Chapitre 12

Par Bow

La terminale avait commencé depuis quelques jours. L’année du bac, la fameuse. Nous étions les grands du lycée, mais nous n’avions pas le temps de nous en vanter. Les études approchaient, nos dossiers devaient être bons pour intégrer les écoles que nous voulions, l’heure n’était plus à la rigolade. L’objectif de l’année était clair : il fallait travailler. 

Et la grande nouveauté cette année, outre la philosophie, c’était l’apparition des spécialités, dites « spé ». Une matière qui nous prendrait deux heures supplémentaires par semaine, et dont le coefficient au bac serait plus élevé. Nous devions choisir entre mathématiques, SVT ou physique-chimie. Une nouvelle scission entre les élèves, il en fallait toujours plus. Certains faisaient le même choix que leurs amis, leur réussite leur important moins que leur vie sociale. Pour d’autres, il n’y avait même pas besoin de réfléchir, lorsqu’ils portaient l’une des trois matières dans leur cœur ou bien en avaient deux en horreur. Quant à moi, ce fût autre chose qui orienta mon choix. Monsieur Dorcel. Ce professeur, qui assurait les cours de spé maths, avait le don particulier de rendre floues des notions initialement comprises par les élèves. Ses explications étaient si tordues qu’elles pouvaient embrouiller le plus logique des cerveaux. Personne n’avait jamais compris comment il avait pu être autorisé à devenir professeur. Pour couronner le tout, même le personnage n’était pas ce qu’on pourrait qualifier de sympathique. Alors j’avais beau adorer les maths, je n’avais aucune envie de suivre ces cours si c’était avec lui. Je me rabattus donc sur la physique, qui était une matière que j’appréciais malgré tout.

Le jour du premier cours de spé, j’attendis debout dans le couloir avant que le cours ne commence. Hugo avait choisi spé SVT et mes autres amis spé maths, et je n’avais pas vraiment envie de m’intégrer aux autres élèves. Ils étaient pour la plupart déjà amis entre eux, et leurs rires ne semblaient destinés qu’à leur cercle fermé. Je restai donc un peu à l’écart, les mains dans les poches, espérant que la prof arrive bientôt pour que je puisse aller m’asseoir dans un coin de la classe et fuir cette atmosphère bruyante. Mais à mon grand étonnement, parmi toutes les voix que j’entendais autour de moi, l’une d’elle s’adressa à moi. 

— Ah salut Nicolas, toi aussi tu fais spé physique ?

Je me retournai pour voir qui pouvait être l’auteur de ces mots. Je me retrouvai alors nez-à-nez avec toi, ce qui était une bonne surprise.

— Oui, ça a l’air de t’étonner.

— Oui j’étais persuadée que tu irais en spé maths.

A chaque fois que tu évoquais mes capacités en maths, le souvenir du cours que je t’avais donné chez moi me revenait en mémoire. Je retrouvais alors ces émotions qui étaient tant présentes à ce moment-là, cette affection que j’avais pour toi. Elle avait tendu à diminuer depuis que tu avais dit que je ne serais jamais plus que ton ami, mais elle n’avait jamais complètement disparu. Tu étais toujours restée dans un coin de ma tête, comme quelqu’un avec qui l’on aimerait bien qu’il se passe quelque chose, même si l’on ne l’espère plus. 

— Avec monsieur Dorcel non merci, je préfère tout sauf ça.

Tu hochas la tête sans faire plus de commentaires à ce sujet.

— D’accord je suis soulagée alors. Comme mes amis ont tous pris SVT j’avais peur d’être toute seule mais si tu es là c’est bien. 

J’étais flatté par cette remarque. Tu ne me considérais pas comme faisant partie de ceux qui n’étaient pas tes amis, ceux à qui tu n’avais pas envie de parler. Parmi la vingtaine de lycéens que nous étions dans ce cours, j’étais pour toi celui qui sortait du lot, celui qui ferait que tu ne serais pas toute seule. Ta bouée de sauvetage. Je constatais que la considération que tu avais pour moi était plus grande que je ne l’aurais pensé. Alors je ne pus m’empêcher de faire renaître un espoir, peut-être que finalement l’amour était envisageable entre nous. Et brusquement, la fameuse phrase que tu avais dite quelques mois plus tôt me revint en pleine figure. « Ce sera jamais plus qu’un ami ». Mon espoir disparut instantanément. Nous pourrions progresser aussi loin que possible dans le domaine de l’amitié, je deviendrais peut-être ton meilleur ami dans les semaines à venir. Mais ça ne deviendrait jamais de l’amour. Alors tout ce que tu pourrais dire ou faire en ma faveur, cela ne devait pas me faire espérer plus. 

— Et tu ne voulais pas les suivre en SVT ? repris-je.

— Non, j’ai vraiment du mal avec cette matière. Même si les cours en eux-mêmes m’intéressent, j’ai toujours des mauvaises notes. J’ai l’impression que je n’ai pas la bonne manière de réfléchir. 

Mme Sésat, la professeur de physique, t’empêcha de développer en faisant rentrer les élèves dans la salle. Quand la bande d’amis dont j’ai parlé avant fût entièrement entrée, je leur emboitai le pas. Je cheminai alors entre les tables, bien décidé à aller m’installer vers le fond de la salle. Tu me suivais, ce qui me satisfaisait malgré moi. Je finis par poser mon sac sur une chaise près du mur. J’avais choisi ma place. Comme je l’avais espéré, tu entras dans la même rangée et désigna la chaise à côté de moi.

— Je peux me mettre là du coup ? demandas-tu.

Je hochai la tête. Comment pouvais-je te dire non ?

— Oui oui, pas de soucis.

Mon cœur recommença à battre la chamade. Il ne fallait pas que je retombe.

Le cours commença. La prof nous présenta rapidement les modalités d’évaluation, puis entama directement le premier chapitre de l’année. Je fus attentif pendant les premières minutes, mais je finis par décrocher assez rapidement. Je laissai mon esprit divaguer et observai la salle. J’y avais déjà eu beaucoup de cours, les paillasses en carrelage blanc munies de lavabos et de robinets à gaz m’étaient familières. Pourtant, elle m’apparaissait sous un jour nouveau. Par le simple fait de ta présence, j’avais l’impression que l’environnement entier était changé. Je me sentais nerveux de te savoir à côté de moi. Devais-je en profiter pour te parler ? Devais-je, au contraire, ne rien dire pour ne pas brusquer les choses ? Te laisser parler la première ? Alors que je m’interrogeais, tu me fis une remarque à propos du cours. Tu devais sûrement te poser bien moins de questions que moi quant à la communication entre nous deux. Alors je te répondis sur le même ton, et nous nous mîmes à rire. Un rire courtois plus qu’un rire franc, un rire qui clôture un échange. Mais des échanges, il y en eut plusieurs tout au long de la séance, si bien qu’ils en devinrent de plus en plus naturels. 

 Lorsque la sonnerie retentit, je me sentis déçu. J’aurais aimé disposer de plus de temps avec toi, et il nous fallait maintenant nous diriger vers la salle du cours suivant dans laquelle nous redeviendrions des étrangers. Mais ma vision des choses changea soudainement. Bien que ce moment passé ensemble venait de se terminer, ce n’était que le premier. Des cours de spé, il y en aurait toutes les semaines. Tous les jeudis. Ce serait notre jour à nous. Ça allait devenir le jour que j’attendrais le plus, plus encore que le vendredi. J’allais passer du temps avec toi. Nous allions nous rapprocher de plus en plus, et même si je savais que je ne pouvais rien espérer en amour, la perspective de pouvoir t’entendre rire et me parler pendant deux heures chaque semaine me plaisait. Même si nous ne serions que des amis. J’étais prêt à me contenter de ça. 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez