Chapitre 9 : Éloignement

Farhynia s’approcha de Chavard’all la queue dressée. Le dragon blanc à pointes noires retroussa ses babines avant de se jeter sur elle, mâchoire grande ouverte. Farhynia, souplement, esquiva les crocs et glissa sous le ventre du mâle trois fois plus gros qu’elle.

Il rit tandis qu’elle lui caressait le ventre de son dos, ses épines glissant sans dommage sur les écailles dures. Il tenta de se retourner pour l’attraper mais elle lui échappa de nouveau. Elle profita de sa liberté pour mordiller la queue du gros dragon qui gloussa.

Alors qu’il armait un nouveau coup de dents, Farhynia prit son élan et bondit dans les airs.

- Je suis bien plus rapide que toi en vol ! s’amusa Chavard’all.

- C’est ce qu’on va voir ! gloussa Farhynia.

Une tâche blanche bondit hors du sol, soulevant de la poussière. Farhynia, du fait de ses petites ailes et de son corps léger, glissait sur le vent de travers avec facilité, alors que Chavard’all, derrière elle, peinait à suivre la cadence. Bonne joueuse, Farhynia vira sur l’aile et le dragon blanc la rattrapa sans difficulté.

Elle tendit le cou et Chavard’all en profita pour la saisir. Il la prit entre ses pattes tout en volant, empêchant totalement la femelle de s’échapper.

- Ta griffe avant droite me fait mal, prévint-elle.

Il relâcha sa prise pour une nouvelle saisie tout en souplesse. Farhynia se retrouva collée contre le ventre de son amant, tenue serrée par ses pattes aux griffes la saisissant avec tendresse. Elle ne pouvait plus remuer les ailes. La frayeur la saisit. Si Chavard’all se plantait, ils mourraient tous les deux.

Farhynia n’ignorait pas que le vol n’était pas exactement le point de fort de Chavard’all et pourtant, pas le moindre soubresaut. Son vol, malgré le poids de la femelle entre ses pattes, n’avait pas dévié un instant, tant en direction qu’en altitude.

La frayeur dans un cocon de confiance fit bondir son excitation. Elle découvrit adorer ainsi lâcher les armes. Seul Chavard’all contrôlait le vol, ses propres ailes étant emprisonnées entre son dos et le ventre de son amant. Elle devait lui faire entièrement confiance. Ils auraient pu faire ça au sol mais Farhynia découvrit qu’en vol, ce n’était pas mal du tout. Elle ronronnait de plaisir.

Lorsque son mandrin titilla l’entrée de sa grotte humide, Farhynia lui ouvrit volontiers l’entrée. Sans cela, jamais le mâle n’aurait pu accéder à quoi que ce soit. Elle commença par n’ouvrir que la première zone. S’il voulait davantage, à lui de se montrer performant. Il ne la déçut pas. Son membre dur la remplissait. Il cognait contre la paroi de la deuxième zone.

Voyant qu’elle ne comptait pas le laisser passer, il serra un peu plus les crocs sur sa gorge. Farhynia retroussa les babines. Elle imaginait sans peine le frayeur qu’aurait ressenti sa fourmi en les voyant agir de la sorte. Pourtant, ils ne faisaient que se courtiser et Farhynia adorait les manières de Chavard’all, tout en force et en puissance.

Il maintenait le cap tout en la labourant, sa queue – celle derrière lui – servant de gouvernail. Farhynia ouvrit la deuxième zone et Chavard’all l’emplit dans un soupir de satisfaction avant de reprendre son manège. Farhynia ne lâcha rien. Chavard’all dut mériter chaque avancée. La prise de terrain requit toute son énergie et finalement, il atteignit la zone de reproduction sous la lune haute.

- Pour une petite jeune, tu es drôlement résistante, la complimenta Chavard’all alors qu’ils dormaient ensemble dans la même alcôve.

Les nuits où sa fourmi ne la rejoignait pas, Farhynia dormait lovée contre son amant.

- Je suis très contente de t’avoir séduit. Tu as été parfait. Un moment grandiose.

- Toute une journée… C’est savoureux !

Farhynia ronronna de plaisir avant de s’endormir, harassée.

