À ces mots, le vieil homme sursauta et se rembrunit. Il relâcha le bras de la jeune fille et s’écarta de quelques pas, tirant un peu plus sur le tissu élimé qui lui servait de capuchon.
– Traîne pas ici, gamine, c’est dangereux. Et méfie-toi des loups… ce sont les pires.
Puis il détala dans une ruelle adjacente. Amélia eut à peine le temps de voir un morceau d’aile déchiré avant qu’il ne disparaisse complètement. En se retournant, elle découvrit le couple en train de se relever. Le sorcier et ses loups partis, la famille ne mit pas longtemps à les imiter.
Rapidement, la rue redevint déserte.
Amélia serra les poings. La mine sombre elle reprit sa route et marcha un peu au hasard dans les rues du Quartier des Fée. Pourquoi personne n’avait réagi ? Pourquoi ce sorcier avait semblé prendre autant de plaisir à jouer avec ce jeune couple ? Le vieillard avait dit que l’homme-fée lui avait emprunté de l’argent… Amélia imaginait sans peine qu’il n’ait pas réussi à le rembourser et comprenait qu’il prenne leur maison en échange de sa dette… mais pas qu’il lâche ses loups sur lui. Pourquoi le frapper ? Pourquoi un tel déferlement de violence ?
Pourquoi des gens comme lui existent ?
Cellier… Cellier… Ce nom lui disait quelque chose, elle l’avait déjà entendu quelque part, mais où ? Puis ça lui revint. Bien sûr ! Luvenia en avait parlé un jour lors d’un repas. Elle n’avait fait qu’effleurer le sujet, mais Amélia se rappelait encore ce qu’elle avait dit avant qu’Azura ne lui fasse de gros yeux.
Loup Cellier était une crapule de la pire espèce. Un sorcier, pour sûr, mais dont toute la Sorciété se répugnait à nommer ainsi. On racontait qu’il n’avait aucun pouvoir, si ce n’était celui de se remplir les poches sur le dos des plus miséreux et d’inspirer la peur à quiconque avait une dette envers lui.
Amélia se souvenait qu’il avait, à de nombreuses reprises, fait la une des journaux à cause de ses magouilles douteuses avec les loups-garous. Certaines rumeurs prétendaient même qu’il avait pris part – pour ne pas dire provoqué – quelques-uns des plus virulents conflits de territoire entre familles lupines. Il n’avait, certes, jamais tué personne, mais la crainte de finir entre les griffes de ses bêtes d’hommes de main dont il ne se séparait jamais suffisait à faire changer de trottoir même les sorciers les plus respectables de la Sorciété.
Combien de fois Luvenia, et tant d’autres avocats de la Cour, avaient-ils dû plaider contre lui ? Combien d’affaires avaient-elles été classé sans suite à cause de témoins effrayés préférant se taire plutôt que de l’affronter ?
Amélia ralentit le pas. Tout à ses pensées elle n’avait pas fait attention à la direction qu’elle avait emprunté. Et, en regardant autour d’elle, la jeune fille sentit l’atmosphère changer.
Le silence qui la suivait depuis son entrée dans le Quartier des Fées s’était fait plus lourd, plus étrange. Les rues elles-mêmes paraissaient différentes de celles qu’elle avait emprunté plus tôt : plus propres, moins habitées. Même les bâtiments alentours semblaient comme à l’abandon, oubliés.
Amélia dut se rendre à l’évidence : elle s’était perdue. Ce quartier lui faisait penser à un immense labyrinthe. Il y avait tant de rues, de ruelles et de passages sans issus… Sans indication, il lui était impossible de savoir où elle se trouvait, ni comment rentrer.
Prenant un moment pour réfléchir, elle décida de poursuivre son chemin malgré tout. Elle finirait bien par tomber sur un panneau, une pancarte, n’importe quoi qui lui indiquerait où elle se trouvait. À partir de là, eh bien… elle trouverait un moyen de revenir sur ses pas.
Elle marcha donc encore quelques longues minutes, s’enfonçant toujours plus profondément dans ces ruelles sinueuses qui lui semblaient de plus en plus incongrues. Les maisons branlantes laissaient place à des mansardes construites de travers, au toit éventré ou même carrément bâties à l’envers. Après quelques instants à se demander comment l’une d’elles, d’un bois visiblement pourri, pouvait bien tenir, penchée comme elle l’était sur sa voisine, Amélia tomba, enfin, sur un vieux panneau poussiéreux. Dessus, elle réussit – après quelques secondes à déchiffrer les lettres à moitié effacées – à lire le nom de la rue dans laquelle elle avait échoué.
