Farhynia observa Chavard’all disparaître à l’horizon. Elle n’avait pas voulu l’inquiéter ni l’accabler alors elle ne lui en avait rien dit mais elle n’avait presque pas dormi de la nuit. Le même rêve revenait : son plongeon bruyant dans l’océan avec Corail.
Elle revoyait les virages, les plongeons, les remontées, les virées, le toboggan et quelque chose avait fini par lui sauter aux yeux ou plutôt, aux oreilles.
Les mêmes sons revenaient, cliquetis, cris stridents, modulations, rythmes. Farhynia avait la nette sensation qu’une corrélation existait mais comment le vérifier ?
Elle tendit son cou et amena Corail jusqu’à la cascade. La dragonne plongea la tête sous l’eau et tendit l’oreille. Corail tournait avec plaisir autour d’elle, glissant contre son museau et ses joues. Le bruit de la cascade étouffait tout.
Farhynia ressortit, un peu frustrée. Elle tendit son cou. Corail grimpa volontiers mais à travers le lien, la dragonne ressentit l’incompréhension de sa dragonnière. Pas moyen de lui expliquer.
La dragonne s’éleva pour se rendre au lac le plus proche. Elle déposa Corail dans l’eau avant de plonger sa tête sous l’eau. Farhynia fut immédiatement envahie de cliquetis, de cris stridents. Elle regarda autour d’elle pour constater la présence d’innombrables poissons. Les entendaient-elles vraiment ?
Elle ressortit la tête, frustrée. Il devait pourtant bien y avoir une solution. Comment trouver un endroit parfaitement silencieux pour vérifier sa théorie ? Elle pourrait en parler ce soir avec Chavard’all. Il pourrait proposer un lieu.
Farhynia grimaça. En parler avec Chavard’all ? Lui qui passait ses journées avec les protecteurs, un humain sur le dos ? Que penserait-il de cette possible éventualité de discussion avec les siréniens ? Ne risquait-il d’avoir été contaminé par son dragonnier humain ?
Farhynia craignit que son compagnon ne se moque d’elle, ne la juge voire, pire, ne l’encourage à laisser tomber. Elle avait besoin de soutien, de quelqu’un qui l’écouterait et l’aiderait.
Elle tendit le cou et Corail monta, son incompréhension encore plus forte. Farhynia étendit les ailes et prit la direction voulue. En vol, elle envoya des excuses d’avance à Corail pour ce qu’elle allait l’obliger à subir. Elle ne voyait pas d’autre solution.
Le vol fut court. Farhynia se posa à l’entrée de l’immense caverne et rugit afin de prévenir de sa présence. Le propriétaire pointa le bout de son museau.
- Oh la vache ! s’exclama Farhynia.
- Qu’y a-t-il ? demanda Zaroth.
- La bouffée de terreur ressentie par ma dragonnière, expliqua Farhynia. Je m’y attendais mais pas avec une telle intensité !
- Ça t’excite ? proposa-t-il.
- Quoi ?
- D’avoir peur de moi, ça t’excite ? J’ai l’impression que oui.
Farhynia bleuit de partout.
- Tu devrais venir plus souvent avec elle, s’amusa-t-il. Que me vaut le plaisir de ta visite ?
- Puis-je entrer ? demanda Farhynia. J’aimerais m’entretenir en privé avec toi.
- Des yeux sont pointés sur nous. Ça va jaser, prévint Zaroth.
- Je préfère ça à ce que les mauvaises oreilles entendent ce que j’ai à te dire.
Zaroth la transperça des yeux avant de lui faire signe d’entrer. Farhynia pénétra l’immense grotte. L’entrée présentait un coude, sans aucun doute pour protéger d’un éventuel feu de dragon puis le tunnel s’agrandissait pour s’ouvrir sur une grotte d’une taille ahurissante éclairée par quelques puits de lumière. Un lac souterrain se proposait, assez grand pour qu’un dragon de la taille de Zaroth y plonge tout entier sans noyer la grotte. Le sol et le mur noirs par endroit témoignaient d’un feu. Une odeur de viande grillée flottait dans l’air.
- Elle est drôlement bien, la grotte de l’ancêtre.
- Je trouve aussi, admit Zaroth.
Une tête sortit de l’eau. Corail demanda à quitter le dos de Farhynia.
- Corail peut-elle descendre ? s’enquit la dragonne bleue. Je suppose qu’elle veut rejoindre ce sirénien que tu sembles tenir prisonnier dans ton lac.
- Prisonnier ? répéta Zaroth. Il est là de son plein gré.
Farhynia le transperça des yeux.
- Oui, Corail peut descendre et profiter de ce lac, indiqua Zaroth.
La sirénienne descendit et disparut sous la surface de l’eau avec son comparse.
