— Je soutiens toute tentative de rébellion, même en début d'année, me dit-il avec un sourire radieux et bienveillant en s'approchant de moi. Mais sécher les cours de Horner ? Tu ne serais pas un peu suicidaire ? Ce type ne te lâche pas d'une semelle, tu sais qu'il t'a dans le collimateur.
J'étais assise sous un arbre, un livre à la main, que je refermai lorsque j'entendis sa voix. Il n'était pas très grand. Pas grand du tout, à vrai dire. Mais sa gentillesse compensait sa taille, et j'étais convaincue que cela changerait avec sa poussée de croissance. Sa voix non plus était très aiguë, peut-être même plus que la mienne. Mais moi... disons que j'avais grandi plutôt vite.
— Parce que je fais de l'insubordination ? m'indignai-je. Je n'y peux rien si j'ai horreur qu'on me chie dans les bottes. Et je suis convaincue qu'il fait exprès de me provoquer.
— Il en profite tant qu'il le peut encore. Il sait qu'un jour tu seras plus forte que lui et que tu lui botteras le cul, répliqua-t-il en s'asseyant près de moi.
— Qu'est-ce que tu fais ? lui demandai-je en le voyant faire.
— Je rejoins ton bataillon, folâtra-t-il avant de me tendre un sac.
Je le saisi et y découvris un hamburger, des frites et un soda. Je me tournai vers lui.
— C'est pour moi ?
Il hocha la tête.
— Pourquoi ?
— Tu n'as pas mangé, répondit-il simplement.
— Oui mais pourquoi est-ce que tu préfères sécher en me regardant manger plutôt que d'aller en cours ? insistai-je. Tu vas avoir des ennuis.
Son expression changea subrepticement un instant avant que je ne secoue la tête.
— Tu ne devrais pas faire ça, les professeurs t'adorent. Rester ici avec moi nuira à ta réputation de garçon parfait.
Il ravala un rire et je lui pinçai la joue.
— Tu viens de dire « garçon parfait » ? demanda-t-il en tentant de s'empêcher de sourire, mais je savais qu'il voulait rire. Tu déconnes ?
Je levai les yeux au ciel.
— Je t'en prie ! Tu as d'excellents résultats, une excellente attitude et tout le monde fait tes éloges. Tu as un autre nom pour décrire ce que tu es ?
— Un garçon qui cache bien son jeu ? proposa-t-il en inclinant la tête.
Je le bousculai d'une tape sur l'épaule en riant.
— Quel jeu ? Tu es aussi pure qu'une nonne.
— OK, s'exclama-t-il en sautant sur ses pieds, m'arrachant le sac des mains. La nonne reprend son bien au soldat (il s'interrompît et me regarda, comme illuminé) Eh ! La nonne et le soldat, ça sonne bien, tu trouves pas ?
— Si, approuvai-je en souriant. Tu as trouvé le titre, manque plus que le synopsis.
— Il est dans ce sac, viens le chercher si tu peux encore te bouger, gaussa-t-il avant de s'enfuir en courant.
Je m'esclaffai et courus derrière lui.
Finalement, je me réveillai à l'infirmerie pour découvrir le docteur Wagner penchée au dessus de moi.
— Bon retour parmi nous Rachel, me dit elle. (C'était une vampire d'une cinquantaine d'année dont l'accent allemand me faisait toujours sourire). J'ai l'impression que tu essaies de te surpasser à chaque fois, ajouta-t-elle avec un sourire qui se voyait rassurant. Comment te sens-tu ?
Les détails de ce qui s'était passé me revirent. Mais heureusement, toute cette horreur était passée.
— Étonnamment bien.
Je fis passer ma main sur mon visage avant de sursauter.
— Quelle heure est-il ? Combien de temps suis-je restée inconsciente ?
— Reste tranquille, m'ordonna-t-elle. Quelques heures uniquement. Tes amis ont demandé de tes nouvelles, mais tu étais encore endormie.
Ariadne me revient en mémoire.
— Ariadne, où est-elle ?
