J'étais arrivé à destination, si je me fiais à la carte. En vérité j'avais dû m'y prendre à deux fois avant de comprendre que les ruines devant moi avaient pu être une église autrefois.
Des ruines en pierre ça ressemble à des ruines en pierre, surtout lorsque plus de la moitié des celles-ci sont soit enterrées, soit étouffées par la végétation.
Bien évidemment il n'y avait plus de plafond, il ne restait que quelques murs dont une bonne partie était effondrée et recouvrait le sol. Parmi les débris, je retrouvai une croix fendues verticalement. Jésus l'avait quittée, grand bien lui fasse.
Le temps absorbe tout, même Dieu. Lorsque les humains auront disparu, qui restera pour se souvenir de Lui ? Il a donné en pâture à ses disciples plantes et animaux, ces derniers ne lui pardonneront jamais. À moins que l'homme ait écrit les livres sacrés sans concertation avec Dieu. L'homme aurait réécrit les règles du monde pour ses semblables, et uniquement pour ses semblables, en considérant le reste comme propriété légitime. Typiquement humain, je rejoignais ce que disait la Gamine.
Aujourd'hui, Dieu n'est pas encore mort, il ressuscite dans le désespoir... Peut être dans l'ignorance aussi... Certains prient pour que leurs fils soient féconds. Dire que dans le passé on était sûr qu'il n'y avait que la femme qui pouvait être stérile, on la méprisait, on la quittait, et elle tombait dans l'oublie. Cela arrive encore aujourd'hui, les rôles se sont justes inversés.
… Pauvre Riton …
Je sortis de ma rêverie en trouvant une trappe dissimulée sous des feuilles mortes et de la mousse. Suzanne était passée par là et avait caché ce qu'elle avait trouvé. J'étais sensé parler à quelqu'un qui vivait là-dedans, dans les ruines d'une église... Je l'admets, les loups ne doivent pas venir souvent ici... Les brigands un peu plus, mais à première vue il n'y a sûrement rien à voler.
Pourquoi tant de précautions alors ?
En ouvrant la trappe, je m'attendais à sentir quelque chose, mais là : rien. Pas d'odeur de nourriture, ni d'urine, ni d’excrément ; ni de cadavre. Étrange...
« Il y a quelqu'un là-dedans ? » criai-je depuis l'entrée. Et à mon grand étonnement, on me répondit.
« Il y a toujours quelqu'un dans la maison de Dieu, mon enfant ! Quelle âme me fait l'honneur de cette visite ? Suzanne, est ce vous ? »
La voix d'un vieillard, il n'avait pas l'air fatigué, ni surpris. Attendait-il de la visite ? « Je suis un ami de Suzanne, je viens du même village, elle m'a dit que vous aviez besoin d'aide. »
« Tout le monde a besoin d'aide sur cette Terre, mon enfant. Tout le monde ne prend pas soin de la donner en revanche. Cette chère Suzanne attend quelque chose de moi, et moi j'attends quelque chose d'elle. Et comme elle ne pouvait pas m'aider, elle vous a chargé de le faire. Par pure curiosité mon enfant, attendez vous quelque chose d'elle, ou avez vous un service à lui rendre ? »
« … Le deuxième. »
Cela fit rire le vieillard. « Aah... C'est merveilleux n'est ce pas ? Ce que l'humain ne peut faire seul, il le fait en groupe. Nous avons des services à rendre pour ceux qui sont dans le besoin, afin que nous soyons aidé lorsqu'à notre tour nous serons dans le besoin. Tout n'est qu'une question de chemins qui se croisent en fin de compte...
Mais pardonnez moi, je ne me suis pas présenté. Je suis le Père Shalom. Entrez donc, descendez donc. Ne restez pas dehors, vous allez prendre un coup de soleil. »
« Vous voulez pas plutôt monter ? Il n'y a pas un broc de lumière dans votre terrier. »
« Je suis malheureusement coincé ici bas mon garçon, c'est d'ailleurs l'objet de votre venue. J'espère que cette chère Suzanne vous a fourni des lampes, sinon vous ne me verrez pas. »
Après un léger soupir j'entamais la descente en prenant une loupiote d'une main, et mon couteau de l'autre. Suzanne m'avait rassuré à propos du Père Shalom, mais je ne serais pas vivant aujourd'hui si j'avais écouté tout le monde.
Le drôle de type continuait de parler : « Empruntez les escaliers, puis suivez le corridor. Il vous conduira jusqu'à moi... Ah, oui ! J'ai aussi un colocataire. Il est silencieux mais inoffensif. Vous n'avez rien à craindre ! »
En conséquence, je réajustai mon couteau dans ma main. « Si vous dites que je n'ai rien à craindre... »
« Oh, bien sûr que vous ne me croyez pas mon garçon, mais cela n'a pas vraiment d'importance, une fois que vous serez devant nous, vous comprendrez. »
… Les marches étaient recouvertes de poussière, Suzanne avait laissé des traces de pas. Il ne me semblait pas y avoir eu qui que ce soit dans les parages depuis très longtemps. Le corridor n'était pas très spacieux, il n'y avait qu'un seul chemin, mais celui-ci tournait, et tournait. Si je devais fuir, cela allait être long mais pas impossible. Tout de même, je ne me sentais pas vraiment à l'aise.
Finalement, les murs s'espacèrent et dévoilèrent une petite pièce ronde avec un bénitier en son centre. Une silhouette se tenant à l'opposée de la pièce.
« Bienvenu mon enfant, voici mon antre. Je vous prie de bien vouloir m'excusez pour le désordre, je n'ai pas pu bouger depuis longtemps. »
« Vous n'êtes pas libre de vos mouvements ? Pourtant vous êtes bien debout au milieu de la pièce. »
« Ah ! Ce n'est pas moi que vous regardez, il s'agit de mon colocataire. Moi je suis devant, et derrière lui. Rapprochez vous, vous ne voyez pas bien de là où vous êtes. »
Ce qu'il me disait ne me rassurait pas. J'avais une vue assez dégagée sur les côtés, a priori aucune embûche ne pouvait s'y cacher, sauf si quelqu'un venait derrière moi, et j'ai l'ouï fine. Je m'approchai donc calmement, et je vis le colocataire. Du moins, ce qu'il en restait.
Il s'agissait d'un squelette, accroché au plafond, suspendu par le cou. Il était on ne peut plus mort, et pourtant, ça bougeait derrière lui. Il s'agissait d'une ombre humaine, elle se mouvait sur le mur du fond. Elle me fit « coucou » de la main, malgré l'immobilisme du squelette. Après observation, je m'aperçus qu'elle provenait d'une toupie, qui tournait au fond du bénitier asséché.
L'ombre de la toupie se mit de profil, et se courba en avant, gracieuse. « Ainsi vous me voyez mon enfant. Je suis le Père Shalom,et le squelette qui pend devant vous était autrefois mon enveloppe charnelle.
Enchanté. »