Farhynia atterrit au milieu de ses congénères, presque un millier d’entre eux, certains au sol, d’autres en vol. Elle salua rapidement Chavard’all qui fouetta sa queue en retour. Zaroth se trouvait là ainsi que Tybald et Beluim.
- L’obtention de Farhynia au titre de protectrice risque de rebattre les cartes, annonça Greenaco, l’ancêtre, le plus vieux des dragons, une femelle verte dont les ailes abîmées ne la portaient plus depuis longtemps. Le trio, je vous écoute.
- Le jeune âge de Farhynia lui interdit la maîtrise de son souffle, indiqua Beluim.
Greenaco hocha la tête. Farhynia n’eut rien à redire à ce constat.
- Farhynia, du fait de sa jeunesse, reste peu endurante, indiqua Tybald. Des vols trop longs lui seraient dommageables. En revanche, elle maîtrise parfaitement les vents et propose une excellente vitesse de pointe.
Farhynia retroussa ses babines et fouetta l’air de sa queue de joie. La vieille dragonne se tourna vers Zaroth. Le gros dragon marron serra la mâchoire et secoua la tête. Tous les regards se tournaient vers lui.
- Je n’ai qu’une chose à dire : Farhynia a réussi l’épreuve des pierres précieuses, dès la première tentative, en moins d’un sablier.
La nouvelle jeta un froid. Un profond silence envahit l’assemblée.
- Mission ultime pour Farhynia, annonça Greenaco.
Le cou de Farhynia se trouva enserré entre les crocs de Chavard’all. La jeune dragonne bleue se mit sur le dos, laissant son compagnon faire glisser ses griffes sur son ventre tandis qu’elle faisait de même, sous les rires de l’assemblée. Protectrice ultime ! Farhynia s’en retrouva ivre de bonheur. Même dans ses rêves les plus fous, jamais elle n’aurait imaginé l’obtenir dès le premier appel. Elle n’en revenait pas.
Elle resta un long moment avec Chavard’all, profitant de sa présence.
- Tu n’es pas trop jaloux ? demanda Farhynia.
- Jaloux ? s’exclama Chavard’all. Pourquoi ? Non ! Je suis heureux pour toi !
- Tu n’as jamais réussi… tu sais… à obtenir le titre de protecteur, et moi…
- Ne t’inquiète pas, la rassura le dragon blanc à pointes noires.
- Tu as été choisi combien de fois ?
- Trois, répondit Chavard’all. La première fois, c’était il y a une dizaine d’années. Je n’étais pas prêt. Je l’avais fait pour suivre les copains, pour faire comme tout le monde, pas tellement par vocation. Résultat : les cours me faisaient chier. Je suis parti avant même le premier vol. Putain de mannequin à la noix.
Farhynia ricana.
- Le second, je tenais vraiment à me montrer à la hauteur. C’était l’année avant toi. J’ai réussi le premier vol. J’ai adoré les cours de maîtrise du souffle et de vol.
- Tu contrôles ton feu à merveille.
Chavard’all la lécha en retour, la faisant glousser.
- Mais le lien, poursuivit le dragon blanc en se rembrunissant. Il ne s’est jamais développé. Mon deuxième cavalier est mort pendant une épreuve de lien. J’ai tenu à insister alors je me suis de nouveau présenté l’année suivante, celle où tu es venue et tu as bien vu : j’étais tout le temps le dernier dont le cavalier venait et encore, il le faisait uniquement pour suivre le groupe, pas du tout parce qu’il m’avait perçu.
Farhynia grimaça. Il était certain que le lien n’était pas son point fort.
- Au final, mon cavalier est mort dans l’épreuve des pierres précieuses. Il n’est jamais ressorti de la grotte, mort à l’intérieur, probablement de terreur.
Voilà pourquoi il n’était pas entré dans les détails avec Farhynia à ce moment-là. Elle ignorait tout de cette épreuve et il tenait à lui laisser la surprise.
- Comment fait-on pour le corps dans ce cas-là ?
- J’ai attendu que les autres humains soient sortis et j’ai soufflé mon feu le plus chaud dedans. Crois-moi, il n’en reste rien.
Farhynia voulait bien le croire. Si Chavard’all décidait de souffler son feu à plein volume sur elle, ses écailles pourtant censées pouvoir résister fondraient. Chavard’all possédait un souffle extraordinaire, un talent très recherché chez les protecteurs.