– Rue des Cauchemars… lut-elle.
Elle réfléchit un moment, essayant de se souvenir de ses cours de géographie. Son précepteur lui avait appris à se repérer dans Riverfield alors même qu’elle n’y avait encore jamais mis les pieds et lui avait fait apprendre par cœur la carte de la ville. Et, si sa mémoire était bonne, la rue des Cauchemars était l’une des plus anciennes du Quartier des Fées.
Ainsi que la plus éloignée de la Grand-rue…
Amélia s’était donc perdue au fin fond du quartier le plus sordide de la capitale.
– Youpi… soupira-t-elle en se frottant les tempes, dépitée. Moi et mes bonnes idées… Pourquoi a-t-il fallu que je me fourre moi-même dans ce guêpier ?
L’adolescente regarda alentour. Tout paraissait étrangement désert dans cette rue des Cauchemars.
Et le silence qui l’habitait n’augurait rien de bon.
Quelque chose clochait ici, Amélia en était persuadée. Et le mauvais pressentiment qui la poursuivait depuis son entrée dans cette étrange rue ne faisait qu’ajouter à son malaise. Pourtant, et malgré tous les avertissements que lui lançaient sa conscience, Amélia continua son chemin et s’engagea dans la rue sombre. Quelqu’un d’autre aurait sûrement fait demi-tour, mais la curiosité qui lui rongeait l’esprit s’était révélé plus forte que la raison qui lui soufflait de s’en aller au plus vite. Il y avait ici quelque chose de particulier et Amélia brûlait de savoir de quoi il s’agissait.
Mais, plus elle progressait dans la rue des Cauchemars et plus la sorcière comprenait d’où lui venait son nom.
Plus sombre encore que le Quartier des Fée lui-même, Amélia avait l’impression qu’un nuage flottait au-dessus de cette partie de la ville, la plongeant dans une semi-pénombre semblable au soir qui se couche. Mais, lorsqu’elle leva les yeux au ciel, aucun nuage ne lui apparut, juste un ciel sans soleil, gris et sombre.
Une brise se leva soudain, faisant frissonner la jeune fille. L’obscurité se faisait de plus en plus présente, presque inquiétante. Amélia regretta soudain d’avoir suivi ce chemin, mais en se retournant pour faire demi-tour, elle ne trouva qu’une impasse. Elle sentit son cœur rater un battement et les larmes lui piquer les yeux.
Au fond d’elle, Amélia entendait cette petite voix qui la narguait, lui lançant des « je te l’avais bien dit » aussi tranchants que la peur qui commençait à la submerger. C’était comme si la rue s’était progressivement refermée sur son passage, la piégeant dans ses entrailles, la forçant à avancer. La panique commença à se frayer un chemin dans son esprit alors qu’elle se rendait soudain compte de sa bêtise.
Amélia hésita, chercha quand même à retourner sur ses pas. Il devait bien y avoir une issue, un défaut dans l’élaboration de cette toile, de ce piège !
Mais ce fut comme si elle heurtait un mur invisible.
La paroi ondulait, comme un voile tendu de part et d’autre de la rue. Une illusion ? Non. Quand Amélia y posa une main, sa paume rencontra une surface dure et froide comme de la pierre. Alors quoi ?
L’adolescente laissa glisser sa main sur le sortilège, cherchant une faille, un accro qui lui permettrait de comprendre et de s’échapper. Mais il n’y avait rien. Pas une erreur dans la conception de cet enchantement.
La sorcière se força au calme. Il y avait forcément un moyen de sortir de là.
Amélia prit quelques secondes pour apaiser les battements de son cœur. Elle devait se calmer, réfléchir. Bien. Que disait son père quand elle se retrouvait face à un problème impossible à résoudre déjà ?
– Analyse ton problème et fais une liste de ce que tu sais de lui. Ensuite, agis en conséquence.
Que savait-elle de ce sortilège ? Qu’avait-elle remarqué qui pourrait l’aider dans son analyse ? Un enchantement à l’apparence de voile, songea-t-elle d’abord sans quitter sa main des yeux, comme une illusion. Mais qui devient solitude au touché. Elle leva les yeux vers le sommet du mur.
