Chapitre 10 - partie 2

Par Ozskcar

Allait-elle pouvoir mener une vie qui ne se cantonnerait plus aux murs du laboratoire, pourrait-elle quitter son perchoir d’où elle avait jusque-là observé le monde, pourrait-elle se mêler aux foules, se faire des amis… ? Pourrait-elle aimer, qui sait ?

Tandis qu’elle se laissait envahir par ces questions, elle conclut son exposé et se tourna vers la princesse. Celle-ci lui adressa un sourire et la remercia pour son intervention. Ce fut le tour des nobles de débattre ou de poser des questions. Clavarina s’efforça de répondre du mieux qu’elle pouvait. Parfois, si elle hésitait trop, la princesse prenait le relais, l’épaulant avec calme et assurance, et Clavarina de la considérer de biais, d’observer son expression affable, et de l’admirer pour la force tranquille qu’elle dégageait.

Mue par la curiosité, elle effleura le bras de la princesse. Sans se laisser envahir tout à fait par les fragrances de souvenirs éveillées par son Code, l’Enfant effleura la surface trouble où se reflétaient l’histoire de Li’Dawnarya : sans difficulté, elle perçut la volonté indéfectible de changer le cours des événements, de se réapproprier cette Histoire qui se déroulait, contrôlée qu’elle était par d’autres, par des traditions, des rouages vieux de plusieurs siècles. La princesse avait à cœur de faire ses preuves, de porter la couronne dignement, à l’instar de cette silhouette cachée dans l’ombre, avalée par l’obscurité d’un événement lointain… Ann. Clavarina, par respect pour l’intimité de la princesse s’arrêta là. Mais en elle persévérèrent les espoirs de Li’Dawn :

Et si…

Et si l’Empire pouvait changer ?

Revigorée par cette pensée, Clavarina s’efforça de parler avec clarté, résolue à persuader chacun des membres de l’assemblée de son bon droit. Lorsqu’elle eut finit de répondre aux questions des ambassade, l’impératrice se leva, ne laissant pas l’occasion à sa fille de reprendre la parole. Calmement, elle ajourna la séance, arguant qu’il y avait là matière à réfléchir, et que tous profiteraient grandement d’une courte pause avant de prendre la décision qui s’imposerait quant à l’avenir politique des Portes.

Lentement, les différents groupes d’ambassadeurs se désagrégèrent, et la pression qui tendait chacun des membres sembla s’évaporer graduellement. Quittant l’auditorium, les nobles demeurèrent quelques instants silencieux, comme abasourdis, éprouvés par les échanges. Petit à petit, leur brouhaha s’éleva aux abords du palais, dans les jardins, dans le hall, mais ni la princesse ni les Enfants n’eurent l’occasion de s’attarder auprès de la foule, l’impératrice les ayant mené à sa suite dans une arrière-salle tenue à l’écart des oreilles indiscrètes. L’empereur ferma la marche. Son visage inexpressif étonna Soren, mais le ton de sa voix l’inquiéta davantage : ce fut lui le premier qui, une fois les portes closes derrière lui, s’adressa à sa fille. Sans se préoccuper des Enfants, il considéra la princesse avec sévérité :

- As-tu conscience que, par tes actes, tu mets en danger ta propre famille ?

Cherchant le soutien de l’impératrice, Li’Dawn se tourna vers elle :

- C’est vous-même, mère, qui m’avez enjointe à endosser le rôle de ma sœur !

- Il n’appartient pas à la princesse héritière d’agir inconséquemment, intervint Vi’Dawn.

- Père, je ne cherchais pas à vous nuire, je…

- Dans ce cas, tes agissement ne sont pas seulement inconsidérés, ils sont la preuve de ta sottise.

Stupéfaite, El’Dawnarya essaya de s’interposer en faveur de sa fille, mais son époux l’interrompit de nouveau. Son ton sans appel, de même que la teneur de ses propos tranchaient nettement – car étant le signe de sa colère – avec les traits inexpressifs de son visage. N’y tenant plus Li’Dawn haussa la voix :

- Insurgez-vous donc, si cela vous amuse : mais en dernier recours, ce sera aux grandes familles de choisir ce qui leur semble juste.

- Les Artiums soutiendront peut-être ta petite révolte, mais les Erlkoning et les Maart ne te suivront pas, avança l’empereur, un rictus amusé au coin des lèvres.

- Vous m’avez dit un jour que le pouvoir seul appâtait les Hommes ; et je ne propose rien de moins aux grandes familles.