 

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Farhynia suivait le cours avec application. Elle comprenait enfin la plupart des propos de Tybald et en profitait pour améliorer son vol. Elle espérait bien virer sur l’aile aussi vite que lui et appréhender des vents cisaillant avec sérénité.

Elle devait se concentrer pour suivre les propos de Tybald tout en maintenant son cap. Elle comptait bien réussir, cette fois !

Une sensation de tiraillement au creux de son ventre lui fit rompre la formation. Avec effroi, elle se rendit compte que, trop concentrée sur le vol, elle avait ignoré les signes pourtant clairs envoyés par son corps.

Angoissée, elle vira sur l’aile et utilisa tous les vents pour augmenter sa vitesse. Elle sentit la peur de sa fourmi via le lien mais ne prit pas la peine de la rassurer. Elle devait se presser. Il n’y avait pas de temps à perdre.

Elle remercia silencieusement Tybald pour ses cours. Grâce à lui, elle atteignit son objectif plus vite qu’elle ne l’aurait imaginé et surtout, à temps ! Elle se fut à peine posée que son œuf jaillit. Dans un soupir de soulagement, elle se redressa et contempla l’ovoïde blanc rayuré de bleu. Pas une égratignure. Ponte parfaite. Farhynia poussa un rugissement de joie avant de s’envoler, plus heureuse que jamais. Elle venait d’offrir un espoir à son espèce. La crainte de voir les aigles s’attaquer à son petit l’étreignit. Son envie de protéger la poussa à persévérer deux fois plus.

Elle rejoignit la formation dirigée par Tybald. Le professeur ne lui tint pas rigueur de sa disparation. Tous ici étaient des adultes. Nul n’était en prison. Chacun allait et venait à sa guise. Tous visaient le même but : le titre de protecteur.

 

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- Épreuve assez simple pour des troisièmes années, proposa Zaroth.

Les cours de feu et de vol avaient disparu en fin de deuxième année, les professeurs ayant jugé avoir atteint leurs objectifs – ou que les étudiants n’y arriveraient jamais. Cinq dragons avaient obtenu leur diplôme. Les autres avaient laissé tombé. Ne restait que trois dragons encore en piste pour cette troisième année. Zaroth partageait son temps entre les premières, deuxièmes et troisièmes années.

Chavard’all avait perdu son cavalier au milieu de la première année dans des circonstances inconnues de Farhynia, son compagnon ne s’étant pas étendu sur le sujet et la jeune dragonne bleue n’avait pas insisté. Il avait demandé l’autorisation de dormir à la caverne avec Farhynia, permission obtenue à condition qu’ils dorment dans la même alcôve, ne prenant la place de personne, sacrifice que les deux amoureux n’eurent aucune difficulté à concéder.

Seul le lien posait problème aux trois derniers étudiants de troisième année. Zaroth déployait des efforts inimaginables pour les aider à étendre leur lien avec leur cavalier, en vain. Farhynia n’entendait toujours pas sa fourmi dans sa tête. Violmen et Agruip les entendaient, vaguement, par moment, de temps en temps avec clarté, d’autres fois dans un brouillard.

- Trois pierres précieuses ont été cachées dans une grotte : une bleue, une rouge et une jaune. Ai-je besoin de préciser laquelle va avec qui ?

Les trois étudiants, Farhynia, dragonne bleue, Agruip, dragon jaune et Violmen, dragonne rouge, secouèrent négativement la tête.

- Les humains aiment naturellement ce qui brille alors ils ne devraient pas avoir de difficulté à prendre les pierres. Le problème est de leur faire comprendre ce qu’on attend d’eux, à savoir fouiller la grotte – ils ne sont pas friands d’avancer dans le noir – et rapporter la pierre de la bonne couleur. Le premier qui rapporte sa pierre a gagné. Des questions ?

- Dans quelle grotte sont cachées les pierres ? interrogea Agruip.

Zaroth expliqua précisément comment les trouver. Farhynia trouva les explications limpides. De ce fait, elle ne voyait pas bien la difficulté… en dehors du fait de devoir faire comprendre à sa fourmi ce qu’elle attendait d’elle.

