Chapitre 11 - Les affaires de Diksen

Par Froglys

Derrière la porte, un couloir sombre d’une dizaine de mètres s’étendait devant nous. L’homme qui nous guidait s’enfonça dans ce long couloir. Je fus la dernière à y entrer. Je me demandais qui pouvait bien être Zacarías Olmos, qui semblait quelqu’un d’important ou qui possédait au moins une certaine influence. Pendant que nous marchions dans ce couloir, personne ne disait mot. Un silence presque assourdissant pesait sur nous. Je ne voyais presque rien et avançais à tâtons en posant ma main droite contre la pierre froide. Je ne savais pas où ce tunnel allait nous mener, mais j’espérais pouvoir rapidement retourner dans un lit. Les événements de la matinée m’avaient épuisée. Je continuai de marcher dans le noir quand je percutai la personne devant moi. Je frottais mon nez endolori qui s’était écrasé contre un dos terriblement dur.

— Ça va ? Tu ne t’es pas fait mal ? fit la voix de mon frère qui se retournait.

— Ça va aller.

Thalion hocha la tête et se tourna à nouveau. Ouvrant le bal, notre guide nous murmura quelques mots avant de pousser le battant de bois.

— Repassez par là quand vous aurez fini.

Le battant pivota et un peu de lumière s’infiltra dans la longue grotte. Un à un, nous entrâmes dans la pièce qui nous était à présent ouverte.

À l’intérieur, plusieurs tables rondes avec des banquettes recouvertes de coussins s’y trouvaient. La salle était taillée dans la pierre et formait un dôme. Il y faisait frais, plus chaud qu’au début du printemps, mais plus froid qu’à la fin de l’automne. Enfin, un bar avec des tonnes de bouteilles exposées s’étalait sur la gauche. Un homme s’y servait un verre.

— Asseyez-vous quelque part, je vais nous chercher à boire, nous indiqua notre meneur actuel.

Alors qu’il allait partir, Jegal attrapa son bras.

— Combien de temps sommes-nous censés rester dans cet endroit ?

Léoni jeta un œil à l’homme près du bar avant de répondre.

— Peu de temps, j’espère.

L’apprenti chevalier se défit de sa prise et s’en alla. Jegal posa son regard sur moi avant de trouver quelque chose des yeux. Je regardai autour de moi et trouvai Thalion, assis, qui nous attendait. Il s'y était rendu sitôt que son ami le lui avait dit ? Je ne reconnaissais pas là le jeune Thalion qui cherchait toujours à connaître la raison derrière tout.

— Je te parie un verre de vin que le type à côté de qui il s’est assis est le Zacarías qu’il a demandé à voir, lâcha tout bas mon frère à l’adulte une fois qu’il arriva à ses côtés.

Ce dernier regarda dans la direction que lui indiquait le mage avant de lui tendre la main. Thalion la lui serra avec un sourire. Pendant ce temps-là, je m’assis sans participer à leur conversation.

 

~~

 

Trois personnes conversaient autour d’une table. Un peu à l’écart, accoudés au bar, deux hommes savouraient leur boisson silencieusement. Le premier, jeune, des cheveux clairs et lisses, avec un corps bien taillé, jetait de temps à autre des coups d’œil au breuvage du second. Ce dernier, âgé de près de quarante ans, buvait goulûment l’alcool qu’il s’était lui-même servi quelques minutes auparavant, sans prêter attention au jeune garçon à ses côtés. Sa chevelure brune se coiffait en une queue de cheval basse négligée. Une mèche plus courte retombait devant ses yeux et manquait de tremper dans sa chope. Ses deux coudes étaient posés sur le bar et les doigts d’une de ses mains pianotaient sur le bois. Un son sourd répétitif qui exaspérait au bout d’un certain temps, pourtant aucune des personnes présentes ne semblait lui en tenir rigueur. Les trois amis se trouvaient trop loin pour l’entendre et l’autre ne cessait de le regarder sans jamais lui dire quoi que ce soit.

Montant sa chope au-dessus de lui pour en finir les dernières gouttes, le plus vieil homme déposa le récipient de l'autre côté du comptoir avant de se tourner complètement vers l'individu.

Léoni lui jeta un regard en biais avant de décider qu’il en avait également fini avec sa propre boisson.

— Tu aurais dû me prévenir plus tôt que tu venais, grommela le quarantenaire. Tu sais que je n’aime pas les visites surprises.

Le chevalier grimaça et leva les yeux au ciel.