— Elle s'en est allée il y'a quelques minutes. À un cours supplémentaire il me semble.
Son cours de sciences culinaire, mais quelle idée !
— Rachel, m'interpella le docteur Wagner d'un ton sérieux. J'ai besoin de comprendre ce qui t'es arrivée.
— Je ne sais pas, lui dis-je sans mentir. Je discutais et tout à coup ce mal de tête est apparu.
Je pris une profonde inspiration en repensant à cet affreux moment.
— Mmh, mmh, fit-elle. Des envies de vomir, sueurs froides, vertiges ?
Je secouai la tête.
— Ariadne m'a expliqué que tu hurlais en t'agitant, cela était douloureux à quel point ?
— J'avais l'impression qu'on faisait pression sur ma tête avec un broyeur.
Le docteur plissait les yeux en m'écoutant. Ce métier m'avait toujours fasciné : Réussir à déterminer de quel mal souffrait un patient uniquement grâce à quelques symptômes qui pouvaient correspondre à plusieurs maux. Fascinant.
— Un peu comme lorsque tu es en avion pendant l'atterrissage ou le décollage ? demanda-t-elle.
— En pire.
— Des bourdonnements donc ?
J'acquiesçai tandis qu'elle ajoutait des notes à son calepin. J'hésitai à lui parler des visages et de la voix que j'entendais. Mais peut-être pouvait-elle m'aider ? N'était-elle pas tenue par le secret médical ? Ou quelque chose dans ce goût là ?
— Ce que je vous dis, commençai-je. Restera entre nous ?
Ma demande suscita son intérêt puisqu'elle releva la tête avec une expression interrogatrice.
— Bien évidemment, ma belle.
Je fermai les yeux, m'attendant à entendre cette Voix me tourmenter mais rien ne vint. Peut-être avait-elle disparue ?
— J'ai...
— Oui ? me dit-elle doucement en se rapprochant de moi.
— ...Subi une rupture difficile, me suis-je défilée bêtement. Ça doit être pour ça.
Je détournai les yeux, honteuse.
— Mmh... fit-elle à nouveau.
Je regardai par dessus son épaule et mon cœur s'accéléra en voyant qui se trouvait là.
Le docteur Wagner se retourna en entendant Mason se racler la gorge.
— Est-ce que... je peux ? hésita-t-il.
Je sentis mes joues s'empourprer. Le docteur me regarda un instant et sourit étrangement avant de reporter son attention sur lui.
— Elle s'en est remise, pour le moment (elle me regarda à nouveau) Tu as un peu de fièvre, mais rien de bien méchant. Je te prescrirai quelques médicaments qui pourront t'aider si cela se reproduit. Et si c'est le cas, je veux que tu n'omettes aucun détail. D'accord ?
J'hochai la tête, contente qu'elle ne me pose pas plus de questions.
— Ta rupture n'a peut-être pas été une si mauvaise chose finalement, ajouta-t-elle en haussant un sourcil en direction de Mason qui me jeta un regard décontenancé.
Lorsqu'elle sortit, Mason se rapprocha de moi lentement et j'eus un mal fou à soutenir son regard. Bon sang !
— Comment est-ce que tu te sens ? me dit-il d'une voix douce en s'asseyant doucement près de moi.
— B-Bien, maintenant, répondis-je en triturant mes doigts.
Il sembla hésiter mais approcha sa main avant de la poser sur la mienne, son contact doux et chaud me fit ressentir des fourmillements dans la poitrine mais je m'empressai d'ignorer cette sensation.
— J'étais... vraiment inquiet lorsque je t'ai vu dans cet état tout à l'heure, m'avoua-t-il en détournant le regard. Je le vis ravaler sa salive et il me sembla même qu'il suait. J'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose de grave.
Je le regardai, et sa beauté me laissa bouche bée. Quelques boucles lui retombaient devant le visage et il semblait si mal à l'aise, si vulnérable, si sensible, si...
