Chapitre 10

Notes de l’auteur : Chapitre modifié le 14/11/2020

 

La curiosité l’emporta rapidement sur la panique et Solola ne put s’empêcher de laisser un œil trainer derrière la machine qui la cachait. Le sol où elle se tenait quelques secondes auparavant se souleva rapidement et Onesime Dubois sortit en trombe de son bureau. Sans se retourner, il rabattit violemment l’ouverture derrière lui. Plus aucun doute ne pouvait persister, Solola reconnut immédiatement le claquement qu’elle avait gardé en mémoire.

Un instant, elle s’imagina interpeler le directeur d’une voix forte et autoritaire (à l’opposé de la sienne donc) : « Onesime ! ». Il se serait alors retourné, cherchant des yeux son interlocuteur. Elle serait sortie de la pénombre, lentement, le visage grave. « Je sais tout Onesime. Je sais pour Cordélia. Je sais pour les élèves. ». Pris au dépourvu, le directeur aurait fondu en larmes, se confondant en excuses et lui expliquant tout dans les moindres détails. Elle lui aurait alors offert son absolution, ou peut-être pas, puis ils seraient partis bras-dessus bras-dessous combattre le crime et arrêter cette sorcière de Cordélia en plein kidnapping de Différents.

La réalité rivalisant rarement avec son imagination, Solola regarda finalement le directeur se diriger vers les escaliers à grandes enjambées. Quelques secondes plus tard il ne persistait de lui que le son étouffé de ses pas qui s’éloignaient. Une fois que le silence bourdonna de nouveau dans ses oreilles que Solola, s’autorisa à respirer. Où qu’il aille, Onesime Dubois était pressé et n’avait absolument pas remarqué le gilet gisant sur le sol. Elle l’avait échappée belle. Solola fondit droit sur son gilet et l’attrapa au passage en continuant sa course vers la sortie. Une chose était sûre, elle avait eu sa dose de frissons pour la journée.

Le gilet farceur en avait pourtant décidé autrement. A peine l’eut-elle ramassé qu’il résista, une manche restant obstinément collée au sol. Etonnée, Solola s’agenouilla et constata que dans la précipitation, Onesime avait claqué la trappe sans remarquer l’obstacle qui la fit rebondir, l’empêchant donc de se fermer tout à fait. Elle put donc sans effort soulever la trappe qui lui dévoila une dizaine de petites marches illuminées. Solola hésita. Elle avait entendu dire que les voleurs attendaient généralement 10 minutes après le départ des propriétaires pour s’assurer qu’ils ne reviendraient pas récupérer un éventuel oubli (un gilet récalcitrant par exemple).

Attachant le sien à sa taille, Solola inspira profondément. Quoi qu’il en soit elle n’avait pas 10 minutes de disponibles et l’opportunité qui s’offrait à elle ne se reproduirait peut-être jamais. Elle s’engagea donc dans l’escalier rapidement.

Une odeur de vieux livres grimpa immédiatement le long de ses narines. Ses yeux mirent quelques secondes à s’accoutumer à la luminosité étonnante que dégageait cette petite pièce sans fenêtres. Onesime Dubois avait beau être le directeur de la Deter, il ne s’était pas réservé le bureau le plus vaste. Choix questionnable aux vues de la montagne de papiers, de livres et de journaux en-dessous desquels Solola devinait difficilement un bureau, une chaise et une bibliothèque. Baladant son regard de droit à gauche, elle se demandait par où commencer. Ce bureau était un véritable labyrinthe visuel.

Solola souleva mollement quelques feuilles sur le bureau. Des factures, quelques lettres (qui écrivait encore des lettres ?!) … Si seulement elle savait quoi chercher. Une phrase croisée dans un livre plusieurs années auparavant lui revint alors à l’esprit : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. ». Démunie, Solola se dit que cela valait le coup d’essayer. Elle ferma les yeux et se concentra sur son intuition. Son cœur battait la chamade et ne sembla rien lui dire de plus que « Mais qu’est-ce que tu fais, tu es pressée je te rappelle alors arrête tes bêtises, ouvre les yeux ! »

Dès que la lumière apparut de nouveau derrière ses paupières, son regard fut attiré par un mot. Un tout petit mot accroché au mur. Un mot, au milieu de plusieurs feuille scotchées, qui n’avait rien à faire là.

« Solola »

 Etonnée elle écarta les quelques papiers qui jonchaient le sol et se fraya un chemin vers son prénom. Elle n’avait pas rêvé, il était bien là, entouré de celui de beaucoup d’autres, et trônant fièrement au-dessus de son emploi du temps. Le directeur avait affiché au mur l’emploi du temps de la semaine de chacun de ses élèves. Solola fronça les sourcils. Certains noms étaient barrés. Les noms de ceux qu’elle ne côtoyait plus depuis quelques jours. Solola observa leur nom un par un. Elle était toute proche de la vérité et pouvait presque déjà la sentir. Elle était là, sous ses yeux, patiente, prête à avouer. Son cœur ne battait plus, il crépitait. Sourde à sa chamade, Solola cherchait. Quel était leur point commun ? Pourquoi son prénom à elle n’était-il pas barré ? Solola tentait de toutes ses forces d’allier rapidité et efficacité lorsque soudain, la révélation lui sauta au visage.

Comment avait-elle pu manquer ce détail ? Cela lui paraissait tellement évident maintenant. Solola se tourna de nouveau vers le bureau. Cette piste était une avancée considérable mais insuffisante à elle-seule. Au contraire, elle déclenchait tellement de nouvelles questions …

Solola jeta un œil à son Holopad. 16h10. Trop tard. Rester une seconde de plus au sein de ce bureau représentait un trop gros risque de compromettre son excuse. Vérifiant que son gilet était toujours bien attaché, elle gravit les marches en sens inverse et se glissa dans la salle des machines en refermant délicatement la trappe. Sans réclamer son reste, elle se dirigea directement vers l’étage inférieur où son excuse retrouverait sa crédibilité. Si un professeur venait à la croiser, son visage blême plaiderait en sa faveur.

Se dirigeant vers la salle de son prochain cours, Solola tentait de contenir son cerveau qui commençait déjà à bouillonner d’idées. Pas maintenant. Ce soir elle pourrait y réfléchir calmement dans sa chambre. Pour le moment, rien ne devait transparaitre. Ce soir elle trouverait un nouveau plan. Elle aurait peu de temps, son tour arrivait à grands pas. Qu’elle choisisse de fuir ou de mener l’enquête, elle ne pourrait pas aller bien loin seule. Le moment était donc arrivé de se réconcilier avec son seul allier. Marcelin et elle avaient beau être en froid, il avait toujours été présent pour elle et Solola espérait que cela serait toujours le cas. De plus, si son plan échouait, au moins aurait-elle réussi à transmettre ce qu’elle avait découvert à quelqu’un.

Les quelques heures de cours restantes lui parurent interminables. Personne ne semblait s’être inquiété de son absence et son excuse avait été reçue avec la plus parfaite indifférence. Elle eut donc tout le loisir de se concentrer sur la prochaine étape : trouver comment approcher Marcelin. Outre le fait que les échanges entre étudiants aient été récemment proscrits, elle se redit compte qu’elle n’avait aucune idée de l’emploi du temps de son ami. Solola ne pouvait se raccrocher qu’à une seule constante : la cafétéria.

En pénétrant dans le réfectoire, Solola balaya la pièce du regard à la recherche de Marcelin. Elle repéra immédiatement son sourire béat derrière le bar. Son cœur se pinça. Il avait l’air heureux malgré tout, malgré leur dispute, malgré l’ambiance de la Deter et les disparitions… Avait-il seulement remarqué que le nombre de repas servi diminuait de jour en jour ?

D’un pas décidé Solola se dirigea vers lui, tout en prenant soin de garder les yeux fixés sur la salade de thon exposée devant lui. Elle se jeta vers cette salade avec une détermination digne des pires films à l’eau de rose. C’était la salade au thon de sa vie, celle qu’elle avait tant attendue et avec qui elle allait à présent pouvoir construire son futur.