Les trois étudiants partirent en formation, Zaroth restant sur place.

- Je ne suis pas bien sûr de voir l’intérêt, siffla Agruip, son jaune aveuglant à moitié Farhynia lorsqu’elle le regardait.

Le soleil se reflétait sur ses flancs unis, teinte rare parmi les dragons.

- Zaroth sait ce qu’il fait, dit Farhynia. On ne comprend pas mais au final, ça prend sens.

- Tu ne dis rien, Violmen ?

- Je vais échouer, annonça-t-elle.

Agruip et Farhynia lui lancèrent un regard surpris.

- Mylo est bavard après le sexe, expliqua Violmen. Il m’a parlé de cette épreuve qu’il redoute et à laquelle il a toujours raté.

Agruip et Farhynia ouvrirent grand leurs oreilles.

- C’est la seule raison pour laquelle il est resté trois ans alors que c’est son vingt-troisième appel. Il a déjà été protecteur à de nombreuses reprises. Il maîtrise son feu et son vol à la perfection. À son âge, le contraire serait étonnant.

Farhynia acquiesça.

- Il rêve de la mission ultime de protecteur, qui lui échappe à chaque fois à cause de cette épreuve. Tout le monde échoue à la première tentative. Nous pourrons la refaire autant que nous le voudrons, tant que notre cavalier ne meurt pas.

- Encore une épreuve où la vie de notre cavalier est en jeu ! gronda Farhynia, agacée.

- Ce n’est que la reproduction, en moins dangereux, de la réalité à venir. Si ton cavalier ne supporte pas ça, inutile d’espérer la vraie mission de protecteur qui va avec, expliqua Violmen.

- Explique-nous, demanda Agruip.

- La grotte où nous nous rendons se trouve en haute altitude. Là haut, l’air se raréfie. Votre cavalier va s’étouffer. Le premier risque est qu’il prenne peur. Savez-vous comment les humains réagissent face à la terreur ?

Les deux dragons secouèrent négativement la tête.

- Ils se figent – et ne peuvent plus remplir la mission – ou s’enfuient – et sautent depuis le parapet. Dans ce dernier cas, plongez pour le rattraper et espérez l’atteindre avant qu’il ne percute un rocher en contrebas.

Farhynia frissonna. Elle n’avait aucune envie de perdre sa cavalière. Elle espéra qu’elle choisirait l’immobilisme.

- Le manque d’air leur donne des hallucinations. Ils voient et entendent des trucs qui n’existent pas sauf qu’à travers le lien, vous pouvez être contaminés vous aussi.

- Il suffit de couper le lien, fit remarquer Agruip.

- Ton cavalier va devoir s’enfoncer dans une grotte obscure à la recherche d’une pierre alors qu’il est en proie à des hallucinations et qu’il a la sensation de mourir asphyxié. Si tu coupes ton lien, c’est fini. Au contraire, il faut l’accentuer afin de prendre le contrôle de ton cavalier, de le manipuler telle une marionnette.

- Je suis incapable de faire ça, ronchonna Agruip.

Farhynia comprit pourquoi Zaroth insistait sur le fait de dominer son cavalier.

- En quoi cela est-il une reproduction en facile de la réalité ? demanda Farhynia.

- Le but ultime du protecteur est de protéger, non ? lança Violmen en virant sur l’aile.

Ils approchaient du but. Violmen poursuivit tout en amorçant l’atterrissage sur la grande plateforme.

- Dans la vraie vie, la grotte ne sera peut-être pas vide et ne proposera pas une aire d’atterrissage en bonne et due forme. Le cavalier devra probablement escalader pour y arriver malgré le manque d’air. Il devra sûrement se faufiler pour explorer la caverne. Les parents aigles pourraient s’y trouver et les pierres seront des œufs ou des oisillons, plus ou moins gros selon leur âge. Si ton cavalier ne t’obéit pas, jamais il n’acceptera de détruire le nid.

- Mon cavalier montre des signes d’angoisse, indiqua Agruip.

- Le mien aussi, précisa Violmen.

