Cette mission allait enfin nous permettre d’enfiler les fameuses combinaisons spatiales, noir et or, qui nous accompagneraient durant le reste de notre carrière. Elles étaient faites sur mesure et comportaient plusieurs couches de tissus élastiques superposées.
La première comprenait nos senseurs métaboliques, directement connectés à nos implants. Elle nous avertissait des problèmes physiques ou physiologiques qui pouvaient se présenter lors de nos missions. Elle procurait également l’isolation ainsi que le réchauffement nécessaire à une éventuelle exposition au vide spatial. Les fibres qui la composaient avaient la capacité de guérir de légères blessures.
La deuxième ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle que nous portions déjà depuis le début de notre instruction. Elle nous aiderait à supporter les importants facteurs de charge auxquels nous serions soumis à bord de nos chasseurs, ainsi que dans les vaisseaux spatiaux que nous aurions à piloter plus tard. Une série de petits ballons s’y gonflaient, venant compresser nos membres et notre abdomen, empêchant le sang de descendre vers le bas du corps. Notre cœur pourrait ainsi continuer d’alimenter notre cerveau en oxygène lors de nos terribles accélérations.
La dernière d’entre elles ressemblait à la carapace d’un insecte, destinée à nous protéger d’éventuels impacts de projectiles ou de petits météorites. Elle se composait de différentes plaques de kevlar rigides, reliées par des zones plus souples. Celles-ci étaient spécialement agencées afin de nous procurer une totale liberté de mouvement tout en s’adaptant au léger changement de taille que notre croissance allait encore provoquer jusqu’à l’âge adulte.
Une demi-magnétosphère venait recouvrir nos casques de vol, assurant ainsi l’étanchéité complète de cette combinaison. Cette dernière allait enfin nous permettre d’opérer dans l’espace intersidéral. L’ensemble était contrôlé par une intelligence artificielle, capable d’échanger avec nous des dialogues d’un réalisme impressionnant !
Notre prochaine mission ne comportant pas de trop grande complication visait à nous familiariser avec notre nouvel accoutrement. Il nous suffirait d’enclencher la pleine puissance de nos réacteurs, tout en pointant progressivement le nez de notre chasseur vers les étoiles. Notre horizon se courberait alors, au fur et à mesure que le bleu du ciel se transformerait en cette merveilleuse couleur noir ébène de l’espace intersidéral.
Cette brève, mais intense expérience nous motiva tous et toutes pour la prochaine étape de notre entraînement : le pilotage des plus gros engins spatiaux. Ce fut pourtant avec énormément de tristesse que je vis arriver la fin de mes vols sur ces fantastiques petits chasseurs, accompagnée par notre retour à plein temps dans la pyramide.
Nos activités se résumèrent ensuite à une série d’interminables séances d’incubations virtuelles de nos futures missions à bord des imposants vaisseaux équipant la Flottille.
Notre nouvelle formation me sembla si terne et artificielle que mes prestations dégringolèrent subitement de l’élite de la promotion vers l’un de ses plus piètres éléments. Les semaines et les mois passèrent à une vitesse fulgurante sans vraiment m’apporter l’exaltation, si lointaine déjà, de mon écolage sur chasseur…
Je reçus enfin mes ailes de pilote spatial, ainsi que ma première affectation, à l’âge de dix-huit ans. En tant que jeune aspirant, ayant achevé, sans trop de brio, le fastidieux entraînement de cadet de l’espace, l’une des missions les plus monotones qui soient allait m’être confiée…
Le tout nouveau vaisseau cargo auquel je venais de me voir assigné s’appelait le « TXL1138 ». Comme son identification l’indiquait, il s’agissait d’un transporteur de classe Extra Large. Il n’était, hélas, pas équipé de chasseurs, ce qui me décevait profondément. J’avais toujours gardé l’espoir de pouvoir me retrouver un jour aux commandes de l’un d’entre eux, à bord d’une de ces énormes frégates de combat, destinées à faire respecter les règles de la Fédération aux confins de notre système !
Mais notre société avait à présent besoin de gros transporteurs, afin d’assurer le va-et-vient incessant de personnes et de matériel généré par notre inexorable expansion. Nous aurions à convoyer les diverses matières premières, récoltées dans les profondeurs des deux géantes gazeuses, vers l’un des astroports de notre anneau planétaire. Elles y seraient alors triées puis descendues vers l’un des dômes ou acheminées, par de plus petites navettes, vers les colonies des trois autres planètes situées à l’intérieur de la ceinture d’astéroïdes.
