Harlow, pris au dépourvu, poussa Evelyn en arrière pour qu'elle esquive cette flèche qui effleura tout de même sa joue, la marquant par une trace rouge qui s'étalait sur son visage. Plus ils restaient là à discuter, plus les chances qu'ils soient abattus augmentaient, il était parfois préférable de compter sur eux même. Ils ne pouvaient pas esquiver ou contrer leurs flèches, encore moins, les prendre par surprise. Il fallait ruser, il admirait sa détermination, mais...
– Vous avez du sang sur la joue.
Il n'aimait pas la couleur bordeaux qui teignait sa joue, Harlow l'essuya rapidement de sa main, dans un geste calculé. S'ils restaient là, elle serait bientôt transpercée de partout, il le refusait. Il commença à courir avec elle, s'enfonçant dans les bois. Ils furent bientôt engloutis par une nature luxuriante où se dressait les ruines d'une pauvre maison inhabitée. Parfait, ils allaient pouvoir s'y cacher pour tendre un guet-apens à leurs poursuivants. Un mince sourire apparu aux coins de ses lèvres en pensant à sa revanche sur ses abrutis.
Pas un mot de plus, il s'assura que personne ne se trouvait dans les environs avant de se précipiter dans la maison. Leurs poursuivants avaient l'air d'avoir disparu, mais pour combien de temps encore ? Ils devaient se tenir prêt. À l'intérieur de la pauvre maisonnette, il n'y avait qu'un canapé décrépi et de la saleté. Il se retourna vers Evelyn.
– Restons ici un peu de temps, en attendant de les voir s'approcher, nous aurons l'avantage du terrain.
Même s'il passa un coup de main sur sa joue, le sang continuait de s'écouler et cette simple égratignure en apparence la piquait étrangement. Evelyn porta une main à sa joue pour en extraire une faible quantité sur son doigt qu'elle remonta à ses narines ; une odeur légèrement parfumé, inhabituel pour du sang, ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle comprit.
– C'est... Du poison.
Elle ne connaissait pas ce poison, ni même ces composants, sa quantité, et s'il suffisait d'une goutte pour la tuer. Paniquée, elle respirait très fort, elle ignorait comment confectionner un remède si elle ne possédait aucune de ces informations.
– Harlow, je ne suis pas capable de soigner ça. Je ne connais rien de ce poison ! Je n'ai reçu qu'une faible dose, qui sait à quel point cela peut-être dangereux ? Je ne connais rien de ces effets... Je ne veux pas mourir, Harlow !
Stupéfais en entendant ses quelques mots lui échapper. Cela n'était pas prévu dans son plan. Ils devaient attendre ici, se charger de leurs poursuivants, peut-être passer la nuit ici avant de retourner au palais, l'idée qu'elle puisse mourir, ne lui avait pas traversé l'esprit ou pas de cette façon. Cela dépassait toutes ses compétences, savoir manier le métal, calculer, raisonner. Le mal était déjà là. Passant une main dans ses cheveux, il réfléchit, inflexible. Peut-être que le poison était seulement paralysant si c'était des mercenaires, avec un peu de chance, ils devaient les ramener vivants. Avec encore un peu de chance, la dose serait trop faible pour être réellement dangereuse. Enfin, depuis quand comptait-il sur sa chance ? Il l'entendait prononcer son prénom, ses mots désespérés et sa voix qui déraillait à mesure que la détresse prenait possession d'elle. Pourtant, il ne savait pas quoi répondre, quand cette douce douleur vint lui enserrer le cœur de nouveau. Cette même douleur qui l'avait quasiment assommé, le jour où Lucy était décédée, et il détestait se sentir sous son contrôle. Il devait la contrecarrer, trouver un antidote pour Evelyn, arrêter ses mercenaires et il n'avait pas une seconde à perdre ou bien elle finirait par le dévorer.
Dents serrées, il saisit Evelyn par les épaules et l'écarta de lui pour loger son regard dans le sien. Elle devait impérativement se calmer. Surtout, arrêter de parler de mourir, cela ne lui plaisait pas.
– Evelyn, vous n'allez pas mourir, calmez vous. Je... Vous allez vous reposer. Je vais guetter un de ses mercenaires pour tenter de lui prendre ce fichu antidote, d'accord ?
S'ils possédaient des doses de poison, ils devaient bien avoir un antidote sur eux, au cas où. Oui, il ne pouvait en être autrement. Il allait mettre la main sur un de ces abrutis, lui briser tous les membres avant de le noyer, pour qu'il puisse essayer de se débattre sans pouvoir bouger serait horriblement magnifique, c'était seulement un millième de ce qu'il méritait. Son regard s'était brutalement assombri alors qu'il se préparait déjà à écorcher le premier venu jusqu'au sang.
Lâchant Evelyn, il recula de quelques pas pour enlever sa lourde veste et la poser sur la table. Il ne manquerait plus qu'elle attrape la peste avant de revenir se poster près de la porte. Aucun bruit à l'horizon, il se mordit à nouveau la lèvre inférieure avant de jeter un regard à Evelyn. Son état ne s'améliorait pas, et si cela persistait... Il allait trouver une solution avant, enfin, surtout ses mercenaires dont il referait le portrait. L'obscurité se faisait de plus en plus présente, elle serait son alliée dans cette chasse à l'homme. Se rapprochant d'Evelyn, il la regarda dans les yeux. D'un regard neutre, voire las, alors qu'il était grignoté par cette horrible sensation. Elle n'atteignait que ce qui n'avait pas été forgé dans l'acier de la guerre. Il était inquiet, inquiet à l'idée de la retrouver morte en revenant et pourtant, il était prêt à déjouer la forêt et ses inconnus. Peut-être était ce l'odeur de la mort qui l'attirait. Evelyn, le faisait encore un tant soit peu entendre raison, quand son état lui criait de ne plus attendre.
– Evelyn... Je vais aller chercher cet antidote. Attendez-moi. Ne partez nulle part où je vous le ferai amèrement regretter. Vous ne m'avez toujours pas vu sourire, n'est-ce pas ? Vous devez encore attendre et ne pas me quitter. C'est un ordre.
Le réel ordre, était celui qu'il s'imposait maintenant : trouver un antidote. Prêt à tout pour mettre la main dessus, il fronça les sourcils pour faire comprendre à Evelyn qu'il ne rigolait pas, il se retourna quelques secondes plus tard pour s'aventurer en pleine forêt. La forêt qui ne recevrait pas de sang pur aujourd'hui. Tous les sens aux aguets. Il disparut derrière les arbres pour traquer ses victimes, des victimes de leur propre inconscience. Ils auraient dû s'enfuir lorsqu'ils le pouvaient encore, maintenant, ils allaient connaître pire que tout ce qu'ils avaient imaginé de l'enfer, Harlow Von Eler lui-même.
Seul l'éclat de son épée aurait pu le trahir aux yeux de la lune. Par rapport au monde, il n'était qu'un prédateur de plus. Le prédateur de tous les prédateurs, celui qui jouait avec la chaîne alimentaire comme avec son épée. Aujourd'hui, il ne s'amuserait pas, il n'aurait aucun sourire cruel pour ses victimes. Se faufilant telle une ombre au milieu des arbres, plus indétectable qu'un renard seulement mille fois plus rusé et porté par la haine que n'importe lequel d'entre eux. Épiant le moindre bruit, le moindre mouvement, il perçut un craquement résonner à quelques mètres de lui. Un homme, assez grand, une arbalète à la main, avec une sacoche. Il n'eut pas besoin de plus pour s'élancer vers lui et lui couper la gorge d'un geste d'une grande précision dont le seul bruit, fut celui de sa lame, fendant l'air à une vitesse prestigieuse comme s'il n'y avait rien. Rien qui ne vaillait la peine qu'elle s'arrête, et pourtant l'homme s'écroula, sans avoir eu le temps de comprendre un soupçon de ce qui lui était arrivé. Sans un cri, il s'était retrouvé à la merci d'Harlow, qui le dépouilla de ses affaires. Bien que ses yeux ne cherchaient qu'une chose, un flacon, qu'il trouva dans une des poches de l'homme. Hélas, deux autres hommes vinrent à lui, ils firent tous les deux mouches dans son dos, qui se teinta rapidement de rouge comme la terre où se trouvait ce lâche quelques instants plus tôt qui en fut bientôt gorgé. Il lui sauta littéralement à la gorge, et s'assura presque de la terreur dans ses yeux avant de lui trancher la nuque dans un bruit de métal tranchant l'os. Le lâche tituba quelques instants avant de s'écrouler, malgré la douleur, Harlow en profita pour récupérer un antidote. Étudiant le flacon à la lumière de la lune, elle avait été la seule témoin du cri qui avait échappé lorsqu'il avait reçu ses deux flèches. Personne, et encore moins Evelyn, ne devait s'en rendre compte.
Alerté, il serra les dents en enlevant les deux flèches plantées dans son dos. Retenant un nouveau cri, il les laissa tomber à côté de lui avant de filer. Même s'il se sentait mal, et que son dos le faisait terriblement souffrir, il devait rapporter ce remède à Evelyn. Même s'il devait revenir en rampant, il reviendrait.
Dépassant péniblement l'encadrement de la porte, il s'obligea à avoir l'air aussi neutre que d'habitude alors qu'il avait envie de rire, de pleurer. Lui-même se perdait entre ses émotions qui se réduisaient d'habitude au nombre de doigts sur une main. Il devait soigner Evelyn en priorité, trouver un moyen d'allumer un feu, les nourrir, et une source d'eau, ce n'était pas le moment de s'écrouler.
Veillant à ce qu'elle ne puisse pas voir les deux taches de sang qui imbibaient son habit d'un sombre bordeaux, il s'agenouilla à son niveau pour lui faire avaler le flacon sans attendre une quelconque remarque, elle devait vivre.
– Vous m'avez fait suer Evelyn... Mais je ne vois pas pourquoi je m'en étonne encore.
Saisissant son menton entre ses mains couvertes de sang, il porta le verre à ses lèvres, la forçant à tout boire jusqu'à la dernière goutte.
À la minute où le flacon s'était vidé, Evelyn soufflait plus calmement, elle reprenait sa respiration. Une main sur son front, elle secoua sa tête, elle avait eu peur pour pas-grand-chose. La jeune femme se redressa, sa mine plus vivante se réchauffait par un sourire qui se dessinait dans le coin de ses lèvres.
– Harlow, je vous remercie...
Un grand sourire aux lèvres, il avait envie de rire, plus que jamais auparavant. Pourquoi se retenait-il de rire d'ailleurs ? Il ne s'en rappelait plus, il se mit à rire sans raison, il applaudissait comme le pire des crétins. Le poison était trop violent pour qu'il puisse lutter contre ses effets qui lui brûlaient les veines. Enfin, il avait tenu comme il se l'était promis, jusqu'au moment où il avait pu avoir la satisfaction de sauver Evelyn.
– Evelyn, vous trouvez ça marrant ? Je veux dire ces escapades à droite... Et à gauche... Une princesse par-ci, par là. Je vais devenir un bourreau des cœurs, ma parole !
La jeune femme, troublée, observait Harlow d'un étrange, que lui prenait-il de tout d'un coup ? Devait-elle rire ?
– Enfin... Je, peut-être oui. Je ne sais pas, c'est quand même dangereux... Balbutiait-elle.
Se relevant maladroitement, son sourire ne diminuait pas alors qu'il fixait Evelyn avec une expression si détendue, que cela en était presque effrayant.
– Mh, vous savez, je m'en fiche des femmes. Une fois, Harker m'a dit que j'aimais les hommes. Mais vous savez quoi ? Je n'aime personne ! Voilà tout. Même, lorsque je serai marié, je partirai très loin, j'irai sur tous les champs de bataille possible. Mais quand même, je crois que vous me manquerez un peu Evelyn. Même si vous allez me détester, je ne pourrai pas vous en vouloir.
Il voulait garder Evelyn près de lui ! Pourtant, il se sentait si faible. Ses yeux étaient fatigués, comme son corps et son esprit, il s'écroula au sol. À la seconde près, elle tenta de le rattraper avant de découvrir le massacre, le sang qui débordait de ses vêtements. Il s'était jeté sur les mercenaires pour leur extraire un antidote alors qu'on lui avait tiré des flèches. Au moins, le poison ne paraissait pas nocif, plutôt délirant au vu de son comportement pour le moins curieux. Ils n'avaient plus d'antidote, avec un peu de chance, les effets se dissiperaient grâce à sa régénération, après tout, il semblait avoir retrouvé la vue plutôt vite. Soupirant, elle remarqua qu'il ne portait plus sa longue veste, il attraperait froid. Evelyn se chargea de lui apporter pour le recouvrir, se mettant dans le coin de la pièce contre un mur face à lui, elle croisa ses bras sur les genoux en y plongeant sa tête pour s'endormir et espérer trouver du repos.
La dernière vision qu'il avait eue, était les yeux d'Evelyn, avalés par la peur et une lueur de poison. Son esprit avait ensuite sombré sous une vague infranchissable, ou même armé de toute sa volonté, il ne pouvait pas vaincre, c'était son corps, fait de chaire et de sang qui le retenait encore derrière des limites qu'il jugeait ridicules. Un corps marqué de mille cicatrices qui parlaient quand lui était trop paralysé pour dessiner ce qui s'était déroulé devant ses yeux ; ce qu'il avait subi, au-delà de la guerre. Mille dagues n'auraient pas pu laisser un sillage plus détruit que son esprit qui tenait par de minces espoirs qui n'avaient pas lieu d'être, il n'était pas certain que ses terres refleuriraient un jour. Il avait trop vu, trop entendu, trop ressenti. Encore aujourd'hui, cela le poursuivait, il avait pourtant tué lui-même ses sentiments, et cette cause de douleur qui semblait infinie.
Au milieu de son esprit embrumé et éteint, il entendait néanmoins l'horrible rire de cette chose. Cette ombre noire qu'il partageait avec l'enfer, cet endroit qu'il avait effleuré où des mains se tendaient, avides d'un mince rayon de vie. Elles seraient bien déçues, il ne pourrait rien leur donner, car il ne possédait rien appart la rancœur et la colère. La présence même de cette ombre dans son esprit, rendait son visage, encore plus amer. Un visage tiraillé par le questionnement, l'indifférence, la fatigue, la tristesse d'une vie pâle où il était considéré tantôt comme une arme de rébellion dans un couple inexistant, tantôt comme une monnaie d'échange. Il n'en était rien. S'il devait être de bronze, il était en réalité forgé dans le plus brûlant des aciers. Tenu près de cette forge où régnait le magma et la fureur du feu, ils dévoraient son âme, comme ils la rendaient plus aiguisée.
Des champs de guerres composaient ses rêves où errait le mal absolu qui avait fait couler plus de peine dans sa vie que lui ne pourrait jamais le faire. Rêvant de ses mains autour de sa gorge, il mettrait le diable en personne à genoux. Un diable qui n'était qu'une étincelle dans son sang, mais qui le hantait par ses mystères. Il n'était pas lui, il était un être bien plus grand et incompréhensible par sa beauté. S'il existait des beautés douces comme Lucy, il existait le Mal absolu, marchant sur leurs cadavres à tous, ce qui le fit frissonner par sa noirceur en lui chuchotant à l'oreille...
« – Réveille-moi. »
L'ombre ne lui avait jamais semblé aussi proche, presque au point de fusionner avec lui. Aussi saisissante que le verre qui paraissait lui couper la respiration, et toutes ses veines. Il étouffait, toutefois, il gardait les yeux ouverts. Tant qu'il serait là, personne ne serait au-dessus de lui, pas même le plus pur des vampires. Il secoua la tête dans un cri rageur avant d'ouvrir brutalement les yeux.
Le soleil peinait à se lever, en réalité, une nuit glaciale faisait encore trembler la forêt qui semblait vide d'âme. Ils devaient partir entre les hommes armés, ses songes, et ce gouffre qu'était ce lieu vide de vie, il ressentait uniquement un grand malaise. Ils devaient s'éloigner d'ici alors qu'il avait l'impression qu'il se cramponnait à son dos pour lui chuchoter quelques douces paroles, il la fit disparaître en s'approchant d'Evelyn. Un feu au milieu de toute cette fumée de mensonges, elle n'était pas lui non plus. Lui, semblait résider dans la terre plus que dans n'importe quel esprit. Le sien était toujours tenu en alerte par ce sentiment de danger, il se fit un peu moins tranchant lorsque ses yeux tombèrent sur sa frêle silhouette. Pour la seconde fois, Harlow détacha sa cape pour l'entourer délicatement, s'il baignait dans le froid, elle, méritait toute la chaleur qui régnait sur cette Terre. Pourtant, ses mots n'en furent pas moins crus :
– Evelyn, réveillez-vous. Nous partons.
De banals mots qui se suivirent d'une main hésitante qui secoua l'épaule droite d'Evelyn pour la réveiller. Il avait l'impression que sa main tremblait alors qu'elle réagissait comme d'ordinaire, avait-il peur ? C'était là encore ridicule, c'était un cauchemar qui échappait pourtant à sa définition. Se mordant la lèvre inférieure, il se recula ensuite pour s'approcher de l'encadrement, se mettant volontairement dos à elle, il guettait l'horizon. Comme s'il doutait de vraiment le voir, ce rêve lui laissait un sentiment étrange, qu'il ne voulait pas montrer.
Les yeux lourds, elle voulait encore s'endormir même après les secousses de Harlow. Toutefois, elle sentait quelque chose raviver la flamme de son cœur, une agréable chaleur l'entourait la poussant à somnoler. Même si les grommellements du prince l'en empêchèrent, elle se releva manquant de faire tomber sa cape, étonnée, elle s'apprêtait à lui tendre, mais il se retourna avant.
– Gardez-la.
Tout lui paraissait tellement second. La faim, la fatigue, il craignait. Et sa peur l'emportait sur la moindre attention qu'il aurait pu penser. Ils s'élancèrent à travers les bois, ils devaient bien déboucher sur un petit village.
– Harlow, pourquoi vous m'avez menti ?
Son prénom résonnait comme un pincement dans son cœur, il se rappelait de ses appels à l'aide durant l'incendie, il n'arrivait pas à l'effacer de sa mémoire. Pourquoi s'étonnait-il encore qu'elle l'appelle par son prénom ? Quand est-ce qu'il est devenu si indulgent ?
Alors, lui, mentir ? Il ne lui avait jamais dit qu'il voyait de nouveau, si ? C'était bas de jouer sur les mots, mais il se doutait qu'elle ne comprenne pas ses raisons, personne ne le comprenait. Il avait plus de cran que personne d'autre, et une volonté qui en effrayait beaucoup. Ce n'était pas par hasard qu'il avait survécu à toutes ses batailles. Il s'était traîné sous la boue et le sang alors que la pluie était plus violente que l'acide. Il avait convaincu le Conseil de le laisser vivre après avoir tué sa première amie, alors qu'il ne dépassait pas les dix ans, sans une seule fois implorer leur pitié. Il les avait simplement fixés, d'un regard intensément foncé, presque noir, dénué de toute compassion à leur égard. Il aurait pu leur parler, comme les tuer la seconde d'après, c'était peut-être là qu'ils avaient compris qu'il ne pouvait pas être considéré comme leur égal, de par ses actes et son être le définissant comme une bête, si seulement il avait été un peu moins sûr de lui, peut-être, aurait, il fait le bon de choix de les implorer. Mais c'était trop tard, il ne regrettait rien. Ni hier, ni maintenant, avoir menti à sa sécurité, ne serait jamais un regret. Il lui jeta un regard perplexe, avant de se concentrer sur leur environnement. Ils n'avaient pas le temps de tergiverser sur des choses aussi futiles.
– J'avais mes raisons, je ne vous ai juste pas révélé la vérité. J'ai retrouvé ma vue le jour de l'attaque du Nord. Et puis vous ne m'aviez pas posé la question.
Harlow s'enfermait peut-être dans une sombre stratégie où il était le pion qui n'était pas simplement fait de bois, mais qui pouvait voir et qui faucherait bientôt les traîtres qui le croyaient éteint. Il n'avait pas à se justifier. Evelyn, était-elle des plus sincères avec lui ? Pouvait-elle se déclarer sans jardin secret ? Voilà longtemps qu'il n'avait pas ouvert son carnet pour prendre un temps pour lui, et qu'il s'était éloigné de cette douce réalité alors qu'il était toujours aussi bien près d'Evelyn. C'était son alliée, au combat comme toujours. Il savait au fond, qu'il n'aurait jamais dû la traiter comme tel, même dans sa sombre stratégie, il était enfermé dans un cercle encore plus vicieux qui était ses souvenirs.
– Et bien, je vous pose celle-ci : selon vos dires, hier soir, vous évoquiez le fait d'aimer les hommes... J'entends bien par là, un aveu très sérieux de votre part, avez-vous déjà trouvé l'être aimé en question ?
Gardant un ton sérieux, Evelyn ne put s'empêcher d'éclater de rire la seconde d'après, elle plaisantait, elle voulait simplement lui donner le goût de son sort à toujours se moquer d'elle. Et puis elle tenait à sa vie, elle ne souhaitait pas qu'il l'assassine sur-le-champ, Evelyn avait bien compris que son humour n'était pas très performant.
Il enviait parfois les esprits simples ou juste ceux qui pouvaient se réjouir des choses simples sans décrypter les moindre gestes, derrière lesquels se cachaient des souhaits peu enviables. Il n'offrait jamais rien, même pas un sourire. Quand est-ce qu'un sourire était sincère, lorsqu'ils étaient heureux, satisfaits ? Non, seulement quand leurs désirs futiles et égoïstes étaient comblés. Guidés par l'avidité, elle étouffait la moindre liberté, ils reliaient leurs faiblesses qui formaient un cercle infini qui fermait toute évolution. Harlow voulait pouvoir la trouver parmi le banc de sable qu'ils formaient, un abysse insondable où règnaient les meilleurs qui sont devenus les pires par honnêteté. Il était question de les cacher sous l'hypocrisie, le mensonge, l'avidité qui n'avait formé qu'un beau rideau brillant, de mille paillettes, mais sans une once de réalité dans lequel ils se noyaient, même les poissons étaient plus intelligents.
Lui, restait au-dessous de cette couche qui lui semblait plus opaque et froide que la plus rude tempête de neige. Il en savait trop pour oublier ou juste pour passer de l'autre côté. N'était-il pas la vérité ? Le résultat de la méchanceté de tous ses êtres. N'avait-il pas vraiment vu dans leurs regards ? Il avait tout entendu, si bien qu'il ne pouvait plus parler. Il était exactement cette chose que tout le monde rêvait d'étouffer, mais, c'est lui qui les forçait toujours à venir s'asphixier dans leur amas de mensonges. Pour qu'ils puissent regretter de ne pas être quelqu'un.
N'échangeant pas un mot avec Evelyn, il faisait néanmoins attention de ne pas la perdre du regard, il n'entendait personne venir, mais il avait encore l'impression d'être engourdi par cette noirceur en réalité si indéfinissable, aucun mot ne s'accordait sur ce qu'il ne comprenait pas. Par manque de réflexion, ils en payaient le prix : l'ignorance. C'était souvent ce qu'ils souhaitaient le plus compréhensible, vu leur paresse naturelle, mais aussi par ce terrible besoin d'être aimé. Un besoin qu'il n'avait même pas effleuré, il ne le connaissait pas dans son monde, il ne se reflétait nulle part. C'était une légende aussi oubliée et compliquée que cette ombre. Il ne pouvait qu'en définir les contours, qu'ils ne suivraient jamais. Pensif, il s'arrêta soudainement en entendent les mots d'Evelyn traverser ses oreilles, ses yeux s'écarquillèrent comme jamais auparavant. Ses traits se perdirent un instant dans la stupeur avant de se confondre dans un silence dangereux. Ces quelques mots avaient atteint un point sensible de son esprit, un peu trop fraîchement éveillé lors de ses songes, voilà que cette plaie recommençait encore à saigner. Sa main, posée sur le manche de sa lame, allait la tordre d'un moment à l'autre, alors que les mots se suivaient. Au-delà de la colère, il était surtout confronté à un plus grand mal, plus grand que ce qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Cela lui tordait les entrailles, littéralement. Voilà longtemps que cette sensation de dégoût ne lui était pas venue à la bouche.
Il avait envie de lui faire regretter ses paroles qui partaient pourtant d'une envie de plaisanterie. Elle, et tous ses idiots étaient mille fois pire qu'un être libéré de toute chaîne. Ses mots à elle surtout, au-delà de son masque de colère, une fissure était apparu. Une fissure qui laissait entrevoir la déception, comme la peine. S'il s'écoutait, il la tuerait pour qu'elle ne puisse pas répéter le moindre centième de mot parce que ce n'était pas vrai. Cela l'ébranlait complètement qu'elle ait pu penser cela un instant de lui.
Lorsqu'il se retourna vers elle, aucune lueur meurtrière ne brillait dans son regard, elle ne pouvait pas savoir. Il espérait naïvement qu'elle était animée par ce besoin inutile de sourire, et non par l'envie de dénoncer ce qu'elle pensait réellement ou bien, il devrait la tuer sur-le-champ. L'envie lui en manquait cruellement, Harlow était suffisamment assommé par ses mots, et la vérité, qui surgissait dans son esprit. Cet instant de mélancolie ne dura qu'un instant alors que cela résonnerait encore longtemps dans son esprit. La foudroyant du regard, il fronça les sourcils avant de s'éloigner. Il ne savait même pas quoi répondre, comme il ne savait toujours pas en parler.
– Continuons.
– Attendez un instant. Je ne vous reconnais pas, le véritable Harlow Von Eler m'aurait déjà mis le couteau sous la gorge. Est-ce que vous allez bien ? À quoi pensez-vous ?
Harlow croyait apercevoir une flamme lorsqu'elle s'interposa soudainement pour freiner son chemin, dessinant un visage inquiet, sans cligner des yeux, elle l'immergeait dans le bleu océan de ses iris. S'il n'agissait pas, il risquait de s'y noyer, il sentit une masse étrange dans sa poitrine se propager. Embarrassé, elle ne possédait aucun droit, encore moins, celui de le rendre honteux.