Farhynia ne ressentait que sérénité du côté de sa fourmi. Elle n’en dit rien, de peur de paraître prétentieuse. Les cavaliers descendirent puis se dirigèrent vers la grotte. Farhynia regarda sa fourmi disparaître dans l’entrée sombre et grimaça. Elle avait tant peur de la perdre !

 

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- On y voit rien ! gronda Varol, le cavalier de la dragonne rouge.

- J’ai l’impression qu’un marteau tape dans ma tête, se plaignit Phaegal.

Ses cheveux blonds – de la même couleur que son dragon - dégoulinaient de sueur. Phaegal s’arrêta de marcher, s’appuya contre la paroi et haleta.

- Tu tiens le coup, Phaegal ? demanda Corail.

- Je n’y arriverai pas, annonça-t-il avant de s’écrouler au sol.

Varol s’accroupit près de lui. L’homme à la peau noire vérifia l’état du blond.

- Il respire, annonça-t-il. Je me sens mal. J’ai la nausée.

Corail inspira et sourit. Le manque d’air, elle connaissait. En fait, elle était mieux ici qu’en bas. La composition de l’air correspondait mieux à ses besoins. Corail avança dans la grotte, laissant les cavaliers affaiblis derrière elle. L’absence de lumière ne la dérangeait pas outre mesure. Sa seconde vue – bien que plus difficile à utiliser dans ce milieu gazeux - lui permettait de se repérer si bien qu’elle avança sans crainte jusqu’à atteindre un renfoncement où elle repéra trois pierres. Dans le noir, impossible de les différencier mais elle supposa qu’elle était censée en ramener une. Elle s’empara des trois et retourna vers la sortie, repassant devant Varol et Phaegal qui tentaient, en rampant, de sortir de la caverne.

Une fois revenue sur la plateforme, Corail regarda les pierres : un saphir, un topaze et un rubis. Elle leva les yeux vers les dragons. Savoir laquelle revenait à qui n’était pas très compliqué. Elle garda le saphir puis retourna dans la grotte. Elle donna le topaze à Phaegal et le rubis à Varol avant de revenir vers Riri. Elle lui plaça le saphir sous le nez avant de monter sur son dos. Riri s’envola et sa joie la transperça via le lien.

 

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- Qu’est-ce que tu as ? demanda Corail à Jack alors qu’ils s’apprêtaient à se coucher dans la cabane.

- Je suis triste, annonça Jack.

- Pourquoi ? interrogea Corail.

- Demain matin, tu partiras et je ne te reverrai plus jamais, indiqua Jack.

- De quoi parles-tu ?

- Demain est le jour du choix, lança Jack.

- D’habitude, cela te met en joie car tu vas enfin pouvoir baiser !

- Sauf que ça fait trois ans. Personne ne reste plus de trois ans.

Corail blêmit.

- Que se passe-t-il au bout de trois ans ? s’enquit-elle, certaine de n’avoir aucune envie de connaître la réponse.

- Aucune idée. Personne ne revient pour le dire. Personne ne revient tout court.

Corail se blottit tout contre Jack. Elle ne s’imaginait pas ne pas le revoir. Elle comprit sa tristesse à laquelle la sienne fit écho. S’en aller ? Quitter ce lieu ? Pour où ? Pour faire quoi ? Avait-elle échoué ? Serait-elle mise à mort par Farhynia ? Elle ne pouvait l’imaginer.

Le lendemain matin, Jack et Corail mangèrent ensemble en silence, profitant de l’autre avec une gêne mêlée de nostalgie. Jack lui tendit un sac. Corail constata qu’elle contenait ses deux tenues de rechange, ses seuls biens. Elle ne put s’empêcher de pleurer. Jack essuya tendrement la goutte d’eau salée puis lui murmura de partir. Riri appela Corail à travers le lien. Corail s’extirpa des bras de Jack pour rejoindre le terrain d’envol sans un regard en arrière. Son ventre noué rendait chaque pas difficile. Ses jambes pesaient des tonnes. Corail avait envie de retrouver Farhynia sauf que cette fois, cela signifiait perdre Jack.

Farhynia lui offrit sa patte avant, que Corail grimpa avec l’aisance de l’habitude. Corail ne ressentit aucune compassion à travers le lien. Elle ferma les yeux et se concentra sur les émotions de sa dragonne pour ressentir un sentiment de défaite, une profonde tristesse, une énorme déception.