Un voile…
Amélia se détourna et chercha alentour la moindre petite rue adjacente. Il devait bien y avoir une limite à ce sortilège. Peut-être qu’en passant par d’autres rues, elle pourrait le contourner. C’était une idée simpliste, elle le savait, mais, que risquait-elle à essayer ? Et puis, le piège en lui-même semblait assez élémentaire, bien que magistralement orchestré. C’était comme piéger un rat : il suffisait de l’appâter puis de le coincé dans un endroit sans issu. Mais Amélia n’était pas un rat, et ce piège était loin d’être une souricière. Cet endroit était un véritable labyrinthe, les venelles ne manquaient pas. Elle finirait bien par trouver un passage.
L’adolescente s’engagea donc dans l’une d’elles.
Amélia marcha longtemps, passant et repassant toujours au même endroit. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’elle était prisonnière d’une boucle dont elle ne pouvait se défaire. La personne qui avait mis au point ce piège était moins bête qu’elle ne l’avait imaginé. D’abord une impasse impossible à retraverser, puis une boucle qui faisait tourner en rond la victime qui pense la contourner. Si Amélia n’avait pas été la proie, elle aurait presque été impressionnée.
Seulement, la panique commençait sérieusement à la gagner. Si contourner l’obstacle était impossible, il lui restait l’option de l’affronter. Alors, en désespoir de cause, la sorcière tenta de se servir de sa magie. Son essence ne demandait qu’à exploser sous la terreur qui l’assaillait. Mais même là, ses pouvoirs se révélèrent impuissants.
L’adolescente tenta d’abord de détruire ce voile qui semblait la narguer, usant des sortilèges les plus agressifs qu’elle connaissait puis de magie élémentaire. Après de longues minutes de lutes et toujours aucun résultat, elle opta pour des enchantements plus subtile, traçant cercles magiques et runes antiques avec ce qui lui tombait sous la main. À la vue de ses traits effacés sitôt tracés, la jeune fille commença à se ronger les sangs. Elle se mit alors en quette d’une porte, une fenêtre ou n’importe quoi qui lui permettrait d’ouvrir un portail. Mais partout où ses pas la guidaient, elle ne trouvait que mur de pierre et impasse sombre.
Rien ne semblait pouvoir briser le sortilège qui la retenait prisonnière.
Le cœur au bord des lèvres, tremblante de tous ses membres, Amélia se tourna finalement vers ce chemin qu’on lui imposait. Quelque chose, là-bas, la retenait, la forçait à approcher. Et dans la brise qui continuait de jouer avec ses mèches folles, elle pouvait entendre un son, une voix qui l’appelait. La curiosité n’était plus aussi forte qu’avant, remplacé par une peur féroce qui parcourrait chaque parcelle de son être comme un poison.
Coincée, Amélia ne se voyait d’autre choix que d’avancer.
Alors elle prit son courage à deux mains et tourna le dos à l’impasse qui se formait derrière elle. Elle serra les poings, tremblante mais déterminée, et poursuivit son chemin.
Le temps semblait s’écouler au ralentit. Amélia avait l’impression de marcher depuis des heures quand elle arriva enfin sur une place entourée de vieilles bâtisses. La jeune fille s’approcha de quelques pas et observa les alentours, oscillant entre curiosité et terreur.
Tout était si sombre ici, c’était à peine si elle arrivait à discerner les contours des habitations alentours. En plissant les yeux, elle parvint à apercevoir quelque chose, un faible éclat, là, quelques mètres devant elle dans ce qui lui sembla être une vieille maison mitoyenne. Tout avait l’air à l’abandon ici, pourtant, cette bâtisse avait quelque chose de différent. De là où elle se trouvait, Amélia la trouva en bien meilleur état que la majeure partie de la rue, mais aussi bien plus sombre, pareille à une tâche d’encre dans les ténèbres. Une étrange aura en émanait, comme une menace, une obscure promesse qui fit se dresser sur sa tête les cheveux de la jeune fille.
Plus elle la regardait et plus elle sentait une étrange impression la traverser de part en part.
Ce qui se passa ensuite finit de glacer l’adolescente.