- Je ne voulais pas te quitter alors je me suis proposé l’année suivante mais aucun humain ne m’a choisi.
- Tu as demandé l’autorisation exceptionnelle de dormir avec moi.
- Permission qui m’a été accordée, se rappela Chavard’all.
- Quel bonheur de dormir sous ton aile ! ronronna Farhynia.
Il lui lécha le visage en retour.
- Allez ! Belle protectrice ultime ! la complimenta Chavard’all. En vol vers les hauts pics !
Elle fit glisser amoureusement ses griffes sur le flanc de son compagnon puis s’envola.
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Riri venait de se mettre en vol stationnaire près d’une colonne à la hauteur vertigineuse. À une telle altitude, au dessus des nuages, l’air se faisait rare, ce qui mettait Corail en joie. Elle respirait bien mieux ici.
Riri planta une griffe sur un rebord étroit et Corail sentit ses jambes se libérer de l’emprise de sa dragonne. Corail comprit que Riri voulait qu’elle descende. Corail retira son aumônière et l’attacha à une corne recourbée de la dragonne. Ainsi, elle serait libérée de son poids sans risquer de le perdre.
Corail se redressa et s’avança le long de la patte bleue. N’ayant pas le vertige, cela ne lui posa aucun problème, d’autant que le chemin crée par sa dragonne s’avérait large. Elle ne put s’empêcher d’admirer la posture stable de Riri. Mais comment faisait-elle ?
Elle ne remuait pas les ailes, qu’elle gardait largement écartées, et pourtant, elle ne tombait pas, restant statique. Corail trouva cela magique. Dès qu’elle fut sur le rebord, Riri retira sa griffe pour entreprendre de tourner autour de la haute colonne. Corail n’avait aucun moyen de descendre. Elle se tourna vers la fissure dans la roche. Cela ressemblait bien trop à la mission avec les pierres précieuses pour qu’elle ne comprenne pas ce qu’elle était censée faire.
Corail s’enfonça à travers la roche. Un puits de lumière inondait le bout du couloir parfaitement droit et long de plusieurs pas. Arrivée au bout, Corail leva les yeux pour découvrir un trou à portée de son bras. Elle le caressa. On pouvait sentir des stries dans la roche. Ce trou n’était pas naturel. Quelque chose l’avait creusé. Corail plissa les paupières, tentant de donner du sens à sa présence en ce lieu.
Elle se retourna pour constater que le couloir se poursuivait après un demi-tour complet mais là, le chemin devenait sinueux et totalement sombre. Corail n’eut aucune peine à avancer sereinement, sa seconde vue lui permettant de se repérer malgré l’obscurité. Elle compta cinq virages serrés avant d’arriver dans une salle large avec quelque chose de rond au centre. Sa seconde vue ne lui suffit pas à comprendre ce qui se trouvait là. Pas des pierres précieuses, en tout cas.
N’entendant aucun bruit, elle s’avança en prenant son temps, guettant le moindre piège. Elle parvint au centre sans difficulté. Elle tâta prudemment l’objet. Elle reconnut des brindilles, des branches, des feuilles et quelque chose de doux et de molletonné. Plus à l’intérieur, ses doigts trouvèrent cinq objets durs et lisses qu’elle reconnut aisément : des œufs, à peine plus gros que ceux d’une poule.
Lors de l’épreuve des pierres précieuses, elle avait gagné en rapportant la pierre. Elle supposa qu’elle devait agir de même ici. Le cerveau tournant à mille à l’heure, elle plaça délicatement les cinq œufs dans ses mains puis prit le chemin du retour.
Elle s’arrêta sur le rebord d’où on voyait surtout des nuages. Corail se concentra sur Riri, qui se plaça en face d’elle, dans un vol stationnaire parfait. Corail montra sa main droite contenant trois œufs et elle sentit une bouffée de joie en provenance de Riri, preuve qu’elle avait bien agi selon ses désirs.
Corail observa les œufs, puis Riri. Il s’agissait d’un en-cas bien petit par rapport à la taille de sa dragonne. Ceci dit, certains membres de son banc était prêt à quitter le groupe pendant des jours juste pour avaler des œufs d’esturgeon, dont la taille ne dépassait qu’à peine celle d’un grain de sable.
Corail voulait en avoir le cœur net. S’agissait-il vraiment d’une gourmandise pour sa dragonne ou bien y avait-il plus ? Corail tendit le bras au dessus du vide, les œufs dans la main. Tout en tenant les œufs, elle retourna la main vers le bas et les émotions positives de Riri l’encouragèrent à poursuivre.
