Chapitre 11 : Confessions

Par Rouky

Je restai éveillé jours et nuits à son chevet. Cela devait bien faire une semaine que j’avais à peine fermer l’œil. Les médecins étaient confiants, il allait s’en sortir. Mais il aurait besoin de beaucoup de repos.

Je détestais les hôpitaux. Mais, pour lui, j’étais prêt à y rester toute une vie si cela permettait de lui faire rouvrir les yeux. Voir toutes ces machines et ces câbles autour de lui, cela me répugnait...

Alors j’attendais, jour après jour, refusant de partir même lorsque les médecins me l’ordonnaient. J’utilisais le nom de “Jacques Barnet” comme d’une arme, et alors on me laissait tranquille. Le commissaire vint me voir quelques fois. Il s’était proposé de passer chez nous de temps en temps, afin de vérifier que Sergent et Capitaine se portaient bien.

Ils se portaient toujours bien. Paraît-il qu’ils dormaient même ensemble, le soir venu. Ils semblaient avoir fait la paix. Oui, ils se portaient toujours bien.

Mais pas Thomas. Non, lui, il allait mal. Si les médecins étaient aussi confiants en son rétablissement, alors pourquoi n’ouvrait-il toujours pas les yeux ?

Une matinée, après avoir dormi quelques heures chez nous, je repartis en direction de l’hôpital. Le soleil ne s’était même pas encore levé.

Je m’assis dans le fauteuil à côté du lit, et sortis un carnet à dessin. Là, je crayonnais toute la page en noire, appuyant tant et si bien sur le fusain que le papier se déchirait par endroits. Mais je m’en fichais. Je continuais de déchirer la page, cela m’apaisait. Je repensais à Eden D’Asande, à Catherine Boleyn, à Monsieur Violon, à la petite Margot, à Anabelle et Renée Durand, puis à William Rapin. Tant de souffrances. Encore et toujours de la souffrance. Il n’y avait que ça, de la souffrance, en ce bas monde. Tout n’est qu’une histoire de souffrance.

- Gallant ? Fit une voix endormie.

Je stoppais net le mouvement de ma main. Je relevai lentement les yeux, ayant presque peur de voir ce que j’allais découvrir. Mais c’était bel et bien la voix de Thomas qui m’avait interpellée.

Mal réveillé, à moitié sous anesthésiant, il me regardait, les yeux plissés, se demandant certainement si je n’étais qu’un mirage.

J’envoyais valser carnet et crayon au sol, et vint me plaquer à sa droite.

- Oui, murmurai-je. Oui, c’est bien moi. Comment tu te sens ? Est-ce que ça va ? Tu as mal quelque part ? Tu veux que j’appelle une infirmière ?

Thomas sourit légèrement. Il essaya de secouer la tête, mais grimaça en s’arrêtant.

- Et... Dorian ? Demanda-t-il.

- Il s’est suicidé.

Il ferma les yeux, une douleur silencieuse passant sur son visage. Je fronçais les sourcils en me penchant vers lui.

- Pourquoi ? L’accusai-je. Pourquoi avoir fait ça ? C’était stupide et irréfléchi ! Tu n’es pas un bouclier humain !

- Je m’attendais plutôt à un merci, se moqua-t-il.

- Merci, dis-je. Mais il n’empêche que tu n’avais nullement besoin de faire ça. Cette balle m’était destinée. Tu te causes beaucoup trop de peines pour me protéger.

- Si cela permet de t’éviter une quelconque souffrance, alors je serai ton bouclier, quoi qu’il m’en coûte.

- Mais pourquoi ?

Les sanglots menaçant de monter, je sentis ma propre voix flancher. Thomas fronça les sourcils, comme si j’avais perdu la raison.

- Parce que je tiens à toi, Gallant. J’ai pour habitude de protéger ceux que j’aime.

- Non... Non, je ne le mérite pas...

- Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Après tout ce que tu as fais, évidemment que tu le mérites !

Je baissai la tête, honteux de ce que je m’apprêtais à révéler.

- Quand nous étions dans cette prison, dis-je, tu m’as demandé qui est cet homme que je craignais par dessus tout. Cet homme... c’est moi-même, Thomas. J’ai fais des choses, par le passé. Des choses terribles, qui me hantent encore chaque nuit. Des choses qui m’empêchent d’être heureux aujourd’hui, qui me cause du chagrin chaque fois que je ferme les yeux. Des choses qui, rien qu’en effleurant leur souvenir, vont jusqu’à me provoquer des douleurs aux entrailles. Je suis quelqu’un d’horrible, Thomas, et je ne mérite ni d’être aimé, ni d’être sauvé. J’ai été égoïste, lorsque je t’ai supplié de rester avec moi. J’avais peur que tu m’abandonnes car, lorsque je suis seul, ces sombres pensées ressurgissent en moi. Ta présence m’apaise, et c’est pour cela que j’ai voulu te garder. Tu es la seule personne qui compte à mes yeux, et la seule pour qui je compte un tant soit peu. Je suis quelqu’un d’horrible et d’égoïste. Pardonne-moi...

Je n’essayais plus de cacher mes larmes, désormais. Cela ne servait à rien de les essuyer, elles reparaîtraient aussitôt.

Je sentis un doigt se poser sous mon menton, et Thomas me força à relever la tête. Ne pouvant supporter son regard, je détournais les yeux vers la fenêtre, observant le soleil qui commençait à poindre à l’horizon.

- Regarde-moi, m’ordonna Thomas.

Nerveux, je lui obéis. Son regard d’émeraude était doux, chaleureux, dénué de tout jugement.

