A la lumière chancelante des bougies, Solola ne put distinguer des cuisines que l’îlot central qui avait été dressé telle une table de restaurant gastronomique. Recouvert d’une nappe blanche, de couverts pour deux et d’un chandelier, il donnait à la pièce un aspect cosy, en totale opposition avec l’image froide d’une cuisine professionnelle.
Appuyé contre le dos de la chaise haute, Marcelin lui faisait face. Contrairement à son habitude, son visage ne reflétait aucune expression. Il l’observait, stoïque. Sans y avoir été invitée, Solola se décida finalement à pousser la porte complètement afin de pénétrer dans la salle. Elle put alors constater qu’il n’était pas seul. Face à Marcelin, attablée, une silhouette aux cheveux dorés se dessinait. Lorsque le cliquetis de la porte résonna, le Tournesol fit volteface. Contrairement à Marcelin, Solola pouvait lire sur son visage de la surprise, une surprise qui lui sembla se teinter de peur.
Tour à tour, elle observa Palmyre, Marcelin, l’îlot central, les bougies … Se pouvait-il que Marcelin n’ait dit que la vérité depuis le début ? La culpabilité vint lui mordre l’estomac tandis qu’elle tentait tant bien que mal de se remémorer ce qui avait bien put la persuader du contraire. L’attitude de Palmyre avait été son principal indice. En repensant à leur conversation dans le parc de la Deter, un léger sourire amer s’invita sur le visage de Solola.
- Salut Marcelin … Palmyre, je vois que tu as retrouvé la mémoire. Félicitations.
Solola regretta instantanément cette pique qu’elle n’avait su retenir. Elle n’était pas là pour ça. Son but était de parler avec Marcelin et possiblement se réconcilier avec lui. Provoquer sa petite amie n’était certainement pas la meilleure stratégie à adopter. Pourtant, contrairement à leur précédente conversation, le Tournesol ne répondit rien. Si la lumière avait été suffisante, Solola aurait même pu remarquer ses joues se teinter honteusement de rouge.
- Marcelin, je peux te parler cinq minutes en privé s’il te plait ?
Marcelin hocha la tête sans rien dire et lui indiqua une petite porte sur le côté. Ils pénétrèrent dans la réserve où des néons projetaient une lumière blanche éblouissante. Coincée entre deux rangées d’étagères, Solola se décida une fois de plus à entamer la conversation, d’une manière toutefois bien différente à ce qu’elle avait imaginé en préparant son speech.
- Je suis désolée d’avoir douté de ce que tu me disais … avec Palmyre et tout ça … Vous êtes tellement différents que, je ne sais pas … En tout cas j’ai vraiment été nulle, donc voilà, je m’excuse.
- T’inquiète ce n’est pas de ta faute. Tu sais, contrairement à ce qu’on pourrait croire on n’est pas si différents, mais Palmyre cache bien son jeu, ajouta-t-il en lui adressant un clin d’œil. Enfin dans tous les cas ça n’excuse pas mon comportement non plus. Tu sais comment je suis, je me suis laissé emporter par le tourbillon de mon amour et j’ai peut-être un peu délaissé notre amitié.
- Peut-être ? ne put s’empêcher d’ajouter Solola dans un sourire.
Elle avait beau avoir tort sur presque toute la ligne, Solola ne rechignait pas devant des excuses. Faire le premier pas n’excluait pas un peu de mauvaise foi.
- Ouais bon ok, j’ai été nul aussi ! N’empêche, je t’avais bien dit que j’arriverais à la séduire hein ! Marathonien de la séduction !
Solola observa son ami s’auto gratifier d’un baise main dans les règles de l’art avant d’entamer une ridicule danse de la victoire. Elle pouffa de rire, légèrement gênée par son attitude grotesque mais avant tout pleinement heureuse d’avoir retrouvé son excentricité. Brièvement, la Jardilibrairie lui revint en mémoire. Rien ne semblait avoir changé, excepté la magnifique jeune femme blonde qui accueillait désormais les clients à l’entrée. Quoi qu’il arrive, elle devrait à présent faire avec la présence du Tournesol.
Toute à sa joie, Solola en avait presque oublié l’objet de sa visite. Une angoisse lui saisit alors la poitrine. A peine avait-elle retrouvé son ami qu’elle devait maintenant lui annoncer son départ.
- Marcelin j’ai quelque chose à te dire.