— Je vais bien, merci, et toi ? Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, tiens !

Son interlocuteur grogna et jeta un coup d’œil aux trois amis plus loin.

— Je présume que tu n’es pas vraiment là pour l’écorce d’Anice ? Ce n’était qu’une excuse pour me voir.

— Tu présumes bien, chercha à le taquiner Léoni en souriant.

Le second pesta tout bas.

— Viens-en aux faits, dans ce cas. Je sens que ça ne va pas me plaire donc finissons-en.

Le sourire du jeune homme s’évanouit.

— On a quelques problèmes avec mes amis, commença-t-il en montrant les seules autres présences de la salle. Nous devons nous rendre rapidement à la capitale. Est-il encore en lien avec toi ?

Le brun fronça les sourcils. Il se demandait de qui parlait le jeune garçon. Après quelques instants, il finit par comprendre et écarquilla les yeux, surpris.

— La dernière fois que je l’ai vu, il tenait à s’occuper d’un criminel de bas étage à Valenn, finit-il par dire.

Son sourcil gauche se souleva alors qu’il posait une main sur son menton.

— Je me demande s’il n’est pas revenu hier en fait. J’ai entendu des rumeurs aujourd’hui, mais rien de bien sûr, il sait comment passer inaperçu.

— Je n’en doute pas. Mais je suis certain que le magnat de l’importation de la grande ville de Lomore saura trouver une solution.

Leurs regards se croisèrent et le plus vieux soupira.

— Un de ces jours, vous allez me tuer ! râla-t-il en se levant.

Léoni sourit, ravi de voir ses désirs se réaliser.

— Bien, présente-moi tes camarades.

Tous deux se levèrent et rejoignirent les trois compagnons qui, finalement s’étaient retrouvés plus à l’écart que les deux buveurs.

 

~~

 

Léoni qui était allé rencontrer seul l’homme qui se tenait au bar, revenait vers nous. Accompagné. Lorsqu’ils se retrouvèrent suffisamment proches, Thalion renifla son ami et grimaça.

— Tu as bu, l’entendis-je murmurer avec mécontentement au jeune épéiste.

Le grand homme à ses côtés avec la queue de cheval basse se présenta.

— Je suis Zacarías Olmos, grand manitou des finances et du commerce de la ville de Lomore. Pour mes amis, je propose des services en tout genre. Enfin, s’exclama-t-il, bienvenue au Royal Diksen, un établissement connu pour sa clientèle… plutôt généreuse !

— On peut passer à ma demande ? intervint Léoni.

Zacarías le regarda et perdit son engouement. Je pus l’entendre marmonner quelques mots au sujet de gamins qui se croient tout permis, avant de tourner les talons pour rejoindre une porte en bois noir dans un coin de la pièce.

Passé cette porte, nous nous sommes retrouvés dans un salon rustique éclairé par seulement quelques runes. À l’extérieur, le ciel se chargeait davantage et menaçait plus que dans la ville de Diksen. L'environnement avait changé du tout au tout. L’endroit ressemblait également bien plus à un cottage familial.

Je sentis derrière moi que Thalion se frayait un chemin vers une chaise non loin. Il lâcha un soupir et, tandis que le chevalier et notre hôte se rendaient vers la cuisine, il me murmura ses doutes en croisant les bras.

— Je ne sais pas où nous nous trouvons exactement, mais, si Léoni cherche quelque chose avec l’aide de cet homme, j’ai peur qu’il ne soit retourné dans un endroit où il n’aurait jamais dû remettre les pieds.

Il ne semblait pas vraiment apprécier une partie de la vie de son ami. Mais pourquoi ? J’avais hâte de rencontrer la personne qu’ils recherchaient, mais ma nervosité ne cessait de nouer mes entrailles.

— Je vais voir ce qu’ils font, tu viens ? demandai-je, constatant que Jegal avait également suivi les deux hommes.

— Vas-y, toi. Je vous attends là.

Mon sourcil gauche s’arqua, mais je ne perdis pas plus de temps et me rendis à la source des voix que j’entendais.

Ce que je croyais être une cuisine n’était en réalité qu’un large couloir de cinq mètres. Au fur et à mesure que j’avançais dans ce couloir, la température augmentait jusqu’à en devenir étouffante. Arrivée devant une énième pièce sombre, je découvrais les trois hommes autour d’une étrange machine sur laquelle clignotaient des petites lumières de toutes les couleurs. Je m’approchais d’eux.

