Chapitre 13 : Le procès

Chapitre 13 

Le procès

         La guerrière aux cheveux blancs observait l’aube blanchir les montagnes. C’était depuis toujours son moment préféré de la journée. En compagnie de Sinha, le lion des neiges, et d’Aiko, ils marchaient déjà depuis plusieurs heures. Le voyage touchait enfin à sa fin, après plus d’une centaine de jours de marche. C’était la première fois que les élémentaux seraient à nouveau tous réunis depuis des siècles. Elle ressentait au plus profond de sa chair leurs énergies qui convergeaient les unes vers les autres. 

Elle et ses deux compagnons de route s’engageaient sur un sentier de terre ocre. Chacun de leurs pas soulevait des nuages de poussière, si bien que même la fourrure de Sinha, qui était normalement d’un blanc immaculé, avait pris une couleur rougeâtre. Sa luxuriante crinière, constituée de branches touffues et de feuillage, commençait à s’assécher. Il n’était pas habitué à de telles températures. Les montagnes de l’Atlas étaient beaucoup moins élevées que les siennes, et elles offraient une diversité de paysages impressionnants, mais il y faisait une chaleur étouffante. Il n’était pas habitué non plus à marcher autant, et il avait eu quelques gestes d’humeur pour lui signifier qu’il rentrerait bien dans ses hautes montagnes enneigées, mais la guerrière n’y avait pas prêté attention. 

 

Ce matin-là, absorbée par ses pensées, elle mit quelques secondes avant de s’apercevoir qu’Aiko, son protecteur, venait de chuter. Le bois de ses getas[1] s’était brisé. Ce n’était pas des chaussures conçues pour de si longues marches. Ce ne furent que ses cris qui la rappelèrent à la réalité. Son gardien était assis au sol, à se masser une cheville qui semblait douloureuse. Quand elle le rejoint, Aiko n’osait pas la regarder.

 

— Pardonnez-moi Maitresse. C’était ma dernière paire. C’est un mauvais signe. En plus, je pense que je me suis blessé en tombant. Je n’ai plus de forces. Laissez-moi là, je vais vous retarder. 

— Mais que vas-tu devenir si je te laisse là ? J’oublie parfois que tu n’es qu’un humain. Monte sur le dos de Sinha pour te reposer. Nous y sommes presque, je le sens.

 

Sinha lui lança un regard plein de reproches. Comment pouvait-il porter sur son pelage un vulgaire humain ? Aiko, à l’évidence, pensait la même chose. Il reprit : 

 

— Mais je ne mérite pas un tel honneur, maîtresse. Vous êtes trop bonne. Abandonnez-moi ici.

 

Sinha tourna la tête vers lui d’un air de gratitude : il était tout à fait d’accord. Mais elle ne voulut rien entendre, et elle aida Aiko à monter sur le lion. L’animal était très grand, près de deux mètres au garrot. Sa taille et son allure magistrale faisaient souvent très peur à ceux qui le voyaient pour la première fois, alors qu’il était doux comme un agneau.

 

— Fais juste attention à sa crinière, l’informa-t-elle en souriant. Il déteste quand on lui arrache des feuilles.

 

Sentir l’énergie des autres décuplait la sienne et elle accéléra encore, à tel point que même Sinha avait du mal à la suivre. Ils marchaient depuis une heure environ quand ils croisèrent des inconnus qui se rendaient eux aussi au jugement. Sinha se secoua pour chasser l’intrus : il ne voulait pas qu’on le prenne pour un simple porteur, et il avait déjà été trop bon. Aiko avait réussi à réparer ses getas et il reprit la route en boitillant. La fin du périple approchait. En quelques minutes, le nombre de personnes qui les accompagnaient décupla et ils étaient maintenant plusieurs centaines à converger tous vers la même destination. La guerrière avait mis sa capuche pour se protéger du soleil, mais surtout des curieux. Elle ne voulait pas être reconnue. Quand le soleil fut à son zénith, même s’ils en étaient encore éloignés, ils l’aperçurent enfin : l’Atlantide. Même de si loin, la ville-île était d’une taille impressionnante. L’île centrale était entourée de deux cercles de Terre. Les trois parties étaient reliées par des ponts. Elle compta sept ponts pour accéder au premier cercle, cinq entre le premier et le second cercle et seulement trois entre le second cercle et l’île centrale. L’ensemble ressemblait à un cœur rattaché à la terre par des veines et des artères. Il leur fallut deux heures de plus pour se mêler à la cohue qui patientait pour traverser. 

