— Qui êtes-vous ? demanda Rachel.
— Quelle étrange question, répondit l'inconnue. Ne me reconnais-tu donc pas ?
— Non.
— Alors, ignore ce que je suis et offre-moi un déguisement qui conviendrait au dessein que je forme.
Rachel restait silencieuse, ne sachant pas quoi répondre. Perdue au sein même de cet étrange univers.
— Je suis Serena. Une vieille amie, ou plutôt ta meilleure amie si tu préfères. Une amie sur qui tu as toujours pu compter.
— Ma meilleure amie ? Qu'est-ce que vous racontez ? questionna-t-elle ahurie.
Elle ne connaissait pas de Serena et ne l'avait jamais vue, mais bizarrement sa présence lui procurait un sentiment de bien-être, de réconfort et de protection. En sa compagnie, Rachel se sentait plus forte.
— Depuis le premier jour bien sûr ! dit-elle avec aplomb en écartant les bras. Nous avons toujours été ensemble et je t'ai toujours protégée. Même si ces dernières années tu ignorais mes avertissements et conseils.
— Très bien, répondit Rachel confuse. Et maintenant chère amie ?
— Je t'en prie oublie les formes de politesse, appelle-moi plutôt par mon prénom. Je préfère.
— Oh ? D'accord. Serena, pourquoi m'as-tu fait venir dans cet endroit ? reprit-elle.
Rachel observait le paysage. L'immense cité aux nombreuses courbes s'étendait jusqu'à l'horizon, où d'étranges structures flottaient au-dessus et autour d'elle.
— La question est plutôt : pourquoi es-tu venue jusqu'à moi ? C'est toi qui m'a appelée à l'aide après tout. Mais ne dis rien. Je connais la raison de ta présence.
La sombre silhouette se dissipa dans un amas de particules noires et réapparut derrière Rachel. Elle l'enlaça avec tendresse.
— Tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse de pouvoir parler à nouveau avec toi. Cela me réchauffe le cœur, dit-elle avec mélancolie. Je me sentais si seule. Loin de toi. Loin de tout. Isolée du monde extérieur. Mais maintenant que nous sommes à nouveau réunies, plus rien ne pourra nous arrêter. Ensemble, nous sommes fortes.
Un sentiment infiniment précieux et délicat s’emparait de Rachel. Un sentiment merveilleux qui lui apportait une joie intense enfouie comme un trésor au fond de son cœur.
Elle se surprit à lui prendre la main d'un geste machinal.
— Serena ?
— Oui ?
— Quel est cet endroit ? Je me sens d'humeur maussade quand je regarde ces ruines.
Des larmes coulèrent soudainement le long de ses joues. La vue de cette ville endormie lui rappelait l'état de Bourg-d'Argent. La mâchoire serrée et les yeux noyés, un vide intérieur inexplicable se formait en elle.
— Ce lieu est mon domaine. Appelle-le comme bon te semble cela n'a pas d'importance. Il est influencé par tout ce que tu vis. J'éprouve aussi de la douleur et du chagrin quand j'observe ces vestiges. Le vois-tu toi aussi ?
— Voir quoi ?
— Notre déclin, murmura-t-elle à son oreille.
Le décor changea subitement pour laisser place à une vision terrifiante. D'immenses colonnes de flammes prenaient d'assaut la cité mise à feu et à sang, alors que d'étranges créatures, à l'apparence déconcertante, envahissaient par millier les rues, massacrant sans la moindre pitié les habitants sur leur passage.
Leurs cris désespérés résonnaient dans son esprit.
S'il vous plaît, épargnez-moi !
À l'aide ! Quelqu'un !
Protégez les civils ! Bloquez l'avenue, empêchez-les d'avancer !
Que Rhamée nous protège !
Ils sont trop nombreux, ils sont partout !
Ayez pitié ! Ce n'est qu'un enfant !
Tenez vos positions ! Venetia ne tombera pas aujourd'hui !
Une puissante explosion retentit et un nouveau flot d'images défilait.