- Les nobles ont aussi à cœur de maintenir l’ordre, nuança El’Dawnarya en s’avançant.

Délicatement, elle posa une main sur l’épaule de sa fille :

- Ton éloquence a quelque peu atténué ma colère, mais ne te méprends pas, Lior : je condamne ton impulsivité autant que ton père. Maintenant va, réfléchis aux conséquences qu’auront tes actes, et reviens découvrir avec nous le résultat du vote de cette assemblée qui sera bientôt sous ta responsabilité.

Il n’était plus temps de défendre sa position ; Li’Dawn se contenta d’une discrète révérence puis quitta la pièce. Ran l’attendait derrière la porte. Il l’interrogea d’un regard, mais la princesse l’ignora. Sans mot dire, elle traversa le large couloir, poussa rageusement l’une des portes vitrées qui donnait sur les vastes balcons du palais, puis se faufila à l’extérieur. S’appuyant contre la balustrade, elle contempla les jardins suspendus qui fleurissaient en contrebas, caressés par de frêles nuages blancs. Un vent frais vint s’enrouler autour de ses poignets. Elle en savoura les caresses qui atténuaient graduellement cette douleur qui tambourinait contre ses tempes depuis le petit matin.

- Il semble songeur, remarqua Ran en désignant, près d’un bosquet, la silhouette de Rozen Maart.

La princesse suivit le regard de son garde du corps et remarqua effectivement le jeune noble qui déambulait, la tête basse, parmi les filaments duveteux que le ciel semait derrière lui. Plus que songeur, le jeune héritier des Maart semblait pétri de doutes ; il marchait d’un pas saccadé, le regard dans le vague, l’air absent. Li’Dawn suivit la ligne de ses sourcils froncés avant de descendre vers l’arc arrondi de son menton : ses lèvres bougeaient légèrement, mues par un murmure inaudible.

- À qui parle-t-il ?

- Qu’il se parle à lui-même ou qu’il converse avec quelqu’un d’autre, je suis d’avis que vous seriez plus à même de l’orienter vers un vote favorable à votre cause, répondit Ran.

La princesse considéra le chevalier d’un air sceptique.

- Votre père a sans doute raison, poursuivit le jeune homme. Vous ne devez persuader que deux personnes, et l’une d’entre elles se trouve sous vos yeux.

- Tu sais pertinemment ce que j’en pense, souffla-t-elle au bout d’un instant. J’ai trop d’orgueil pour faire des ronds de jambes et m’évertuer à...

- Pensez-vous que je souffrirais de vous voir en contrebas, à jouer les marchandes de tapis ? Soren vous a persuadé une fois, laissez le réitérer l’expérience avec Rozen Maart.

- Dans combien de temps le conseil restreint doit-il se réunir ?

- Dans une vingtaine de minutes, votre altesse.

- Alors va informer l’Enfant qu’il lui en reste 15 pour persuader Rozen Maart.

Ran afficha un sourire de satisfaction. Il recula d’un pas, adressa une révérence puis s’enfonça dans les couloirs du palais. La princesse le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse puis, poussant un soupir, elle considéra les nuages qui filaient au dehors. Le vent les malaxait délicatement, créant des masses duveteuses qui s’étiraient ou se délayaient à loisir, créant des formes éphémères qui s’écrasaient tantôt contre les murs de la Tour, tantôt contre les bosquets des jardins suspendus. Bientôt, d’épaisses nuées noires remonteraient vers les étages de la Tour, et ce ne seront plus qu’orages, tonnerre et bourrasques à longueur de semaines. Déjà, l’on apercevait, au loin, les cumulus grisâtres qui s’amoncelaient en contrebas. Ils remonteraient progressivement, amenant avec eux des particules noires de cendre ainsi que des spores scintillants dans une obscurité quasi constante ; ce serait la saison des pluies.

Li’Dawn fut tirée de ses considérations par la silhouette de Soren qui apparut à l’autre bout des jardins suspendus. La jeune femme avait espéré que l’Enfant prétexterait la coïncidence ; c’était sans compter sur le piètre jeu d’acteur de Soren. Quoiqu’il affecta la déambulation, son expression était trop anxieuse, et sa démarche trop brusque pour que Rozen soit dupe. Quand ils se croisèrent, Soren esquissa une révérence maladroite – laquelle n’était de toute façon pas de circonstance – et, alors que Rozen allait poursuivre son chemin, l’autre sembla l’interpeller. Li’Dawn était trop loin pour entendre leurs échanges, elle ne pouvait qu’en deviner la teneur lorsque celle-ci était évidente, et espérer, sinon, que Soren était convaincant.