Malgré tout ce qu’elle avait déjà pu voir au cours de son existence, l’endroit l’impressionnait au plus haut point. Même d’aussi loin, les bâtiments étaient d’une taille disproportionnée, et d’une blancheur immaculée. Ce n’était pas étonnant qu’il ait été choisi comme capitale du monde. En observant la foule, elle repéra beaucoup de peuples différents : des humains, évidemment, ils étaient au cœur du jugement. Mais aussi des Atlantes, reconnaissables à leurs cheveux et yeux violets ; les Éthiopiens, à leur peau noire ; les Patagons, qui venaient de très loin, étaient reconnaissables à leur grande taille et leur peau mate. Ils étaient sûrement venus en bateau avec Fajro. Évidemment, elle ne vit aucun Neuri, le peuple de Dajimi. 

La foule était impressionnante et il fallut presque jouer des coudes pour parvenir à monter sur un des ponts. Mais la présence de Sinha leur permettait de bénéficier d’un peu de tranquillité. Arrivés sur le premier cercle de Terre, appelé Primera, ils traversèrent les quelques centaines de mètres à travers le marché. Le second cercle, Serra, était le lieu de résidence des Atlantes. Les logements étaient fort nombreux et très élevés. Après la traversée des deux cercles extérieurs, la guerrière, Sinha et Aiko se dirigèrent vers le seul pont vide qui menait à l’île centrale. Il était surveillé par trois gardiens atlantes surarmés qui se montrèrent très menaçants quand ils approchèrent.

 

— Ce pont est réservé aux immortels, leur annonça celui qui semblait être le plus gradé des trois d’un ton agressif.

 

Elle enleva sa capuche. Le garde remarqua aussitôt son tatouage lumineux. Il tomba à genoux. Les deux autres en firent autant.

 

— Désolé, pardonnez-moi. Si j’avais su qui vous étiez, je ne vous aurais pas fait l’affront de vous parler ainsi.

— C’est bon, relève-toi, et conduis-nous au maître du palais. Nous avons longuement voyagé et nous aspirons à un peu de repos avant le procès.

— Bien sûr, tout ce que vous désirez. Suivez-moi.

 

Elle avait prononcé cette phrase avec un peu plus d’entrain qu’elle ne l’aurait souhaité, mais revoir les autres la mettait en joie. Le maître des lieux la précéda sur les marches du temple. Plus elle montait, et plus l’impressionnant bâtiment se révélait à elle. Il était long de plusieurs centaines de mètres. Les murs étaient pleins, sans fenêtres. L’ensemble ressemblait à une grosse boite, voire à une énorme tombe. Seules trois portes, qui semblaient ridiculement minuscules, trouaient le mur qu’elle avait face à elle en haut des marches. En s’approchant, ellefut impressionnée par le travail de sculpture du contour des portes. Des centaines d’animaux y étaient si bien représentés qu’on avait l’impression de les voir se mouvoir. Il y avait des serpents, des scorpions, des tarentules… Elle approcha la main pour toucher quand Krypnos se mit à crier.

 

— Ne faites pas ça ! C’est un élevage protecteur. Ils sont là pour protéger l’entrée du palais de toute tentative d’intrusion.

— Ce sont des vrais ? Mais on dirait qu’ils sont en pierre, ils ont de la même couleur que le mur !

— C’est parce qu’ils recouvrent entièrement le bâtiment. 

 

Elle leva la tête. Là où elle pensait qu’il y avait plusieurs centaines de bêtes, il devait y en avoir plusieurs milliers, voire millions. Les murs bougeaient sous les effets combinés des lents déplacements des animaux. Légèrement remise de sa surprise initiale, elle reprit :

 

— Mais comment se fait-il qu’ils soient blancs ? Ces espèces ne sont pas comme ça habituellement.

— C’est parce qu’ils sont sous le contrôle du Grand Tout. 

— Qu’est-ce donc ?

