Chapitre 101 : Danser avec les ténèbres

Par Kieren

La crypte était humide, mais sans lumière, aucune mousse ne s'était développée, ni même de champignon d'ailleurs...

La toupie tournoyait, sans s'arrêter. Le père Shalom partait d'elle et se projetait sur le mur. Nous nous observions, immobiles. Et je fis le premier pas.

« Vous êtes un imago ? » lui demandai-je.

« C'est une évidence mon enfant. Je pourrai passer pour un fantôme, mais je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. Je suis plus ce qu'il reste de mon colocataire : ses promesses, ses regrets. Son âme s'est sûrement réincarnée depuis. »

« Qu'est ce qui vous fait dire ça ? »

L'ombre pouffa doucement. « Du vivant de mon colocataire, je vivais à travers lui, mais je n'avais aucun contrôle sur lui. Il vivait une existence d'une rigueur castratrice. Il survivait à lui même pour ainsi dire. Il n'était pas très heureux. »

« Il s'est suicidé ? » dis-je en pointant la corde.

« Et oui... Pas très chrétien n'est ce pas ?... J'ai bien essayé de l'en empêcher, j'aimais beaucoup trop la vie pour vouloir en finir. Malgré tous mes efforts, je n'ai réussi qu'une seule chose : je l'ai forcé à lancer une toupie dans ce bénitier, et à réfléchir profondément à ce qu'il allait faire, le temps qu'elle s'arrête. Il avait la corde au cou, il n'attendait qu'une seule chose : que la toupie s'immobilise et tombe. Je ne l'ai jamais permis, je suis resté dans l'objet et je la faisais tourner et tourner, encore et encore. J'attendais qu'il renonce. Cela a duré des heures. Il a fini par laisser tomber. Pas moi. » L'ombre se tourna alors vers le squelette et le toucha du bout du doigt. « Je l'ai pris comme un trahison, je l'avoue. »

Je me mis à froncer les sourcils. « Cela a dû se passer il y a des années, qu'est ce que vous faites encore là ? »

« Ah ! Je vois bien le pragmatisme de votre personne, mon enfant. Il est vrai que la compagnie que me procure mon colocataire depuis des décennies est d'un soporifique... Mais je vais me répéter : je ne suis pas un fantôme, je suis dans cette toupie que vous voyez, je l'anime, je suis sa force, comme votre cœur, il bat et il battra toujours, tant que vous serez vivant, il vous fait exister.

Moi je tourne, et je tournerai toujours... Mais je ne peux pas quitter cette toupie. Je ne peux que tourner, je n'ai pas assez de force pour quitter ce bénitier. Et pour quoi faire d'ailleurs ? Vous avez déjà vu une toupie gravir les marches d'un escalier ? Autant rester dans mon bénitier à parler avec mon colocataire. »

« Et votre ombre ? Vous ne pouvez pas faire … quelque chose avec votre ombre ? » demandai-je.

« Si, bien sûr que je peux faire quelque chose... Comme ceci. »

Et ce que je vis me glaça le sang.

Le père Shalom se dirigea vers l'ombre que le squelette projetait sur le mur et le saisit à la gorge, avant de le maintenir à 30 cm au dessus du sol. Et celle-ci se débattait, sans qu'aucun son ne se fasse entendre. Un pieu se matérialisa dans la main du père Shalom, et il l'enfonça violemment dans la main de sa victime. Cette dernière se tordit de douleur et tendit une main suppliante dans ma direction.

« Je crois que je saisis mon père, vous pouvez arrêter. »

Celui-ci ne s'arrêta pas.

« Non mon enfant, vous ne saisissez pas, pas encore. » Et il planta un autre pieu dans l'autre main de sa victime. Celle-ci était maintenant crucifiée. Le père Shalom matérialisa une lance dans sa main. Je sortis mon arme et la pointa sur son ombre.

Nous étions immobiles tous les deux, seule la victime s'agitait faiblement.

« Quelle fougue mon enfant ! Quelle impatience. Mais je me répète : vous ne saisissez pas. » Avant qu'il n'enfonce la lance dans le cœur de sa victime, son ombre avait déjà reçu deux balles dans la tête. Mais cela ne lui fit rien.

La lance perça, et tout redevint immobile.

...

Je commençai à avoir peur. « Que lui avez vous fait ? »

« À lui ? Mais rien du tout mon enfant. Il est parti depuis bien des lustres. Vous n'avez jamais fait d'ombres chinoises ? » C'est alors que les deux ombres se mirent côte à côte, se tapèrent dans les mains et me saluèrent comme on salue un public. « Moi, c'est ma grande passion, ainsi que le théâtre. Comment avez vous apprécier ma performance ? »

Je n'étais toujours pas à mon aise. Les deux ombres fusionnèrent en une seule, et je me retrouvais à nouveau seul avec le père Shalom.

« Macabre. Mais vous avez l'air de connaître votre texte. » hésitai-je nerveusement en rangeant mon pistolet. Il ria doucement, en faisant apparaître des ombres de papillons et d'oiseaux qui se posèrent sur ses épaules, en toute quiétude.

« Vous avez raison mon enfant, j'ai eu des années pour m'entraîner. Mais je n'ai pas eu beaucoup de public, je m'autorise donc quelques folies aujourd'hui. »

« Et Suzanne veut que je vous aide à sortir d'ici ? »

« Il s'agit en effet de sa part du contrat. J'aimerai bien sentir les rayons du Soleil sur ma toupie. Je n'ai pas ressenti de chaleur depuis des lustres. »

« Et qu'est ce qui me prouve que vous n'êtes pas un danger pour le monde extérieur ? »

« Ah... Vous doutez encore de moi ? Sachez que je ne peux contrôler que les ombres, et les ombres uniquement, rien de plus. Je n'ai pas de véritable force physique dans ce monde. Je ne cherche qu'à exister, c'est tout. »

« Donc je n'ai besoin que de vous sortir de cette crypte et tout le monde est content ? »

« Pas entièrement. Je cherche un moyen de voyager librement. Cette chère Suzanne m'a promis que vous trouveriez une solution. Une toupie navigue difficilement dans l'herbe ou sur le sable, voyez-vous. »

… « Vous ne vous arrêtez jamais de tourner, c'est bien ça ? »

« En effet. »

Et en poussant un soupir je marmonnai avec un certain regret : « Dans ce cas … J'ai bien une idée. »

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