Chapitre 12

La docteur était vraiment gentille, elle n'avait rien gobé à mes mensonges et pourtant, ne m'avait pas plus questionnée. J'aurai pu être sous l'effet de substances illicites, et ç'aurait été de son droit (et même une obligation) de me harceler jusqu'à ce que je craque. Mais elle ne l'avait pas fait.
J'ai signé une fiche de sortie et elle m'avait prescrits plusieurs choses étranges à prendre.
Ariadne devait être morte d'inquiétude, mais pendant que je signais cette paperasse, la Voix qui avait failli me tuer m'avait intimé de me dépêcher d'aller à ce rendez-vous. Et comme l'idée de revivre ce qui m'était arrivé m'était impossible, j'étais en route vers l'adresse que m'avait donnée Sydney et à laquelle elle devait m'attendre.
— Magnifique teint pour une mourante, me dit-elle en me voyant arriver en soufflant dans son horrible cigarette.
— Quoi ?
— Les nouvelles vont vite. Tu aurais déliré dans la cour et atterri à l'infirmerie.
Académie à la con.
— Oui, si on veut, répondis-je en portant ma main devant mon visage en me protégeant de la fumée.
— Je ne te parle pas des rumeurs sur ta grossesse, ajouta-t-elle.
— Ma quoi ?!
J'avais presque hurlé en disant ça. C'était quelque chose d'inhabituel, je n'avais pas l'habitude de m'emporter pour si peu mais je sentais une colère inconnue émerger du plus profond de mon être sans en connaître l'origine. Sydney me lança un regard air surprit.
— Qui a dit ça ? poursuivis-je en baissant le ton.
— Quelques idiots, pour se la raconter sans doute (elle haussa les épaules) inutile de t'en préoccuper, on t'a fait passer pour pire qu'une future maman.
Je serrai les poings en contractant la mâchoire. Je ne savais pas qui était l'enfoiré qui avait dit ça mais j'avais bien l'intention de le retrouver. Répandre des rumeurs sur moi ? Comment avais-je un jour pu laisser passer ça ? Je devais le trouver, et lui faire regretter ses mots, je voulais voir la peur dans le regard de ce merdeux et...
— Rachel ? m'interpella Sydney. On y va ?
— Oui, oui. On y va.
Je desserrai mes poings maintenant tous engourdis, et portai mes mains à mon visage bouillant. Je voyais des lignes rouges sur le plat de mes mains. Mes ongles ? Je ne pensais pas qu'il était possible de s'entailler à ce point avec des choses aussi fragiles, les miens n'étant pas si longs que ça. On aurait dit que je m'étais enfoncé des lames de rasoir jusqu'à l'os.
Je secouai la tête, tout ce qui m'arrivait me mettait à bout de nerfs. Et ça en devenait même dangereux pour moi...
Nous prîmes finalement le bus LL2 jusqu'à Gettysburg et nous dirigeâmes vers le restaurant de Taya. Le trajet fut tranquille et nous discutâmes de tout et de rien. C'était finalement reposant d'être en compagnie de Sydney.
En arrivant devant le restaurant je vis que celui-ci était fermé, ce qui était plutôt logique puisqu'il était un peu plus de sept heures du matin, les prémisses de l'activité matinale débutant donc.
— A quelle heure est-ce que ça ouvre ? ai-je demandé en me penchant vers Sydney qui tapotait sur son téléphone. Bon sang ! Il n'y a pas de limite d'heure pour les sextos ?! m'indignai-je.
Elle verrouilla son téléphone comme si de rien n'était en le rangeant dans la poche de sa veste.
— Et non ! C'est plaisant à n'importe quel moment de la journée, tu devrais essayer, me dit-elle avec un clin d'œil. Taya devrait être à l'intérieur, on a juste à frapper.
— Bien, soupirai-je. Frappons alors.
Sydney s'exécuta en abattant son poing sur la porte en bois.
Je n'avais pas observé l'endroit la première fois que j'étais venue, mais en regardant attentivement, la façade était très jolie. C'était un restaurant de deux étages, la façade du premier étant composée de baies vitrées dont les stores était abaissées, ce qui contrastait avec la porte en bois qui faisait très "coiffeurs de l'époque" et la grande enseigne rouge Gettysburg Eddies : Casual Dinner and Spirits . En regardant de plus près, l'étage ressemblait d'avantage à un appartement qu'à la partie supérieure du restaurant, et c'est en relevant la tête que je vis, qu'effectivement, il y'avait quelqu'un puisque la lumière était allumée.
— Elle n'a peut-être pas entendu ? proposai-je.
— Tu crois ? dit-elle avant de suivre mon regard. Taya ! cria-t-elle. C'est moi, Sydney !
— Chut ! On va se prendre une chaussure !
— J'espère que ce sera des Tod's, j'économise pour les avoir.
Je fronçai les sourcils.
— Quoi ? Celles à cinq cent quarante dollars ?
—La qualité d'abord, le prix ensuite.
Son téléphone bipa à nouveau et ce fut à mon tour de frapper à la porte. Que faisait-elle ?
— Et si tu lui téléphonais au lui d'envoyer des messages cochons ? lui reprochai-je, irritée.
— Il n'y a que quelqu'un qui n'en a jamais reçus pour me reprocher ça, dit-elle en faisant la moue.
Je levai les yeux au ciel avant de prendre mon téléphone.
— J'ai reçu un message.
— Ah oui ?
Son ton était plus qu'intéressé alors je m'empressai de préciser  :
— De Taya, elle dit qu'elle est sortie mais elle nous invite à entrer.
— Eh bien entrons !
— Quoi ? Comme ça ?
— Non, dit-elle en ouvrant la porte à la volée et en pénétrant dans le restaurant. Comme ça !
Je souris face à sa bêtise et entrai dans la pièce. C'était très cosy, l'image même qu'on se ferait d'un restaurant américain d'époque, meubles en bois, murs en pierre, parquet luisant sur le sol, poutres en bois et... mmh... une délicieuse odeur d'hamburger.
— Tu sens ça ? me demanda Sydney, le nez en l'air.
— Oui.
Elle s'approcha des cuisines en me demandant de la suivre.
— Tu veux la voler ?
— Non, juste voir d'où vient l'odeur.
Je secouai la tête en la suivant.
Nous rentrâmes dans les cuisines et, effectivement, deux hamburgers étaient disposés au milieu du plan de travail avec un petit mot :
"Je sais qu'il est un peu tôt pour manger gras, mais pas pour manger. Servez-vous."
— C'est bizarre, me dit Sydney. Cette écriture me dit quelque chose.
— Celle de Taya peut-être ? me moquai-je.
Elle me bouscula d'un coup de hanche.
— Mais non, idiote. Elle ressemble à celle de mon ex copain, tu sais celui dont je t'ai parlé.
— Il serait ici ?
— Non je ne pense pas (elle prit un hamburger et me tendit le second). Il serait descendu, dit-elle avant de croquer dedans.
— Il t'évite peut-être ? demandai-je avant de l'imiter.
— Taya m'aurait prévenue de son arrivée pour savoir si j'étais toujours partante pour passer malgré sa présence.
J'allais lui répondre mais son téléphone bipa et je levai les yeux au ciel avant de prendre une autre bouchée.
— Tiens, me dit-elle en me tendant son téléphone.
Je le pris en lui lançant un regard interrogateur avant de pousser un profond soupir après y avoir jeté un coup d'oeil.
— Pourquoi tu me fais lire ça ? lui dis-je, écoeurée.
— Ta vie sexuelle doit être peu sensationnelle, alors je te fais partager la mienne, me répondit-elle très sérieusement avant de s'approcher du frigo et d'en sortir deux cannettes de Coca Cola.
Du coin de l'oeil, je vis quelque chose de gros se mouvoir dans l'obscurité et cessai aussitôt de respirer. Mon coeur s'affola tandis que mes poils se hérissèrent : Il y avait un danger.
— Sans rire, personne ne te plait ? C'est carrément pas normal étant donné tous les Apollons qu'il y'a à l'académie.
Elle posa les canettes sur le plan de travail et en ouvrit une. Se rendant compte que je ne répondais pas, elle releva la tête vers moi et suivit mon regard.
— Qu'est ce que tu as ?
Comment je pouvais lui dire ce qu'il y'avait si je ne le savais pas moi même ? Et si c'était le loup-garou qui m'avait suivi ? Il saurait que je l'avais vu et là il nous dévorerai.
— Si vous avez quelque chose à dire c'est maintenant, pensai-je.
Je ne m'attendais pas à une réponse, surtout après ce que j'avais subi, mais qui ne tentait rien n'a rien.
— Rachel ?
— Mmh ? fis-je en ravalant ma salive. Je pensais à... mon amoureux.
— Alors ? Vous allez me répondre bon sang ! pensais-je.
Je pensais ça si fort que ça aurait pu me griller le cerveau. Je pense que j'avais dû subir une sorte de traumatisme : En temps normal, j'aurais fait ma guerrière effarouchée et serais allée vérifier par moi-même, mais là, j'étais tétanisée. Je ne pouvais qu'attendre, qu'espérer et...
Non ! J'étais une dhampir, la meilleure combattante de l'académie, et il n'y a pas douze heures, j'aurais pu botter les fesses de n'importe quelle créature. Aux oubliettes la peur de la mort.
— Ton amoureux ? fit-elle d'un ton dédaigneux. Tu as quel âge sérieusement ? Sept ans ?
Je posai le hamburger et me dirigeai d'un pas décidé vers la salle de réception.
— Eh, où est-ce que tu vas ?!
Je tendis l'oreille et entendis le grincement du parquet provonant du fond de la pièce, du côté opposé aux cuisine et à la porte d'entrée.
— Rachel, nom de Dieu, tu vas me dire où tu vas ?
— Chut ! lui fis-je en pointant le fond de la salle du doigt et elle baissa d'un ton.
— Qu'est ce que tu fais ? chuchota-t-elle.
— J'ai vu quelque chose.
Nous nous approchâmes du fond de la salle à pas de loup, et je ne distinguais toujours rien de suspect. A tel point que je me mis à croire que j'avais rêvé.
— Attention, m'avertit la Voix.
— A quoi ?
— Il va t'attaquer, et s'il le fait, il te pistera jusqu'à t'avoir.
N'était-ce pas la deuxième fois qu'il me disait cela ?
— C'est un loup garou ?
Je dus patienter plusieurs secondes durant lesquelles, Sydney et moi, tendues, observions la salle.
— Oui, finit-il par me répondre.
Je ravalai ma salive. Une fois mais pas deux.
— Eh ! criai-je, faisant sursauter mon amie. Je sais que tu es là, sors de ta cachette.
— Qu'est-ce que tu fous ?! chuchota Sydney.
Un nouveau grincement se fit entendre suivit d'un objet qui se brisait, et j'entendis Sydney couiner.
Mais ce ne fut pas tout, je vis quelque chose se déplacer, et je ne fus apparemment pas la seule.
— Qu'est ce que...? dit-elle.
Je gardai le regard fixée sur ma cible, prête à bondir à la moindre attaque.
— C'est... de la bile ? souffla Sydney.
Je ravalai ma salive n'osant pas me retourner pour vérifier. Quitte à mourir, je voulais garder ma dignité.
— Allez ! Viens chercher !
— Rachel, putain ! Tu vas la fermer ?! chuchota-t-elle en m'agrippant le bras.
— Il sait qu'on est là, et nous aussi !
— C'est peut-être un détraqué mental ! Allons nous-en !
C'est vrai, Sydney n'était pas au courant. Bien que la bile qu'elle avait dit avoir vue aurait dû la mettre sur la piste. Peu importe, ce n'était pas plus mal.
— Justement ! Tu ne veux pas laisser Taya avec un psychopathe, si ? lui dis-je en me tournant légèrement vers elle, juste assez pour voir son expression.
Elle parut hésiter mais avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit, le bruit de la porte d'entrée nous fit sursauter nous obligeant à nous retourner vers celle-ci. Durant cette fraction de seconde j'entendis un immense fracas en provenance du loup-garou (et du psychopathe de Sydney), ne sachant plus où donner de la tête, je me tournai vers celle-ci et vis une table renversée et la lumière filtrant à travers la porte de secours maintenant ouverte.
Il s'était échappé.
— Je suis vraiment désolée ! fit une jolie jeune femme asiatique toute essoufflée. J'espère que je ne vous ai pas trop faites attendre.
Sydney soupira de soulagement en se ruant sur elle.
— Non, non ne t'en fais pas ! Mais quelqu'un a essayé de te cambrioler. Je crois qu'il s'est échappé.
Je baissai les yeux, mal à l'aise, ne sachant plus trop où me mettre tandis que les deux amies parlaient. Et c'est là que je le vis : Un immense filet de bave. Il n'y avait plus aucun doute.
Le loup-garou était revenu pour me tuer.
Mon pouls s'accéléra tandis que je me demandais comment j'avais pu en arriver là et pourquoi celui-ci me chassait. Puis des mots me revinrent en tête.
"Il va t'attaquer, et s'il le fait, il te pistera jusqu'à t'avoir."
J'étais joliment emmerdée.
— Rachel ? me dit Sydney en me faisant sortir de mes pensées. Voici Taya. Taya, je te présente Rachel.
Je m'avançai vers elle et lui serrai la main puis elle me fit un sourire gêné.
— Je suis désolée que nous nous rencontrions dans de telles conditions, me dit elle. Vous allez bien ? Vous n'êtes pas blessées ?
— Non, lui répondis-je. Il s'est enfuit par la porte arrière. Vous devriez faire attention.
Elle me regarda d'une drôle de façon comme si elle tendait de sonder mes pensées et finalement me sourit.
— Ce genre de choses arrivent souvent à Gettysburg, mais jamais chez moi. Il y'a une première fois à tout on dirait !
— Ça aurait été sympa qu'il le fasse à un autre moment, ronchonna Sydney avant d'aller fermer la dite porte.
Je la regardai s'éloigner en essayant de reprendre un rythme cardiaque normal mais mon cœur manqua un battement lorsque Taya me lança calmement :
— Ce loup-garou est Beliath, l'alpha de la meute. Et il est venu pour toi.

 

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