Le TXL1138 était l’un des premiers exemplaires d’une toute nouvelle génération de vaisseaux cargos, plus grands et plus puissants que leurs prédécesseurs. Il était tout spécialement conçu pour franchir, très rapidement, d’énormes distances. Ce genre de vaisseau servait également à conduire ceux que l’on appelait les « Indésirables » vers une mystérieuse destination, aux confins de notre système solaire. Il s’agissait d’hommes, de femmes et même parfois d’enfants qui ne convenaient à aucune fonction au sein de la Fédération.
La plupart d’entre eux étaient tout simplement trop vieux ou atteints de maladies incurables. D’autres avaient été diagnostiqués comme aliénés mentaux, souffrant de troubles caractériels ou comportementaux. Il y avait aussi ceux plus jeunes, mais nettement moins nombreux, qui n’avaient pas accepté de se voir enrôler par le « Système Préparatoire » dès leur entrée dans la pyramide. Ils avaient tous et toutes enfreint le sixième commandement de la Fédération leur imposant de rester « sain de corps et d’esprit ». Ils représentaient, aux yeux de nos dirigeants, un fardeau et même, dans certains cas, un danger pour notre société… Ils devaient par conséquent en être irrémédiablement écartés !
Ce ne serait que bien plus tard que je connaîtrais pleinement les détails sordides de cette mission ingrate. Nos ordres se limitaient jusqu’à présent à les transporter, entassés par centaines, enfermés dans d’immenses coupoles destinées à assurer leur survie dans le vide spatial. Une fois arrivés au terme de notre voyage, nous n’aurions plus qu’à les laisser dériver, de façon entièrement autonome, vers un mystérieux endroit aménagé tout spécialement pour eux. On nous avait dit qu’ils y seraient alors soignés dans le plus grand secret…
Mais je n’avais aucune envie de trop réfléchir à tout ça. Ma vie ne faisait que commencer. J’avais l’impression que cela ne me concernait pas, que je ne serais jamais malade… ni vieux ! Comme lorsque j’étais à la ferme et que je ne craignais nullement de devenir, à mon tour, le plus ancien de mes frères et sœurs. Notre société nous avait appris à vivre au jour le jour, sans nous soucier d’un avenir, de toute façon, incontournable et totalement indépendant de notre volonté.
En ce qui me concernait, j’étais resté enfermé pendant six ans dans cette pyramide, à l’écart du monde actif, afin d’accomplir ma formation de cadet. Six années durant lesquelles j’avais oublié beaucoup de choses de mon passé, de ma vie au village. J’avais la ferme intention de les rattraper au plus vite !
C’était comme si je venais de sortir de prison. Je pouvais enfin circuler à ma guise, tout en respectant les horaires précis que nous imposait le Centre de Contrôle des Pilotes Spatiaux de la Fédération : le « CCPSF ». J’avais l’impression de pouvoir reprendre le cours de mon existence là où je l’avais abandonné… Comme si j’étais redevenu cet enfant à qui il restait tant de choses à apprendre ; tant de choses qui me paraissaient mille fois plus intéressantes que le sort de ces mystérieux Indésirables.
Le CCPSF m’avait donné une semaine de quartier libre avant de commencer mon entraînement pratique d’aspirant à bord du TXL1138…
L’adolescent, livré à lui-même, se retrouva libre de déambuler dans les allées de la métropole. Plongé dans ses pensées, il s’engagea au fond des ruelles séparant les différents immeubles de la cité. Il cheminait sans réfléchir grâce aux informations d’une petite bille virtuelle qu’on lui avait fournie dès sa sortie de la pyramide.
Il l’avait introduite dans le lecteur de son anneau frontal. Son activation la faisait briller d’une lumière bleutée aux subtiles variations d’intensité. Un itinéraire, flanqué de quelques inscriptions, lui indiquait l’adresse de sa nouvelle demeure. Ce dernier se superposait à son champ de vision, grâce aux connexions établies entre la bille et son nerf optique.
Le jeune homme se mêla à la foule, semblable à un somnambule. Les lumières des écrans muraux et des hologrammes géants qui le surplombaient lui donnaient l’impression d’être transporté au gré d’un rêve étrange. Son regard n’osait aborder qui que ce soit dans la cohue permanente qui régnait au sein du dôme. Il était enfin sorti de la pyramide, mais cette liberté éphémère n’avait fait qu’entrouvrir la porte de sa nouvelle prison : le monde des adultes !
Quelques petits drones silencieux survolaient les passants à moins de deux mètres au-dessus de leurs têtes. L’un d’eux s’arrêta tout près de lui, comme pour venir l’examiner de plus près. Des centaines d’hommes et de femmes le croisaient sans se soucier de ces insectes étranges qui les observaient continuellement. Ils semblaient isolés dans leur petite bulle intérieure. Personne ne se touchait, ne se regardait, ni ne se parlait.