Les piliers d'un immense édifice consacré au commerce et à la justice volèrent en éclat. Une pluie de débris retomba. L'avenue était recouverte de corps sans vie, gisant dans des mares de sang. Des créatures pratiquement humaines, à première vue, déferlaient. Elle possédaient quelques caractéristiques visibles comme des sabots, des cornes, une peau écailleuse, et d'autres avaient une peau rouge avec de grandes et longues oreilles pointues.
Le regard de Rachel s'arrêta sur le cadavre d'une femme aux cheveux blond vêtue une robe en dentelle. Elle ne pouvait pas identifier le visage car cela n'en était plus un. C'était un masque cadavérique, horrible et macabre. Elle percevait dans sa bouche grande ouverte, des dents brillantes teintées de sang où saillait l'os difforme, creux et mal soudé de sa mâchoire inférieure.
Sous une voûte soutenue par une large colonne de pierre, là où six couloirs se rejoignaient, une créature reptilienne crachait de longues langues de feu qui envahissaient les passages un à un. Ses flammes anéantissaient en un instant la vie des combattants, et ceux qui s'en échappaient se faisaient écraser par de grandes masses de métal noires, avec lesquelles des sortes de géants d'obsidienne frappaient.
La vision s'évapora et laissa place à une bataille se déroulant au centre d'une gigantesque place publique. Cette armée de monstres venus tout droit des enfers se ruaient sur une formation de lanciers lourdement armés, soutenus par des soldats équipés d'armes à feu et de golems de fer, portant un canon sur leur dos.
Un commandant ordonna de tirer et une pluie de métal s'abattit sur le champ de bataille. Les explosions marquaient le sol de trous béants qui se remplissaient de corps sans vie, et malgré cette puissance de feu, rien ne semblait arrêter leurs ennemis innombrables. Le souffle d'une détonation détruisit une des glorieuses statues édifiées à la Matriarche. Le symbole de l'ordre, de la justice, de la foi et de la pureté sombrait avec eux.
Rachel découvrait l'horreur de la guerre.
Au milieu du chaos, un terrible rugissement résonna au même moment qu'un faisceau lumineux s'éleva dans le ciel. L'air trembla. Une brèche rougeâtre se formait. La barrière qui séparait la réalité se brisait. D'immenses brasiers s'en échappaient et une silhouette titanesque à l'effroyable regard jaune en émergeait.
L'atmosphère changea brusquement. Le grondement du tonnerre retentit et la foudre frappa la cité à plusieurs reprises, détruisant des quartiers entiers.
Une puissante voix rocailleuse fit vibrer l'air.
— Souffrance... Agonie... Vous pensiez que nous vous avions oublié ? Notre haine consumera votre engeance. Nos tourments agiteront votre misérable royaume. Tremblez sous notre fureur car vous n'échapperez pas à notre colère. Ce monde volera en éclat et brûlera tout entier dans la glorieuse Lumière de Sorangar !
Le colosse rassemblait une grande quantité de magie dans son poing en une immense masse de roches en fusion. Son regard se tourna lentement vers Rachel.
— Tu penses avoir la maîtrise du Feu ? N'oublie pas à qui appartient la source de ton pouvoir.
Il relâcha sa puissance contenue dans sa direction. La libération de l'énergie accumulée provoqua un séisme sous son passage, une faille persistante se formait et libérait du magma. La boule de feu s'abattit sur Rachel, et lors du choc elle se réveilla en sursaut trempée de sueur.
Ses poings crispaient les draps à lui faire mal. Autour d'elle régnait le silence. Elle reconnaissait la chambre de la chapelle plongée dans la pénombre qu'un mince rayon de la lumière de la lune transperçait comme un poignard.
Le feu. Tous ces gens morts. Ce sang. Ces étranges créatures et cette chose... Louée soit Rhamée, ce n'était qu'un cauchemar...
Elle avait le souffle court et sa gorge était sèche. Et elle avait froid aussi.
Enroulée dans des draps, Rachel se rendit compte qu'elle se trouvait à moitié en bas du lit. Elle se releva confuse. Le miroir de la commode reflétait une image différente de celle qu'elle avait l'habitude de voir.