— C’est une machinerie mise en place par mon peuple qui permet de contrôler les animaux. Mais comme vous pouvez le constater, il y a quelques effets secondaires. Le changement de couleur en est un.

— Contrôler les animaux ? demanda-t-elle soudain inquiète.

— Évidemment, tout cela avec l’approbation de Quatalma, il va sans dire.

 

Il avait prononcé cette phrase avec le même sourire faux qu’il avait eu quand il lui avait souhaité la bienvenue. Décidément, cet atlante ne lui plaisait pas du tout. Ils pénétrèrent dans le palais. Krypnos avança par l’allée centrale jusqu’au milieu de la salle. Quatalma, Fajro et Talamh étaient là, assis sur un banc à discuter. Dès qu’ils l’aperçurent, ils se précipitèrent vers elle. C’était si bon de sentir leur chaleur, leur puissance, leur énergie. Ils se retrouvaient comme s’ils s’étaient quittés la veille. 

 

Évidemment, ils n’étaient pas tous au même stade. Les élémentaux étaient immortels, mais leurs existences étaient marquées par des cycles. Leurs corps naissaient, grandissaient, vieillissaient puis disparaissaient comme tous les êtres vivants. Un cycle durait environ cinq-cents ans, et à chaque nouveau cycle, l’élémentale devait tout réapprendre. Elle reconnut facilement Fajro à sa peau mate et à ses cheveux roux incandescents. C’était un jeune garçon portant un pagne en cuir de buffle. Quatalma, elle, ressemblait beaucoup aux atlantes avec sa peau blanche et ses yeux violets. Seuls ses cheveux bleus la différenciaient. Elle portait une robe d’un tissu blanc magnifique. Il y avait aussi Talamh, sous son air de vieil homme ridé aux cheveux châtains. Il portait sa tenue de guerrier avec son armure de cuir et son bâton de combat dont il se servait de canne. 

Tous les quatre passèrent le reste de la soirée à discuter de leur existence. Ils évitèrent longtemps le sujet Dajimi. Ils savaient que même s’ils étaient seuls en apparence, Krypnos avait sans doute prévu un système pour les espionner. Finalement, quand ils eurent épuisé tous les autres thèmes, ils finirent par parler d’elle.

 

— Que pensez-vous qu’il va se passer pour elle ? Finit par demander Quatalma.

— J’espère qu’elle va être sévèrement punie ! s’emporta Fajro. Ce qu’elle a fait est inadmissible. Surtout pour une élémentale ! Nous devons être irréprochables.

— Bien sûr, tu as raison. Mais ne crains-tu pas que cela ne nous retombe dessus ? l’interrompit Quatalma. Si Dajimi est sévèrement punie, qui te dit que nous ne le serons pas aussi ?

— Il n’y a aucune raison… répondit Fajro. Nous, nous n’avons rien à nous reprocher !

— Ils ne peuvent rien contre nous… ajouta-t-elle. Nous sommes trop puissants. Et c’est quand même nous qui avons amené Dajimi ici.

 

La guerrière ne le pensait pas vraiment, mais elle avait besoin de se rassurer. Elle avait le pressentiment, depuis son départ, que ce voyage n’était pas une bonne idée. Les craintes de ses camarades ne la rassuraient pas. Ils discutèrent encore une partie de la nuit avant de se séparer. 

Elle rejoignit son lion des neiges et son protecteur dans une demeure attenante pour une très courte nuit de sommeil. Tous les deux dormaient profondément, et ne se réveillèrent pas quand elle alla se coucher. Seules les oreilles de Sinha firent un mouvement dans sa direction. 

Elle s’endormit rapidement, malgré ses craintes et les bruits de ronflement de Sinha.

 

Le lendemain, elle se réveilla avant le lever du jour, malgré le peu de sommeil et la fatigue du voyage. Cette journée était si importante qu’il ne fallait pas en manquer la moindre minute. Elle regarda Aiko et Sinha, qui ronflaient encore. Sinha avait sa patte nonchalamment posée sur l’épaule d’Aiko. Elle les réveilla sans douceur, puis elle enfila sa cape de voyage. Après quelques hésitations, elle prit son arc et ses flèches et tous les trois se rendirent au temple. Malgré l’heure matinale, l’endroit ne ressemblait plus du tout à celui qu’elle avait quitté tard dans la nuit. La grande place, qui faisait face au temple, était noire de monde. À l’évidence, tout le monde avait conscience que le procès qui allait avoir lieu aujourd’hui revêtait une importance capitale pour l’avenir du monde. Ce qui se jouait aujourd’hui, ce n’était pas seulement le sort de Dajimi, mais celui de tous les immortels.

