Ses crocs acérées déchirèrent bien des nuques,
ses griffes d’acier lacérèrent bien des cœurs,
l’on dit de son regard qu’il était vide et blanc,
et que jamais il ne fut doté de la parole.
Ce furent ses mains qui tinrent le glaive de la justice
car « Justice ne sera rendue que par la mains des Dieux »
ainsi parlèrent les Maart quand les arènes furent construites.
Et en son centre, l’Enfant. L’Enfant et le glaive
Les Vaisseaux du Code par Neven
À peine était-il parvenu à s’extirper de la salle du conseil, l’esprit encore brumeux et envahi par les cris et les injures proférés par son ambassade, à peine, donc, avait-il fait quelques pas dans les couloirs du palais que Rozen entendit dans son oreille siffler le carillon de sa sœur, Saeda :
- Rozen, tu m’entends ? Qu’est-ce qu’il t’as pris ? Toute l’ambassade est en émoi ; c’est déjà la panique, chez nous…
- Saeda ! Est-ce que tu vas bien ?
- Évidemment que je vais bien ! C’est pour toi que je m’inquiète.
Entendre la voix de Saeda venait de faire rejaillir un autre souvenir déplaisant – Soren, dans les jardins suspendus, lui annonçant la mort prochaine de sa sœur – ; Rozen avait presque finit par oublier ces images et ces mots qui, pourtant, avait éclaté dans son esprit et ravagé un à un l’ensemble de ses repères. Depuis lors, chacune de ses décisions étaient comme embrumée par le choc, et de la même manière qu’il avait assisté à la réunion du conseil dans un état second, il écouta sa sœur s’insurger sans véritablement saisir la teneur de ses propos. Comme placé à l’écart, de l’autre côté d’une vitre translucide, il entendait sa voix sans véritablement s’en préoccuper ; il s’y raccrocha, cependant, pour se hisser difficilement dans le présent :
- Saeda, il faut que tu viennes au palais… Ou mieux, je vais rentrer.
- Qu’est-ce que tu racontes ?
La voix de la jeune femme grésillait légèrement dans son oreille.
- Écoute, même si c’est difficile, tu…
- C’est pas ça. C’est toi. T’es en danger, toute seule.
- Qu’est-ce que tu racontes ?
- Lydie, elle… Ou Catherine ? Ou Cass, peut-être…
Tandis que les noms se démultipliaient, les possibilités de mêmes. Les menaces s’aggloméraient, formant autant de flèches prêtes à être décochées en direction de sa sœur, et comme il en dressait la liste, Rozen songeait à l’esclandre qu’il avait déclenché en votant en faveur des Enfants. Et s’il avait lui-même dégainé l’épée de Damoclès qui surplombait désormais Saeda ?
- Tu pourrais être la cible d’un assassinat, tenta-t-il d’expliquer. Tu ne comprends pas, insista-t-il alors que sa sœur relativisait, Soren, l’Enfant Dawnarya, il… Il l’a vu lorsque je lui ai touché le bras. Il a tremblé une seconde, et ses yeux ont… il avait l’air livide, presque sur le point de pleurer, et il m’a décrit la scène : tu… Tu étais là, et… Tu… Tu étais…
- Rozen ! répéta Saeda pour la énième fois. Il faut que tu te calmes ! Il ne va rien m’arriver… Je vais bien, d’accord ?
- Tu ne m’as pas entendu ? Je te dis que l’Enfant t’as vu. Il faut absolument qu’on te sorte de là…
- Rozen, pour l’amour de moi, calme-toi !
À mesure que son frère perdait le contrôle de ses émotions, Saeda prenait la mesure de son trouble ; ce qu’elle avait imaginé être une conséquence du conseil et de son final désastreux semblait être un problème plus complexe, enraciné au milieu de circonstances obscures. Il était rare qu’elle entende la voix de son frère trembler de la sorte, et la peur qui gagnait le jeune homme ne donnait que davantage envie à sa sœur de le prendre dans ses bras, de faire disparaître la distance qui les séparait et qui la rendait si impuissante – mais un portail se trouvait entre eux, et seuls ses mots lui permettraient d’effleurer l’esprit de cet homme redevenu petit garçon.
