Davvy, et Gabrielle attendaient, avec une centaine d'anges. Installés dans un champ en pleine Normandie, ils patientaient tous, en attendant de monter dans les cinq barges d'offrande à leur côté. En face d'eux, à plusieurs milliers de mètres de hauteur, un nuage noir et dense indiquait la position de la cité volante. A ce stade leur plan ne souffrait d'aucune contrariété,, tout semblait réglé à la seconde près. Le gros des troupes se trouvait dispersé tout autour de la cité. Deux patrouilles avaient été envoyées « taquiner » – selon le terme de Kaworu – les bases des armées françaises et anglaises. L'un des deux pays réagirait sûrement.
Ils guettaient le moindre son d'avion, leur indiquant qu'ils pouvaient commencer à se diriger vers la cité. La tension était palpable au sein du groupe. Pour tous les anges c'était un retour vers leur cité, leur maison. Mais un retour sans accueil, sans joie, la mort et la peur dans l'âme. La majorité de groupe avait été blessée des semaines auparavant dans cette même cité, au moment de l'évasion de Gabrielle.
La brume enveloppa la cité bien avant qu'ils entendissent les avions, le nuage noir et dense se recouvrit en quelques secondes d'un nuage gris. Un véritable nuage cette fois. Ils virent les avions, en provenance de la mer – sûrement les Anglais – s'approcher de la cité. Ils ne pénétrèrent pas dans la cité – Gabrielle aux commandes d'un radar, et d'une lunette astronomique leur donnait la progression des avions. Les avions se contentèrent de frôler le nuage de protection qu'avait fait paraître El, et de tirer au travers. Le peu d'explosion produit dans la cité montrait les limites de cette stratégie. Un quart d'heure plus tard, les avions repartirent vers l'Angleterre, pour eux c'était un coup d'épée dans l'eau.
Pour Davvy en revanche, tout promettait la réussite de leur plan. Dès que les avions furent partis, les anges de son groupe se répartirent dans les barges. Davvy et Gabrielle montèrent ensemble. L'anxiété, la peur, se lisait dans leurs visages, leurs regards. L’excitation s'y pointait aussi. Puis quand il fût estimé que les avions ne reviendraient pas, les cinq barges s'élevèrent sous la puissance de quatre Convoyeurs chacune – Urielle portant celle de Davvy et Gabrielle. Une dizaine d'anges volait autour, pour servir d'escorte.
A l'intérieur de la barge, Davvy et Gabrielle, ne savait rien de ce qui se passait à l'extérieur. Ils brûlaient, l'un et l'autre, de monter sur le ponton pour voir la cité s'approcher. Voir si des anges leur barraient le passage. Les minutes passèrent, lentement, semblèrent des heures. Puis ils entendirent Urielle se mettre à chanter. Le signal convenu pour indiquer qu'ils allaient aborder la cité dans moins de cinq minutes. Tous se préparèrent, le plan était risqué. S’ils avaient été découvert, les Convoyeurs ne pourraient pas et se défendre, et continuer à porter les barges. A l'intérieur des barges, à peine la moitié des anges seraient en capacité de voler, de planer. Un vrai massacre.
Deux secondes plus tard un bruit se fit entendre, non pas un bruit d'ailes, mais d'avions. Les barges se mirent à bouger dans tous les sens, les Convoyeurs tentant à grande peine de ne pas rester dans le viseur des avions. Les premiers tirs s'entendirent largement dans les barges, malgré les cris de surprise poussés à chaque nouvelle embardée.
Dans la barge Davvy valdinguait d'un côté à l'autre, aucune prise ne l'empêchait de tomber. Les anges étaient eux aussi projeté contre les murs, et les uns contre les autres. Les plumes se froissaient, tous se prenaient des coups. Pour éviter des blessures graves toutes les épées avaient rapidement été rangées.
A l'intérieur la place n’était pas confortable. Tant par les désagréments physiques – un coup à droite, devant, à l’arrière ou une chute brusque retournaient tous les sens, et les estomacs – que par l'angoisse que cette situation faisait naître. Ils n'avaient aucune indication sur ce qu'il se passait – en dehors des vagues de secousse. Ce n'est que en ressentant qu'ils savaient que quelque-chose s'était passé.