Corail avait vu juste. Riri ne souhaitait pas manger les œufs. Elle voulait simplement leur disparition. Il ne s’agissait pas d’œuf de dragon. Pour avoir vu Riri pondre, Corail savait leurs œufs beaucoup plus gros. Ceux-là, de plus, proposaient une teinte crème là où ceux des dragons rayonnaient de couleurs.
Un cri attira son attention. Deux aigles tournoyaient autour de la colonne.
- Papa et maman s’inquiètent pour leurs œufs, comprit Corail.
Elle recula d’un pas et rabattit ses mains contre son ventre. Elle ressentit l’incompréhension via le lien.
- Je suis désolée, Riri, mais je refuse de faire ça.
Sans attendre, elle se faufila à l’intérieur de la grotte et remit les œufs en place avant de ressortir. Elle montra ses mains vides à sa dragonne et attendit. Allait-elle la laisser là pour y mourir de soif ? Allait-elle cracher son feu pour la réduire en cendres ?
Corail jeta un œil en arrière et elle comprit : le couloir droit terminé par une cheminée permettait à un éventuel feu de dragon de sortir de l’autre côté. Le conduit en virages serrés empêchait la chaleur d’arriver jusqu’aux nids. Les aigles avaient appris à se protéger des dragons. Cette guerre devait durer depuis bien longtemps pour qu’une telle mise en œuvre ait été réalisée. Corail supposa les rapaces trop petits pour être aisément atteints par les mastodontes.
- Je ne sais pas ce que les aigles vous ont fait, dit Corail, mais s’attaquer à leurs œufs est un procédé de lâche. Je ne cautionnerai pas un tel acte. Je m’offre à toi, puissante dragonne. Punis-moi si tu veux mais mon choix est fait.
Riri la transperça du regard puis d’un léger coup d’aile, se plaça sur le côté et lui tendit sa patte. Corail grimpa et reprit sa place sur le dos de sa dragonne qui redescendit vers le sol en douceur. À travers le lien, elle ne ressentit aucune colère. Riri ressentait quelque chose que Corail ne parvenait pas à identifier, entre tristesse et déception.
Riri vola un long moment et finalement, l’océan fut à portée. Riri rasa l’étendue bleue et Corail sentit ses jambes être libérées. Elle ne comprenait pas. Que faisait sa dragonne ? Riri tourna un peu la tête et déplaça sa griffe vers sa bouche plusieurs fois.
- Manger ? supposa Corail. D’accord !
Corail n’en revenait pas. Elle s’attendait à être punie et voilà que sa dragonne, au contraire, l’amenait dans l’océan afin qu’elle puisse s’y nourrir. Avisant les ailes déployées de sa dragonne, Corail eut envie de tenter quelque chose. Au lieu de se relever puis de descendre sur la patte pour plonger, elle s’allongea et se laissa glisser le long de l’épaule puis sur l’aile de sa dragonne. Les bras en avant, elle se retrouva dans l’eau après une glissade de toute beauté.
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- Alors, cette première sortie ? Fructueuse ?
Farhynia venait d’avaler un bouquetin rôti que Zaroth était apparu près d’elle, la prenant par surprise.
- Tu me suis ? accusa la dragonne bleue.
- Non. Tu es facile à trouver. Les bouquetins… Ton pêché mignon.
- Comment peux-tu le savoir ? Tu me surveilles ?
- En quelque sorte, admit Zaroth.
Farhynia lui lança un regard noir.
- Disons que j’aurais aimé être à la place de Chavard’all et que je cherchais à savoir comment te plaire. T’offrir un bouquetin faisait partie des possibles. J’ai trop tardé à agir. Tant pis pour moi.
Farhynia se radoucit à ces mots. Zaroth n’était pas laid, elle devait bien l’admettre. S’il l’avait séduite, elle se serait probablement laissé tenter. Après tout, sa puissance ne faisait aucun doute.
- Et donc ? Ta première sortie ? insista Zaroth.
Farhynia grimaça.
- Personne ne trouve un nid du premier coup, dit Zaroth.
- Personne ne réussit l’épreuve des pierres précieuses du premier coup, répliqua Farhynia.
- Cela signifie que tu as réussi ?
- J’ai trouvé un nid, murmura Farhynia.
Zaroth en frémit de fierté.
- Il est toujours intact, précisa Farhynia.
- Que s’est-il passé ? s’enquit-il.
Ses écailles ne résonnaient pas de colère. Il cherchait à comprendre, avec bienveillance. Farhynia baissa la tête, la secoua, cracha quelques volutes de vapeur brûlante avant d’avouer :
- Il s’est passé que tu avais raison et que j’ai voulu n’en faire qu’à ma tête.
- Je suis toujours content de savoir que j’ai raison mais sur quel point ? interrogea Zaroth.
Son ton léger rassura Farhynia. Il ne semblait pas lui en vouloir du tout.
- Tu nous avais prévenu : nous devons dominer notre dragonnier, ne jamais lui laisser le contrôle. Il doit comprendre sa place et ne jamais la quitter.
Zaroth secoua la tête de droite à gauche.
- J’ai choisi une relation amicale, de confiance, de partage. Je n’ai jamais imposé quoi que ce soit à ma fourmi, la laissant venir à moi selon son bon vouloir. Résultat : elle a refusé de détruire le nid.
- Où est-elle ? s’enquit Zaroth qui, lui portait son dragonnier.
- Elle mange. Je préfère chasser sans elle.
- Je comprends, assura Zaroth. Les bouquetins sont vifs et rapides. Ils nécessitent un vol erratique. J’ai mis trop de temps à comprendre comment les attraper. Tu t’étais jetée sur Chavard’all avant.
Les écailles de Farhynia prirent une teinte bleu foncé.
- Pourquoi ta dragonnière a-t-elle refusé de détruire le nid ? demanda Zaroth.
- Je ne sais pas, admit Farhynia.
- Que t-a-t-elle dit ? insista-t-il.
Farhynia grimaça. Elle ne risquait pas de dire quoi que ce soit puisque le lien ne fonctionnait toujours pas.
- Elle a forcément dit quelque chose, poursuivit Zaroth avant de s’arrêter pour écouter un son audible de lui seul.
Farhynia comprit qu’il échangeait avec son dragonnier. Zaroth secoua la tête, fouettait l’air de sa queue puis se tourna vers Farhynia.
- Mon dragonnier m’énerve. Il insiste sur ses suppositions hasardeuses que je n’apprécie guère. Histoire de le faire taire une bonne fois pour toute, je vais poser la question. Farhynia, es-tu capable de communiquer d’esprit à esprit avec ta dragonnière ?
Farhynia baissa la tête de honte. La culpabilité l’envahissait.
- Où a-t-elle appris ton nom ? s’enquit Zaroth.
Toujours ce ton bienveillant, sans colère ni jugement.
- Je ne sais pas, avoua Farhynia. Je n’en ai pas la moindre idée, hurla-t-elle, trop heureuse de pouvoir enfin exposer la vérité.
Le poids sur ses épaules disparut. Elle colla son ventre au sol et griffa le sol.
- Où est ta dragonnière ? interrogea Zaroth.
- Elle mange, répéta Farhynia.
- Allons la rejoindre, tu veux ? J’aimerais que mon dragonnier l’interroge.
Farhynia appela sa fourmi qui réagit positivement. Farhynia s’envola pour atterrir sur la plage.
- Elle se trouvait dans l’eau ? s’étonna Zaroth alors que Corail apparaissait, son vêtement bleu dégoulinant.
- Elle adore manger du poisson. Elle pêche.
- Les humains pêchent sur des bateaux, répliqua Zaroth. Pas directement dans l’eau.
- Même pour ramasser les huîtres ? C’est son pêché mignon.
Zaroth grimaça.
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- Salut Corail.
- Salut Anthony, répondit la dragonnière d’une voix suspicieuse.
Le dragonnier venait de lui adresser la parole et ce alors qu’il se trouvait sur le dos de son dragon. Normalement, il aurait dû se contenter de traduire les paroles de sa monture et « Corail » ne faisait pas partie de la manière dont Zaroth s’adressait à elle.
- Je ne suis plus une fourmi ?
- Ça dépend pour qui, répondit Anthony. Où as-tu appris le nom de ta dragonne ?
- Qu’est-ce que ça peut te foutre ? répliqua Corail.
- Farhynia aimerait bien le savoir. Je transmets cet échange à Zaroth, qui le répète à ta dragonne. Peut-être aurais-tu envie de profiter de pouvoir t’adresser à elle, pour une fois ?
- Je communique très bien avec Riri, merci.
- Riri ? répéta Anthony. Oulà ! Elle n’apprécie pas du tout le surnom. Bon après, c’est mérité.
- Mérité ? répéta Corail.
- Elle t’appelle bien « fourmi ».
Corail fit la moue. Fourmi ? Le surnom que lui avait donné Anthony venait en fait de Riri – de Farhynia. Voilà qui confirmait les soupçons de Corail. Anthony la testait bien lors de cet échange soi-disant informel. Au moins, cette fois, il ne se cachait pas.
- Zaroth te laisse mener l’échange ? s’étonna Corail.
- Zaroth cherche à aider Farhynia. C’est ce qu’il a toujours voulu.
- Voilà comment je l’ai su, indiqua Corail.
- Comment tu as su quoi ?
- Le nom de ma dragonne. Un dragonnier traduisant les paroles de sa monture me l’a dit.
Les griffes de Zaroth creusèrent de profonds sillons dans le sable.
- Zaroth aimerait beaucoup connaître le nom de celui qui a commis cette erreur monumentale, indiqua Anthony.
- Le dragonnier n’y est pour rien. Il ne faisait que traduire…
- Zaroth a compris. C’est le nom du dragon qui l’intéresse, pas celui du dragonnier.
- Je ne le trahirai pas. Il a été adorable avec moi. Il est hors de question que je le dénonce.
Le sable se fit défoncer.
- Mettre un dragon en colère n’est pas une bonne idée, rappela Anthony.
Corail fixa Zaroth dans les yeux et siffla :
- Je ne le trahirai pas.
Zaroth ouvrit la gueule, dévoilant ses énormes dents pointues luisantes de baves.
- Tues-moi si tu veux mais tu ne connaîtras pas son nom.
- C’est Deylom, le dragon d’Ewenn, lança Anthony.
Corail resta de marbre.
- C’est le seul dragonnier qui n’appartient pas à ta promotion que tu as salué dans la grotte des retrouvailles, poursuivit Anthony. Tu semblais en très bonne entente avec lui. Vous avez beaucoup discuté. Merci, Zaroth.
- De quoi le remercies-tu ?
- Il me trouve très doué. Il admire mes talents d’observation et ma perspicacité. Si Deylom n’est pas capable d’apporter à manger aux étudiants sans leur révéler ce genre d’information, il devra changer de poste.
- Deylom adore son travail et le fait très bien.
- Zaroth transmettra ce qu’il vient d’apprendre et la décision de l’ancêtre ne fera guère de doute. Deylom va changer de poste.
- Tu es un connard, gronda Corail.
- Si ça te fait plaisir. Pourquoi as-tu refusé de détruire le nid d’aigle ?
- Pourquoi aurais-je accepté ? répliqua Corail.
- Farhynia aimerait beaucoup savoir pourquoi tu as refusé. Elle a toujours basé votre relation sur la confiance et le respect réciproque. Ton refus l’a blessée.
- Tu traduis vraiment ce que je dis ? s’enquit Farhynia.
- Oui, assura Anthony en désignant le sable défoncé.
- J’aime Farhynia et si elle pouvait arrêter de m’appeler sa fourmi, ça m’arrangerait. Je suis extrêmement triste de ne pas pouvoir communiquer directement avec elle.
- Je veux bien le croire, compatit Anthony.
- Quel est le problème entre les dragons et les aigles ?
Zaroth se tourna vers Anthony. Il y eut un long échange silencieux entre les deux puis Anthony se tourna vers Corail :
- Zaroth ne me permet pas de répondre à ta question.
- Alors laisse-moi exposer mes suppositions et voyons si je suis aussi bonne enquêtrice que toi. Les dragons déposent leurs œufs sur le sol puis s’en vont sans s’en occuper plus que ça. Leurs œufs sont dévorés par les aigles. Comme les aigles sont petits et vifs, les dragons n’arrivent pas à les chasser alors ils s’attaquent à leurs nids. Sauf que les aigles protègent leurs nids, les rendant inatteignables par les dragons. Les dragons se sont alliés aux humains. Les humains détruisent les nids d’aigle. Les humains, de leur côté, sont en guerre contre les siréniens. Or ces derniers vivent dans l’océan, les rendant inaccessibles aux humains alors les dragons brûlent les nids des siréniens pour eux. Donnant donnant. J’ai bon ?
- Tu as réussi à comprendre ça toute seule sans que personne ne te l’explique, admira Anthony. Bravo.
- Sauf que les humains ne supportent pas le manque d’air en altitude. De ce fait, peu d’entre eux sont réellement utiles aux dragons.
Anthony grimaça. Il n’aimait pas entendre qu’il ne servait à rien.
- Nous avons l’habitude du manque d’air, poursuivit Corail. Au fond de l’eau, il n’y en a presque pas. Farhynia pourra confirmer : je suis très à l’aise là-haut.
- Nous ? Qui ça, nous ? s’agaça Anthony.
- Nous avons beaucoup à offrir. J’ai soigné l’aile cassée de Farhynia, rappela Corail. Nous pourrions…
Zaroth rugit férocement en direction de son dragonnier.
- Tu as arrêté de transmettre, comprit Corail.
- Tu es… une sirénienne ! s’exclama Anthony.
- Tu ferais en effet un bon détective, admit Corail avant de détacher sa manche, révélant sa main droite palmée.
- Les siréniens sont censés être couverts d’écailles, avoir une queue, des yeux rouges et des dents acérés. Je ne t’ai vue que rapidement le jour de l’envol que tu as refusé mais quand même ! Ça n’aurait pas pu m’échapper et aux autres non plus !
Corail retira son voile et sa capuche, dévoilant son petit visage fin à la peau blanche, ses yeux bleus en amande, ses lèvres d’un rouge carmin, son nez fin et régulier.
- Tu as l’air… humaine, s’étonna Anthony.
Zaroth gronda de plus belle. Anthony l’ignora pour poursuivre :
- Il est hors de question que je transmette les paroles d’une sirénienne. C’est bien joué, Corail, d’avoir tenté de faire tomber l’alliance entre les dragons et nous mais dis-moi, enquêtrice des abysses, comment vas-tu faire alors que tu ne peux pas communiquer avec eux ?
Corail recula d’un pas, se retrouvant ainsi sous le couvert de Farhynia. Zaroth rugit de plus belle tout en creusant de profonds sillons dans la plage. Un immense rocher blanc tomba du ciel, se plaçant entre Zaroth et Farhynia. Corail en profita pour sauter à l’eau. Sa mission avait échoué.
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- Fiche la paix à Farhynia ! gronda Chavard’all.
- Mon amour ! soupira Farhynia. Zaroth ne me grogne pas dessus. C’est après son dragonnier qu’il en a.
- Quoi ? s’exclama Chavard’all.
- Nous devons tout de suite rendre compte à Greenaco, annonça Zaroth.
Farhynia regarda l’océan, où Corail avait disparu. La dragonne bleue baissa la tête et cracha de la vapeur par les narines. Sa fourmi – non, sa dragonnière – lui manquait déjà. Une sirénienne ? Cela expliquait-il l’absence de communication d’esprit à esprit ?
- Farhynia ! appela Zaroth.
La dragonne se tourna vers lui, le regard vide.
- C’est pour ça qu’elle sentait bizarre, souffla Zaroth.
- Je ne la mérite pas, se souvint Farhynia.
Zaroth grimaça. Farhynia insista :
- Imagine ce que ferait un dragon, un vrai, un expérimenté, tel que toi, avec un dragonnier sirénien. Ton dragonnier a cessé de transmettre mais le début se suffisait à lui-même. Les siréniens souhaitent proposer un accord, un qui pourrait nous être bien plus profitable.
Zaroth fouetta l’air de sa queue.
- Il faut rendre compte à Greenaco, répéta Zaroth. Allons-y !
Les trois dragons prirent leur envol. Le cœur de Farhynia resta sur la plage. Elle ne s’était jamais sentie aussi mal de toute sa vie.
Celui-ci, au-delà de la présentation et de la construction logique de ce monde de Fantasy, aura montré, me semble-t-il, que le véritable argument du récit est le problème de l'incommunicabilité - entre espèces ou entre personnes, peu importe - et des moyens de le résoudre, ou du moins de s'y efforcer.
Un mot sur les dragons, qui auront été pour moi les principaux protagonistes jusqu'ici : ils ont une foule de capacités et de qualités, ils sont même compersifs, mais ils ont des limites dont on ne peut dire si les raisons en sont génétiques ou culturelles. "Nobody is perfect !"
Tout de même, ces dragons-là ont des comportements plus "humains" que beaucoup du genre humain !
Bonne lecture !