- C’est qu’il insiste, commenta Ran.

Ce dernier s’était faufilé sur le balcon pour retrouver sa princesse.

- Le jeune Maart venait de l’éconduire, précisa-t-il, un sourire amusé au coin des lèvres.

Li’Dawn fronça les sourcils, et son garde du corps se reconcentra sur les visages des deux pantins en contrebas, essayant d’en décrypter les tirades qu’ils s’échangeaient. Quand ils ne leur tournaient pas le dos, Ran lisait sur leurs lèvres et retranscrivait leur conversation à voix haute pour que la princesse puisse en suivre le déroulé. Quoique de nombreux éléments manquassent, la princesse finit par comprendre que Soren, sans détour, avait confronté le noble afin que ce dernier précise sa position vis-à-vis des Enfants. Rozen, poliment, avait d’abord tenté d’éluder la question, mais comme l’autre se montrait insistant, le premier avait été obligé d’interrompre sa marche :

- Il parle de responsabilité et de prudence, démêla Ran. Ses choix auront des conséquences sur ses sujets, et c’est à eux qu’il doit penser avant tout.

- Mais quelle noblesse de cœur, souffla Li’Dawn avec ironie.

- Il ajoute que rien n’empêche les Enfants d’aider l’Empire à leur mesure ; ainsi, ils feraient leur preuve, et le conseil pourrait de nouveau se réunir en temps voulu – sans risque, cette fois.

- Ce n’est pas le sens de l’honneur qui lui fait tenir ce discours ; c’est la couardise…

- Pourquoi ne pas descendre et l’en informer vous-même ?

- Dis-moi plutôt ce que lui a répondu Soren, ordonna la princesse, balayant par son regard les sarcasmes de son garde du corps.

Mais Soren s’était retourné. Seul demeurait visible le visage de Rozen, unique reflet des échanges sur la surface duquel se peignait l’expression d’une politesse feinte. On l’eut dit liquide ; par tous les moyens, il tentait de s’extirper de cette situation, de se couler vers le palais. Si Soren s’était inquiété des convenances, il aurait libéré le jeune noble ; au contraire, il le retenait sans s’inquiéter des airs faussement contrits, des moues dubitatives et des sourires aimables. Plusieurs fois, il suivit Rozen pour se replacer devant lui, non pas seulement pour lui imposer d’écouter son point de vue, mais pour enfin exposer le sien. La patience de Rozen dut s’étioler, car il finit par écarter l’Enfant de son chemin et, d’un pas décidé, s’enfuir vers le palais. Il allait quitter les jardins quand il s’interrompit une dernière fois, figé. Quand il se retourna vers Soren, dévoilant par là-même son visage à la princesse qui observait toujours la scène, celle-ci remarqua la soudaine pâleur du garçon. Ses yeux étaient écarquillés, ses lèvres balbutiantes.

- Où avez-vous entendu pareille sottise, retranscrivit Ran. Je crois qu’ils parlent de Saeda… Et… D’un héritier ?

- Saeda Maart serait enceinte ? murmura Li’Dawn.

- Non, finit par souffler Ran. Elle est stérile.

La princesse écarquilla les yeux. Sans quitter Rozen du regard, elle fit défiler dans sa tête les noms qui constituaient l’arbre généalogique des Maart ; une jeune femme héritière encore mineure et pourtant stérile ne ferait pas seulement jaser, elle ébranlerait la ligne de succession… Mais comment Soren pouvait-il être au courant ?

- Rozen n’essaye même pas de démentir les propos de l’Enfant, fit observer Ran en fronçant les sourcils. Il a… L’air bouleversé. Mais je ne comprends pas de quoi est-ce qu’ils parlent. D’un accident ? D’une mort à venir…

Tremblant et désemparé, Rozen se détourna soudain de Soren pour s’enfuir des jardins. Laissé seul, l’Enfant finit par se retourner. Lentement, il leva les yeux vers le palais, cherchant la princesse du regard. La tristesse débordait de ses traits, modelait ses joues et ses yeux clairs levés vers la jeune femme. Il lui adressa un timide sourire, une révérence tremblotante, puis il quitta les bosquets à son tour. Soren demeura seul. Il ne songea pas même à lever les yeux vers la princesse pour la tenir informée de la conclusion de ses échanges ; il se contenta, l'esprit embrumé par ses pensées, de regagner les couloirs du palais.

