Le lendemain matin, comme promis, je me rendis au cours de chant elfique d’Azura. Le soleil commençait tout juste à se lever derrière les montagnes, ses rayons dorés effleurant la cime des arbres et faisant scintiller la végétation encore perlée de rosée. L’air était frais et paisible, empli du parfum humide des feuilles et des fleurs sauvages. Peu à peu, les elfes émergeaient de leurs demeures, silencieux et gracieux, pour vaquer à leurs occupations quotidiennes.
Après quelques minutes de marche, j’arrivai enfin devant la maison d’Azura. C'était une jolie bâtisse de bois clair aux motifs sculptés à la main, typiques de l’art elfique. Je montai les quelques marches du perron et toquai à la porte, le cœur légèrement battant.
— Oui, tu peux entrer, dit une voix sourde et un peu distraite depuis l’intérieur.
J’ouvris la porte avec précaution. Azura était assise au centre de la pièce, plongée dans un livre ancien dont les pages semblaient usées par le temps. La pièce elle-même avait changé. Le mobilier habituel avait été repoussé contre les murs, libérant un large espace vide.
— Tu as changé la décoration ? demandai-je, intriguée.
Azura sursauta légèrement, comme si elle avait oublié ma venue. Elle referma son livre en hâte et se leva d’un bond pour venir m’accueillir. Très vite, son regard redevint calme et posé, comme à son habitude.
— Désolée, j’étais absorbée par ma lecture… J’ai réaménagé la pièce pour notre cours.
— Mais pourquoi avons-nous besoin d’autant d’espace ? demandai-je, un peu perplexe.
— Eh bien, chez les elfes, le chant s’accompagne souvent de danse. C’est une forme d’expression complète, où le corps et la voix ne font qu’un, expliqua-t-elle avec un sourire doux.
— Oh… d’accord, merci.
— De rien. Bien, maintenant, je vais te chanter une chanson. Écoute-la attentivement, et dis-moi ce que tu ressens. Ce sera la mélodie que tu apprendras. Mais avant de la chanter, il faut savoir la comprendre, la ressentir.
— Très bien, je suis prête, dis-je en reculant de deux pas pour lui laisser de l’espace.
Azura se plaça au centre de la pièce. Un silence profond s’installa. Puis, elle commença à chanter.
Sa voix… C’était une caresse. Un souffle d’âme. Jamais je n’avais entendu quelque chose d’aussi pur, d’aussi émouvant. Sa mélodie semblait venir d’un autre monde, ou peut-être du cœur même de la forêt. En chantant, elle se mit à danser. Ses gestes étaient souples, harmonieux, empreints d’une grâce presque irréelle.
Autour d’elle, de minuscules gouttelettes d’eau commencèrent à flotter dans les airs, dansant à leur tour au rythme de ses mouvements. Son pendentif doré, orné d’un saphir étincelant, brillait doucement. Les rayons du soleil, traversant la fenêtre, se mêlaient aux gouttelettes et créaient un spectacle féérique.
Je restai figée, bouleversée. Les frissons parcouraient tout mon corps. Une larme coula silencieusement sur ma joue. Jamais une chanson ne m’avait touchée à ce point. C’était comme si chaque note éveillait un souvenir enfoui, une émotion oubliée.
Mais soudain, tout s’interrompit.
Azura s’effondra au sol, sans un mot.
— Azura !! criai-je en courant vers elle, paniquée.
Je pris sa tête entre mes mains et la posai doucement sur mes genoux. Mon cœur battait à tout rompre.
— Azura, réponds-moi, s’il te plaît… Tu vas bien ? demandai-je, les larmes coulant à nouveau le long de mes joues.
Je ne savais pas quoi faire. Devais-je aller chercher de l’aide, au risque de la laisser seule ? Ou rester auprès d’elle ? J’étais paralysée.
Une main tremblante vint essuyer mes larmes.
— Pourquoi tu pleures, Anis ? Je ne suis pas morte… Ça m’arrive parfois, quand je chante… il m’arrive de perdre connaissance.
— Alors arrête de chanter, fis-je, bouleversée.
— Non. Je ne peux pas. C’est… ma passion. Je suis désolée. Anis, s’il te plaît… garde ce qu’il s’est passé ici pour toi, dit-elle d’une voix douce, le regard suppliant.
— D’accord, je te le promets… Mais promets-moi en retour d’être plus prudente.
— C’est promis… Maintenant, va chercher des elfes. Je vais bien, mais j’ai besoin de repos.
— Je ne veux pas t’abandonner, déclarai-je, la voix tremblante.
— Ne t’inquiète pas pour moi. Vas-y, je t’en prie.
Je finis par m’exécuter. Je sortis en courant et allai chercher des elfes. J’expliquai la situation sans entrer dans les détails, comme je l’avais promis à Azura. Rapidement, ils accoururent pour l’emmener à l’hôpital. Je restai seule devant le bâtiment, le cœur lourd, les larmes toujours présentes.
— Anis ! s’écria une voix familière.
Je me retournai. C’était Elros.
— Oh… salut Elros, dis-je en tentant de forcer un sourire.
— Ne fais pas semblant avec moi, Anis. Je te connais trop bien. J’ai appris ce qu’il s’est passé avec Azura. Je suis venu voir si tu allais bien… Mais à ce que je vois, non.
Je ne pus retenir mes larmes. Elros m’ouvrit les bras, et sans hésiter, je vins m’y réfugier. Là, je lui racontai tout. Ce que j’avais vu, entendu, ressenti. Il m’écoutait sans m’interrompre, avec une attention sincère. Sa présence me réconfortait, comme un ancrage dans ce moment de tourmente.
Je me détachai de lui doucement et croisai son regard. Ses yeux me rappelaient la surface paisible d’un lac.
— Merci, Elros… Merci de m’avoir écoutée. Je vais aller me reposer un peu dans ma chambre. Ensuite, j’irai au cours de Dana, dis-je d’une voix moins tremblante.
— D’accord. Mais n’hésite pas à venir me voir si tu as besoin. Je suis là, Anis.
— Promis.
En m’éloignant, je jetai un dernier regard vers l’hôpital.
**Je viendrai te voir demain, Azura… J’espère de tout cœur que tu iras mieux.**