L’engin blanc, avec un genre de miroir noir au milieu, trônait en son centre. L’appareil me dépassait de la tête aux pieds et occupait autant d’espace qu’un oreiller. Dans la glace noire, je pouvais voir mon reflet. J’étais décoiffée, des mèches s’échappaient de ma tresse. Une trace de terre s’étalait sur ma joue droite et mon front était égratigné. Mes lèvres étaient également abîmées, ces derniers jours avaient épuisé mes réserves émotionnelles. Et puis, je n’avais toujours pas pris l’habitude de voir des traits aussi matures marquer mon visage.

Tout à coup, l’objet s’illumina, m’éblouissant. Mes yeux s'accoutumèrent peu à peu à cette apparition soudaine de lumière dans l’obscurité à laquelle je m’étais habituée. Une carte du monde était à présent dessinée sur la machine.

Zacarías jeta un coup d’œil dans ma direction avant de donner des explications.

— C’est un ordinateur. Une invention pas encore sur le marché que j’ai réussi à me dégoter. Il me permet de localiser n’importe quelle personne selon sa signature énergétique, sa race, ses capacités… Il peut aussi me permettre de parler avec certaines personnes dont on a mesuré la signature magique, nous expliqua Zacarías. On peut repérer un sort de localisation sur grande échelle. Par exemple, vous voyez ce petit point lumineux à côté de ce fleuve ? continua-t-il en le pointant sur l’écran. C’est moi. On m’a jeté un sort pour que je sois repérable d’ici par n'importe qui sait utiliser l’ordinateur.

Je sentis ma bouche s’entrouvrir contre ma volonté, captivée par cet engin magique que je voyais pour la première fois.

— Bien maintenant, je vais entrer des données pour entrer en contact avec lui.

— Qui est-ce qu’on cherche ? intervint à ma grande surprise l’épéiste toujours silencieux.

— Kay est un ami un peu… spécial. Il sera une aide précieuse pour traverser le pays discrètement, l’éclaira Léoni.

Jegal hocha la tête. Il ne semblait pas vraiment convaincu par cet individu.

Zacarías sortit de son côté un classeur rempli et le déposa dans les bras du jeune épéiste.

— Rends-toi donc utile et trouve ses données.

Léoni se mit à feuilleter rapidement le dossier pendant que le grand manitou appuyait sur de nombreux boutons.

— Donne-moi les infos que je vais te demander, commença l’homme en se redressant sur sa chaise. Nom.

— Kay Dystopi. D-Y-S-T…

— Je sais comment ça s’écrit, grogna-t-il. Son genre.

— Homme.

— Race.

— Âme.

Ces mots dégageaient une solennité presque mystique. Je me mordis discrètement la lèvre, fascinée par leur simplicité et ce qu’ils pouvaient cacher de complexe. Mes yeux glissèrent sur Jegal, mais son visage restait impassible, figé dans une attention presque studieuse. Comment pouvait-il rester si calme ?

— Signature magique.

Cette fois-ci, la réponse mit plus de temps à arriver.

— 42 356 AKf1.

Je sentis mon souffle se suspendre un instant. Un code ? Une mesure ? Je plissai les yeux, mon esprit tentant déjà de reconstituer un sens à partir de ces chiffres et lettres énigmatiques. La machine semblait comprendre ce qu’elle faisait, comme si elle possédait une conscience propre.

Après quelques dernières manipulations, Zacarías appuya sur un nouveau bouton, faisant apparaître sur l’écran un autre point lumineux qui se situait aux alentours d’une petite ville au nord de notre position.

— Vous avez de la chance ! Il devrait arriver à Diksen dans la journée.

— Il est rapide ? demanda Thalion qui venait d’entrer dans la pièce.

Zacarías sourit.

— Tu ne peux pas imaginer à quel point ce que tu dis est insultant vis-à-vis de ses capacités.

Thalion hocha la tête et retourna dans le salon. Il agissait tellement froidement et mon cœur se gelait au fur et à mesure qu’il me repoussait. Je devais avoir une conversation avec lui. Ce que m’avait dit Yule à la forge me revenait en mémoire à chaque fois que mon frère m’apparaissait comme un étranger.

— Restez dans cette maison le temps que j’aille chercher notre invité. S’il ne rencontre pas de problème, je devrais revenir d’ici trente minutes.

— Il y a à manger ? demanda Léoni alors que notre hôte ouvrait déjà la porte par laquelle nous étions arrivés ici.

Il lui sourit sans répondre et nous laissa.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez