Chapitre 11 : Le passé de Medgardt : Le Rallumeur de Lumières

        La main de Medgardt se serra un peu plus autour de l'écrin sacré et magique qui ne lui paraissait pas identique à ceux du commun des mortels. C'était un flacon plat en forme de pavé avec une étoile sur les deux pans les plus larges. Celui-ci était plutôt joli, argenté jusqu'au goulot et fermé par une boule d'argent. Il était la clef qui allait lui ouvrir la porte d'un monde tout neuf.
Trottinant fébrilement, il prit garde à ne pas la faire tomber au sol pour ne pas la cabosser.
– Tu dois demander au Rallumeur une Lumière Vive de Feu. Ne t'en fais pas de ne pas savoir. Lui, il saura. Je suis sûr que tu vas l’apprécier. Maintenant, file manger quelque chose. Après avoir englouti ton repas, tu iras prestement chez le Rallumeur. Il t'attend déjà.

 

        Medgardt avait hoché la tête. Il s'en souvenait alors qu'il virait à gauche hors la Voie Royale. Son attention concentrée sur la fiole, à l'abri dans son poing. Il ne vit aucun visage tellement il avait sa mission en tête, l'adresse à l'esprit, quelque part entre deux côtes, à tricoter dans sa boîte crânienne. Quelque peu en retard, il se pressa pour rattraper les aiguilles de l'Horloge.

 

       A 7h16, Medgardt était posté sur les quais de la Gare d'Invaldt. Vers la voie numéro un du Coral Train. Sur la voie 2 du Wagon Hurlant. Le dos droit et l’œil plissé entre l’horloge du bâtiment et le gris-bleu du jour naissant. Il se disait qu’en plein hiver, la journée était de si petite taille qu’on l’apercevait à peine, au fond, se faufilant trop vite entre les heures et les préoccupations. Le soleil peinait à percer la brume. Celle-ci s'accrochait désespérément aux rebords des quais.

        La voie du Wagon Hurlant n'était pas très longue. Pour tout dire, c'était plutôt une impasse où on garait au fond les simulacres de trains tels de vieux canassons. Les gens, qui s'étaient laissés berner par cet ersatz de quai, se trompant de voie, se dépêchaient de regagner l'autre à pieds, se frottant les mains. Tous avaient la mine grise, la peau tirée, gercée, des gens qui partent travailler trop tôt.

       Si deux se rencontraient malencontreusement, ils ne se regardaient pas. Medgardt les regardait ne pas se regarder, et il se disait que c’était normal. La honte de s'être trompé était difficile à avouer quand on avait quelqu'un en face de soi. Essayant tenir debout contre le vent, bien droit vers la mauvaise foi. L’hiver dans leurs cœurs devait durer drôlement longtemps, pour les gens qui s'échouaient par malheur sur la voie du Wagon Hurlant au lieu de la voie du Coral Train.

 

       Son œil s’attardait sur une petite masse sombre un peu plus vive que les autres. Tout au fond et vers les trains dézingués. Medgardt entendit un marmonnement lointain comme un orage.
– De l’espoir… De l'éclat…
Le marmonnement gronda jusqu’à parvenir pleinement jusqu’à lui, enrobé dans l’ombre d’une silhouette courte et trapue comme un Slynx des montagnes.
– De l’espoir… De l'éclat…C'est tout ce qu'il nous faut pour faire un monde.
L’homme à la peau claire comme du papier journal s’ébroua comme un chien au poil humide, puis s’arrêta au bord du quai, à quelques mètres de lui. Son regard d'un gris tuile ne parut pas un instant s’attarder sur Medgardt, ni sur le geste un peu timide que ce dernier lui adressa.
– Ce n'est pas croyable que le temps ne puisse pas réveiller l'éclat d'un être.

        L’homme marmonnait dans sa barbe, bien à l’abri dans son monde. Sa longue barbe d'un noir intense était comme un grand tablier, caressant son torse. Autour de sa bouche et à quelques endroits, les poils étaient blanchis. De la couleur que l'avancement du temps parait tous les hommes, sans qu'ils s'en rendent bien compte. Il était vêtu d'une casquette de contrôleur de tickets qui cernaient parfaitement son regard incisif. Le plus étrange, chez lui, c'était qu'on voyait que ses yeux étaient totalement sombres. Pourtant, la minute d'après, ils étaient d'un éclat fou si brillant.