Puis un missile explosa sur le côté droit de leur barge, laissant un trou béant. Ils eurent à peine le temps de voir les deux Convoyeurs qui tenaient ce côté tomber, que la barge se mit à la verticale, le côté droit en bas, le gauche en haut. Davvy et Gabrielle réussirent à s'accrocher avec les mains à une poutre au milieu de la barge. La moitié des anges de la barge avaient disparus.
Puis ce fut le calme net, en dessous d'eux, à travers le trou de la coque, ils virent la mer disparaître dans le brouillard. Finalement ils étaient rentrés dans la cité.
A l’intérieur de la barge, chacun était accroché désespérément aux bastingages. Le lâcher signifiait une chute vertigineuse, et une mort assurée. Plus que leur propre vie, tomber dans la cité reviendrait à faire découvrir tout le groupe, toute l'attaque. Une défaite avant même d'avoir engagé la bataille. Davvy se raccrochait autant à cette idée, qu'à la poutre. La cité était grande, et avec seulement deux Convoyeurs la barge n’avançait pas rapidement. Sur les fronts des gouttes de sueurs perlaient devant leurs efforts silencieux.
Au-dessus de Davvy et de Gabrielle, un ange commença à glisser. Ses doigts moites n'arrivaient plus à tenir. Une de ses ailes était prise dans un étrange bandage. Elle devait être cassée. S’il chutait, il n'aurait pas de solution de secours. Comme dans un film, au ralenti, Davvy vit glisser ses mains sur la poutre, lentement, mais sans espoirs. Le garçon n'arrivait pas à bouger pour tenter quoique ce soit – sa propre position était trop précaire – ni à détourner la tête.
En dessous des masses plus sombres dans le brouillard indiquait quand la barge passait au-dessus d’une structure, mais il était impossible de savoir quand ils allaient arriver, augmentant d’autant l’angoisse. Davvy vit les deux mains de l'ange se détacher de la poutre. Sans un souffle, sans un cri, l'ange se retourna vers Davvy. Sur son visage le jeune homme y lut la peur, le désespoir, la déception aussi.
Du coin de l’œil, en flou, Davvy vit une masse partir vers l'ange qui tombait. Gabrielle avait rattrapé l'ange d'une main, de la seconde elle se tenait toujours à la poutre. Davvy qui était le plus près d'elle, essaya à son tour de bouger, pour affermir sa prise, la soulager du poids. Mais rien n'y fit, de quelques façons qu'il essaya de bouger il se retrouvait en déséquilibre, manquant, parfois de peu, de tomber. Déjà Gabrielle tremblait sous l’effort, retenir son poids et le poids de l’ange.
La barge, sans prévenir, se remit à l’horizontale. Tous sans exceptions tombèrent au fond, soulagés de n’avoir plus à se raccrocher. Davvy risqua un coup d’œil à travers l’ouverture de la coque. Il revint vers le groupe, leur intimant par des gestes à faire le moins de bruits possible.
« Deux Convoyeurs ont repris les cordes de portage de droite de notre barge. Je n’arrive pas bien à voir, mais je ne les reconnais pas comme faisant partie de notre groupe. Il vaut mieux rester discret jusqu'à la prochaine phase du plan, ou du moins à ce qu’on en sache plus.
- As-tu vu les autres barges ? Gabrielle avait posé la question que tous les autres anges se posaient, torturés par la volonté de savoir, et la peur de cette réponse.
- Non. »
Après une pause il rajouta : « Mais avec le brouillard on ne voit pas très bien. Ils sont sûrement devant nous, avec deux Convoyeurs nous avançons plus lentement. N’est-ce pas ? » Les explications qu’il donnait – autant de raisons pour espérer encore, éviter de commencer les deuils, avant même de commencer la bataille – se perdirent tandis qu’il se blottissait contre Gabrielle, attendant la suite, impuissant.
* * * * * * *
Kaworu se tenait debout, face à la mer. Le vent chargé d’écume et de sel fouettait ses cheveux et ses ailes. Il attendait le signal, un sms de Davvy sur le téléphone qui lui avait été remis, se demandant s’il n’allait jamais le recevoir. De sa position, il avait vu les avions anglais arriver sur la cité, tirer leurs roquettes et repartir. Puis ce fût le tour des barges du groupe de Davvy de remplir les cieux, avançant plus lentement que des avions, mais avec assurance vers la cité volante.