Ils se dirigeaient, semblables à de véritables automates, en suivant les indications qui les menaient où leur tâche exigeait qu’ils se rendent. Certains d’entre eux s’engouffraient sous la surface du sol pour s’embarquer à bord d’énormes trains circulant sous terre, semblables à de gigantesques serpents de métal.
De nombreux autres véhicules empruntaient les allées suspendues, zigzaguant à une vingtaine de mètres au-dessus de la foule des piétons. Et plus haut encore flottait une multitude d’engins volants, de formes et de tailles diverses, assurant des transitions directes et rapides entre les sommets des principaux immeubles de la cité.
Le garçon s’engagea sur un des tapis roulants qui descendait vers les stations souterraines. Les informations, projetées par ses implants, le guidèrent vers l’une des dizaines de voies qui y circulaient. Il entra dans une des rames, toutes bondées de monde. Là encore, des caméras de surveillance semblaient constamment l’observer. Des écrans affichant les dernières nouvelles, entrecoupées de spots publicitaires, lui rappelaient sans cesse l’omniprésence de la Fédération. Il dut s’agripper à l’une des sangles fixées au plafond pour ne pas perdre l’équilibre lorsque le train se mit en marche.
Le jeune pilote n’avait encore jamais été entouré par autant d’individus. Il pouvait les toucher, les sentir respirer tout contre lui. Leur haleine et leur odeur se mêlaient à la sienne sans que personne ne lui adresse la parole. Seuls quelques regards indiscrets venaient brièvement croiser le sien, de temps à autre. Mais la plupart des passagers semblaient perdus dans leurs pensées. Certains gardaient les yeux fermés, afin d’être encore plus réceptifs aux informations que leurs implants projetaient en face d’eux. D’autres, en pleine conversation, chuchotaient dans le vide, l’attention fixée vers l’infini, comme s’ils avaient été capables de voir à travers ceux qui les entouraient !
Ayant rejoint la surface qui commençait à baigner dans l’obscurité du crépuscule, il s’arrêta devant l’entrée d’un bâtiment haut d’une centaine d’étages. Un serpent géant de couleur bleue, à tête de dragon, sortit de la façade et se mit à ramper jusqu’à son sommet… Il était semblable à un énorme néon venant éclairer les alentours de sa lumière bleutée. Mais cela ne perturba pas le jeune cadet, désormais habitué à ces projections qui donnaient à la cité son aspect irréel.
Il plaça son implant palmaire à l’endroit indiqué par les informations virtuelles l’ayant amené jusque là. Il composa mentalement le code destiné à activer l’ouverture de la porte de l’immeuble. Après quelques secondes, ses battants s’écartèrent, dévoilant une cage d’ascenseur équipée de sièges ergonomiques flanqués d’écrans tactiles. Il s’y installa en s’assurant de boucler ses sangles, de façon tout à fait instinctive, comme s’il avait déjà fait cela à maintes reprises.
Un hologramme, plus réaliste que nature, apparut en face de lui lorsque la porte se referma. Il représentait une hôtesse en uniforme rouge : la couleur qui caractérisait son bâtiment. Une fois présentées les consignes de sécurité de l’immeuble, elle lui demanda de placer la paume de sa main droite sur l’hexagone situé à l’extrémité de son appuie-main.
De légers picotements accompagnèrent le transfert de données informatiques que déclancha cette connexion. L’être virtuel se figea lorsque l’ascenseur se mit en marche. Après une série de rotations et de déplacements tant verticaux qu’horizontaux, le garçon se retrouva directement en face d’une porte marquée de son numéro d’identification. L’hôtesse disparut après lui avoir souhaité la bienvenue dans sa nouvelle demeure…
« Les fibres qui la composaient avaient la capacité de guérir de légères blessures. »
Woow, je veux cette combinaison !!! Elle me serait bien utile !! (je cicatrise très mal à cause d’une maladie)
Dans ce chapitre, l’ambiance est très bien faite. Le côté froid, robotique, les impressions…
On s’inquiète pour le sort des Indésirables, et on ressent bien l’omniprésence de la Fédération.
Côté relecture :
Pas besoin des points de suspension ici je pense :
« En tant que jeune aspirant, ayant achevé, sans trop de brio, le fastidieux entraînement de cadet de l’espace, l’une des missions les plus monotones qui soient allait m’être confiée… »
Pareil ici, je les enlèverais :
« Le CCPSF m’avait donné une semaine de quartier libre avant de commencer mon entraînement pratique d’aspirant à bord du TXL1138… »
Pour cette phrase, « J’avais l’impression de pouvoir reprendre le cours de mon existence là où je l’avais abandonné… », j’aurais accordé « abandonnée »
Voilà !
Merci... et merci pour ton suivi, ton aide m'est vraiment précieuse !