À travers l’une des nombreuses fenêtres aux rideaux tirés, Amélia aperçu ce qui ressemblait à une silhouette passer furtivement devant une faible lumière. Son ombre ne resta pas longtemps au regard de la jeune fille, mais suffisamment pour que la sorcière sente des sueurs froides lui couler dans le dos.
– Tu es perdue mon enfant ? demanda soudain une voix toute proche.
Amélia sursauta vivement et regarda de tous côtés sans rien voir. Dans l’obscurité qui l’entourait, la jeune fille avait de plus en plus de peine à discerner quoi que ce soit. La peur commença à s’insinuer en elle, grandissant à chaque battement erratique de son cœur. Amélia sentait ses yeux la piquer, ses mains trembler.
La voix qui venait de lui parvenir était pareil à un grincement sinistre et semblait venir de nulle part et de partout à la fois. Un nouveau frisson lui parcouru l’échine. Amélia en était certaine à présent, un danger la guettait, et il n’avait rien à voir avec le Tueur de Fée.
– N’aie crainte ma petite, approche.
Cette voix était atroce, aigue et grinçante. Pourtant elle s’insinuait dans l’esprit d’Amélia avec une facilité déconcertante. Lentement, la jeune fille se sentit comme envoutée. Ses membres qui tremblaient quelques instants auparavant se détendirent brusquement. Ses paupières devinrent étrangement lourdes et sa vision plus floue encore. Elle avait l’impression de nager dans du coton.
En son for intérieur, Amélia hurlait, tentait de se défaire de l’enchantement qu’elle sentait anesthésier son corps. Son cœur battait la chamade, ses larmes se mirent à couler. Mais son corps refusait de lui obéir.
Devant elle la porte de la vieille maison s’ouvrit, hurlant sur ses gonds comme à l’agonie.
– Viens…
Amélia se sentit complètement impuissante alors que son corps ne lui obéissait plus. C’était comme s’il ne lui appartenait plus, comme si elle s’était changée en une poupée de chiffon, une malheureuse marionnette entre les mains d’une créature aux obscures intentions. Ses pieds avancèrent de leur propre chef, brisant, piétinant à chaque pas le cœur de la jeune fille. Amélia avait la sensation de n’être plus qu’une âme prisonnière d’un automate rouillé aux mouvements hachés.
Parvenue sur le seuil de la maison, l’adolescente continuait de se débattre intérieurement sans jamais réussir à briser les liens qui l’empêchaient de reprendre l’ascendant sur son propre corps. Elle avait l’impression de se noyer dans la mélasse de plus en plus épaisse de son esprit. Amélia savait qu’une fois la porte franchie, il serait trop tard, et même si elle ignorait quel sort l’attendait entre ces murs, elle savait que rien de bon n’en ressortirait.
Elle repensa soudain à son frère qui l’attendait toujours à la maison. Elle lui avait promis de faire attention, elle lui avait dit de ne pas s’en faire. Quelle idiote elle avait été ! Elle aurait dû écouter sa conscience, faire demi-tour quand elle le pouvait encore. Qu’allait penser son frère si elle ne rentrait pas ?
Les larmes redoublèrent dans ses yeux alors que son corps, incontrôlable, franchissait cette ligne invisible qui la séparerait peut-être à jamais d’Azriel.
Dès qu’elle mit un pied dans le hall de la maison, la porte se referma brusquement derrière elle, faisant trembler les fenêtres couvertes de papiers journaux. Ce fut à cet instant qu’Amélia recouvra brusquement l’usage de son corps, comme réveillé d’un mauvais rêve par le bruit monstrueux qu’avait fait la porte en se refermant. Elle tituba un instant, redécouvrant doucement les sensations de ses membres. Puis, sans perdre une seconde de plus et sans un regard pour ce qui l’entourait, Amélia se précipita sur la porte. L’enchantement avait été levé, elle devait à présent fuir le plus vite possible.
Mais en dépit de tous ses efforts, la porte resta obstinément fermée.
– Ouvre-toi, bon sang… mais ouvre-toi !
La panique commença à la gagner. Son cœur battait à tout rompre, résonant jusque dans ses tempes. Ses mains tremblaient sur la poignée.
Un ricanement suraigu s’éleva alors.
Amélia se figea.
Le souffle court et les jambes en coton, l’adolescente dû faire appel à toute sa volonté pour se retourner. Et, quand son regard se posa enfin sur la personne à qui appartenait cette voix effroyable, elle se sentit blêmir.
Amélia avait déjà entendu ces histoires sur de mauvaises fées aux pouvoirs de sorcière. Et, comme tous les enfants d’Osha, elle avait appris à les craindre, en faisait même des cauchemars la nuit. On les dépeignait comme des créatures monstrueuses aux dents sales, à l’allure miteuse et au nez crochu. Mais rien de ce qu’on lui avait conté enfant n’aurait pu la préparer à ce qu’elle vit dans la faible lueur des bougies qui l’entouraient.
Devant elle se tenait une vieille dame au sourire édenté aussi sale qu’effrayant. Elle tenait dans une main noueuse une bougie dont la lumière faisait jouer les ombres sur son visage buriné. Ses longs cheveux noirs dévalaient son dos en pagaille, gras, emmêlés et couverts de poussière. Ses yeux semblaient briller du même éclat rougeoyant que la bougie qu’elle tenait. Sa peau semblait si pâle qu’Amélia voyait chacun des petits vaisseaux qui la parcourait sous la surface. Et dans son dos, trainant sur la vieille robe crasseuse qu’elle portait, deux longues ailes noires scintillaient dans la pénombre.
– Ne nous quitte pas tout de suite, voyons, susurra-t-elle sans se départir de son sourire.
La fée s’approcha d’un pas. Amélia se sentait nauséeuse, sa tête lui tournait.
– Reste encore un peu, disait-elle d’une voix doucereuse.
À chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, Amélia avait l’impression qu’on lui plongeait la tête sous l’eau. Elle s’adossa au mur, de plus en plus mal. Sa vision se fit de plus en plus trouble, ses jambes flageolèrent. Elle n’entendait presque plus les mots que prononçait la fée en approchant, mais elle en sentait le pouvoir qui embrumait ses sens. Tout lui parvenait confus, comme dans un rêve.
Plus elle parlait, plus Amélia se sentait faible. Sa respiration se faisait plus lourde, son cœur plus pesant. Et ce rire qu’elle ne cessait d’entendre, il se répercutait dans son esprit comme un écho tranchant, lui déchirant l’âme, lui vrillant le crâne.
Amélia aurait voulu hurler, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Sa bouche était pâteuse, ses pensées de plus en plus nébuleuses. Garder les yeux ouverts lui demandait un effort titanesque. Et, quand elle y parvint enfin, ce qu’elle vit la glaça.
Amélia eut juste le temps de lever les mains pour se protéger quand le coup s’abattit. La vieille femme avait délaissé sa bougie au profit de ce que la jeune fille identifia plus tard comme un tisonnier.
Sonnée et affaiblie, Amélia s’écroula lourdement au sol, inconsciente.
J'ai été dans un pauvre village au Mexique, une fois. Toutes les maisons avaient un sol en terre battue et un confort minime, mais ils avaient peint les murs extérieurs pour que les maisons aient l'air joyeuses et l'intérieur était toujours impécablement rangé, décoré avec des fleurs et se qu'ils pouvaient.
Donc, considérant l'idée que je me fais des fées, mais aussi ta description des fées, qui sont toujours jolies avec de belles coiffures naturelles, ce quartier fait tache.
« Pour espérer entrer chez un sylphe, il fallait être un sylphe ou s’en faire inviter.” --> j'apprécie ce genre de phrase percutante. C'est court, mais ca en dit beaucoup sur les Sylphes. C'est ce que je veux dire quand je te dis de ne pas te perdre en longueurs.
Coquilles :
« Le sorcier et ses loups partis, la famille ne mit pas longtemps à les imité.” -->imiter
« Mais qui devient solitude au touché.” --> solide
:)
Mais je reconnais qu'en imaginant la maison d'Emily je n'ai pas vraiment pensé à la déco qu'il pourrait y avoir... seulement au sol en terre battue et une maison de bois.
Merci encore pour les coquilles et le commentaire :)
À bientôt !