Alors que Kaworu se tranquillisait en observant l’approche finale des barges, les avions français arrivèrent. Kaworu vécut la suite avec une tension grandissante sans cesse. Ils n’avaient pas imaginé que les deux pays enverraient des avions. Il vit les barges valdinguer de gauche à droite de haut en bas, aux grès des efforts des Convoyeurs pour ne pas être pris en cible.
Il vit une première barge tomber, le Convoyeur encore vivant ne pouvant soutenir à lui seul un tel poids. Puis une seconde barge se fit éventrer tandis qu’un avion lui fonçait littéralement dessus. Alors que les barges semblaient déjà dans les nuages, une roquette vint faucher les deux Convoyeurs de droite d’une troisième barge – des passager tombèrent par la brèche de la coque.
Autant de mauvaises nouvelles, qui lui donnaient peu d’espoir de recevoir le message de Davvy. Sans ce message il ne pouvait déclencher la prochaine phase de l’opération : l’attaque de la cité. Pour passer le temps, le rendre moins long, moins horrible, il vérifiait toutes les trente secondes que chaque groupe était prêt, que les épées étaient affûtées, les armes chargées, que le téléphone recevait bien du réseau. Et de nouveau il vérifiait ces mêmes points, un à un.
Puis Kaworu ne tint plus, il fallait agir, ou tout perdre. Si Davvy était dans une des barges tombées, c’était de toute façon trop tard, et lui-même n’y pouvait rien. Il leur fallait entamer l’assaut, maintenant. Il se retourna vers son second : « On y va. Dis à toutes les équipes que la troisième phase débute maintenant ».
Et tandis que l'ordre était transmis, Kaworu vint se placer à la tête de son groupe, et s’envola. Peu après cent cinquante groupes de cent anges les suivirent. Ils avaient décidé avec Davvy d‘utiliser de petits groupes qui seraient plus mobile pour s’infiltrer dans les failles des défenseurs. Aucun ange ne pourrait rivaliser avec les Trônes de Mickaël. Ils espéraient gagner sur la stratégie, et surtout sur le fait que l’assaut n’était qu’une diversion.
* * * * * * *
Dans la barge le silence pesait sur tous les anges, la tension était devenue palpable. Les armes étaient sorties, chacun en position de charger, à travers le trou de leur coque, dans un coin, les anges pouvaient voir la porte menant au bâtiment cible : le Sanctuaire du Livre. Seuls les légers bruits que faisait Davvy sur le téléphone interrompait et perturbait cette concentration.
« Alors on y va ? » Davvy sentait dans son dos, le poids des regards impatient d’agir, de fuir cet état d’entre-deux : entre l’excitation de l’attaque, et l’absence de mouvement. Il avait beau éteindre et rallumer le portable, débrancher toutes les fonctions possibles, puis les réactiver, il n’y avait pas de réseaux.
« Il nous faut encore attendre encore. Si je n’arrive pas à prévenir Kaworu, nous serons seuls, ce qui compliquera tout. » Malgré le chuchotement, tous les anges présents, percevaient l’énervement, et l’inquiétude, dans le rythme haché de la phrase, prononcée mot par mot. Phrase que Davvy avait déjà énoncée une dizaine de fois depuis qu’ils étaient arrivés.
Attendre c’était prendre le risque d’être découvert avant d’avoir tenté quoique ce soit. Attaquer, se dévoiler, c’était prendre le risque que Kaworu ne soit pas parti à l’assaut de la cité, et de se retrouver seul. Prendre le risque. C’était sur ces mots que Davvy était coincé. Prendre un risque. Il en avait assez fait prendre aux anges qui l’accompagnaient. Il en restait d’ailleurs si peu. A part la sienne, il y avait sur la place deux autres barges avec des anges rebelles. L’une d’elle était tellement carbonisée qu’il y avait peut-être aucun survivant.
Davvy sentait dans son dos, le regard des autres anges, qui s’impatientaient, les souffles longs et puissant des anges qui tentait de faire passer le temps, de réduire la nervosité.