Des profondes balafres recouvraient la moitié de son visage défiguré. Plusieurs mèches de ses cheveux viraient au blanc. Un reflet grisé reluisait à la lumière de la lanterne. Elle ne se reconnaissait pas et se trouvait affreuse.
Avec délicatesse, elle passa ses doigts sur les endroits de sa peau devenus rouge cramoisi, sec et douloureux. La poitrine serrée, elle hurla de rage et frappa de toutes ses forces le miroir qui vola en éclat.
Rachel tomba sur ses genoux les larmes aux yeux. Elle se pelotonna dans ses draps avec une boule dans la gorge. On lui avait volé sa beauté. Non seulement elle souffrait de ses cicatrices, mais en plus sa vie était brisée par des séquelles lourdes de conséquences.
Hâte de voir la suite ^^
Merci pour ton commentaire encourageant, ça me fait plaisir que tu apprécies l'univers !
Je ne saurais pas te dire quand je reprendrai les publications. J'attends d'avoir assez de contenu à publier pour de ne pas perdre le lecteur dans sa lecture. C'est toujours plus agréable de suivre une histoire de manière régulière que détachée. ^^
Merci pour ta lecture et ton enthousiasme, la suite devrait arriver dans le courant du mois ou début février. J'ai eu très peu de temps à me consacrer à l'écriture les deux mois passés et je prends mon temps pour rédiger mes chapitres.
J'espère te revoir prochainement lorsque je reprendrai les publications !
Tes chapitres sont bien écrit, agréable à lire. Par contre, je n'arrive pas à rentrer dans l'histoire, j'ai du mal à m'attacher à tes personnages. Ça doit venir du fait que je ne lis quasiment jamais ce genre d'histoires.
C'est un univers sombre et violent, je comprends tout à fait que tu n'arrives pas à accrocher, mais quoi qu'il en soit, je te remercie d'avoir pris un peu de ton temps pour ta lecture et d'avoir pointé du doigt ce qui devait être amélioré / corrigé. ^^
J'ai bien aimé aussi la fin, quand après avoir vu la guerre et la destruction que nous, lecteurs, imaginons à venir, Rachel pète un câble parce qu'elle est défigurée. C'est plutôt logique comme réaction, mais en même temps on a envie de lui faire remarquer qu'elle risque de perdre bien plus que sa beauté, en tant que personnage principal (d'ailleurs j'imagine que sous les "séquelles lourdes de conséquences" se cachent plutôt ses traumatismes et sa folie, et si c'est le cas c'est une manière plutôt élégante d'illustrer comment les fois ne savent pas qu'ils sont fous. En fait je ne sais pas comment expliquer mais ce paragraphe-là marche du tonnerre, d'un point de vue scenaristique 😍)
Sinon y'a un petit truc qui m'a faite tiquer au début, c'est que la "lettrine" s'est mise sur le tiret du dialogue, c'est un peu bizarre, est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen de contourner ça ? Avec un guillemet, un espace où juste un l'enlevant ? Bon c'est pas gênant non plus hein...
Content que tu aies apprécié ce chapitre, je me demandais si la scène de rencontre ne manquait pas d'une sorte d'élément déclencheur, mais il semblerait que ça soit satisfaisant !
Concernant la lettrine, je pense que le problème doit venir de ton côté, je n'ai pas ce soucis. :x
Sinon, je ne pense pas que j'aurai le temps de terminer le prochain chapitre d'ici vendredi, alors ne soit pas surprise si la suite met un peu de temps à venir. Je ne suis pas très rapide. Néanmoins, je trouverai le temps pour venir lire ton second chapitre - qui me fait de l’œil - publié depuis un petit moment !
Merci d'être au rendez-vous chaque semaine, je suis toujours enthousiaste de lire tes retours. ^^
D'accord, je ne suis pas surprise ^^
C'est donc toi qui avais raison : le lin, c'est 100% historique, même chez les plus pauvres.
Je m'inspire pas mal de notre histoire, mais ça m'arrive de prendre des libertés et de manier à ma sauce.