Chapitre 12 : gnocchi seauton

Chapitre 12 

Gnothi seauton[1]

 

Hava avait l’impression de chuter. Sa tête tournait et elle ne savait plus où elle était. En fait, elle tombait littéralement. Toujours les yeux fermés, elle chercha de quoi se retenir et une main l’agrippa. Elle ouvrit les yeux. C’était Anan qui l’avait rattrapée. Il lui souriait de toutes les dents qui lui restaient.

 

— C’était quoi ça ? hurla-t-elle en se relevant. Vous m’avez fait quoi ? Vous m’avez droguée ? C’est la pomme, c’est ça ?

— Non, la pomme… c’était juste une pomme, la rassura Ikari en souriant.

— Tu as juste revécu une partie de ton histoire.

— Mais de quoi vous parlez ? Je n’ai même pas quinze ans ! Et je suis incapable de faire ce que cette femme faisait.

 

         Elle ne parvenait pas à se calmer. Pourquoi cela lui arrivait à elle ? Qu’avait-elle de spécial ? Depuis son plus jeune âge elle était la fille pas comme les autres. C’était celle qui venait du Bhoutan, celle qui avait été adoptée, celle qui avait des cheveux blancs… Elle ne rêvait depuis toujours que d’être la fille normale, celle qu’on ne voit pas.  Au lieu de ça, elle était encore plus particulière qu’elle ne l’avait imaginé. Soudain, elle pensa à ses parents.

 

— Combien de temps a duré mon rêve ? Quelle heure est-il ?

— C’est bientôt la fin de la nuit, lui répondit Anan d’une voix faible.

— Je veux rentrer. Mes parents vont s’inquiéter si je ne suis pas dans la chambre quand ils vont se réveiller !

 

         Elle avait dit cela d’un ton qui n’appelait pas de réponse. Ikari ouvrit la bouche pour contester, mais il vit au regard d’Hava que ce n’était pas négociable : elle devait rentrer maintenant. Son visage resta figé quelques instants puis un sourire se dessina sur les lèvres du moine bouddhiste.

 

— Je vous fais rire ?

— Non, mais je sais que tes parents ne vont pas s’inquiéter. En tous cas pas de ton absence.

— Pourquoi ?

 

         Elle regardait les deux hommes avec un mélange de curiosité et de colère quand son intention fut attirée par ce qu’il se passait derrière eux. Au loin, de l’autre côté du pont, à travers la grande porte du temple : il y avait du mouvement. Des personnes approchaient. Hava avança de quelques pas pour regarder. Elle devait rêver. Même s’ils étaient encore loin, elle reconnut facilement ses parents et Junjie. Dès qu’ils l’aperçurent à leur tour, ils furent aussi étonnés qu’elle. Ils    accélérèrent et traversèrent rapidement le pont pour la rejoindre.

 

— Hava, on s’inquiétait tellement, cria Célia. 

 

         Sa mère la prit dans ses bras en pleurant puis elle se recula pour l’observer. La tenant toujours dans ses bras, elle observa sa fille sous toutes les coutures pour vérifier qu’elle allait bien.

 

— Comment êtes-vous arrivés ici ? demanda Hava toujours aussi étonnée.

— On ne sait pas. On s’est réveillé tous les trois dans un grand couloir de glace tout à l’heure. Il n’y avait qu’une issue et l’a suivie. Elle nous a menés directement ici.

 

         Comme pour se faire remarquer, Ikari toussa bruyamment. Célia tourna la tête vers lui. Après la surprise d’avoir retrouvé sa fille dans ce lieu incongru, elle ne parut pas étonnée de découvrir quelqu’un d’autre ici.

 

— Maintenant que nous sommes tous réunis, je vous propose de visiter les lieux, dit Ikari en souriant comme si la situation n’avait rien d’anormale. Si vous voulez bien me donner la peine de me suivre.

 

         Sans leur laisser le temps de répondre, Ikari se retourna et rentra dans le temple. Les trois nouveaux arrivants considérèrent le guide avec détachement. C’est étonnant comme, quand vous êtes dans une situation incongrue, le cerveau semble se mettre sur pause. Ainsi, après avoir mesuré les solutions qu’ils s’offraient à eux, ils se mirent à s’aventurer dans les pas d’Ikari. Célia tenait fermement la main d’Hava, pour être sûre de ne pas la perdre. Ils avançaient d’un pas hésitant tandis que le guide était déjà une vingtaine de mètres devant eux. Ils passèrent entre deux statues représentant des chevaliers en armures auxquels Hava n’avait pas prêté attention plus tôt. Ikari s’était arrêté à l’entrée d’une piève qu’ils n’avaient pas encore visité. Il était de dos et quand tous furent entrés, il commença à parler avec le ton d’un guide de musée qui fait la même visite pour la énième fois.

