Intrusion
Après avoir fait les quelques courses nécessaires à notre subsistance, Laure et moi décidons d’aller boire un verre au bar avant de rentrer chez nous. D’un tacite accord nous avons évité de discuter de ce qui s’est passé plus tôt et parlons de choses et d’autres, de sa vie, de ses parents.
Je fais taire ma mémoire et tente d’envelopper le tout dans un brouillard comme je sais si bien le faire d’habitude. Je constate, amère, que cette fois ça ne marche pas. Au contraire, les évènements sont particulièrement vifs et lumineux et me donnent la sensation qu’ils ne veulent pas être occultés mais je sais oublier et j’arriverai à mes fins quel que soit le temps que cela prendra. Je suis heureuse de me retrouver enfin seule avec ma cousine et loin du manoir, je retrouve enfin une certaine sérénité.
Romain nous accueille avec son franc sourire tandis que nous nous installons.
- Enora, content de vous revoir !
Je note son regard appréciateur, qu’il tente de rendre discret, lorsqu’il le pose sur Laure. Je suis habituée à l’effet que produit ma cousine sur la gent masculine et cela m’amuse.
- Je suis la cousine Laure, deux cafés, s’il vous plait.
- Tout de suite Mademoiselle.
Romain est visiblement troublé et s’en va préparer notre commande sous l’œil malicieux de Laure.
Lorsqu’il a posé nos consommations devant nous, je suis surprise de le voir rester près de nous, il piétine et hésite. J’ai comme l’impression qu’il veut me dire quelque chose. Je croise le regard de ma cousine qui a le même sentiment.
- Est-ce que je me suis trompée dans le compte ?
Je sais parfaitement qu’il n’y a aucune erreur, mais j’espère lui donner ainsi l’excuse pour parler, il est vraiment mal à l’aise.
- N... non, ce n’est pas… c’est…c’est petit ici… et… et les ragots vont bon train.
D’accooord ! je ne vois pas vraiment où il veut en venir. Il rougit de plus en plus et transpire, si ça continue on va pouvoir l’essorer.
- Vous savez, je connais le village, même si ça faisait longtemps que je n’étais pas venue, je sais que les gens ont tendance à regarder chez les voisins…
Laure m’interrompt et plante son regard bleu dans celui de Romain qui doit regretter de s’être embarqué dans cette discussion.
- Les ragots ? mais quels ragots ? Enora s’est absentée de sa maison trois jours pour venir me chercher. Que peut-on bien pouvoir dire ?
Je me sens rougir, comme la coupable qu’ils imaginent même si je ne connais pas mon crime.
Romain se passe la main dans les cheveux et souffle, il semble à la fois soulagé et inquiet.
- Il y a dans le village des personnes qui souffrent d’insomnie et l’une d’elle se promènent la nuit.
Il a baissé la voix et regarde autour de lui la salle quasiment vide à cette heure.
- Le bruit court que deux hommes sont sortis de chez vous, avant-hier. La personne n’a pas vu leur visage, elle était trop loin.
Je suis tétanisée, quelqu’un s’est introduit chez moi pendant la nuit. Je frissonne à l’idée que j’aurais pu être là et… non je ne veux pas y penser. De façon incongrue le souvenir du mort près de chez moi s’invite dans mes pensées et ma bouche devient sèche. Il n’y a pourtant aucun rapport entre ces deux évènements pourtant je suis terrifiée.
Laure me tend le verre d’eau qui accompagne mon café et apostrophe Damien qui ne sait plus comment se tenir.
- Et au lieu d’imaginer je ne sais quoi, personne n’a penser à appeler les gendarmes ?
- La lumière était, parait-il, allumée à l’étage… moi je vous dis ça parce que je n’aime pas qu’on colporte des rumeurs alors que c’était forcément des cambrioleurs qui ont profité de votre absence… Je ne savais pas comment vous dire ça !