        D’un geste habile, l’homme sortit un objet au fond de sa poche droite et l'enserra dans sa grande, si grande main par rapport à son petit corps. Après en avoir vérifier quelque chose, il ôta un bout de cet objet semblable à un couvercle. Il s'approcha de lui et vit qu'apparemment cela avait une forme cylindrique. Le type se baissa près d'une rail, ce qui alluma une espèce de mèche et le tout grésilla. Craignant l'explosion, le jeune se jeta à terre. Il n'y eut rien. Rien qu'une étincelle si rapide et si vive que Medgardt cligna des yeux. L'autre considéra de ses deux grands yeux allongés.
– Tu as peur ?... Faut pas ! Le Rallumeur de Lumières ne manque jamais sa cible.
Medgardt cligna à nouveau des yeux, cette fois de surprise. Qu'est-ce qui s'était passé ?
D’un geste moins habile qu’il ne l’aurait voulu, il sortit de la poche intérieure de son pantalon blanc l'écrin soigneusement préservé dans sa poche d'un blanc le plus propre. Encore toute engourdi par les battements de sa poitrine, il tendit l'objet.

 

        Posant son cylindre métallique sur les dalles du quai, le Rallumeur n'eut pas à se courber en deux pour voir ce qu'il avait dans sa main. Puis, l'air intrigué, il le dévisagea, fronçant du sourcil. Avec une subtile délicatesse, il effleura son cou pour le prendre au menton et le voir sous la lumière encore vacillante. Il regarda longuement son visage rond, émit un bruit de gorge semblable à un jappement, puis le relâcha. Le silence dura quelques secondes, juste un peu ralenties par le froid.
– Tu dois être Medgardt.
Oui, d'après ses souvenirs, il était bien Medgardt. Néanmoins, il ne comprenait pas comment Le Rallumeur, lui, pouvait savoir qui il était. Sa question dut se lire sur sa bouche car l’homme ajouta d’un ton délicat comme le feulement d'un pétale de rose planant dans l'air.
– Je suis un grand fan de Mélisse. Et un grand ami. Elle m’a parlé de toi. Le gamin qui la fixait effrontément comme s'il voulait la dévorer toute crue. C'est toi, hein, le p'tit coquin ?
Medgardt sentit le feu lui monter aux joues et ne sut où se terrer pour cacher sa gêne. À cet instant, il voulait vraiment passer un temps indéfini, caché dans un quelconque recoin du monde. Pourvu que ce soit loin de ce sentiment qu'il éprouvait en ce moment et de la personne qui le provoquait.


        Le Rallumeur gratta son crâne brillant, penaud. Il s’empara du flacon qu'il tendait toujours vers lui.
– Je suis désolé pour cette maladresse qui est sorti de ma pauvre bouche, difficilement contrôlable.
Même s'il l'avait mérité, Medgardt résista à l’envie de le foudroyer du regard et bien plus encore, le calotter. Il n’était pas sûr de savoir si c’était bien ou mal de le faire pour sa religion. Le Rallumeur loucha tristement, approcha la fiole de son visage pour bien la détailler, puis finit par demander :
– Je sais, ce n'est pas une excuse. Ne le dis à Mélisse !!... Tu veux que je te ravive la Lumière.
Hésitant sur ce que l'autre voulait dire, Medgardt hocha quand même la tête. L’homme ouvrit le flacon et ramassa son cylindre à l'étincelle encore flamboyante dans la nuit vide. Ensuite, il rapprocha les deux objets. Il fit un pas vers l’adolescent, jeta un nouveau regard, et lâcha :
– Pour le malheur que je t'ai causé, je le ferais à demi prix cette fois. Mélisse sera contente.
Medgardt releva le menton, un peu interloqué. Comme ce qu' avait laissé entendre la Sainte, il était bien sûr d'apprécier ce Rallumeur de Lumière.
– Vous m'achetez pour mon silence ! Mon orgueil a été blessé ! C'est une méthode un peu cavalière.

       Du bout du doigt, il désigna l'écrin magique qui commençait à luire et le lui tendit. L’homme esquissa un sourire où Medgardt crut discerner du désir, en prenant ce qu'il était son dû. Ce dernier brilla de plus en plus dans son intérieur. Le jeune homme entrapercevait cette lueur qui perçait le goulot. Brusquement, le Rallumeur ferma le flacon avec son bouchon sphérique.
– La Lumière ne s'échappera pas car elle est très volubile. Elle n'en fait qu'à sa tête, cette coquine.
L’adolescent se demanda ce que ça voulait dire et abandonna bien vite toute logique à résoudre ce mystère. Il lui demanda de le suivre pour faire l'échange de Biens. Les pas du Rallumeur s'enchaînaient déjà pour le porter au loin. Il lui emboîta le pas en trottinant, sans vraiment se poser de question. Il y avait quelque chose de singulier chez celui-ci. Quelque chose qui méritait d’être découvert au plus profond de ses apparences et observé à nu pour être bien compris.