 

— Bonjour, et permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à Sangri-La. Ce temple, plurimillénaire, a été construit par les anciens, ce qui explique son invisibilité pour ceux qui ne savent pas regarder. On peut dire que vous êtes des privilégiés car plus aucun visiteur n’est venu jusqu’ici depuis des siècles.

— Je m’en passerai bien, intervint Célia agacée. Quand est-ce que nous allons retourner à l’hôtel ?

— Bientôt, promis Ikari. 

 

Il regardait d’un air inquiet Albin qui s’était enfoncé un peu plus loin dans la pièce. Puis, il reprit son ton de guide.

 

— Nous sommes ici dans la salle de bibliothèque. La plupart des documents ici sont des originaux. 

 

         Albin, qui jusque-là était resté silencieux poussa un cri. Les autres se précipitèrent pour savoir pourquoi ce qu’il avait. 

 

— Cette bible a plus de mille ans. ! Vous vous rendez compte ? C’est un trésor qui n’a pas de prix ! C’est incroyable, je ne pensais pas que je verrais une telle chose de ma vie.

— Mais ça ne va pas de crier comme ça ! J’ai failli faire une crise cardiaque, s’énerva Célia.

— Donc, comme je vous le disais, cette bibliothèque regorge de livres tels que celui qui a déclenché la joie de monsieur…

— Albin, appelez-moi Albin. Et vous c’est ?

— Ikari, pour vous servir. Maintenant je voudrais vous montrer la suite.

 

Il entra dans une salle, suivi d’Anan. Sinha s’était couché un peu plus loin. Il jouait avec un bout de bois. Hava pénétra à son tour dans la salle. Elle retint un cri quand elle vit ce qui était à l’intérieur. Tous les murs étaient peints magnifiquement d’or, de vert émeraude, et d’autres couleurs magnifiques et chatoyantes : rose, pourpre, bleu, vert.... Dessus étaient représentés de magnifiques paysages, très différents les uns des autres. Ici des montagnes qui ressemblaient à celles où ils étaient en ce moment même, là l’océan, et là encore des scènes de batailles. Ces scènes ressemblaient beaucoup à celles qu’elle avait déjà observé dans l’autre salle. Il y avait aussi toute une série d’objets divers et variés de toutes les matières : un casque en or, un pot en bois, un masque en jade… Tous ces objets avaient l’air si vieux… Ils étaient entourés de vases en métaux remplis de fleurs fraiches.

Mais ce qui attira toute l’attention d’Hava, c’était une très grande statue. Elle devait mesurait plusieurs mètres de hauteur, peut-être quatre ou cinq. Mais ce n’est pas sa taille qui la perturbait, c’était le sujet de la statue. Plus elle l’observait, et plus le sujet lui était familier. 

C’était elle ! Plus grande, physiquement bien sûr, mais en âge aussi. Même si la statue était en or, il n’y avait pas de doutes possibles.

 

— Tu t’es reconnue ? chuchota Anan en lui posant une main sur son épaule.

— C’est moi ? C’est bien moi ? Mais pourquoi ?

— Je te l’ai dit… Tu es spéciale. Viens avec moi.

 

         Pendant que Célia et Albin étaient occupés à aller d’un objet à l’autre, il lui attrapa le bras, et il la guida vers un coin de la salle. Ils s’attablèrent sur une table dressée. Ikari était occupé à montrer à ses parents des objets tous plus extraordinaires les uns que les autres. Hava s’imagina que c’était une manœuvre de diversion.

 

— Pourquoi y a-t-il une statue me représentant ? Pourquoi je suis sur la porte du temple, sur les peintures… pourquoi ? Vous êtes sûr que je ne suis pas dans un rêve ?

— Tu ne rêves pas Hava. Je dirais plutôt que tu reviens à la réalité. Ta réalité. Celle que tu as connu depuis plus de dix-mille ans.