— Je vais bien, lui dis-je en pressant sa main ce qui le fit se retourner vers moi. Lorsque ses yeux rencontrèrent les miens je les trouvais si beaux et ce que j'y lus failli me faire détourner les yeux. J'ai juste... vécu quelque chose de compliqué. Mais ça va mieux maintenant, m'empressai-je d'ajouter.
Je me demandai un instant si Jess lui avait raconté à propos du loup-garou, s'il l'avait même vu, et s'il en avait parlé à quelqu'un. Mais j'étais tellement perdue dans son regard que cela me parut insignifiant.
Il se rapprocha plus près de moi et retira sa main de la mienne pour la poser sur le lit. Lorsqu'elle frôla ma hanche mon cœur se remit à battre frénétiquement, un frisson l'accompagnant. Son visage n'était pas loin du mien et j'espérais que cette proximité le rendait tout aussi chose que moi.
— Ça va mieux maintenant, ai-je ajouté si bas que je pensais qu'il ne m'avait pas entendu.
Il passa sa langue sur ses lèvres et j'eus aussitôt envie de faire de même. Il dû voir mon regard parce qu'il rapprocha son visage du mien avant de remette une mèche de cheveux qui barrait mon visage derrière mon oreille.
Je devais ressembler à une ogresse dans l'état où j'étais.
— On dirait, répondit-il doucement avec un sourire en détaillant mon visage du regard.
Il rapprocha d'avantage son visage du mien et je cru (j'espérai) qu'il allait m'embrasser. Mais il s'arrêta à quelques millimètres de mes lèvres, nos nez se touchant uniquement.
Je me demandai s'il hésitait à cause de moi ou s'il n'en avait pas envie, alors je fis le premier pas en rapprochant mes lèvres des siennes sans les toucher. Il fit passer son regard de mes lèvres à mes yeux, je sentis son souffle chaud et sa main douce sur mon visage. J'avais l'impression qu'il aspirait tout l'air environnant, mais je m'en fichais, je n'avais pas besoin de respirer.
Il me regarda dans les yeux, l'air de vouloir faire passer un message puis se rapprocha de moi.
Mais au lieu de m'embrasser, releva le visage et déposa un baiser sur mon front.
Je ne peux vous décrire la déception que je ressentis à ce moment là. Un peu la même que lorsque vous croyez votre professeur absent, mais que celui-ci se pointe aussi sûr de lui qu'un monarque.
Mais dans un cadre... plus intime.
Je baissai les yeux et Mason s'écarta moi, un peu comme s'il prenait une distance de sécurité.
— Tu n'es pas si lourde que tu en as l'air, dit-il en essayant de dissiper sa gêne.
Donc il m'avait portée ? Génial...
— Merci... dis-je sans réussir à cacher ma déception et mon malaise.
Un silence gênant s'installa et il reprit finalement la parole.
— Jess m'a briefé sur... la chose.
Il lui avait donc parlé du loup-garou ? Génial...
— Ah c'est vrai ? dis-je en me sentant stupide.
— Ouais... je n'ai rien dit à personne. Et lui non plus.
— Cool.
— Et toi ?
— Non.
— Non ?
— Non je n'ai rien dit.
Petit mensonge : Je l'avais dit à Isaac. Mais sur le moment, cela m'était complètement sorti de l'esprit.
Je sentis le poids de son regard sur moi et je relevai les yeux, ce qui le fit détourner le regard un instant.
— Pourquoi ? demande-t-il. Pourquoi n'avoir rien dit ? Il t'a attaqué non ?
Mais je n'en sais rien ! Parce que je suis stupide ou parce qu'une voix me torture dès que j'essaie d'en parler, qui sait ?!
C'est ce que je voulais répondre mais à la place voilà quels mots se formèrent :
— On est tous le repas de quelqu'un.
Oh mère-grand pourquoi ne m'as-tu pas dévorée ?
Je pris une profonde inspiration en bombant le torse.
— Et vous alors ? Pourquoi n'avoir rien dit ? Et comment cela s'est-il terminé pour Jess ?
J'avais demandé cela trop rapidement, j'espérais qu'il ne s'en soit pas rendu compte.