       Medgardt observa l’homme de derrière après vu le devant. Il vit ses bottines de cuir noirâtre. Remontant, il loucha sur son attribut bien fessu, bien galbé par un pantalon en toile rêche et bleue, le troublant fortement, et se rattrapa à sa nuque épaisse et masculine. Un duvet blanc et fin en recouvrait le bas, englouti par son col de blouson d'aviateur. La neige tomber dru, tel du sucre en glace, sur son crâne chauve et malgré cela, le Rallumeur aboya énergiquement dans le vent :
– Tu sais le Bien qu'il me faut. Tu dois t'en douter. Je veux juste ton accord. Sinon, je me débrouillerais avec Mélisse pour trouver un autre Bien en échange. Prends du temps pour réfléchir, ne dis pas des paroles en l'air. Tu veux vraiment le faire ?
Medgardt avait l'âge de raison depuis longtemps et l'avait déjà expérimenté. Convaincu, il hocha la tête positivement, puis se rendit compte que les yeux du Rallumeur luisaient dans la semi-obscurité, ravi. Alors il ajouta un « pas besoin de demi prix » tout simple mais d’une voix qui voulait tout dire. Cela alluma une flamme dans le regard de l'autre, il répondit d'un ton rauque :
– Comme tu veux. Je m'en ferais qu'un plaisir.

       Parvenu à un recoin protégé, derrière les trains usagés, il fit éclore leur amour tel un nouveau phare. Ils prirent l'air à pleine bouche comme si leur vie en dépendait. Avec le soin qu'on prenait à câliner ce qui nous était cher. Ce fut un deuxième pas. Leur bourgeon de l'amour se développait au fur et à mesure que leur étreinte les enchaînait dans une cascade de caresses. Les deux mâles en rut balayèrent machinalement leurs vêtements. Ils parcoururent leur peau salée par l'amère trépidation de leur cœur. Ils soupirèrent d'extase une fois, deux fois et trois fois. Le Rallumeur maintenu dans le bon cap, reprit la marche, lui gobant tout cru son gouvernail. Une onde douce commença et continua quelques instants. Puis, une seconde vague, plus ardue avec le geste bien lourd d'un expert sachant comment faire dans les nuits de tempête. Comme il ne semblait pas vouloir changer quoi que ce soit dans le flux et reflux, Medgardt lui demanda :
– Je veux tout. Donne-le-moi maintenant !

         Les yeux, minces comme des lames d'acier, s’arrêtèrent sur l'adolescent devenu adulte. Après un instant immobile, il leva son postérieur en l’air et fut pris abruptement par défaut, la queue entre les jambes. Celle-ci battit la mesure comme un oiseau rouge. De plus en plus affolé et piquant du bout du bec. Toute la joie voleta dans son corps sans exploser. Le monde autour d’eux n'existait plus.
– Encore !! Oui, encore !!! J'en veux plus !!! Làààà....
« Là », c’était un peu partout et au même endroit à la fois. Il y avait juste à changer de position pour voir le monde autrement. Que ce soit sur une cagette en matière composite. Ou que, de dos, ce soit sur le sol pavé de bonnes intentions un peu neigeuses. Le Rallumeur tenta de suivre le rythme mais se laissa emporter par la vague. À vrai dire, ils s'en foutaient de la neige et, du ciel sombre. Ils mettaient de l'ardeur à besogner. Sans être mordus par ce froid. Expirant des nuages d’air blanc.
– Ah ! Que c'est bon !
– T'aimes ça, hein ?! Je vais te donner toute la force de l'océan.
Medgardt plissa les lèvres, porta son regard dans le sien et pilonna le vide abyssal. Avec cette force, tout lui paraissait plus facile, il n'avait qu'à la doser pour voir la terre. Le Rallumeur respirait fort comme un bœuf et jurait ses Grands Dieux. Ogra en était témoin. Il était défoncée dans une extase. Il sentit la différence d’air se faire de l'extérieur à l’intérieur de lui. Jusqu'à ce que le jeune homme arrive lui fendiller assez l'abîme pour se perdre la plus tendre des jouissances. Les doigts se recroquevillaient sur son point de référence dans ses grands mains calleuses. Leurs cheveux se soulevèrent lorsqu’une brise plus puissante les atteignit. Ils pensèrent un instant que les cieux les bénissait et que ce vent glacé comme un feu était pour les faire naviguer dans le dernier mile.