- Au moins, deux êtres dans cette grotte vont baiser, en conclut Zaroth.
- Ben non, répondit Farhynia.
- Pourquoi non ? Ils avaient l’air bien pressés de se rejoindre !
- Ils ne peuvent pas baiser, expliqua Farhynia. Les mâles siréniens n’ont pas de bite.
Zaroth en resta muet de stupéfaction.
- Tu as bien vu qu’il n’avait rien entre les jambes !
- J’en ai conclu qu’il la cachait à l’intérieur de son corps, répondit Zaroth.
- D’ailleurs, comment sais-tu que c’est un mâle ? Tu peux communiquer avec lui d’esprit à esprit ?
- Non, maugréa Zaroth. Je le situe à la perfection. Ses émotions et les miennes se mêlent mais des mots, aucun. C’est un mâle. Je le ressens sans pouvoir l’expliquer. Que voulais-tu me dire ?
Farhynia observa le lac. Nul doute que les deux siréniens discutaient dedans.
- Y a-t-il de la vie dans ce lac souterrain ? interrogea Farhynia.
- Avant l’arrivée du sirénien, non. Il a ramené des algues et depuis, elles se multiplient. Il apprécie leur goût.
Farhynia plongea sa tête sous l’eau. Des cliquetis clairs, précis, nets. Cliquetis, rien, sifflements, rien, claquement, rien. Une conversation, sans aucun doute. Elle ressortit la tête.
- Tu devrais arrêter de me présenter ton cul de cette façon, souffla Zaroth en se léchant les dents.
- Plonge ta tête dans l’eau et dis-moi si comme moi, tu entends quelque chose.
Zaroth pencha la tête et transperça la petite jeune des yeux. La dragonne ne venait-elle pas de donner un ordre à l’ancêtre ? Il retroussa ses babines puis obtempéra. Farhynia en profita pour le mater. Quatre pattes massives aux griffes entretenues. Un corps puissant. Des ailes trouées mais plutôt en bon état vu son âge avancé. Un long cou épais. Aucun écaille manquante, signe de bonne santé. Le bleu lui monta à la tête et elle se dandina sur ses pattes. Sa queue caressa le sol.
Il releva la tête et elle se figea, peu désireuse de laisser transparaître ses émotions. Les écailles de Zaroth vibrèrent pour chasser l’eau puis le dragon marron se tourna vers Farhynia. Ses yeux jaunes à la pupille verticale la dévisagèrent.
- Nous pouvons les entendre parler ?
Il n’en revenait pas. Il poursuivit :
- Sous l’eau, nous les entendons ! Nous pourrions…
- Les comprendre, termina Farhynia à sa place. Ce n’est que dans un sens, j’en suis consciente, mais c’est toujours mieux que rien.
- C’est une avancée considérable ! s’exclama Zaroth.
- Apprendre leur langue sera difficile, annonça Farhynia. Avec un peu de persévérance, cela se fera. Sauf qu’il faut un environnement silencieux – ce lac est parfait mais il en faudrait d’autres. On ne peut pas squatter ta grotte. Il faudrait également qu’on soit plusieurs.
- Je trouverai d’autres volontaires, tant parmi les dragons que les siréniens. Tu sais, je ne t’ai pas menti. Il n’est pas prisonnier. J’ai suivi un baleinier et quand les siréniens l’ont attaqué, je les ai aidés. Après notre victoire, je me suis mis en vol stationnaire au dessus de l’eau, ma patte effleurant la surface. Je n’ai pas attendu longtemps avant qu’il ne grimpe et ne se mette en place. Depuis, notre relation est très bonne.
- Je te crois volontiers. Corail leur a montré la voie. Ils ne nous craignent plus.
- Une bonne nouvelle, assura Zaroth.
- Sauf pour les protecteurs, rappela Farhynia.
- Tu as bien fait de me demander une entrevue privée, répondit Zaroth.
- Comment leur faire comprendre qu’on les entend et qu’ils doivent nous enseigner leur langue ?
Zaroth plongea en pleine réflexion.
- As-tu parlé de tes découvertes à Chavard’all ? demanda-t-il.
- Non, lui assura Farhynia.
- Très bien. Commençons par apprivoiser leur mode de communication.
Zaroth plongea la tête sous l’eau. Farhynia l’imita après avoir inspiré à pleins poumons. Les deux dragons s’approchèrent des siréniens en grande conversation. Corail caressa le museau de Farhynia. Le sirénien s’amusa à faire des pirouettes dans la gueule ouverte de Zaroth, se propulsant en se tenant aux dents du monstre.
Les cliquetis, sifflements stridents et ondulations s’échangèrent. Corail regardait Farhynia dans les yeux. Soudain, le son transperça les tympans de Farhynia qui recula brutalement la tête. Zaroth fit de même, prouvant lui aussi avoir été incommodé. Le silence total suivit. Corail et le sirénien ouvraient de grands yeux. Quelques sifflements se firent entendre puis le silence complet.
Un son se fit entendre. Farhynia le reconnut. Elle déplaça la tête vers la droite. Un autre son. Elle enfonça sa tête sous l’eau. Modulation aiguë du premier son. Farhynia partit vers la gauche. Un cri envahit le lac ce que Farhynia traduisit par « Youpi ».
Farhynia sortit la tête de l’eau et Zaroth la suivit.
- C’était quoi, ça ?
- Droite, plonge et gauche, indiqua la dragonne bleue. Les seuls mots que je connais en sirénien. J’ai nagé avec Corail et je lui ai laissé le contrôle. Oui, je sais, tu désapprouves.
- C’était bien ? De nager avec un habitant de ce monde ?
- Un pur moment de volupté, assura Farhynia.
- Je peux te faire connaître une autre sorte de volupté, si tu veux.
Farhynia gloussa avant de le gronder :
- Veux-tu bien rester concentré ?
- Nous n’apprendrons pas leur langue en deux jours, souffla Zaroth. Tout le monde a le droit à une petite pause.
- Entre quoi et quoi, exactement ? railla Farhynia.
Zaroth ronchonna puis replongea la tête sous l’eau. Farhynia l’admira un instant puis plongea à son tour. Mais pourquoi refusait-elle ?
Corail se désigna elle et son compagnon puis modula des sons. Elle désigna ensuite Farhynia et Zaroth et modula autre chose. « Sirénien » et « dragon », comprit Farhynia. Corail produisit ensuite une suite de sons dont « siréniens » puis une autre avec « dragon ». Farhynia se laissa porter. Apprendre une langue, elle l’avait fait étant enfant. Elle pouvait le refaire, elle en était certaine.
- Je suis trop vieux pour ces conneries, maugréa Zaroth lorsque les dragons se trouvèrent à court d’air. Je vais trouver des volontaires. Nous trouverons un lieu, quitte à le créer. Creuser des trous et les remplir d’eau n’est pas très compliqué. Le plus dur sera de faire ça sans que les protecteurs ne s’en rendent compte. Tu devras vérifier que Chavard’all ne te suit pas.
Farhynia acquiesça.
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- Où en êtes-vous ? interrogea Zaroth une lune plus tard.
Farhynia avait pris le rôle de porte-parole. Elle venait régulièrement faire son rapport à Zaroth. Corail en profitait pour bavardait avec le dragonnier sirénien de l’ancêtre.
- La compréhension s’améliore, assura Farhynia. Hier, j’ai eu une révélation en entendant Chavard’all ronchonner à propos d’un de ses étudiants, toujours pas foutu de contrôler ses conduits de rafraîchissement.
- Hum ?
- Pour accueillir les humains sur notre dos, nous avons appris à lutter contre notre instinct. Nous ouvrons nos canaux de rafraîchissement, même s’il fait froid.
Ce discours, Farhynia l’avait tenu un peu plus tôt à ses compagnons porteurs de siréniens.
- Et alors ? demanda Zaroth qui ne voyait pas où elle voulait en venir.
- Dans l’eau, nous collons nos écailles contre notre corps.
- Pour éviter que l’eau n’entre, confirma Zaroth.
- Pour éviter que l’autre n’entre où exactement ? demanda Farhynia. Que se passe-t-il si on laisse nos écailles ouvertes dans l’eau ? On risque quoi ? Je veux dire : si je laisse ouverts mes canaux de rafraîchissement qui veulent se fermer, j’ai juste froid. Ce n’est pas mortel non plus. Que peut bien me faire un peu d’eau ?
- D’accord, et donc ?
- C’est franchement désagréable dans l’eau salée mais plutôt neutre dans l’eau douce, surtout si elle est tiède.
- Où veux-tu en venir, Farhynia ? s’agaça Zaroth.
- Comment parlons-nous ?
- En faisant claquer nos écailles, répondit Zaroth avant de se figer. Attends ! Tu veux dire que vous arrivez à parler sous l’eau ?
Farhynia acquiesça.
- Ils nous entendent !
Zaroth rugit de joie. Il glissa sa joue contre celle de Farhynia. La dragonne bleue répondit à ce geste affectueux en léchant le museau du dragon marron. Sans attendre, il se jeta sur le cou de la femelle puis la lâcha. Farhynia plongea ses yeux dans ceux de l’ancêtre. Chavard’all partait tôt le matin, revenait tard le soir. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas baisé ? Des lunes ! Elle lui cachait ses activités de la journée. Corail devait aussi mentir par omission à Jack car Chavard’all ne savait rien. Ils se croisaient à peine, ne partageaient plus rien.
Farhynia était jeune. Ses envies s’accordaient à son âge. Elle ouvrit la gueule et enserra la gorge du dragon marron, peinant à l’engloutir tant elle était épaisse. Peu désireuse de se faire une luxation de la mâchoire, elle le lâcha rapidement.
Zaroth n’attendit pas. Il bondit sur Farhynia, la plaqua au sol et saisit son cou avant de serrer, beaucoup plus que ne l’aurait fait Chavard’all, vraiment plus, à la limite de la rupture. S’il appuyait un peu plus, les écailles céderaient. Farhynia se figea, sentant la terreur grandir en elle. Son excitation grimpa en flèche.
Farhynia sentit son entrée se faire forcer. Elle remua pour tenter de dégager l’intrus. Peine perdue. Zaroth la maintenait avec fermeté.
- Laisse-moi passer, Farhynia ! gronda le dragon marron avant de serrer.
Une écaille se brisa. Farhynia s’ouvrit, non par peur ou parce qu’elle se sentait menacée mais parce que la puissance de son partenaire la comblait. Se sentir vulnérable l’excitait. Se savoir désirée par un dragon aussi puissant la faisait vibrer. Elle, la petite jeune, immature et chétive, attirait l’attention du plus puissant dragon : l’ancêtre. Elle en vibra de bonheur.
Chavard’all se montrait lent et tendre pendant le sexe. Zaroth la pénétra brutalement, son sexe cognant fort contre la porte de la seconde zone.
- Écoute-moi bien, Farhynia. Tu vas me laisser entrer, totalement. Je ne veux aucune barrière. À chaque fois que j’en sentirai une, tu perdras une écaille. À toi de voir.
Une sauta. Farhynia s’ouvrit et Zaroth s’introduisit plus profondément avant de rencontrer la limite suivante. Une écaille de plus explosa. Farhynia gémit avant de s’ouvrir, totalement, pleinement. Elle ne l’avait jamais fait. Chavard’all luttait pour obtenir chaque ouverture supplémentaire. Zaroth la posséda en un clignement d’œil. Le plaisir explosa dans le cerveau de Farhynia, se répandant en une vague furieuse jusqu’au bout de sa queue, orgasme d’une puissance inégalée.
Zaroth se redressa puis l’enveloppa tendrement sous une aile tout en lui léchant le museau. Farhynia tremblotait tout en ronronnant.
- Pourquoi n’ai-je pas accepté plus tôt ? murmura-t-elle.
Zaroth eut la bonne idée de ne rien répondre.
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Farhynia déposa le sanglier et le bouquetin sur le sol de la grotte. Inutile d’apporter quoi que ce soit pour Corail. Elle s’était déjà nourrie dans l’océan. Chavard’all et Jack apparurent à l’horizon. Le dragon blanc à pointes noires atterrit sur la plateforme mais resta dehors. Farhynia s’approcha, curieuse de la raison qui poussait son compagnon à ne pas entrer.
- Comment as-tu pu coucher avec Zaroth ? demanda-t-il.
Farhynia devint bleu clair. Zaroth l’avait prévenue : des yeux scrutaient sa grotte. Son orgasme bruyant n’était apparemment pas passé inaperçu.
- Cela fait des lunes qu’on me rapporte que tu passes du temps avec lui. Je refusais de les croire. Après tout, tu ne m’en as jamais parlé. J’ai eu besoin de parler à Zaroth. Je me suis approché. Ton odeur était partout puis je t’ai entendue. Ces cris-là, je les reconnaîtrais entre mille. Tu m’as trompé, Farhynia. Avec Zaroth qui plus est ?
La dragonne bleue resta interdite face à ce réquisitoire. Chavard’all recula d’un pas, se retrouvant au bord de la falaise.
- Je ne te reconnais plus, cracha le dragon blanc à pointes noires.
Il se laissa tomber en arrière et ses ailes le portèrent vers la vallée. Corail s’approcha pour regarder son compagnon disparaître sur le dos de son dragon. Farhynia lécha Corail pour la consoler. Si Farhynia méritait cette rupture, Corail, de son côté, n’avait rien fait de mal.
Farhynia dégusta la viande qu’elle fit rôtir elle-même – bien mal en comparaison de Chavard’all – puis se coucha, Corail sous son aile. Farhynia trembla de froid toute la nuit. Chavard’all lui manquait déjà.
Humains, si humains, vous dis-je, ces dragons. Sans maire ni curé, seraient-ils donc hétéronormés, et machistes en surcroît ?
Je plaisante, bien sûr, la chute est surprenante qui clôt ce tome, et nous incite donc à en lire la suite. Mais si l'auteure le permet, mon cœur se serre à voir Corail et Farhynia séparées de leurs objets d'amour. Ne sera-ce point une cause de rupture entre elles ? J'en serais désolée.