— Mais c’est n’importe quoi ! Je n’ai que quinze ans…

— Ton corps a quinze ans, c’est vrai, mais pas ton existence. Tu es un être extraordinaire. Tu as des pouvoirs puissants, si puissants que les hommes ont préférés te cacher il y a fort longtemps, pour se protéger. 

— Se protéger de moi ? Je suis dangereuse ? J’ai quoi comme pouvoirs ? J’ai déjà essayé de changer la chaîne à la télévision par la pensée, et ça n’a jamais marché !

— Tu n’es pas dangereuse ! intervint Anan. Je t’observe depuis fort longtemps. Je n’ai jamais vu personne d’aussi gentil et altruiste que toi.

— Mais alors pourquoi les hommes auraient eu peur de moi ?

— Les hommes ont peur de tout ce qui les dépassent, de tout ce qu’ils ne maitrisent pas. Tu dis que tu n’as pas de pouvoirs, mais… N’es-tu pas déjà venue dans le sanctuaire où nous étions tout à l’heure ? 

— J’en ai déjà rêvé, c’est vrai.

— Ce n’était pas des rêves. Tu venais toutes les nuits. Anan me l’a dit. Il t’a vu observer les lieux, les peintures.

— Mais ce n’est pas possible, j’étais en France, à plusieurs milliers de kilomètres d’ici.

— Ton corps, oui. Mais ton âme venait ici. Elle connait si bien le chemin. C’est un de tes pouvoirs, le dédoublement. Avant, tu arrivais à te dédoubler, voire plus, de façon très proche, mais ça te prenait une énergie énorme.

 

Hava ne parlait plus. Elle repensait au moment où elle avait été enfermée dans le placard. Elle avait eu l’impression ce jour-là de se voir à l’extérieur, mais elle pensait avoir rêvé. 

 

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Rien de particulier. Prier, lire, peindre… Comme tu le faisais dans ta précédente existence.

— Ça vend du rêve votre programme. Vous pensez vraiment que je vais rester ici pour faire ces trucs-là ? 

— Non, maintenant que tu as connu autre chose. Nous comprenons que ce n’est pas forcément tes projets pour ton futur. Mais il faut savoir que si tu repars, il arrivera un moment où tu seras attrapée et enfermée.

— Pourquoi ?

— Parce que les hommes sont comme ça. Tu vas vivre plusieurs centaines d’années. Si les hommes s’aperçoivent que tu ne vieillis pas, ils voudront t’étudier, trouver ton secret. 

 

 

 

 

         Albin et Célia étaient époustouflés par tous ces trésors incroyables. Si bien qu’ils ne s’étaient pas aperçut de la présence de Sinha qui venait de rentrer. Il s’était couché aux pieds de Célia qui observait attentivement un vase en terre cuite. Quand elle vit le lion à la crinière verdoyante, elle poussa un cri et lança l’objet en l’air. Anan l’attrapa au vol avec une dextérité impressionnante. Hava n’en revenait pas de l’avoir si fragile pendant toutes ces années. Célia s’était collé le dos au mur, l’air terrorisée.

  • Qu’est-ce que c’est que ça ? 
  • Ne t’inquiète pas maman, c’est Sinha, il est gentil comme tout.

 

Comme pour confirmer ce qu’elle venait de dire, le lion se frottait en ronronnant contre sa main. 

 

—Ne t’approche pas de ce monstre, cria Célia.

 

         Encore une fois, le lion donna l’impression à Hava qu’il venait de comprendre ce qu’elle avait dit car il poussa un rugissement qui le rendit soudain terrifiant, si bien qu’Hava retira sa main. Le lion lui donna un coup de tête pour réclamer une autre dose de caresses. Albin s’approcha d’eux en tenant un sabre ancien entre les mains.

 

  • C’est un paradis cet endroit. Après des livres que je n’aurais jamais 

rêvé de voir, voilà des objets d’une valeur historiques incroyable.

 

         Comme s’il se réveillait, il leva les yeux et observa la scène, tout étonné. Sa femme dos au mur, l’air terrorisé, sa fille qui caressait un …. Un quoi d’ailleurs ?

 

  • J’ai raté quelque chose ? Où est le guide.
  • Il est sorti, et il vous attend je pense, répondit Anan en désignant Ikari qui attendait dehors.

 

 

          Ils le rejoignirent, il s’était arrêté devant les moulins à prières. Hava se demanda quels souvenirs cela pourrait faire ressortir chez ses parents. Sans lui laisser le temps de poser la question, Ikari lança le deuxième moulin. Comme elle s’y attendait, Hava se sentit partir, mais cette fois-ci, elle ne lutta pas.

 

 

***

Ambrister regardait les montagnes au travers des fenêtres de l’hélicoptère. L’image de son frère lui revint en mémoire. Quand il leregardait dans les yeux, quand il avait chuté. Ambrister avait eu le réflexe de le rattraper. La panique se lisait dans les yeux de Ramsey qui essayait en gesticulant de trouver une prise sur la paroi escarpée pour éviter une chute de plusieurs centaines de mètres qui lui serait fatale. Rapidement à bout de force, Ambrister lâcha sa prise et il regarda son frère tomber. Cette scène restait gravée dans son cerveau.

A chaque fois qu’il y repensait, un sourire se dessinait sur son visage. Ses pensées furent coupées par la voix du pilote dans le casque qu’il portait sur les oreilles.

 

— Nous y sommes monsieur.

 

Effectivement, ils y étaient. Ambrister distinguait très bien Gunther plus bas. L’hélicoptère se posa délicatement dans une plaine. Son chasseur de prime vint lui ouvrir la porte.

 

— Je vous l’avais dit que je la retrouverais.

 

Il jubilait. Pourtant, le visage d’Ambrister ne marquait pas la joie... au contraire.

 

— Vous vous moquez de moi ? Vous m’aviez promis que vous l’auriez attrapé avant mon arrivée. Au lieu de cela, vous m’annonçait hier qu’elle vous a échappé, qu’elle a été aidée par vous ne savez pas qui. Qu’elle et ses amis ont réussi à vous échapper, ainsi qu’à deux de vos hommes… Et vous vous réjouissez de l’avoir retrouvé ? Vous êtes stupide ou idiot ?

—Ni l’un, ni l’autre, répondit Gunther qui avait perdu son sourire. N’oubliez pas qu’il y a trois jours, vous n’aviez aucune piste sur vos élément j’sais pas quoi. Que vous êtes là aujourd’hui, non seulement parce que je vous ai donné une piste, mais qu’en plus j’ai traqué la proie jusqu’à son terrier. Maintenant, si vous voulez l’attraper, il va falloir me donner une rallonge, et aussi me respecter plus.

 

Ambrister n’aimait pas Gunther. Mais il devait bien avouer qu’il n’y avait pas deux traqueurs comme lui. Il le connaissait pour ainsi dire depuis toujours. Il devait approcher la soixantaine aujourd’hui, même s’il en paraissait quinze de moins. Aussi loin que ses souvenirs remontaient, il avait toujours connu le chasseur avec son vieux bandana rouge qu’il portait autour du coup et de son chapeau en cuir. 

Il l’avait fait venir en lui promettant qu’il trouverait l’élémentale à son arrivée. Au lieu de cela, elle s’était échappée et ils avaient perdu sa trace. Il fallait que Gunther se remette à sa tâche, et le plus vite possible.

 

— Je double votre salaire si vous me la retrouvez. 

— Ce sera fait, ne vous inquiétez pas. J’ai mon idée sur l’endroit où elle se terre. Ce qui m’inquiète, c’est qu’elle n’est pas seule. Ceux qui l’ont défendu ne sont pas nombreux, mais ils étaient sacrément doués. 

— Vous avez besoin de plus d’hommes pour l’attraper ?

— Non, ne vous inquiétez pas, j’ai un plan. Vous en disposerez avant la fin de la semaine.

 

[1] Connais-toi toi même

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Herbe Rouge
Posté le 26/05/2021
J'aime beaucoup cette idée des "moulins à souvenirs", c'est très pratique pour faire les flashbacks.
J'aime aussi le fait que ses parents soient désormais avec elle.

Quelques coquilles :
- après avoir mesuré les solutions qu’ils s’offraient à eux --> qui s'offraient
- Ikari s’était arrêté à l’entrée d’une piève --> pièce
- vases en métaux --> vases en métal ?
- Elle devait mesurait plusieurs mètres --> mesurer
- Hava n’en revenait pas de l’avoir si fragile pendant toutes ces années --> je ne comprends pas la phrase ?
- vous m’annonçait hier qu’elle vous a échappé --> m'annoncez
- vos élément --> éléments
- autour du coup --> cou
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