Le pauvre est dans tous ses états et Laure s’adoucit en comprenant qu’il n’avait pas d’arrières pensées et voulait seulement m’avertir des bruits colportés sur moi. Savoir que j’étais absente l’a inquiété car il ne s’agissait plus d’éventuels amants mais bien d’une intrusion.
- Merci de m’avoir prévenue, lui dis-je reprenant mes esprits. On va y aller car la porte a dû être fracturer…
- Non, justement, c’est pour ça qu’il y a eu des... enfin bref ! Le lendemain matin, la personne en question est allée chez vous et a sonné, ce qui lui a permis de constater que la porte n’avait pas été abimée et était bien fermée.
Je suis atterrée à la fois par le fait que deux hommes auraient les clés de chez moi et qu’une personne s’immisce dans ma vie pour la commenter dans le village
- Ça a bien changé, ici en quelques années. Avant les gens étaient bienveillants, mais je vois que la médisance s’est développée avec le village.
Laure ulcérée se lève et je fais de même. Je suis pressée de rentrer pour constater par moi-même que rien n’a été dégradé.
- Je suis désolé, Je…
- Vous n’y êtes pour rien, Romain et je vous remercie d’avoir eu le courage de me parler. Je vais faire changer mes serrures. Et pour le reste… je ne peux pas empêcher la rumeur de courir. Les gens n’ont qu’à penser ce qu’ils veulent.
Je lui fais un signe et nous sortons du bar en le laissant avec ses états d’âme. A chacun ses problèmes.
***
Quelle journée, j’ai l’impression qu’elle ne finira pas. Nous avons fait le tour de la maison pour trouver des indices d’un quelconque passage, mais le temps a passé et bien évidemment, il n’y avait rien.
Rien n’a été bougé, ni volé, tout est dans l’état où je l’ai laissé quand je suis partie.
Le serrurier est parti en me laissant deux jeux de clés pour la nouvelle serrure. Pour bien faire il faudrait que je change la porte. Je vais surtout poser des verrous.
Les gendarmes que Laure a tenu à avertir, on fait le tour de la maison, m’ont demandé s’il manquait quelque chose. J’ai bien vu qu’ils étaient sceptiques, c’est vrai qu’il n’y a pas eu effraction et nous n’avons que les dires de personnes pas forcément bien intentionnées. Ils nous ont conseillé de les appeler si quoique ce soit arrivait, mais j’ai bien saisi qu’ils n’y croient pas vraiment.
Je pense à tout cela en attendant Laure qui est partie se doucher. Mes yeux parcourent mon intérieur et tout me semble à la fois identique et très différent. L’impression d’être partie longtemps alors que cela fait à peine trois jours me perturbe, et le fait de savoir que des hommes ont violé mon domaine me révulse.
J’aimerais douter, mais une petite voix au fond de moi m’en dissuade. Une intuition que je voudrais balayer d’un geste de la main, s’accroche à moi comme une moule à son rocher. La peur fait son apparition et son cortège de sensations. Je respire profondément pour ne pas céder à la panique. Je ne suis plus seule ! « Que les Dieux en soient remerciés ».
Je fronce les sourcils à cette pensée étrange, moi qui ne crois guère en un Dieu alors plusieurs, n’en parlons pas ! Je n’ai pas le temps de réfléchir plus avant car Laure arrive avec deux chocolats chauds. Je suis surprise car je ne l’ai pas entendue traverser le salon et s’afférer en cuisine.
- Merci Laure !
Je réchauffe, avec reconnaissance, mes mains à la chaleur du mug. Il ne fait pourtant pas froid mais je suis glacée. Laure s’en rend compte et pose sur mes épaules un plaid qu’elle trouve sur un des fauteuils. Ça c’est ma cousine, toujours à s’inquiéter de moi. Je lui offre un sourire affectueux en remerciement.
- Bien, nous avons paré au plus pressé et nous resterons vigilantes, au cas où ces deux olibrius, s’ils existent, reviendraient. Je t’avoue que je commence à douter de la véracité de cette histoire… hum ! ça fait du bien !
Laure arbore un air si gourmand en savourant son chocolat que je ris, manquant de renverser mon mug.
- Bon ! Maintenant, je veux tout savoir !
Elle me regarde avec un air concentré dans lequel je lis l’inquiétude qui la ronge depuis mon départ.
Je soupire. Je m’y attendais mais je ne sais pas si j’ai envie de tout lui dire. Le problème est qu’elle ne se contentera pas de demi vérité, elle a un don pour savoir quand je n’ai pas tout déballé, elle a toujours été comme ça et c’est cette capacité qui lui a permis de m’aider autant.
Désabusée je me lance. Je lui raconte la raison exacte de mon départ. Laure ne m’interrompt pas une seule fois pendant tout mon récit, à peine puis-je lire l’étonnement sur son visage, mais jamais le doute. Elle me connaît trop bien, je n’aurais jamais pu inventer tout cela. Je lui parle également de mes cauchemars dont je ne me souviens pas mais du malaise qu’ils engendrent en moi et des crises de panique.
Par contre je tais les songes que je fais depuis mon évanouissement, dont je garde le souvenir merveilleux et qui me donnent de l’énergie. J’ai envie de les garder pour moi, ils sont une source vive où je pourrai puiser quand le besoin se fera sentir. La vision d’un fil bleu nuit, presque noir me transperce, le seul que dans mon rêve j’ai réussi à effleurer avant qu’il se rétracte pour s’éloigner de moi.
Laure me regarde surprise par le sourire qui flotte sur mes lèvres tandis que je me vois danser au milieu de ces fils irisés, chatoyants et de celui qui chante en moi. Ces rêves me semblent si réels que mon cœur bat plus vite d’émerveillement.
Je m’interromps et la regarde, attendant ses commentaires. Elle me fixe attendant une suite sans avoir compris que mon récit est terminé.
- C’est tout ?
Comment ça c’est tout ! C’est pourtant déjà assez difficile comme ça ! Qu’est-ce qu’elle veut de plus ?
Elle sent l’exaspération monter en moi et décide de préciser sa pensée.
- Que s’est-il passé avec Yaël ?
Je la regarde surprise, j’aurais dû me douter qu’elle voudrait en savoir plus sur la raison de ma colère.
- Je ne suis pas stupide ! J’ai bien compris que Roland m’écartait de vous et même si je n’ai rien vu, j’ai bien senti la tension entre vous deux. Et après cette fureur en toi qui ne l’exprime pratiquement jamais. Avoue que j’ai quand même quelques raisons de me poser des questions.
Son sourire narquois m’agace, mais je la connais suffisamment pour savoir qu’elle ne lâchera rien et puis c’est ma meilleure amie, si je ne peux pas me confier à elle, avec qui le ferai-je. Je pèse le pour et le contre. J’ai tellement peur qu’elle me prenne pour une cinglée.
Un bon chapitre avec un nouvel élément mystérieux. Les deux hommes ne seraient-ils pas Yaël et son ami ? Le malaise et la gêne du serveur, ainsi que le poids de la rumeur sont bien décrits. J'attends la suite de la discussion entre cousines. Sur le plan de la forme, je rajouterais peut-être quelques virgules dans ce chapitre. Enfin on fait -) ont
A bientôt !
Merci pour ton retour
Je suis d'accord pour les virgules, je le remarque quand je relis après une pause
Pour les deux hommes l'explication vient plus tard :)
A bientôt
Qui est Damien, une erreur ? Je pense qu'il s'agit de Romain...
Pour les intrus, je pense à Yael et Roland mais si c'est eux je trouve qu'ils ne sont pas discrets comme sentinelles.
Je poursuis ma lecture ;-)
En effet il s'agit de Romain, va savoir pourquoi j'ai écris Damien (pourtant j'ai relu) Merci pour la remarque.
C'est vrai que ça craint pour des sentinelles :)
Merci pour tes retours et j'espère que la suite te plaira.