Corail supposa que Farhynia s’en voulait d’avoir échoué. Corail volait vers sa mort. Elle en était certaine. Comment échapper à ce guêpier dans lequel elle s’était elle-même fourrée ? Un goût amer ne quittait pas sa bouche. Trois ans de sacrifice pour rien ? Elle n’en revenait pas.

Sa dragonne finit par se poser dans un lieu nouveau. Un immense plateau de roche, sans la moindre végétation, s’ouvrait dans toutes les directions. En altitude, il aurait fallu des heures de marche pour l’atteindre et sans cachette, cet endroit serait très facile à défendre. Au centre, une petite colline constituait le seul obstacle à la vue. Percée d’un trou, cette colline constituait sans aucun doute l’entrée d’une grotte souterraine.

Une immense dragonne verte se tenait devant, telle la gardienne d’une salle au trésor. Tout autour, des centaines de dragons, tous montés, se tenaient, certains posés, d’autres en vol.

À droite de la dragonne verte se tenait Zaroth. À gauche, l’énorme mastodonte bleu ayant refusé son accès à la caverne lorsque Riri était absente à cause de son aile cassée. Un homme à la peau ambrée se tenait sur son dos. Farid, si la mémoire de Corail était bonne. Sa disparition du complexe n’était ainsi pas dû à sa mort. Il avait réussi à devenir dragonnier.

En serait-elle capable ? Corail observa les centaines d’yeux la scrutant et frémit. Sous les projecteurs, elle bénit Jack et sa robe la masquant entièrement. Elle se sentait un peu mieux, cachée sous son voile.

Elle reconnut quelques têtes. Varol sur sa dragonne rouge, Phaegal sur sa monture jaune poussin et même, plus loin, Deylom et son dragonnier dont elle ne connaissait pas le nom et qui, pourtant, pendant trois ans, lui avait apporté saumon et huîtres.

Sa mise à mort nécessitait-elle vraiment autant de monde ? Ils ne s’embarrassaient d’une telle mise en scène d’habitude. Combien de cavaliers avaient été dévorés dans l’indifférence générale ?

À moins que son secret n’ait été éventré ? Ils savaient. Ils s’apprêtaient à lui faire payer sa traîtrise. Elle se mit à trembler, consciente que la suite n’allait pas être belle et l’angoisse sourde de sa dragonne ne l’aidait pas à se détendre.

Farhynia s’avança jusqu’à se trouver à deux pas devant l’immense dragonne verte aux ailes trouées et déchirées. Ses écailles cassées témoignaient d’un âge avancé.

Corail aurait voulu pouvoir dire à sa dragonne combien elle l’aimait et qu’elle ne lui en voulait pas. Elle sentait bien que Farhynia ne se trouvait pas à cet endroit de son plein gré, qu’elle subissait une pression sociétale. Corail allait mourir, contre l’avis de sa dragonne. Elle caressa ses écailles, entre les épaules, geste rassurant et tendre.

Zaroth leva les yeux vers Corail et son regard la transperça. Farhynia venait-elle de refuser de la tuer ? Le géant marron allait-il s’en charger lui-même ? Corail se liquéfia. Ce dragon-là la terrifiait. Il y avait de la méchanceté dans ses yeux.

- Comment se nomme ta dragonne ? demanda le dragonnier de Zaroth.

- Pardon ? lança Corail, qui ne s’attendait pas à ce qu’on lui adresse la parole et encore moins pour lui poser une question.

- Quel est le nom de ta dragonne ? répéta-t-il d’un ton agacé.

- Farhynia, pourquoi ? répondit Corail, circonspecte.

Un silence de plomb tomba sur la plaine sèche. Tous les dragons se figèrent. Corail sentit Farhynia trembler autour de ses jambes. La dragonne tentait de cacher ses émotions mais intérieurement, elle exultait. À travers le lien, Corail ressentit de la joie, mais également, en arrière plan, une appréhension suivit d’une vague de reconnaissance sur ton d’incompréhension. Corail comprit surtout que sa dragonne vivait des émotions intenses et nombreuses, trop pour pouvoir trier.

Corail, de son côté, nageait en pleine incompréhension. Que venait-il de se passer ? Farhynia s’envola et ses vrilles exprimèrent toute sa joie. Elle dansa avec les nuages, réalisa des piqués vertigineuses et des looping, le tout en serrant les jambes de Corail avec brutalité, sans les casser toutefois. Elle finit par atterrir. Les jambes libérées, Corail descendit et Farhynia s’éloigna pour disparaître derrière un pan de montagne.

Corail se trouvait sur un surplomb en altitude. D’un côté : une grotte immense dans une montagne de pierre sombre. De l’autre, un splendide panorama de verts, de marron et d’ocres. Au loin, Corail perçut le bruit d’une cascade. Corail s’avança vers le paysage pour constater la présence proche d’un précipice. Elle étudia rapidement son environnement pour conclure l’évidence : le seul moyen de quitter cet endroit était en volant.

Elle renifla puis se rendit vers la grotte. Elle y dénombra trente-deux hommes et trois femmes.

- Salut Corail, la salua une voix masculine.

- Salut Phaegal, répondit Corail, heureuse de retrouver le blond, une tête connue.

Elle le fut moins de retrouver d’autres visages. Presque tous ses agresseurs de la première année se trouvaient là. Une partie d’elle avait un peu espéré qu’ils étaient morts. Raté.

Dans un coin, certains jouaient aux osselets. Des gémissements en provenance du fond prouvaient qu’un autre genre d’activité se tenait. La plupart discutait.

- Ton lien a fini par se développer, sourit Phaegal. J’en suis heureux pour toi.

- On est où ?

- Là où nos dragons nous déposent en journée lorsque notre présence n’est pas requise, indiqua Phaegal. On se fait chier en attendant que nos montures nous rejoignent.

- Super, ironisa Corail. Il n’y a vraiment rien à faire ?

- Non, admit Phaegal. En dehors de discuter. On se raconte souvent nos journées sauf que certains ont vraiment des journées de merde. Farid est éclaireur. Tu te souviens le vol super long sur l’océan ?

Corail s’en souvenait très bien. Un goût aigre traversa sa bouche à ce souvenir.

- Il fait ça toute la journée.

- Il est là, pourtant, fit remarquer Corail en reconnaissant le jeune homme adossé contre la paroi, en grande discussion avec d’autres dragonniers.

- Une fois par lune environ, nous sommes tous réunis, indiqua Phaegal. Je ne sais pas pourquoi. Agruip ne m’en a jamais indiqué la raison.

Corail acquiesça.

- Salut, dit une voix masculine dans son dos.

Corail se retourna pour constater la présence d’un homme de trois têtes de plus qu’elle, serrant contre lui une femme aux muscles bien dessinés ne portant qu’un vêtement tellement peu couvrant et moulant qu’il aurait tout aussi bien pu ne pas exister. Jambes, pieds, bras, mains, ventre et dos nus, seul ses seins et son sexe se cachaient derrière des bouts de tissus que Corail jugea ridicules. À ce niveau-là, autant se dévêtir carrément, non ?

- Tu es timide ? interrogea l’homme.

- Corail, je te présente Aeros. Il est le dragonnier avec le plus d’ancienneté, indiqua Phaegal. Sa copine est Jasmine, une des rares femmes dragonnière.

- Pourquoi caches-tu ton visage ? Tu en as honte ? insista Aeros.

- Corail a été agressée au centre d’entraînement, indiqua Phaegal, un événement auquel j’ai participé et dont je ne suis pas fier. L’alcool. La proximité avec la mort. L’effet de groupe. Ça nous fait faire des conneries. Après ça, Corail s’est changée et depuis, elle s’habille toujours ainsi.

- Elle ? répéta Aeros avant de la déshabiller des yeux. J’aurais juré que tu étais un homme, pourtant.

Corail ne démentit ni ne confirma.

- Tu as perdu ta langue ? s’amusa Aeros.

Corail s’avança pour passer à côté d’Aeros puis alla à la rencontre d’une tête connue.

- Salut, dit l’homme d’une quarantaine d’années. Je suis content de te voir là. Je n’y croyais plus.

Enfin quelqu’un qu’elle pouvait regarder dans les yeux sans avoir à se dévisser la tête.

- Corail, c’est mon nom. Et toi ? Parce que bon, t’appeler « le dragonnier de Deylom », ça va un moment.

- Ewenn, répondit-il en souriant, faisant agrandir la cicatrice qui lui barrait la joue.

- Je tenais à te remercier. Trois ans à aller me chercher du poisson et des huîtres. Un vrai régal de mon côté.

- Je t’en prie. J’aime mon travail et je tiens à le faire bien. Deylom et moi sommes ravis de servir de cette façon.

- Et ici ? On mange comment ?

- Ah ça, c’est à la discrétion de ton dragon. La plupart partagent leur chasse alors il faut t’habituer à manger la même chose que lui. D’autres déposent leur dragonnier dans un verger ou un potager. Certains atterrissent près d’un marché et attendent que leur dragonnier fasse les courses.

- Nous n’avons pas d’argent, fit remarquer Corail.

- Un dragon te permet d’obtenir gratuitement tout ce que tu veux, rigola Ewenn.

Corail l’accompagna puis demanda :

- Où puis-je poser mes affaires ?

Elle désigna son aumônière, contenant ses deux tenues de rechange.

- Garde ça avec toi tout le temps. Nous ne possédons rien alors les jalousies sont vives. Tout ce que tu arrives à glaner te sera volé si tu le laisses disponible. Farhynia t’amènera ce soir dans sa grotte personnelle. Tu pourras poser ton sac là-bas.

Corail indiqua qu’elle avait compris. Elle serra son bien contre elle. Hors de question de perdre les seuls souvenirs de Jack. Quand pourrait-elle le revoir ? Cela serait-il seulement possible ? Comment le demander à Farhynia alors même qu’elle ne pouvait toujours pas communiquer d’esprit à esprit avec elle ? Et même si elle le pouvait, sa dragonne lui aurait-elle accordé un droit de visite ? Corail se perdait dans ses questionnements internes.

- Salut Corail, lança le dragonnier de Zaroth, venant à sa rencontre depuis la droite où il discutait jusque là avec Phaegal.

- J’ai le droit de connaître ton nom maintenant ? s’enquit Corail ravie de cette diversion lui permettant de cesser de ressasser ses sombres pensées.

- Tu as en effet réussi à nommer ta dragonne. Pourtant, ton lien avec elle ne semblait pas s’être développé. Dire que Zaroth a été surpris serait faible.

- Nommer ma dragonne ? Quel rapport avec le lien ? interrogea Corail.

- Où donc aurais-tu pu l’apprendre ? répliqua le dragonnier.

Corail se tourna vers Ewenn. Le dragonnier ne sembla pas comprendre pourquoi elle le fixait. Corail se retourna vers son interlocuteur.

- Anthony, précisa le dragonnier en plissant les paupières. Bienvenue parmi nous, Corail la fourmi.

- Pourquoi m’appelles-tu ainsi ?

Anthony la fixa intensément puis s’éloigna en serrant les poings. Corail décida de l’ignorer pour se concentrer sur Ewenn, qu’elle était très heureuse de découvrir.

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Dyonisia
Posté le 11/09/2024
Un grand bon en avant, et même plusieurs, qui apportent d'intéressantes informations, sur les amours dragonniennes notamment et sur les objectifs de cet étrange système de binômes dragon/humain.
Des dragons très loin de leur représentation classique, d'ailleurs, qui se révèlent, par leurs sentiments et comportements, de plus en plus comparables aux humains dont ils n'ont rien à envier des fonctionnements.
Mais Corail n'est pas humaine, le fait est acquis. Est-ce pour cela que Riri et elle se comprennent si bien malgré un "lien" médiocre ?
Nathalie
Posté le 12/09/2024
Chaque espèce a son propre mode de fonctionnement mais pour pouvoir interagir les unes avec les autres, elles doivent avoir un minimum en commun, en effet.

Il faut bien avancer un peu. Après tout, le tome 1 est presque terminé. Aura-t-on les réponses bientôt ou faudra-t-il attendre les tomes suivants ?

Bonne lecture !
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