Arrivée à deux mètres du bar, elle serra le bout de papier caché au creux de son poing. Elle devait passer à l’action et être la plus crédible possible. Elle positionna son pied gauche devant le droit avec tout l’entrain dont elle disposait et se laissa voler jusqu’aux pieds de la fameuse salade qui semblait à présent la toiser d’un œil moqueur. Si, dans un premier temps, Solola avait eu peur que sa chute ne soit pas crédible, elle était à présent sonnée par le réalisme de la douleur lancinante de sa tête contre le bar. Elle sentit alors deux bras la saisir par la taille et la remettre sur pieds avec une efficacité surprenante. Marcelin avait quitté son poste pour lui venir en aide. Solola ignora les rires qui résonnaient dans la salle et lui adressa un sourire reconnaissant qu’il lui rendit pendant que Palmyre entreprenait de confisquer les plateaux de ceux qui avaient osé faire entendre leur voix. Heureuse de ce premier pas vers la réconciliation, elle s’apprêtait se servir de salade lorsqu’elle constata que sa main n’était pas libre. Elle renfermait toujours en son centre un petit bout de papier. L’objectif premier de cette chute spectaculaire lui revint alors en mémoire et elle n’eut plus qu’une envie : cogner une dizaine de fois sa tête contre le bar pour punir sa stupidité. Le temps de quelques secondes elle envisagea une seconde chute mais jugea cette option trop suspecte (et beaucoup trop douloureuse).

Solola n’avait donc plus le choix. Elle devait passer au plan B. Revenir aux bases et aux méthodes ayant déjà fait leurs preuves : le retour de la belette et de son gilet maléfique !

Assise sur son lit, toute vêtue de noir, Solola attendait la fin du service. Il n’y avait pas de plan C, celui-ci devrait donc forcément fonctionner. Dans le cas contraire, elle serait contrainte de fuir sans prévenir Marcelin. Après une longue réflexion, son choix était en effet arrêté. Bien que la tentation soit forte de mener l’enquête et de découvrir où étaient passés ses camarades, elle n’était pas certaine d’avoir les qualités nécessaires pour mener à bien cette mission. Pour preuve, sa couardise prenait visiblement le dessus sur sa curiosité. Elle était cependant prête à tout tenter afin de se créer une dernière occasion de parler à Marcelin.

21h. Les derniers étudiants regagnaient leur chambre.

21h05. Solola entre-ouvrit sa porte et jeta un œil dans le couloir sombre. La belette était prête à bondir hors de son terrier mais ses ardeurs furent rapidement refroidies par la présence d’une petite silhouette assise sur un tabouret à proximité des escaliers.

Solola referma sa porte. Monsieur Ivanova montait la garde. Malheureusement, son plan ayant été établi au dernier moment, elle n’avait pas eu le temps de le préparer suffisamment pour savoir qu’en effet, chaque soir, un professeur montait la garde. Solola retint un grognement. Elle était à court d’idée, à tel point qu’elle lança un regard plein d’espoirs à son gilet, le mettant au défi de trouver une solution.

21h15. Solola fut surprise de constater que Monsieur Ivanova aimait tricoter à ses heures perdues.

Derrière son bureau Solola récapitula les solutions qui se présentaient à elle :

  1. Trouver une cape d’invisibilité
  2. Se déguiser en fantôme et compter sur le manque de témérité du professeur pour le faire fuir
  3. Lui lancer le gilet maléfique au visage pour l’aveugler le temps de descendre, parler à Marcelin et remonter

21h30. Monsieur Ivanova porta à ses lèvre un thermos. S’il s’agissait de café, tout espoir était définitivement perdu.

21h45. Solola soupira de désespoir. Monsieur Ivanova avait terminé de tricoter la première chaussette et passait à la confection de la seconde.

22h. La belette fit un bond d’excitation. Comment avait-elle pu imaginer que Monsieur Ivanova accompagnait son tricot de café ? A en croire sa bouche béante de sommeil, il devait certainement s’agit de tisane.

Solola hésita quelques secondes. Il était 22h, le service était terminé depuis une heure et Marcelin avait certainement déjà regagné son studio. Considérant que le couloir de l’étage supérieur devait également être gardé par un professeur, elle choisit de se diriger tout de même vers la cafétéria en espérant un heureux hasard.

Solola arriva sans encombre devant la porte du réfectoire. Dans le silence absolu du couvre-feu, elle crut distinguer une douce musique provenant de la cafétéria. Elle pénétra dans la salle sur la pointe des pieds et laissa son ouï la guider jusqu’à la porte séparant le bar de la cuisine. Aucun doute possible, la musique provenait bien de la cuisine.

Solola posa une main moite sur la poignée. Son cœur semblait vouloir se détacher de sa poitrine. Elle avait terriblement envie d’entrer, d’y trouver Marcelin et de pouvoir lui parler. Mais elle ne pouvait pas ignorer la forte probabilité d’y trouver quelqu’un d’autre et de se faire expulser, ou pire …

Elle n’avait que deux possibilités. Pile ou face. Ou peut-être pouvait-elle ouvrir très doucement la porte afin d’observer sans être vue ?

Saisissant son courage à deux mains, elle pivota lentement la poignée de la porte. La chaleur lui monta au visage et une goutte de sueur dégringola le long de sa colonne vertébrale. Doucement, elle tira la poignée vers elle de quelques centimètres puis glissa son œil gauche dans l’entrebâillement de la porte.

Soudain son sang se figea. Dans la pénombre de la cuisine, deux yeux la fixaient intensément. Ils n’exprimaient aucun étonnement. Ils l’attendaient.

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arno_01
Posté le 08/09/2020
Il y a au début, juste un petit point que j'ai pas suivi. Le chapitre d'avant elle est à la recherche de la salle secrète, et au début de ce chapitre tu parles du bureau du Directeur.
Je suppose bien qu'il s'agit ici de la même salle, mais en général le bureau du directeur est forcément un endroit connu et 'officiel'. Même si cette salle, lui sert également de 'bureau' de recherche, je continuerais à l'appeler la salle secrète ou qqchose du genre.
MadelinePerlef
Posté le 11/09/2020
Ah oui c'est vrai que je n'avais pas vraiment vu ça comme ça... après en y réfléchissant, certains bureaux de directeurs restent des pièces "secrètes" ou du moins retirées comme par exemple le bureau de Dumbledore dans la saga Harry Potter. Après je prends bonne note de ton point et je vais tenter de rendre cela plus clair.
Merci beaucoup !
MariKy
Posté le 20/08/2020
Quel farceur, ce gilet ! J'aime bien l'utilisation que tu en fais, la personnification du vêtement donne une touche d'humour à ce chapitre plutôt tourné vers le suspens et l'action. J'ai été surprise par les conclusions de Solola, qui pense à un génocide alors qu'elle n'est au courant que de disparitions pour le moment. Ou alors j'ai raté quelque chose ?
En tout cas, j'ai hâte qu'elle retrouve Marcelin (j'espère que c'est bien lui !), ils ont pas mal de choses à se dire...
Pour la forme, juste deux choses :
- Sans se retourner, il rabattu violemment l’ouverture derrière lui : il rabattit
- répétition de "sa vie" dans la phrase "C’était la salade au thon de sa vie, celle qu’elle avait tant attendue et avec qui elle allait à présent pouvoir construire sa vie." (par ailleurs très drôle !)
MadelinePerlef
Posté le 21/08/2020
Hello Mariky !

Merci ! Je suis contente de voir que tu n'es pas insensible aux petites touches d'humour que je tente de disséminer ! (j'ai toujours peur d'être toute seule à trouver ça drôle ^^)

Mmmh pour la partie génocide non tu n'as rien raté, je pense que Solola a une grande imagination et qu'elle a souvent tendance à imaginer le pire. Je veux bien que tu me dises si tu as eu l'impression que ça sortait un peu de nulle part car dans ce cas je peux le modifier.

Quant à Marcelin je te laisse lire le prochain chapitre héhé

Merci pour les corrections et merci pour le commentaire ;)
Zoju
Posté le 15/08/2020
Salut ! J’aime de plus en plus la personnalité de Solola qui s’affirme et prend des décisions assez risquées. Ce qu’elle a découvert dans le bureau d’Onesime l’a bouleversée. Je me demande bien pourquoi elle doit s’enfuir dans la journée, mais c’est assez intriguant. Je n’ai pas eu l’impression que tu l’as expliqué dans ce chapitre. J’ai bien aimé le passage où tu décris ce qui se passe entre 21h15 et 22h. Même si c’était tendu, j’ai bien rit. (Surtout la belette) En tout malgré la situation où se trouve Solola à la fin du chapitre, j’ai pris du plaisir à te lire. Hâte de connaître la suite ! :-)
MadelinePerlef
Posté le 21/08/2020
Hello Zoju,
Non en effet je ne l'ai pas encore expliqué, je ménage le suspense ;) mais tu ne devrais pas tarder à le découvrir ...

Merci pour ton commentaire en tout cas :)
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