Devant l’air grave de Solola, il s’arrêta de danser.
- C’est par rapport aux disparitions ?
Solola acquiesça. Du haut de son petit nuage, Marcelin n’était pas aussi déconnecté qu’il n’y paraissait.
- Oui … Je ne sais pas ce qu’ils deviennent, mais vu l’ambiance de la Deter dernièrement, je t’avoue que je commence à un peu paniquer. Il faut que je sorte avant que ça soit mon tour.
- C’est vrai qu’il se passe des choses étranges. Tu ne peux pas savoir comment j’étais soulagé de te voir débarquer au réfectoire tous les soirs. Mais il ne faut pas paniquer, Palmyre et moi, on tente de mener d’enquête et figure-toi que les quantités de nourriture commandées et consommées sont toujours les mêmes. Les disparus ne doivent donc pas être très loin.
- Bon … Je suppose que c’est déjà rassurant oui… Et vous n’avez pas tenté de faire passer un petit mot dans la nourriture ?
- Non, mais c’est une bonne idée ! En plus demain c’est purée de patate douce, ça pourrait marcher, s’enthousiasma Marcelin.
- Oui, mais de mon côté c’est le temps qui va me manquer … Je dois agir vite, c’est bientôt mon tour.
- Ah bon ? Comment peux-tu le savoir ?
Solola raconta à Marcelin la conversation surprise entre le directeur et la mystérieuse Cordélia. Elle lui expliqua dans les moindres détails le bureau caché sous la trappe et les emplois du temps scotchés au mur.
Concentré sur le récit de Solola, Marcelin n’en perdit pas une miette jusqu’à la révélation de son amie.
- J’ai trouvé le point commun reliant toutes les disparitions : les étudiants disparaissent tous après leur séance de réalité virtuelle.
- Excellent travail, détective Martin ! Raaah j’aurais dû m’en douter, depuis le début je sens que quelque chose cloche avec le professeur Lawal ! Il est louche.
- Je suis bien d’accord. Mais ma séance de réalité virtuelle à lieu demain et personnellement je n’ai aucune envie de disparaitre, même avec la certitude que je continuerai à manger la nourriture de la cantine. Je dois trouver une solution pour m’enfuir… Tu m’aideras ?
- Je ne suis pas sûr que fuir soit la meilleure solution, répondit Marcelin en fronçant les sourcils. Partons du principe que nous trouvions une solution pour te faire quitter la Deter avec toutes les mesures de surveillance mises en place : et après ? Tu irais où ?
- Je ne sais pas, souffla Solola. J’avais pensé retourner à Jeridor…
- Et ne jamais savoir où sont passés les autres étudiants ?
Marcelin laissa échapper un rire tonitruant. Il était devenu si inhabituel d’entendre un rire si puissant que Solola sursauta.
- Tu me racontes que t’es faufilée dans le bureau de Théia Jensen en pleine nuit, que tu as écouté aux portes, que tu t’es ensuite introduite dans le bureau du directeur et que tu as fouillé dans ses papiers … Tout ça pour rentrer chez toi en toute détente dès que tu touches enfin au but ?
Solola soupira, son ami marquait un point.
- Je n’ai pas vraiment le choix ! Qu’est ce que tu suggères que je fasse d’ici demain ?
Malgré sa nature très prudente et respectueuse des règles, elle devait admettre que dernièrement elle avait pris des risques. Elle était allée là où personne ne l’attendait, et cette sensation de prendre sa vie en main avait quelque chose de grisant. Or la fuite avait cela de rassurant qu’elle lui évitait de penser à la seule alternative possible. Celle de se laisser capturer. Celle de perdre le contrôle.
- On a toujours le choix. Surtout que là, on est en position de force : on est trois, et on sait exactement à quel moment ta disparition est censée arriver. Il faut qu’on en profite. Demain, tu iras à ta séance de réalité virtuelle comme chaque semaine. Tu feras bien attention à ce que Théia Jensen ne devine rien avant. Palmyre et moi on restera cachés à proximité et on suivra Eustache Lawal lorsqu’il te transfèrera là où ils gardent les autres.
- Tu as l’air déjà très sûr de ton plan pour quelqu’un qui me laisse le choix, taquina Solola.
- Je crois que je commence à te connaître. Lorsqu’il s’agit de tes propres capacités, tu es toujours la plus sceptique. Mais au fond, je pense que ta décision est déjà prise. Fuir ne te ressemble pas.