« Davvy », la voix douce qui murmurait à son oreille était celle de Gabrielle. Il aurait voulu rester seul dans ses pensées, à attendre la fin inéluctable qu’il n’arrivait pas à déclencher. Redevenir simple spectateur était plus facile. Au dernier moment, il résista à repousser la main de l’archange qui s’était posé sur son épaule, et c’est d’une voix lasse, d’où était absente toute volonté qu’il se retourna vers elle :
« Oui, Gabrielle ?!
- Il nous faut agir, non ? Si Kaworu n’a pas eu ton message, il partira quand même à l’assaut. Nous ne pouvons rester là.
- Je sais bien. … je crois juste que …. J’ai peur. De je ne sais quoi. Qu’est-ce qu’on fera après ? on ne pourra pas rester ici, pas dans cette cité. Il nous faudra …. Je ne sais pas… trouver un travail, retourner à l’école.
- Tu m’avais dit que tu avais une famille. Nous pourrons déjà commencer par aller les voir. Cela serait un bon début, non ? »
Ce fut ce sourire qu’elle lui adressa, plein d’assurance pour l’avenir, qu’il garda en tête quand il se retourna vers les autres anges, arme à la main. D’un geste, en direction de la porte à prendre d’assaut, il indiqua à tous les anges qu’il était temps de charger.
A peine avait-il fini son geste, les anges se préparant à courir, que la porte du bâtiment s’ouvrit.
* * * * * * *
Quand Kaworu jetait un coup d’œil derrière lui, en direction des quinze milles anges qui le suivaient, il était impressionné. Chaque groupe était bien distinct des autres, respectant scrupuleusement la place attribuée dans l’assaut. Disposés comme ils étaient on pouvait les considérer comme étant beaucoup plus nombreux. L’illusion était convaincante. Il ne l’aurait su, Kaworu aurait dit qu’il y avait cinquante mille anges, et non trois fois moins.
Les Convoyeurs venaient en premiers, ils rentreraient dans la cité pour déblayer le passage des pièges, des portes fermant les allées. Des groupes entiers de Chérubins étaient dispersé au milieu des autres, pendant l’assaut il devait s’infiltrer dans la cité, pour prendre les défenseurs de la cité à revers par la suite.
Kaworu regarda sa montre, il avait lancé la charge quinze minutes auparavant. Et dans moins de cinq minutes ils seraient au contact de la cité. Il leur faudrait tenir plus d’une demi-heure, avant l’arrivée de la seconde vague, par le côté opposé de la cité. Une fois fait, tous leurs membres seraient dans la bataille. Il leur faudrait alors espérer un miracle, ou la réussite de Davvy, ce qui parfois semblait aussi peu probable.
Et la manière dont tu as abordé les doutes et les peurs de Davvy étaient très naturels... qui ne serait pas terrifié à sa place ?
Mais ils ne sont effectivement pas seuls ! 150 groupes de 100 anges, ça commence à faire !
Encore un très bon chapitre :)
A bientot
J'aime beaucoup ton histoire, c'est une bonne idée que l'idée de rameuter les français / anglais marche trop bien et gâche le plan.
Pressé de voir la suite !
Quelques remarques :
"Davvy, et Gabrielle attendait" -> attendaient
"A ce stade leur plan ne souffrait" une virgule après stade ?
"Puis quand il fût estimé que les avions ne reviendraient pas. Les cinq barges s'élevèrent" -> ne reviendraient pas, les cinq barges
"Une dizaine d'anges volaient autour," -> volait
"Comme dans un film, au ralentit," -> au ralenti
"Le vent chargé d’écume, et de sel fouettait ses cheveux et ses ailes." La virgule est de trop
"ne soit pas partis à l’assaut" -> parti
"Disposé comme ils étaient on" -> disposés comme ils l'étaient, on
" il avait lancé la charge quinze minutes auparavant. Et dans moins de cinq minutes ils seraient au contact de la cité. Il leur faudrait tenir plus d’une demi-heure," C'est un peu lourd en infos horaires pour seulement 2 phrases.
Effectivement il y a trop d'info d'horaires dans la phrase, il faudra que je la revois.