Mason hésita un instant mais répondit :
— Ce n'est pas quelque chose de facile à avouer, cela provoquerait une panique générale, et nous ne sommes même pas sûrs d'être cru. Cela serait même surprenant. Sans preuves, nous ne pouvons rien faire. Et puis (j'eus l'impression qu'il eut instinctivement envie de se rapprocher mais il se ravisa) il fallait qu'on voie ça ensemble. Puisque tu es la première concernée.
— Je suppose que Jess t'en a parlé parce qu'il ne voulait pas se retrouver seul avec moi, crachai-je en me rappelant la façon dont il m'avait parlé (et aussi la douche froide que j'avais reçue de la part de Mason. Cela devait être surtout pour ça).
—Tu aurais préféré qu'il ne m'en parle pas ?
Son ton un peu cassant fit légèrement retomber ma colère. Sans comprendre pourquoi cela me réjouissait, j'essayai de lui tendre un piège.
— Non, mais j'aurais aimé que ce soit lui qui se donne la peine de venir prendre de mes nouvelles.
C'était mesquin. Je vous l'accorde. Mais cette phrase pouvait prêter à confusion. Pour ma défense j'aurais pu lui dire que ce que j'entendais par là était, qu'étant donné les circonstances, sa présence aurait été la plus logique. Mais je savais ce que Mason avait comprit, c'était pour cela que je l'avait dit, et pour cela que c'était mesquin.
Une vague de joie me submergea lorsque je le vis contracter la mâchoire.
— Toujours que pour Jess, dit-il plus pour lui que pour moi.
— C'est normal que je lui en sois reconnaissante, il m'a sauvé la vie.
— Sauvé la vie, hein, grommela-t-il. Rien que ça.
Je levai les yeux au ciel.
— Oui, sauvé la vie. Si tu avais été là tu l'aurais compris. C'était très courageux et chevaleresque de sa part.
Son expression s'assombrit et je me dis que j'y étais peut-être allée un peu fort, surtout avec le « chevaleresque ».
— N'importe qui aurait réagi de la même façon, répliqua-t-il froidement.
— Mais ce « n'importe qui » c'était lui.
—Mon frère n'est pas du genre à se préoccuper du sort des autres.
— Parce que toi si ?
— Oui, et surtout quand ça te...
Il s'arrêta et me fit un sourire qui faillit m'arracher le cœur. Bon Dieu ! Avais-je déjà dit que sa fossette était sublime ?!
Il me regarda de la même façon que quelques minutes plus tôt et pendant ces quelques secondes, cette alchimie fit rebattre mon cœur.
Je sus qu'il avait compris ce que j'avais voulu faire et je ne pus empêcher un sourire niais de se former sur mon visage.
— Tu es vraiment sournoise, tu le sais ça ? me dit-il d'une voix qu'un mec aussi sexy n'aurait jamais dû avoir le droit d'avoir.
— Je sais.
Nous nous regardâmes quelques secondes durant lesquelles je me perdis dans son regard azuré, avant que je décide de rompre le contact.
C'était œil pour œil, dent pour dent.
— Je dois y aller, j'ai un rendez-vous et je suis déjà en retard, dis-je en sautant du lit. En me retournant je vis qu'il n'avait pas bougé et je décidai de préciser. Avec Sydney.
Il se releva, l'air innocent. Et prit son air sarcastique habituel.
— Oui, oui. Bien sûr. Je le savais.
— Je dois voir le docteur Wagner, elle a encore quelques tests à me faire passer, et quelques questions à me poser.
—Rachel, me dit-il pour la centième fois ce jour là. Ça va vraiment ?
— Oui, lui dis-je en me perdant encore dans son regard.
Il me sourit (inutile de vous décrire mon ressenti) puis se dirigea vers la sortie.
— On parlera de ce qu'il s'est passé avec Jess, me dit-il. Et de ce qui s'est ensuite passé, avec moi, ajouta-t-il d'une voix rauque en me regardant longuement.
Puis il franchit la porte.
Me laissant là, bouche bée.
J'étais amoureuse de Mason. Super. Tout ce qui me fallait.