- Je vais trouver une solution. Je vais inventer quelque chose pour que tu rentres – il y a bien une excuse qui te permettra de revenir – mais je ne peux pas quitter nos contrées, Rozen. C’est le chaos, à la maison. Entre mère qui perd les pédales, la maladie qui se répand dans les villes comme une traînée de poudre… Sans compter les difficultés d’approvisionnement qui nous guettent, l’eau qui descend de la Tour et qui vient contaminer nos sources… Je m’en sors plus, ces derniers temps.
Alors que la voix de sa sœur se déversait dans son oreille, Rozen aperçut les silhouettes des deux Enfants. Ils discutaient dans le couloir, entourés du Major. Les luminaires bleutés qui flottaient près de fenêtres donnaient à leur figure un air lugubre, presque cadavérique, et Rozen, déjà à bout, dut faire un énième effort pour redonner un sens intelligible au produit de ses perceptions : ce n’étaient point des fantômes, il était au palais, tout allait bien, tout irait bien… La voix de sa sœur continuait à vibrer dans son oreille, mais il l’ignora un instant – il arrivait à la hauteur du petit groupe. Distant, il les salua. Que s’était -il passé, déjà ? Le conseil ! La victoire de la princesse…
- Des félicitations seraient appropriées, je crois ?
Qu’ont-ils, à me regarder de la sorte ? Les ai-je offensé ? Rozen s’efforça de sourire. Sa sœur, sans comprendre, l’interrogeait, insistait pour obtenir des explications ; Rozen essaya de se concentrer sur Clavarina. Il voyait ses lèvres se muer sans saisir le sens de ses paroles. Le remerciait-elle ? Il lui semblait pourtant entendre l’intonation d’une question – ou bien se méprenait-il en prenant la voix de sa sœur pour celle de la jeune femme ? Sa tête commença à lui tourner. Il ferma les yeux une seconde. Il entendait comme un grésillement striduler autour de lui. La nausée le prit, puis ce fut un vertige.
- Il faut appeler un guérisseur !
La voix du Major dut parvenir jusqu’à Saeda car celle-ci s’écria de plus belle ; l’inquiétude de la pauvre femme redoublait, en effet, à force de ne saisir que des bribes d’informations. Comme elle n’obtenait plus de réponse de son frère, elle tenta d’en obtenir auprès de cet entourage dont elle ignorait la nature, criant à pleine voix pour se faire entendre.
- Je vais bien, souffla Rozen, davantage pour sa sœur que pour le Major.
Étaient-ce ses bras que le jeune homme sentait autour de lui ? Il prit soudain conscience que ses jambes ne le supportaient plus. Que penserait l’ambassade Maart s’il l’on venait à savoir qu’il s’était senti mal ? On questionnait déjà la légitimité et l’autorité de ses décisions… Rozen essaya de se redresser, répétant qu’il se sentait bien, qu’il n’était pas nécessaire d’appeler qui que ce soit – ou tout du moins, il lui sembla prononcer ces paroles. Il avait ouvert les yeux, mais les murs semblaient danser autour de lui, et il ne parvenait à voir autre chose que des visages flous s’approcher du sien. Ces minutes de lutte impuissante semblèrent durer des heures. Les silhouettes, dans la lumière bleue du couloir, se démultipliaient, et les voix de mêmes. Certaines, plus graves que d’autres, mentionnaient la maladie des Maart, s’inquiétaient de sa contagiosité, d’autres proposaient leur aide. On disait qu’un guérisseur ne tarderait plus, on parlait de son teint livide, s’inquiétait de son pouls ralenti… Le bourdonnement du groupe s’effaça soudain devant la clameur d’une voix féminine, et la foule s’écarta pour la laisser passer.
- Ran, ramène-le dans ses appartements. Et Major, rassurez le guérisseur mandé par vos soins ; nous n’avons là qu’un malaise dû à l’altitude, rien de plus. Si l’on n’y est pas habitué, c’est un désagrément fréquent – mais bénin, soyez sans crainte.
La princesse avait bien pris garde à parler d’une voix forte, de sorte d’être entendue de n’importe quelle oreille indiscrète. Cela ne suffirait sans doute pas à tuer dans l’œuf les ragots qui, déjà, se diluaient dans l’air, mais ils en seraient atténués et contrebalancés par ses propos. Li’Dawn jeta un œil au visage de Rozen ; le jeune homme était effectivement blanc comme un ligne, et ses longs cheveux bruns collaient à son front humidifiés par la sueur – sans doute avait-il de la fièvre… Il faudrait faire vite. Tandis que Ran disparaissait dans le couloir, le noble dans les bras, la princesse s’occupa de disperser l’attroupement qui s’était crée puis se hâta de rejoindre sa chambre, aux étages supérieurs du palais.
L’atmosphère familière de son salon l’accueillit. Elle le traversa rapidement pour rejoindre son petit cabinet et sa serre artificielle séparée de ses appartements par une vitre coulissante. La lumière grise d’une journée nuageuse tombait sur les murs et les rangées de jardinières suspendues les unes au-dessus des autres, mais les feuilles et fleurs barbotaient dans la lueur dorée de petits soleils artificiels. Avant d’entrer dans la serre, Li’Dawn farfouilla dans son secrétaire, sortit plusieurs carnets, en écarta trois avant de trouver le bon. Elle en tourna les pages jusqu’à tomber sur les croquis de plantes médicinales qu’elle avait dessiné le mois dernier. Sarsci lui en avait expliqué les propriétés avant que la princesse n’emplisse plusieurs godets de terres pour y semer quelques graines. Après plusieurs essais – il avait fallu ajuster la quantité d’eau et la chaleur afin de favoriser la croissance des feuilles – la princesse avait obtenu plusieurs plants robustes et fleuris ; il était temps, désormais, de tester leurs propriétés.
La princesse fit coulisser la vitre qui la séparait de la serre. L’endroit était humide, irrigué qu’il était tant par un système d’arrosage continu que par les brumisateurs suspendus au-dessus des plantations qui nécessitaient le plus d’eau. Armée de son couteau, la princesse sectionna plusieurs branches d’un arbuste – elle utiliserait son écorce et ses feuilles pour une tisane – puis s’attaqua aux feuilles des plantes médicinales. Sa récolte faite, elle regagna le cabinet pour y concocter un cataplasme et broyer certains ingrédients jusqu’à obtenir une poudre diluable aisément. Après avoir tout fourré dans un baluchon, elle fit coulisser la porte dérobée qui se trouvait dans la chambre de sa femme de chambre – celle-ci, à cette heure, était absente, sans doute occupée ailleurs – et se faufila dans les passages étroits et anciens utilisés autrefois par le personnel de maison pour demeurer discret. L’usage s’était perdu, avec le temps, même s’il arrivait à certains serviteurs d’emprunter ces passages pour se rendre plus rapidement – et aussi plus discrètement – de part et d’autre du palais. Comme Li’Dawn ne souhaitait pas être vue dans les appartements privés d’un homme, elle préférait ces chemins, certes plus encombrés de poussières, mais aussi moins susceptibles de faire naître des ragots déplaisants. Ce fut Ran qui, lorsqu’elle toqua contre le mur creux, vint lui ouvrir.
- J’hésitais à faire appeler Sarsci, lui avoua-t-il lorsqu’ils s’approchèrent du lit de Rozen.
Le jeune homme semblait moins agité que dans le couloir, mais s’il avait cessé de se débattre et de baragouiner des mots incohérents, il n’en demeurait pas moins livide. Il ne semblait pas avoir perdu conscience, mais pris par la fièvre, il somnolait, les lèvres tordues dans une grimace de douleur.
- T’es-tu lavé les mains, après l’avoir porté ?
Ran opina, mais la princesse insista pour qu’il badigeonne doigts, paumes et poignets de désinfectant.
- C’est Sarsci qui m’a montré comment en fabriquer. Et mets ça pour couvrir ta bouche et ton nez. On ne sait jamais…
À distance du lit, Li’Dawn parcourut la pièce du regard. Rozen semblait être un homme ordonné – son ligne était plié sur une chaise, ses effets personnels alignés sur la commode et le petit secrétaire –, mais au peu d’affaires sorties de leurs valises, la princesse en déduisit qu’il ne s’était pas encore habitué à ce nouveau lieu de résidence. On l’eut cru de passage, et non pas installé comme le voulait sa fonction actuelle dans une chambre qui serait désormais la sienne pour de longues années à venir. La princesse s’approcha de la coiffeuse qui jouxtait un paravent. Elle détailla les fioles mais n’en trouva aucune qui laissa sous-entendre que le jeune homme prenait une médicamentation régulière ; ni pilule, ni crème ou sirop d’aucune sorte. Seul un peigne et un coffret à bijoux se trouvait sous le miroir ovale. Li’Dawn contourna le paravent et observa les possessions qui avoisinait la baignoire ; rien, si ce n’est des affaires de toilettes.
- Rien du côté de la table de chevet, affirma Ran, à l’autre bout de la chambre.
- Dans ses affaires, peut-être, proposa la princesse. Est-ce que tu peux fouiller sans qu’il le remarque plus tard ?
- Je suis chevalier, pas assassin. S’il est précautionneux, il aura pris garde à la façon dont sont ordonnées ses affaires – et j’aurais du mal à masquer mes traces.
- Y a-t-il vraiment des gens qui font tant de manière ? Je n’ai jamais prêté attention à de tels détails...
- Parce que je m’en occupe à votre place.
Au léger pincement de ses lèvres, Ran devina que la princesse était vexée ; il savait sa détermination à demeurer indépendante, et quoiqu’elle fusse héritière de la couronne impériale, elle avait toujours été peu encline à être servie, habillée, traitée comme une poupée sans autonomie propre – mais néanmoins, son éducation avait été celle d’une princesse, aussi ne se rendait-elle pas forcément compte de toutes les petites actions faites à son attention et dont elle n’aurait pas même eu l’idée de s’occuper elle-même.
- Je suis ravie de savoir que tu mets le nez dans mes affaires personnelles pour t’assurer que personne n’y fourre le sien…
Disant ces mots, la princesse s’était approchée du malade. Un mouchoir sur le nez et la bouche, elle examinait ses symptômes, tâtait son pouls, vérifiait sa température.
- Si cela peut vous rassurer, je ne procède ainsi que lorsque je découvre qu’on est entré dans vos appartements.
- Et Rozen aurait des raisons d’être plus méfiant que toi ?
- Il a déjà été la cible d’un assassinat, lorsqu’il était enfant.
-Rozen entendit dans son oreille siffler le carillon de sa sœur, Saeda :
- Rozen, tu m’entends ? Qu’est-ce qu’il t’as pris ? Toute l’ambassade est en émoi ; c’est déjà la panique, chez nous… => tout passe par la voix. on est dans le point de vue de Rozen, il est sans doute très auditif, mais peut-être un visage de Saeda, ce serait bien ?
- Rozen avait presque finit par oublier ces images et ces mots qui, pourtant, avait éclaté dans son esprit et ravagé un à un l’ensemble de ses repères. => fini, avaient éclaté
- tandis que les noms se démultipliaient, les possibilités de mêmes => de même. Il faut revoir cette phrase, la principale serait "les possibilités de même", parce que "tandis que..." est une subordonnée, or il n'y a pas de verbe dans la principale.
- l'Enfant t'a vu => vue
- de sorte d’être entendue => de manière à ? (la structure "de sorte de + infinitif" je ne suis pas sûre qu'elle soit correcte, il faudrait vérifier)
- pour linge, tu as écrit "ligne" deux fois
- - Parce que je m’en occupe à votre place.
Au léger pincement de ses lèvres, Ran devina que la princesse était vexée ; il savait sa détermination à demeurer indépendante, et quoiqu’elle fusse héritière de la couronne impériale, elle avait toujours été peu encline à être servie, habillée, traitée comme une poupée sans autonomie propre – mais néanmoins, son éducation avait été celle d’une princesse, aussi ne se rendait-elle pas forcément compte de toutes les petites actions faites à son attention et dont elle n’aurait pas même eu l’idée de s’occuper elle-même. => je trouve ça tellement mignon ^^ et Li'Dawn qui insiste pour que Ran se désinfecte les mains. On dirait vraiment un petit couple !
Toujours un plaisir, à très vite !
Effectivement, une maladie se propage chez les Maart. Le père de Rozen et Saeda en est mort juste avant le début du roman, et c'est pour ça qu'ils ont hérité si jeunes de leurs terres. Quant à l'organisation géographique, chaque grande famille a une terre qui lui est assignée. C'est vrai que je n'ai jamais pensé à mettre des images, mais je m'étais dessiné ne carte pour m'aider à visualiser le monde des Portes... Peut-être que ça pourrait aussi aider les lecteurs.
Vis-à-vis de ta première remarque, je me rends compte que je n'ai pas été très clair... mais Saeda n'est pas là, elle communique avec Rozen depuis les contrées Maart. Ils sont au téléphone, en gros.
Pour les autres, je vais corriger tout ça. Merci d'avoir relevé toutes les coquilles !
Eh eh. Li'Dawn est un personnage amusant à écrire. Content qu'elle te plaise !
Merci encore pour ta lecture. C'est toujours un plaisir de découvrir tes commentaires.
A bientôt!