Alors qu’il déambulait à la recherche de la salle du conseil, l’image vacillante du visage de Saeda ne cessa de le hanter. S’il avait déjà perçu les fragrances de destins entrecroisés, si son esprit s’était déjà perdu parmi les souvenirs des vies entrelacées aux portes de sa conscience, jamais encore il n’avait vu si nettement le cliché indélébile de l’avenir. Le temps ne se déroulait plus, mais se diffractait au contraire sous ses yeux ébahis ; aussi clairement qu’il voyait ces couloirs s’ouvrir devant lui, il sentait contre sa peau la matérialité crasse de l’avenir. Elle imprégnait tout, se substituait au présent ; comme l’eau coule et érode la pierre, le futur venait sculpter le présent à peine esquissé, et les deux images se superposaient, incompatibles et complémentaires. Le meurtre de Saeda appartenait déjà au présent, gravé qu’il était sur la toile du temps, et aussi sûrement qu’il neigerait dans quelques jours, la jeune femme s’écroulerait sur la pierre froide. Si elle marchait quelque part, les joues colorées et le cœur battant, une dague s’y trouvait déjà, sculptée par l’avenir qui viendrait la matérialiser sous peu.

De même qu’en sentant la main de Rozen Maart sur son épaule, il avait ressenti l’horreur à venir du garçon face au cadavre de sa sœur aînée, de même sentait-il le souffle de la mort s’insinuer en lui. Il lui sembla soudain que son bras n’était plus, sinon un os rongé par le temps, et sa joue, pleine pourtant, de sang, d’eau et de chair, était trouée soudain, rongée par la maladie et les insectes qui s’infiltraient en lui pour courir sur sa langue, descendre dans sa gorge, grignoter son ventre.

Soren se tenait à une colonnade, essayant de se retenir de vomir, quand la Major l’interpella :

- Vous ne vous sentez pas bien ?

- Ça va passer, souffla l’Enfant.

- Vous êtes attendu en salle du conseil. Désirez-vous que je vous accompagne ? Ou bien que je vous excuse, peut-être ?

- Ne vous donnez pas cette peine.

Soren se redressa, mais à peine avait-il fais deux pas qu’il manqua de s’écrouler. La Major s’avança vers lui mais il l’interrompit d’un geste :

- Je vous en prie, ne me touchez pas. Pas maintenant… Ce n’est rien, je vous assure ; simplement, je ne suis pas sûr de pouvoir, à votre contact, maintenir ma conscience à la surface.

La Major recula d’un pas et considéra l’Enfant ; pâle, le dos voûté, il n’avait ni la grandeur ni la majesté d’un dieu. Seuls ses yeux brillaient étrangement dans la pénombre ; les yeux de Lyslir, dans l’obscurité des geôles étaient comme des perles ou des éclats d’argent, ceux de Soren, au contraire, avait la chaleur de l’or et de la cornaline. Une certaine sérénité semblait peu à peu le gagner, et comme il se redressait, il adressa à la jeune femme un sourire contrits :

- Je crains d’avoir toujours mauvaise allure, quand je vous croise.

- Seraient-ce vos visions qui vous tourmentent ?

La Major n’avait entendu qu’une partie de l’exposé de Clavarina, alors que la porte qui la séparait de l’assemblée avait été momentanément entrouverte. De garde devant la salle du conseil, elle avait scruté les schémas, avalé avidement chacune des parole des Enfants dans la lumière desquels elle avait été bercée et éduquée toute sa jeunesse durant.

- Des bribes peu amènes me sont apparues à l’instant.

- Des bribes de l’avenir ?

- Oui.

La déférence avec laquelle la Major le considérait mettait Soren mal à l’aise. Il fit d’abord mine de ne rien remarquer mais, comme le regard de la jeune femme devenait insistant, il finit par lui demander frontalement ce qui la tracassait :

- Vous avez l’air si… normal. Vous parlez comme nous, revendiquez d’être considérés comme tout un chacun.

- Sans doute car nous ne nous sentons pas si différents ?

- Vous voyez l’avenir. D’autres changent de forme à leur convenance, d’autres encore peuvent, par un simple contact, sonder nos consciences et nos souvenirs…

- Et certains peignent des fresques immenses, jouent des symphonies magnifiques. Certains, aussi, par leur force et leur courage, sauvent des vies, protègent des familles…

- J’aurais beau entraîner mon corps, m’exercer toute une vie, jamais je ne verrai l’avenir, jamais je ne pourrai me mouvoir plus vite que la lumière elle-même. Votre sagesse et vos connaissances dépassent l’entendement des mortels ; à vous seuls vous avez vécus tant de vies, traversés tant d’âges…

Soren, touché par ces paroles auxquelles il n’avait jamais songé, garda le silence. La floraison de sa conscience était récente encore, et les traits de sa personnalité indistincts. Il prenait à peine la mesure des émotions qui le traversaient ; ils les découvraient, les pesaient en les considérant tour à tour. Il apprenait la peur, la frustration, la colère. Il apprenait l’empathie et se découvrait une intuition de la justice, mais aussi une tendance à l’impulsivité. Jamais, cependant, il n’avait considéré sa différence à l’égard des êtres qui, au lieu de craindre la disparition de leur conscience, craignaient simplement la mort.

- Vous pensez que je suis différent ?

- J’ai grandi en apprenant à vénérer les vôtres, mais j’ai servi ceux qui vous opprimaient. Aujourd'hui je vous regarde, et je ne vois ni mon dieu ni mon égal.

Comme Soren ne répondait rien, la Major finit par s’immobiliser :

- J’ai besoin de savoir. Peut-être ne savez-vous pas encore ce que vous êtes, mais vous devez me dire ce que vous souhaitez devenir.

Soren se retourna vers la jeune femme. Ne sachant que répondre, il balbutia un semblant d’excuse, arguant qu’il en comprenait pas, qu’il ignorait, finalement, et ce qu’il était et ce qu’il deviendrait :

- Vous ne comprenez pas, répéta la Major. J’ai appris à manier les armes, j’ai travaillé mon corps pour offrir ma force à quelqu’un qui saurait en faire usage. Je n’aspire à rien, sinon servir une cause juste.

- Et vous me demandez quelle est la mienne…

- Si elle me convient, vous aurez mon soutien, et ma force sera la vôtre.

Les yeux de la jeune femme se baissèrent vers Soren, mais ce dernier détourna le regard. Pensif et mal à l’aise, il tenta de formuler une réponse ; une voix l’interrompit. Clavarina, au bout du couloir, venait de l’interpeller. D’un pas rapide, elle avançait vers lui, fébrile :

- Tout le monde t’attend ! Le verdict a été rendu…

Soren l’interrogea du regard, la bouche entrouverte ; tout s’était soudainement éteint en lui – ses doutes, sa discussion avec la Major – seule demeurait cette incertitude crasse, cette envie désespérée de connaître la sentence, et ce désir déraisonné de ne jamais l’entendre – car qui mieux que l’ignorance permet de protéger le couard de l’irrémédiable destin qui pèse sur lui ? La nervosité l’emplit abruptement. La tête bourdonnante, la langue sèche, il écouta, et quand la réponse fusa, elle passa sur lui sans le toucher, incapable de fissurer son appréhension. Qu’avait-elle dit ? Les mots s’emmêlèrent, s’enchevêtrant sans parvenir à faire sens. Clavarina le saisit par les épaules :

- On a gagné, répéta-t-elle. À l’unanimité.

- C’est impossible, souffla Soren.

- C’est Gaetano… Avant le vote, il s’est levé, il a fait un discours et il a annoncé publiquement que son vote irait pour la princesse. Les Artium ont suivi, et Rozen Maart a également fini par approuver. Son ambassade a fait un esclandre… Je ne sais pas ce que ça va donner, mais pour le moment, le conseil est déchiré en deux.

Comme sa langue se déliait, Clavarina devint incapable de contenir les paroles qui hantaient son esprit ; elle parla frénétiquement, rendue fiévreuse par la tension et l’incertitude qui, jusque là, avait noué chacun de ses muscles, chacune de ses pensées. Parce qu’il ne comprenait pas le brusque démenti d’Erlkoning, Soren finit par l’interrompre.

- Je ne sais pas, avoua Clavarina, incapable de répondre à ses interrogations. J’aimerais croire qu’il a changé d’avis, mais…

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Tac
Posté le 28/05/2023
Yo !
J'étais presque déçuo qu'on quiitte l'assemblée, j'espérais avoir le pdv d'un autre perso dessus. Mais d'un autre côté l'histoire avance un peu. J'ai du mal en termes de temporalité, je dois avouer, j'ai l'impression que les différentes audiences se sont déroulées dans la journée alors qu'en politique généralement les choses prennent du temps, pour mettre un sujet à l'agenda etc. D'autant qu'il ne s'agit pas de la reine mais juste de la princesse, future régnante, techniquement, pour moi, son pouvoir n'est pas si grand. ça donne un goût un peu facile et rapide à la chose, je trouve.
-"Lentement, les différents groupes d’ambassadeurs se désagrégèrent, et la pression qui tendait chacun des membres sembla s’évaporer graduellement." pour moi ç'aurait été plutôt l'inverse : ceux qui ont le droit de vote se font assaillir par ceux qui ne l'ont pas et veulent les convaincre... j'imaginerais plutôt le début de la jungke, avec éventuellement extradition des gens :')
- Je trouve pas très clair pourquoi le garde doit tout retrasncrire à la princesse, j'imagine qu'elle tourne le dos à la scène ? mais c'est pas précisé.... (ou alors je l'ai magistralement raté)
- "Laissé seul, l’Enfant finit par se retourner. Lentement, il leva les yeux vers le palais, cherchant la princesse du regard. La tristesse débordait de ses traits, modelait ses joues et ses yeux clairs levés vers la jeune femme. Il lui adressa un timide sourire, une révérence tremblotante, puis il quitta les bosquets à son tour. Soren demeura seul. Il ne songea pas même à lever les yeux vers la princesse pour la tenir informée de la conclusion de ses échanges ; il se contenta, l'esprit embrumé par ses pensées, de regagner les couloirs du palais." pour moi, là, y a deux choses contradictoires qui sont énoncées : finalement soren cherche t il la princesse du regard ou pas ?
- "Peut-être ne savez-vous pas encore ce que vous êtes, mais vous devez me dire ce que vous souhaitez devenir." : j'ai trouvé cette phrase particulièrement élégante !
- Tu utilises pas mal l'adjectif crasse, au moins 2x dans ce chapitre, et ça se remarque^^
Plein de bisous !
Ozskcar
Posté le 08/06/2023
Hello !
C'est vrai que je craignais que ces passages politiques soient très ennuyeux à lire ; j'ai sans doute dû les expédier à cause de ça. Je vais y remédier avec la réécriture. En plus, en terme de rythme, je pense que ça peut amener des choses intéressantes et donner plus de poids aux décisions.

Pour Ran qui retranscrit, en fait lui et Li'Dawn surplombe la scène et le chevalier lit sur les lèvres de Soren et Rozen lorsqu'ils ne lui tournent pas le dos.

A bientôt !
Baladine
Posté le 23/12/2022
Encore une fois, de belles relations se tissent entre des personnages pleins de nuances et attachants. De très beaux passages poétiques, ici. Bravo !
-Un vent frais vint s’enrouler autour de ses poignets. Elle en savoura les caresses qui atténuaient graduellement cette douleur qui tambourinait contre ses tempes depuis le petit matin. => très beau, tous les passages avec le vent et les nuages j'aime beaucoup, les passages poétiques plus largement, donnent au roman un aspect irisé et unique.
- Ran s'était faufilé pour rejoindre sa princesse => il y a quelque chose, derrière ce "sa" !
Coquillettes :
-à vous seuls vous avez vécus tant de vies, traversés tant d’âges… => vécu, traversé
-elle parla frénétiquement, rendue fiévreuse par la tension et l’incertitude qui, jusque là, avait noué chacun de ses muscles, => avaient noué
- vu passer deux fois "crasse" en peu de pages, c'est un adjectif un peu surprenant sous ta plume, peut-être une fois, bien placé, ça suffit :)
Toujours un plaisir de te lire !
Ozskcar
Posté le 23/12/2022
Oh ! Content que le chapitre t'ait plu. Je craignais que celui-ci se disperse un peu trop en passant souvent d'un personnage à l'autre.
Par rapport aux passages sur le vent, tu n'imagines pas comme c'est à la fois amusant et déroutant d'essayer d'envisager un climat propre à une Tour immense...
Et vis-à-vis de Ran et Li'Dawn... Les sous-entendus pourraient mener quelque part, qui sait ? ;)
Je note tes remarques. Merci d'avoir pris le temps de me les partager !
A bientôt !
Baladine
Posté le 23/12/2022
Le "garde du corps" ne prendrait-il pas son travail trop à cœur ? ;)
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