Solola fixait intensément son ami, à la recherche d’un argument fort pour le contredire. Aucun ne lui vint à l’esprit. Il n’avait pas tout à fait raison, fuir les situations complexes avait toujours été une seconde nature chez Solola. L’ombre avait longtemps été sa meilleure amie. Mais depuis quelque temps, les choses avaient commencé à évoluer.
La dernière phrase de Marcelin raisonnait dans sa tête.
« Fuir ne te ressemble pas. »
Elle n’en était pas convaincue mais elle aimait que son ami la considère de cette manière. Solola désirait profondément devenir celle qu’il semblait déjà voir en elle.
En son for intérieur Solola brulait de connaitre la vérité, mais l’acte de se jeter dans la gueule du loup mobilisait un courage qu’elle n’était pas certaine de posséder. Elle visualisa Eustache Lawal, son sourire dans la pénombre, son plaisir manifeste devant la souffrance d’autrui.
Solola avait entendu Onesime Dubois parler de « faire du mal à ses élèves ». Ce qui se profilait devant elle ne semblait donc pas être une partie de plaisir, mais le plus effrayant restait de ne pas savoir ce qui l’attendait.
Solola avait encore le choix. Si elle décidait de fuir, Marcelin l’aiderait, comme toujours. Mais derrière cette décision se cachait une réflexion plus profonde. Avait-elle réellement envie de rester celle qui prend la fuite devant la difficulté ? Celle qui se cache et refuse sa Différence ? Solola n’avait pas cru en son ami, et quelques secondes après leur réconciliation, elle était tentée de renouveler son erreur. Marcelin lui avait pardonné, mais elle devait à présent entamer une nouvelle réconciliation, bien plus profonde : la sienne.
L’option de la bonne élève, qui obéit et ne fais pas de vague n’était plus d’actualité. Toute sa vie elle avait refusé de voir la vérité en face et s’était accrochée à une banalité idéalisée, mais se cacher n’était plus possible. Elle était Différente, et le moment était venu de l’assumer et de choisir quelle adulte elle souhaitait devenir.
Solola inspira profondément, les yeux plongés dans ceux brillants de son ami. Elle n’était peut-être pas une héroïne née, mais elle allait apprendre le courage et se battre contre ce réflexe de lâcheté qui la poursuivait.
- Ok, je suis partante.
Le sourire de Marcelin s’élargit. Il s’avança et serra brièvement Solola contre lui.
- Tu peux compter sur moi, je suis peut-être inutile mais certainement pas périmé ! Je vais suivre Lawal tel un chien truffier !
- Et c’est moi la truffe ?
- Bien sûr ! Bon aller vient, on va briefer Palmyre !
Solola retint Marcelin par le bras. Supériorité numérique ou non, elle aurait préféré ne pas impliquer Palmyre dans le plan.
Premièrement, elle n’était pas particulièrement douée pour passer inaperçue. Où qu’elle aille, tous les regards se retournaient systématiquement vers sa démarche chaloupée et son port de tête qui semblait vouloir rejoindre les étoiles.
Deuxièmement, elle n’avait pas confiance en elle. Était-ce sa manière de la prendre de haut ? Ou le fait qu’elle ignore si magistralement Marcelin en public alors même qu’elle partage visiblement une relation avec lui ? Elle avait beau s’être liée d’amitié avec les étudiants les plus « populaires » de la Deter, elle n’en était pas une. A mi-chemin entre les étudiants et le corps professoral, il était impossible de deviner de quel côté son cœur balançait.
Or Solola venait tout juste de se réconcilier avec son ami, ce n’était certainement pas le bon moment pour exprimer ses doutes. Elle choisit alors de garder le silence et de faire confiance à son ami en espérant, du plus profond de son cœur, que la capacité de discernement de Marcelin ne soit pas affectée par ses sentiments.
- Je vais plutôt vous laisser. Je crois m’être suffisamment immiscée dans votre dîner romantique. Et puis il faut que je me prépare pour demain !
Avant de sortir de la cuisine, Solola lança un dernier regard au Tournesol qui la toisait du haut de son tabouret.
Sur la forme une seule remarque dans la phrase "L’option de la bonne élève, qui obéi et ne fais pas de vague" => obéit / fait
Maintenant j'enchaîne vite sur la suite !