- Quoi que tu ais commis d’aussi atroce par le passé, cela m’est égal, dit-il. La personne que je vois aujourd’hui devant moi est un homme avec le cœur sur la main, qui ne demande jamais d’argent lorsque quelqu’un vient lui demander de l’aide. Un homme qui arrête des criminels sans aucun remords. Qui est prêt à faire tomber les personnes les plus intouchables pour rétablir la justice auprès des plus démunis. Et tu oses me dire que tu ne mérites pas d’être sauvé ? Isen, ton passé ne te définit pas. J’étais autrefois un garçon naïf, fragile et peureux. Et qui suis-je aujourd’hui ? Quelqu’un prêt à se prendre une balle pour sauver son ami. Qui serais-je demain ? Je l’ignore. Car ce n’est ni le passé ni le futur qui fait de nous ce que nous sommes. Ce sont nos actions à l’instant présent qui fait celui que nous choisissons d’être. Cette nuit là, j’ai choisi de me sacrifier pour toi, et je n’ai aucun regret. Si c’était à refaire, je le referai sans hésitation. Parce que j’estime que tu mérites d’être sauvé. Tout le monde mérite d’être sauvé. Nous commettons tous des erreurs. Il suffit d’une seule seconde pour que le court de notre vie soit complètement chamboulé. Si tu n’étais jamais venu dans cette auberge, je serai probablement reparti à Londres, où je me serai forcé à épouser celle que mon père aurait choisi pour moi. Au lieu de cela, tu es venu, et tu as chamboulé ma vie. Et j’en suis heureux. Vraiment, Isen, je suis heureux de t’avoir rencontré. Et je suis prêt à affronter quiconque souhaite te faire du mal. Je suis prêt à affronter le Diable en personne si cela permet de te faire sourire un jour de plus.

Malgré mes sanglots, je parvins à esquisser un sourire. D’une voix étranglée, je lui répondis :

- Je ne t’en demanderai jamais autant. Le Diable, je le prends par les cornes, s’il le faut. Mais... est-ce que cela signifie... que tu restes à la maison, avec moi ?

- Bien évidemment ! Mais, si tu veux bien, je souhaiterai que l’on se trouve une autre demeure. Peut-être même en dehors de Paris. J’ai bien conscience que le soleil du sud te manque cruellement. Et puis, trop de souffrance imprègne notre maison...

- J’irai où tu veux que l’on aille.

- Alors nous irons là où le crime nous appelle.

Je me penchais un peu plus en avant, posant mon front contre le sien.

- A la vie à la mort.

- A la vie à la mort, répondit-il en souriant.

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Hylm
Posté le 09/05/2025
I'm back !
Petit break entre les aventures de Gallant mais les personnages me sont bien revenus en tête en quelques lignes.
Un chapitre plus lourd et plus mélancolique que le dernier qui l'était deja beaucoup, hâte de voir comment l'histoire et l'ambience vont évoluer.
Cette fois-ci il n'y a pas vraiment eu de mystère j'ai l'impression, on était plus dans le vécu d'un drame/tragédie. Je suis un peu resté sur ma faim au niveau des personnages introduits dans ce chapitre forcément, chacun a eu une occasion de parler et c'est un peu tout. Leurs traits de caractères en ressortent assez extrèmes (surtout pour le directeur et sa femme) presque caricaturaux. Ce n'est pas catastrophique ou quoi mais j'aurais aimé avoir le temps de douter de chacun d'entre eux et de voir mon avis changer etc... Ici le coupable (avocat) était tout désigné, et son complice n'était pas particulièrement 'devinable' avant que Albin parle. Le fait que le directeur et sa femme ne payent pas leurs actes (ou en tout cas pas encore, et on a peu d'espoirs) et que le coupable soit juste mentionné et capturé rendent le final peu impactant, mais ce n'est pas particulièrement grave car je sens que le but premier de ce chapitre était ailleurs (n'hésite pas à me dire si je me trompe). Je sens que le but ici était de montrer Thomas et Isen face à un extrème d'injustice pour qu'on puisse les cerner un peu mieux et pousser Isen à avouer son passé sombre, et ça c'est réussi.
Le final avec Dorian va peut-être un peu vite (ça se voit dans la longueur du chapitre) j'aurais aimé plus de description du ressenti de Thomas et Isen et que ce moment de tension dure plus longtemps mais c'est juste une préférence personnelle.
Je vois ce chapitre comme une transition dans le personnage de Gallant et un drame, mais je ne retiendrai pas grand chose des personnages secondaire introduits.
Merci pour cette nouvelle aventure, j'ai été beaucoup moins positif dans mon comm que d'habitude, mais pas de soucis à avoir j'ai bien apprécié le chapitre, je trouvais juste plus pertinant de faire remonter ces détails ci. Je lirai la suivante dans les jours à venir, si ce n'est pas cet aprem.
A tout de suite peut-être ahaha
Rouky
Posté le 09/05/2025
Bonjour !

Je suis très contente de te revoir ! Tu as tout à fait raison : même si j'ai beaucoup aimé écrire cette histoire qui m'a en grande partie été inspirée par Claude Gueux de Victor Hugo (je te conseille ce court roman, il est incroyable !), le but été en effet ailleurs que d'élucider un mystère déjà tout trouvé. Et en effet il paraissait impossible de deviner l'existence du complice avant qu'Albin ne parle. Il s'agissait d'une histoire transitoire où Isen et Thomas ne gagnent pas vraiment, sont confrontés à une cruelle injustice, et le retour de Dorian vient renforcer leur lien.

Je ferai plus attention à éviter les personnages caricaturaux même si, je dois l'admettre, ils sont forcément plus simple à écrire !

En espérant te revoir bientôt, et en espérant que tu apprécieras plus la suite ! À bientôt !😉
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