J'ai beaucoup aimé la description que tu faisais du quartier des sylphes que j'ai trouvé très originale et bien trouvé. Cela rend ton univers très vivant et on l'image sans problème. Vient ensuite le quartier des fées qui lui fait vraiment peine à voir. Loup Cellier est vraiment un personnage détestable et on avait de la peine pour le couple éjecté. Encore une fois, Amélia fait preuve d'un peu trop de naïveté et devrait apprendre à réfléchir avant de se précipiter. Si elle souhaite changer les choses, elle ne peut pas agir de la sorte sur un coup de tête. Cela peut fonctionner, mais dans le plus part des cas cela risque de lui retomber dessus. La réaction du vieil homme qui lui empêche d'agir en dit long sur la fréquence des expulsions et sans doute une certaine résignation.
J'ai été étonné au départ par l'assurance de la jeune fille. J'ai l'impression qu'elle fait beaucoup trop confiance à ses pouvoirs magiques et cette fois-ci, cela s'est retourné contre elle. Elle va devoir s'en souvenir pour la suite ! La suite du chapitre est plutôt bien et on ressent bien l'angoisse qui commence à grandir chez Amélia. Il y a peut-être juste que j'ai eu un peu de mal à le ressentir quand elle comprend qu'elle doit continue son chemin. La partie où elle se rend compte où elle n'a plus de contrôle sur son corps en quant à elle très bien et la fin donne envie de connaître la suite !
Déjà, un grand merci, parce que tu viens de me rassurer, tu n'imagines même pas à quel point... en écrivant ce chapitre j'avais toujours la sensation de ne pas assez bien décrire la misère et le côté effrayant de la Rue des Cauchemars, en fait je n'arrivais pas moi-même à plonger dans le ressentit du personnage, comme s'il y avait un blocage. Je suis contente de voir que malgré toute la difficulté que j'ai ressentit le résultat plaise ^^
Pour ce qui est d'Amélia, c'est vrai qu'elle est bien naïve. Mais quand on vis cloitré dans un manoir dans la plus luxueuse des rues de la capitale, c'est dur de se faire un avis. Avant la mort d'Emily, l'univers d'Amélia ne tournait qu'autour d'elle et son frère, il n'y avait vraiment rien d'autre qui l'intéressait. L'assassinat de son amie la pousse à se questionner et explorer cette capitale qu'elle connais si peu en fait. Et d'ailleurs, tu as raison quand tu dis qu'elle fait trop confiance à ses pouvoirs, elle s'y repose beaucoup trop, mais c'est normal quand on grandit en vous disant que vous faites parti de la plus puissante famille de sorcière du pays. D'ailleurs tu verras plus tard que tu n'es pas la seule à le penser, mais je n'en dis pas plus ;)
Je vais relire cette fameuse parti qui ne t'a pas convaincu, histoire de voir comment l'améliorer.
A bientôt !
Les fées vivent dans la misère, c'est une catastrophe, elle ne mérite pas ça, comment font-elles pour vivre ainsi ?! Le quotidien des Sylphes est intéressant, vivre tout le temps dans les airs est incroyable !
Il y a toutes sortes de créatures, je ne m'attendais pas à trouver des loups-garou et des méchantes fées. Après, c'est logique, si il y a des gentilles fées, il y en a aussi des méchantes.
Amélia se retrouve dans un guêpier... il faut toujours écouter sa conscience, cette petite voix de la raison peut nous sauver la vie !
Je me demande ce que la méchante fée va faire d'Amélia, sûrement une demande de rançon ou quelque chose de bien pire, en tout cas j'espère qu'elle va s'en sortir !
D'abord, un grand merci pour ton commentaire (et le suivant que j'ai pu voir dans mes notifications), je commençais vraiment a désespérer de voir un avis sous les parties de ce chapitre 8 (ToT)
Ensuite, je suis contente que tu aie trouvé l'ambiance sombre de la Rue des Cauchemar bien écrite, j'avais un peu peur que ce soit trop léger, qu'on ne ressente pas assez la misère du quartier et la terreur de cette maudite rue
Pour ce qui est des créatures, c'est vrai que j'aurai peut-être dû être plus claire... Mais oui, il y a plein d'enfants d'Aurora : sorcières, vampires, loups-garous, elfes, fées, sylphes, ondines, humains, sirènes et ces fées noires aussi appelé pixies (une espèce de sous-genre). L'univers d'Amélia est très vaste, j'espère pouvoir vous en faire découvrir le plus possible mais c'est compliqué ^^'
Quant à cette petite voix, c'est vrai qu'il vaut mieux l'écouter, mais la curiosité peut s'avérer drôlement vivace...