 

        Ils se concentrèrent à voir la terre ensemble, redoublant de puissance. Le Rallumeur, droit comme un « i » entre les jambes, était affalé sur le côté. Medgardt distinguait le rythme en différentes phases plus ou moins houleuses. Il se retira de la gueule presque noirâtre de la voie du Plaisir et s'introduit effrontément en répétant l'expédition plusieurs fois. La petite forme s’était agitée au début devant lui était devenu grosse et allait bientôt faire un gerbe d'eau salée. Avant qu’il n’ait consumé complétement tel un feu de Saint-Elme, il bougea cinq, six, sept fois dans la Voie, bien dodu et en forme qu'il était. Il remontrait à l’autre qu'il n'avait pas perdu de son allant que ce soit dans la rapidité, dans la lenteur ou dans la variation. Des vibrations sonores remontèrent de ses larges hanches tout le long de son corps robuste, puis s’éclipsèrent jusqu'au frétillement des orteils. Cela dura un temps infini où le bleu de l'azur éveillé et celui de l'océan de brouillard se confondirent puis se dissipèrent. Medgardt s’écarta sur sa droite, dévoilant la grande forme de sa passion.
– Allez profite, ma grosse. La petite souris va bientôt avoir son cadeau.
Une giclée des brumes s'étala. Bientôt, elle fut toute avalée par sa bouche fine et gigantesque.
– Tu vois, p’tit ? On a fait du bon travail. Bien comblé à cent pour cent dans le fondement.
Le Rallumeur fit un grand sourire, les yeux coquins, et fit claquer sa langue de contentement.
– Vous y êtes pour beaucoup. J'ai jamais vu une gourmande qui savait autant tenir la distance.
Il souleva ce qu'il lui restait fécond entre les jambes et qui n'était au bord du précipice de l'abandon orgasmique, dévoilant un iris d’un surprenant gris brillant, et lui adressa un clin d’œil.
– C’est d'à moi de clore le spectacle..., gémit-il en une gerbe d’étincelles blêmes. Voilà, tout c’qu’il y a dedans !!.... C'est mon boulot après tout de rallumer la lumière en chacun de nous !!!

 

       Alors qu'il était face à lui de quelques centimètres, l’homme esquissa un vif et tendre baiser sur ces lèvres, Un goût salé et agréable s'y déposa. Medgardt décida alors que Mélisse avait raison: il aimait bien ce Rallumeur finalement. Et tandis que ce dernier s’éloignait en récupérant de l'éclat, le jeune ébloui par son joli postérieur musclé, lui demanda d'une voix portée au loin :
– Il se passe toujours des choses intéressantes par ici. Toujours. C'est donc ça tous les gens que j'ai vu. Et ils n'ont pas peur d'attraper froid. C'est vrai que ça réchauffe de faire du sport.
Le Rallumeur s’arrêta un instant pour rire à pleine gorge, sous sa barbe battant contre son torse. Sans se détourner, il lui répondit d’une voix forte, à la vue des clients attendant sur le quai :
– La porte est ouvert à tout le monde ! Surtout quand on paye de sa personne , comme TOI !! Reviens vite si tu veux, mon chéri. Mon p'tit cul t'attendras avec impatience.

 

        Alors que Medgardt était à quelques mètres derrière le Rallumeur, il se retourna de trois quart vers sa direction. Celui-ci pointa sa longue langue pointue comme pour lécher un cornet de glace. Tout nu, il se retourna pour lui montrer son cul à découvert et prendre goulûment à pleine main l'une de ses fesses, enfonçant presque un doigt dans la fente du Plaisir. Il avait une expression incendiaire, les yeux grands ouverts par l'excitation. Il était chaud comme la braise. Son expression et ses yeux envieux envers le corps de Medgardt ne mentaient pas. Il déglutit, le drapeau repartant de plus belle.

 

       Medgardt était rhabillé pour l'hiver en s'avouant sa dépravation pourtant implicitement permise. Il regarda la neige d'une blancheur, déjà pervertie par la suie, recouvrir le bout des trottoirs pavés de beige. Écoutant les gémissements d'autres une demi-heure, il demeura sur le quai du Wagon Hurlant qui portait bien son nom. Il entendit sonner presque 12 heures au carillon d’une église, dans le lointain, et comprit avec inquiétude qu’il allait arriver en retard pour le déjeuner. Sous ses bottines aussi, il devait être 12 heures, et marcher vite n'y changerait rien.

       Le jour était vibrant. Des gens sortaient dans des lieux pendant que d'autres entraient dans des endroits différentes ou similaires. Leur bruits, leurs mouvements, leur odeurs, elles vagabondaient dans la voie de Ludwig et ils les attrapaient toutes de ces narines. Sentant de plus ou moins bonnes versions d'humeurs. Il y avait quelque chose d’impressionnant à se savoir immergé dans cette mer.

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Le Diable
Posté le 13/09/2024
Je ne savais pas que les pétales de rose feulaient, j'en apprends décidément tout les jours par ici. Quant au reste, il faut ce qu'il faut pour rallumer le feu!
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