Ils mirent de longues minutes à se frayer un chemin. Elle n’avait pas enlevé sa cape, elle ne se sentait pas en sécurité et elle craignait la réaction des personnes présentes si son identité était révélée. Enfin à l’intérieur, elle dut se séparer de ses compagnons de route. Sa place était évidemment au premier rang, pas la leur. 

Elle y retrouva les autres élémentaux. Fajro s’était badigeonné le visage de peintures rouges. Il portait un chiton rouge, sans doute trouvé sur place. Quatalma avait revêtu une superbe robe bleue, si resserrée vers le bas qu’elle ressemblait à une sirène. Talamh, lui, n’avait pas pris la peine de se changer. Il portait toujours son armure de cuir. Elle, en dessous de sa cape de voyage, portait un kimono en soie noire, orné de deux dragons de fil d’or sur les épaules.

Une fois installée à sa place, elle scruta la salle. Les sols étaient recouverts de marbres de couleurs toutes plus belles les unes que les autres, les bancs étaient tous taillés d’un seul tenant dans des chênes de la forêt d’Orcynie. Elle devait plisser les yeux pour apercevoir le plafond tant il était haut. 

 

Pourtant immense, elle paraissait trop petite pour contenir tous ceux qui voulaient assister au jugement. Derrière eux, elle repéra les Atlantes, les Patagons, les Éthiopiens ainsi que quelques autres peuples. Toujours pas de neuris. Le reste de la salle était occupé par des humains. Quand elle retourna la tête vers ses camarades, tous étaient tendus. Quatalma pleurait alors que Fajro et Talamh fixaient le sol.

 

Soudain, le brouhaha ambiant baissa pour finalement se transformer en un silence pesant. Tous les regards convergèrent dans la même direction. Quand la guerrière tourna les yeux à son tour, ellel’aperçut : Dajimi. L’accusée s’avançait le long de l’allée centrale entourée de ses gardes, deux centaures, qui lui maintenaient les bras. Ceux à côté de qui elle passait baissaient les yeux de peur de croiser son regard. Elle avait pris l’allure d’une belle jeune femme au regard bleu hypnotisant. Sa longue chevelure rousse se noyait sur une magnifique robe verte. Comme toujours, son allure comptait beaucoup pour elle et elle était d’une beauté inhumaine. Comment se douter qu’un visage aussi pur cachait une âme aussi dure ?

Le temps semblait s’étirer, tant et si bien qu’il fallut une dizaine de minutes au petit groupe pour enfin prendre place sur le banc des accusés. À l’évidence, Dajimi avait savouré ce moment. Le grand maître se leva et se lança dans un long monologue.

 

— Bonjour. C’est avec une énorme tristesse que nous vous avons réunis aujourd’hui pour juger l’élémentale Dajimi. Comme vous le savez, en tant qu’un des élémentaux, elle a un rôle fondamental dans l’équilibre de la vie sur Terre. En effet, si les papillons peuvent voler, si les poissons peuvent nager, si le feu peut réchauffer nos foyers, ou encore si nos moulins peuvent tourner, nous le devons à ces être fabuleux pourvus de fantastiques pouvoirs. Ils en ont toujours fait un usage équilibré… jusqu’à peu. Mais Dajimi, dont le rôle est de maintenir le bien sur Terre a provoqué la chute des cités de Sodome et de Gomorrhe. Elle a aussi provoqué la chute de la dynastie Shang, qu’elle a entrainé dans une dynamique de dépravation et de luxure. Mais ce n’est pas tout, nous vous présenterons au cours de ce procès d’autres exemple de sa malséance. 

 

Dajimi essaya de se lever pour protester, mais elle fut rassise de force par les centaures. Mais le bruit détourna l’attention de Kryptnos qui stoppa son élocution. Il tourna la tête vers elle. Elle lança alors une phrase qui claqua comme un coup de fouet dans la salle.

 

— Pour que le bien existe, il a besoin du mal.

— Mais ce n’est pas à vous de décider de cela ! 

 

Krypnos avait hurlé cette phrase. Il avait à l’évidence perdu toute contenance. Il attendait ce moment depuis des années, et il ne voulait pas qu’il soit gâché, encore moins par Dajimi. Elle le regarda en souriant, et elle lui lança :

 

— Ah bon ? Et à qui donc alors ? À des mortels ?

 

Elle avait lancé cette phrase avec un air de dégoût qui en disait long sur ce qu’elle ressentait à propos de ces espèces. Les élémentaux se regardèrent. À l’évidence, leurs pires craintes étaient avérées : Dajimi était bien coupable de ce qu’on lui reprochait. Elle n’avait pas respecté les devoirs qui étaient les siens, et elle avait profité de ses pouvoirs pour répandre le mal.

 

— Ceux que vous appelez « des mortels » sont des êtres vivants qui méritent autant de respect que vous ! s’emporta Krypnos.

 

Cette fois-ci, Dajimi se leva sans que les deux centaures ne parviennent à la rasseoir. Son regard passa instantanément du bleu au rouge et sa voix changea semblait venir d’outre-tombe :

 

— Comment osez-vous ? Comment pouvez-vous comparer une élémentale, un être sublime, une immortelle à… à des humains ?

 

Comment Dajimi pouvait-elle user de ses pouvoir sans son cristal ? C’était impossible… sauf si elle l’avait avec elle. La guerrière aperçut ce qu’elle craignait, cachait dans l’épaisse chevelure de Dajimi : le diadème ! Les élémentaux avaient chacun des pouvoirs fantastiques, mais ils étaient si puissants qu’ils avaient besoin d’un canaliseur pour pouvoir être maitrisés. C’était un cristal si pur qu’il pouvait emmagasiner leur énergie, la concentrer et la rendre maitrisable. Les élémentaux n’étaient presque que des êtres ordinaires sans eux. 

Elle allait se lever pour s’emparer de son diadème quand du bruit parvint du fond de la salle : des humains hurlaient et cherchaient à fuir. Les élémentaux se regardèrent : il fallait prendre les choses en main. Fajro et elle se levèrent et se précipitèrent vers le fond de la salle pour connaitre la raison de cette panique. Quatalma et Talamh s’occuperaient de Dajimi. Fajro se débarrassa de son chiton avec soulagement et se retrouva dans un pagne beaucoup plus confortable pour combattre. Il sortit Tineclaion, son glaive, et elle se saisit de son arc. Ils comprirent rapidement la raison de ce chaos : une gorgone était dans l’embrassure d’une des trois portes. La furie était facilement reconnaissable à sa chevelure constituée de serpents sauvages. Elle pétrifiait tous ceux qui avaient le malheur de croiser son regard. Il y avait déjà plus d’une vingtaine de nouvelles statues en pierre. 

Elle tira une volée de flèches sur la gorgone, mais cela n’eut aucun effet sur elle. Les pointes rebondissaient sur sa peau qui était dur comme de la pierre. Elle attrapa Fajro par l’épaule et ils se retournèrent au moment où la gorgone tournait la tête vers eux. Ils évitèrent son regard de justesse. Ils allèrent se cacher derrière une grande colonne de marbre. Elle ignorait ce qu’il se produirait si la gorgone croisait leurs regards, mais elle n’avait aucune envie de le découvrir. Fajro, à l’évidence, avait les mêmes craintes :

 

— Qu’est-ce qu’on fait ? Je n’ai pas envie de me retrouver en statue décorative dans un jardin.

 

La guerrière cherchait une idée car ce n’était pas à son programme non plus. Au loin, Quatalma et Talamh se battaient contre Dajimi qui avait réussi à mettre les centaures au sol. Elle avait planifié tout cela pour pouvoir s’évader. Tous les quatre ne pouvaient pas la laisser faire. Toujours adossés à la colonne, elle balayait la salle du regard. Enfin, une solution lui apparue. Elle s’écarta de la colonne, en prenant soin de tourner le dos à la gorgone. Elle se saisit d’un voilage décoratif qui pendait du plafond et elle tira dessus le plus fort possible pour le décrocher.

 

— Tu crois que c’est le moment de refaire la déco ? lui demanda Fajro quand elle revint à ses côtés.

— Tu connais très bien mon sens des priorités je vois.

 

Fajro n’étant qu’au début de son cycle, il manquait de maturité et elle devait prendre les choses en main. Elle accrocha le voilage à une de ses flèches, et se mit à viser le mur juste derrière la gorgone qui continuait son massacre. Même les atlantes et les autres peuples finissaient pétrifiés sous son regard. 

 

— Euh, ce n’est pas moi, le spécialiste, mais à mon avis tu ne vas pas la toucher là… lui murmura Fajro à l’oreille.

— C’est l’idée, se contenta-t-elle de répondre.

 

Elle tira. La flèche passa au-dessus de la gorgone et se planta dans le mur derrière elle. Le voile la recouvrit et pendant un instant, rien ne se passa. 

 

Elle avait peur que son plan n’ait pas fonctionné. Mais soudain, les animaux gardiens qui occupaient les murs changèrent de couleur, comme s’ils se réveillaient. Ils se mirent à converger rapidement le long de la flèche puis le long du voile jusqu’à la gorgone. Elle fut rapidement recouverte de plusieurs milliers de serpents, tarentules et scorpions. Ils formèrent sur elle un mont de plusieurs mètres de hauteur. Il y eut ensuite un cri perçant provenant de l’intérieur de l’amas et tout redevint immobile. Les animaux reprirent leur couleur blanchâtre et ils retournèrent lentement sur les murs.

 

Fajro et elle se précipitèrent alors à l’autre bout de la salle, leur combat n’était pas fini. Il fallait maintenant maitriser Dajimi. L’élémentale avait pris le dessus sur la plupart de ses adversaires. Il ne restait face à elle que Quatalma qui lui faisait face avec son trident pointé en avant et Talamh qui faisait tournoyer son bâton de combat. Les autres spectateurs se tenaient le plus éloigné possible du combat. Elle remarqua Krypnos qui se cachait derrière une colonne, très loin derrière les autres atlantes.

Même à quatre contre une, le combat restait équilibré, Dajimi étant au plus fort de sa puissance. Soudain, elle entendit une voix à l’intérieur de son esprit. C’était Quatalma qui s’adressait aux trois élémentaux.

 

« Nous allons l’attaquer à trois en même temps, pour détourner son intention. Toi ; c’était à elleque l’atlante s’adressait ; à ce moment-là vise son diadème… »

 

Fajro, Talamh et elle confirmèrent d’un discret geste de la tête. Mais Dajimi lança une attaque sur Quatalma qui chuta lourdement au sol. Dajimi prépara une autre attaque quand elle reçut une flèche dans l’épaule. La guerrière savait que la déesse sombre ne pouvait pas attaquer et se défendre en même temps et elle avait essayé de profiter de ce moment de distraction. Malheureusement, elle n’était pas parvenue à toucher sa cible. La flèche qu’elle avait reçue ne lui fit pas plus d’effet qu’une piqure de moustique. Toujours au sol, Quatalma commença son décompte.

 

« Un »

 

Talamh se mit entre elle et Dajimi en faisant tournoyer son bâton. Il enchainait ce mouvement avec des attaques arme tendue en avant avec une rapidité impressionnante, mais cela ne servait qu’à garder son ennemi à distance. Quatalma lui lança une attaque en forme d’éclair qui le mit au sol lui aussi. 

 

« Deux »

 

Dajimi venait de se tourner vers elle. A l’évidence, elle était la prochaine sur sa liste. Elle se rapprochait, les bras levés, préparant sa prochaine attaque. Toutes les deux se faisaient face. Elle se tenait prête à tirer une flèche dès qu’une opportunité se présenterait.  

 

« Trois »

 

Les choses se précipitèrent : comme si Dajimi aussi entendu le décompte, elle lança son attaque en même temps qu’elle tira sa flèche. Malheureusement, les deux attaques touchèrent Aiko qui s’était jeté pour protéger sa maitresse. Elle le regarda chuter lourdement au sol et elle se précipita vers lui. Il était mort sur le coup. Elle le tenait toujours dans les bras quand une ombre l’entoura. Dajimi s’était approchée d’elle et était de nouveau en position d’attaque. Talamh et Quatalma étaient toujours au sol et elle n’était pas en position de se défendre. Elle ferma les yeux pour se préparer à encaisser. 

Mais rien ne se passa, elle rouvrit les yeux. Dajimi était immobile, la bouche ouverte et les yeux grands ouverts. Derrière elle, Fajro souriait de toutes ses dents en regardant derrière elleElle se retourna et aperçut Tineclaion plantait dans une colonne, le diadème de Dajimi posé dessus. Le jeune élémentale avait profité de la distraction provoquait par la mort d’Aiko pour lancer son glaive sur le glaive de Dajimi avec une grande précision. Talamh s’était relevé péniblement et il tenait fermement son ennemie par les bras. Sans son diadème, Dajimi grimaçait de la douleur provoquée par la prise du sage.

Quatalma se releva à son tour et alla chercher le glaive et le diadème. Elle tendit l’arme à Fajro et le diadème à Krypnos qui venait à leur rencontre maintenant que tous dangers étaient écartés. Il était furieux, il hurlait des ordres à tous ceux qui l’entouraient. Il fallut plus d’une heure pour que les choses reprirent un semblant de normalité dans la salle. Plusieurs personnes avaient proposé de remettre le procès au lendemain, mais Krypnos avait rejeté la proposition d’un revers de main, il ne voulait pas laisser à Dajimi une autre possibilité de mettre en place un plan.

 

Le procès reprit donc dans l’après-midi là où il s’était arrêté. Krypnos, toujours aussi furieux se transforma en juge et parti.

 

— Voyez ! Voyez où nous mène la puissance quand elle n’est pas maitrisée et contrôlée. Ce qu’il s’est passé ce matin est très grave. Ça nous prouve, s’il était encore nécessaire, qu’il est insensé de laisser les élémentaux en liberté. Il y a eu trente-huit morts aujourd’hui… Trente-huit personnes de plus tuées par des êtres puissants devant normalement nous protéger. 

 

La guerrière ne comprenait pas pourquoi Krypnos la mettait, elle, Fajro, Quatalma et Talamh dans le même discours que Dajimi. Dans son dos, elle entendait pourtant le public approuver. Dajimi avait les yeux dans le vide. Si ce n’était pas elle qui était jugée, on aurait pu penser qu’elle se demandait ce qu’elle faisait là. Krypnos continua sa diatribe contre elle et les autres élémentaux pendant un long moment. Plusieurs fois, Fajro tenta d’intervenir pour les défendre, mais Krypnos ne fit pas attention à lui.

 

— Maintenant que votre culpabilité ne fait plus de doutes, nous allons énoncer les sanctions. Avec le conseil des sages, nous avons longuement discuté avant aujourd’hui. Et votre comportement nous prouve que nous acon pris la bonne décision. Dajimi, la sanction pour vos crimes devrait être la peine de mort. Malheureusement, vous êtes immortelle. C’est pourquoi vous serez enfermée pour l’éternité dans une prison que nous avons mis au point avec nos plus grands savants. Elle se situe à l’autre bout du monde, dans un endroit qui sera tenu secret de tous afin d’éviter toute tentation de vos serviteurs de vous libérer. Les élémentaux ont contribué à la rendre impénétrable afin que vous laissiez l’humanité en paix.

 

Elle comprit pourquoi on lui avait demandé d’enfermer un vent violent dans un vase. C’était pour contribuer à protéger ce lieu inconnu de tous. Mais la guerrière ne comprit pas pourquoi les sanctions furent données aussi vite, sans que Dajimi n’ai pu se défendre, ou dire quoi que ce soit. Ce procès était tronqué et truqué. Ce n’était qu’une mascarade pour enfermer Dajimi à jamais et son comportement n’avait fait qu’accélérer les choses.

 

Ce procès, que tout le monde avait attendu depuis des mois, voire des années, n’allait prendre qu’une journée. Elle pensa à son long périple, au sacrifice d’Aiko. Tout cela pour une mascarade qui n’avait finalement duré que quelques minutes… Dajimi fut raccompagné par les mêmes centaures, sortis de leur torpeur. Quand ils eurent quitté le temple, les gens se remirent à parler. Certains commençaient même à quitter les lieux. Mais la plupart restaient à leurs places. Ils ne pouvaient pas imaginer que c’était déjà fini. La guerrière était perdue dans ses pensées quand une phrase que Krypnos prononça la sortie de sa torpeur :

 

— Maintenant que cette partie-là est réglée, Parlons des autres…

 

 

Que voulait-il dire ? Elle tourna les yeux vers ses Fajro qui avait l’air aussi surpris qu’elle. Talamh posa sa main ridée pour sur sa cuisse, comme pour lui signifier de ne pas intervenir. Par contre, Quatalma n’avait pas l’air surprise. Elle baissait la tête, mais elle eut l’impression que c’était plus pour ne pas affronter le regard des autres élémentaux que pour affronter ce qu’allait dire Krypnos.

 

— Le sort de Dajimi n’est pas la seule décision que les sages et moi avons prise. 

 

Décidemment, le ton qu’il avait ne lui plaisait pas du tout. Krypnos se retourna vers les élémentaux et il les observa attentivement un à un. 

 

— Même si vous êtes une chance pour nous, le comportement de Dajimi a montré que vous pouviez aussi représenter un danger pour l’humanité toute entière. C’est pourquoi nous avons décidé que vous aussi deviez être enfermés pour éternité et être séparés des humains. Évidemment, vos conditions de détention n’auront rien à voir avec celles réservées à Dajimi. Vous allez pouvoir retourner dans vos sanctuaires avec vos peuples, mais vous n’aurez plus le droit d’en sortir, jamais…

 

Les quatre élémentaux se regardèrent. C’était si injuste… Mais ils comprirent cette décision et ils l’acceptèrent. C’était ce qu’il y avait de mieux pour tout le monde. 

La guerrière resta dans la cité de l’Atlantide en compagnie des autres élémentaux. Elle savait que ce serait la dernière fois qu’elle les verrait. Après quelques jours, la ville s’était vidée de ses visiteurs. Ils étaient les derniers étrangers encore présents. Quand vint le moment du départ, Fajro, Talamh et elle furent accompagnés dans leurs sanctuaires par des dizaines d’atlantes dont le rôle était de mettre des protections en place. Quatalma était restée à Atlantide, la ville de son peuple.

Quand ils eurent tous quittés les ponts, la Terre se mirent à trembler. Ils se retournèrent : les ponts se détruisaient. Les sept disparurent en quelques secondes, si bien que la ville-île se retrouva isolée. Puis quelques secondes après les ponts, c’est les deux cercles et l’île centrale qui se mirent à trembler, puis à disparaitre sous les flots. Si bien que quand les élémentaux reprirent la route, l’Atlantide n’était déjà plus qu’une légende.

 

[1] Chaussures en bois.

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Herbe Rouge
Posté le 02/06/2021
J'ai moins aimé ce chapitre.
Peut-être en partie parce tous ces flashbacks, ça fait un peu beaucoup, surtout les uns après les autres comme ça. Surtout que c'est à la toute fin que l'on comprend l'utilité du chapitre.
Ou alors c'est peut-être aussi le fait d'utiliser "elle" en italique tout du long.
Cela m'a énormément agacée (c'est un avis purement personnel, peut-être que d'autres apprécieront, à voir sur d'autres commentaires ?).
touratiy
Posté le 02/06/2021
Je comprends, je vais le retravailler en modifiant ça. Quand je l'ai écrit, c'était le tout premier chapitre, et je voulais garder le suspens. Dans cette structure, je peux effectivement l'appeler Hava sans que cela ne change quelque chose. Les derniers chapitres sont bruts, je ne les ai pas encore relu ni retravaillés, il risque d'y avoir plus d'erreur... désolé pour cela

encore merci pour tes retours
Herbe Rouge
Posté le 02/06/2021
Mon avis perso, c'est que j'aurais vraiment préféré qu'elle soit appelée Hava dans ce chapitre !! ;)
Mais ce n'est qu'un avis perso, donc n'hésite pas à attendre d'autres avis si tu as un doute :)
Les derniers chapitres sont souvent les moins relus/retravaillés, je connais ça aussi, ce n'est pas vraiment pas un soucis, inutile de t'excuser ! :D
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