Chapitre 12 : la gladiatrice et la chevaleresse (1/2)

Dix était venue la sortir du lit. La scène de la nuit dernière ne cessait de la tourmenter. Elle se revoyait au sol, lui léchant les bottes comme un bon petit chien. L'image la répugnait.

Cera ne voulait plus voir Priam. Il l'avait averti pourtant mais elle ne l'avait pas écouté.

Je dois me méfier de toi ?

Surtout de moi.

L'héritier avait endormi sa méfiance en l'invitant à dormir dans sa chambre. Elle avait bêtement cru qu'il cherchait réellement à la protéger... La chasseuse avait été si naïve de le penser. Priam n'était pas différent des autres. Il cherchait lui aussi à dominer les femmes, à les blesser. Plus que le corps, son cœur avait été écorché à vif.

-Tu vas faire la tête encore longtemps ?

La chasseuse souffla, épuisée. Elle retira les croûtes qui lui collaient les yeux et examina son apparence dans le miroir. Cera fut horrifiée de voir une jeune femme aux yeux gonflés et rouges, et aux cheveux hirsutes. La nuit ne l'avait visiblement pas épargnée.

– Avec cette apparence, t'es bonne à enfermer dans une institution.

Elle parlait d'enfermement comme si elle n'était pas elle-même prisonnière. Dix était décidément une étrange créature aux yeux de Cera. Cette dernière la laissa lui tirer les cheveux pour les remettre en ordre, lui passer de la glace sur les yeux pour les dégonfler, et rehausser son teint avec du maquillage. Pendant qu'elle jouait à la poupée, la brune pensa à ce qu'elle comptait faire.

Elle avait bien envie de confronter Priam. Il avait été si plaisant en début de soirée avant de rejoindre cette étrange cérémonie de dressage, comme ils l'appelaient. Le Banquet des Dieux, une appellation curieuse pour des hommes qui n'en portaient pas le nom. Cera les considérait davantage comme des créatures maléfiques.

– J'ai entendu des rumeurs sur le banquet... C'est aussi chic qu'on le dit ?

– Même si je te disais que c'est un taudis croulant de toiles d'araignée, tu ne me croirais pas, répliqua Cera, le regard vissé sur son costume.

La nouvelle robe avait disparu du portant.

– Qu'est-ce que tu as fait du nouveau costume ?

– Le Maître m'a demandée de la jeter.

Priam lui aura accordée au moins une chose après lui avoir enlevée sa dignité. Quelques heures s'étaient écoulées depuis et pourtant, elle avait toujours cet étrange goût sur la langue. Son corps tenait décidément à lui rappeler cette humiliante soirée. Cera serra les poings le long de ses cuisses.

– Détends-toi, je n'arrive pas à appliquer le fard à paupières.

La jeune femme grogna avant de fermer les yeux. Les mouvements du pinceau sur ses paupières eurent le mérite de la calmer. Un petit peu de douceur dans ce monde de brute... Ce moment de tranquillité fut cependant de courte durée. Une conversation suffit à rougit ses joues de colère :

– ...lécher les pieds.

Une personne normale n'aurait jamais entendu cette discussion d'aussi loin mais Cera avait grandi dans des conditions qui l'éloignaient de l'ordinaire. Le milieu hostile avait développé ses sens au-delà de la simple perception humaine. Elle se pencha légèrement en arrière pour regarder un groupe de concurrentes chuchoter à quelques mètres de son box.

La jeune femme serra les poings. Elle était presque certaine qu'elles parlaient d'elle. Cera souffla, essayant tant bien que mal d'ignorer les mots échangés. Elle n'interviendrait pas. A quoi bon ? Le mal était dit.

Dix l'aida à enfiler sa tenue. Elle attacha sa cuirasse, la respiration contenue quand elle serra, puis grimaça en sentant la pression sur son crâne.

– Le nœud est trop serré, geignit-elle en portant la main à ses cheveux.

– Ne ruine pas mon travail, s'il-te-plaît ! Supplia sa collègue, les doigts autour de son bras.

– Fais quelque chose parce que j'ai l'impression que mes cheveux vont bientôt me fuir la tête.

– Pire qu'un bébé, commenta Dix en retirant l'instrument de torture.

Cera souffla de soulagement. Elle avait bien cru devoir endurer ce calvaire pendant tout le reste de la soirée. Ses yeux fixèrent un instant son reflet. La tristesse avait quitté ses yeux. Son allure négligé avait été mise au placard. La femme triste était devenue guerrière. Sous ce maquillage, elle était presque difficile à reconnaître.

– Je me surpasse à chaque fois, se félicita Dix devant le résultat.

La chasseuse n'y trouva rien à redire. Elle était plutôt jolie, mais elle ne se sentait pas elle-même. Cette personne dans le miroir, ce n'était pas elle. Ce monde la changeait. A nouveau, sa vie d'avant lui manqua. Et la réalité se rappela doucement à elle quand elle entendit une corne de brume.

Il était l'heure de monter sur scène.


 

*


 

La peur lui tordit le ventre, émotion inévitable lorsque l'on était invité à entrer dans la fosse. Cera ne parviendrait jamais à s'y faire. Elle passa sa main sur sa poitrine, tentant de tempérer l'organe qui y résidait. Son regard glissa jusqu'aux silhouettes alignées les unes à côté des autres, tandis qu'Eric Crow présentait face à elles.

Ses adversaires paraissaient si calme par rapport à elle. Elle souffla, loin d'être calme. Son visage, neutre de toute expression, s'opposait au sourire d'autres. Comment faisaient-elles ? Pour Cera, les réactions de ces jeunes femmes restaient un véritable mystère. Appréciant-elles, comme Niké, de se livrer dans des duels mortels ?

Son attention revint au présentateur quand il s'arrêta à un mètre d'elle, l'objet volant à ses côtés.

– Treize de la Maison Emrys ! Comment vous sentez-vous aujourd'hui ? Une stratégie spécifique en tête ?

La brune avait en visuel ses dents blanches et son sourire étincelant. L'homme pouvait se permettre de se montrer enthousiasme : il ne risquait pas sa peau à chaque instant de sa vie. Il n'était pas emprisonné dans la servitude. Il n'avait pas besoin de se battre.

-Survivre. C'est ça, ma stratégie.

Autour d'elle, des rires. D'hommes. De femmes. Tous sexes confondus. Cera rougit et serra les poings. Ces réactions firent échos aux moqueries endurées quelques heures plus tôt.

Humiliée, sans être découragée, elle releva bravement la tête. La chasseuse devait s'y faire à ces réactions. Ce monde était bien trop mauvais pour qu'elle ne relève chacun des commentaires désobligeants à son encontre.

Son regard chercha la silhouette de son maître sur le balcon le plus haut. Riait-il lui aussi ? Une flûte de champagne à la main, l'homme observait la scène en contrebas sans une once d'expression sur le visage. Il était complètement désintéressé par le spectacle et Cera en fut étrangement soulagée. Elle le vit discuter avec le même jeune homme qu'à la soirée. Elle fronça les sourcils en voyant la proximité entre les deux. Priam trouvait-il son vis-à-vis attirant ?

La brune analysa l'inconnu. Sa silhouette longiligne était accentuée par un costume bleu. Ses cheveux blonds étaient coupés courts, rendant son visage sévère et sa mâchoire encore plus carré. Il n'était pas désagréable à regarder, reconnut Cera avec mauvaise foi. Elle n'aimait pas beaucoup ce qu'elle voyait. Qu'est-ce qu'il pouvait bien manigancer cette fois-ci...

Les jeunes femmes furent invitées à quitter l'arène le temps du tirage au sort. Dix lui remit de la poudre tandis que la chasseuse suivit le manège du présentateur. Eric Crow avait la main plongée dans une sphère transparente, dans laquelle des boules colorées virevoltaient, poussées par l'air. Les noms de chacune des Maisons y étaient enfermés.

Les Baltimore furent annoncés, suivi d'une autre Maison dont le nom n'évoquait rien à Cera. Cette dernière observa son amie sourire face à la nouvelle : son combat ne devrait pas durer trop longtemps.

La brune attendit, patiemment, son tour. Ses ongles s'accrochèrent à son costume. L'attente la rendait nerveuse. Tuer ou être tuer. C'était la loi de la fosse.

« La Maison Emrys devra affronter... la Maison KIRSTEEIN ! QUEL INCROYABLE HASARD ! »

Elle serra les poings. Cera n'arrivait pas à y croire. Elle allait affronter Niké, la reine de l'arène. Elle se mordit la lèvre, nerveuse. Ses jambes tressautèrent d'elles-mêmes. Dix siffla devant son état :

– Pas besoin de se mettre dans cet état. C'est juste La lionne de l'arène...

Tais-toi, s'il-te-plaît, grogna la chasseuse en fermant les yeux.

Elle n'avait pas d'arme pour se défendre contre cette redoutable guerrière. Ses chances de gagner étaient pratiquement nulles. Elle voulut se gratter les paupières, presque machinalement, mais une tape sur sa main l'en dissuada.

– Si tu ne veux pas ressembler à un panda, retire tout de suite ta main de là, prévint Dix.

– Comment je vais faire... se lamenta Cera en se regardant dans le miroir.

Elle avait bien regardé des vidéos de ses combats, sans pour autant s'y attarder plus que ça. Son armure dorée et sa grande beauté étaient bien les seules choses qu'elle avait retenues de sa personne.

Les lâches ne méritent pas de vivre.

Cera souffla puis releva la tête quand elle entendit la foule hurler. Althéa était descendue dans la fosse. La chasseuse quitta l'écran des yeux pour rencontrer sa propre réflexion. Son regard scintillait de détresse. Elle posa une main sur son cœur afin d'en refréner les battements nerveux. La chasseuse devait garder les idées claires, et son calme. Rester calme. Elle prit une profonde inspiration avant de tout expirer.

Niké n'était pas imbattable. Elle contrôlait peut-être la fosse, mais tout règne avait une fin. Elle devait y croire.

– Vous êtes les dernières à passer, l'informa Dix.

– Le grand show final, répliqua la brune, sarcastique.

– Les paris vont atteindre des records !

Les yeux brillants, Dix lui raconta la dernière fois qu'un combat d'une telle envergure s'était produit.

« C'est arrivé quand Ultia est devenue Niké. Je me souviens de ce jour comme si c'était hier. J'avais accompagné le Maître lors de l'une de ses venues. Il n'avait pas encore de lionne à l'époque... Enfin bref, je m'égare.

Ultia, une jeune lionne qui commençait à faire ses preuves, avait été sélectionnée pour affronter Silver, la reine de la fosse. Elle était incroyable cette femme, t'aurais dû la voir ! Ses cheveux argentés défiaient les lois du naturel... »

– Concentre-toi, Dix.

« Les deux femmes étaient armées d'une longue épée. Le combat a duré une dizaine de minutes avant qu'Ultia ne vienne porter le coup final. Elle lui a tranchée la tête d'un geste net et précis. Le spectacle était grandiose.

Depuis ce combat, la Maison Kirsteein est au sommet. L'argent des paris a rempli leurs poches. »

Cera avala nerveusement sa salive. Niké avait tranché la tête de sa concurrente. Un récit plutôt glaçant à entendre, surtout quand on était peut-être la prochaine sur la liste. Elle tritura son collier : lui serait-il d'une quelconque protection contre la lame de la lionne ? Lors de sa toute première épreuve, elle avait été sauvée par un brassard. Sa bonne étoile pouvait bien réaliser un miracle de plus.

– Il vaut mieux y laisser les doigts que la tête, conseilla la jeune femme.

– Tu ne t'es jamais battue.

– Peut-être pas mais j'ai vu tout ce qu'il y a à voir. Cette femme, tu ne dois jamais la quitter des yeux.

– Merci, je ne serais jamais arrivée à cette conclusion par moi-même, commenta la guerrière tandis que la corne de brume résonna une nouvelle fois dans l'arène.

La victoire d'Althéa avait presque été préméditée. Son sourire triomphant était issu du sang et de la mort. Des taches sombres recouvraient ses vêtements. Des flaques vermillons encadraient ses pas. Cera détourna le regard quand la caméra s'intéressa à la dépouille. Leur intérêt pour ce genre de spectacle était vraiment morbide.

La jeune femme souffla. L'heure du combat approchait. Elle devait absolument rester concentrée.

– Nerveuse ? Demanda une voix dans son dos.

Cera se figea en croisant son regard dans le miroir. Niké était là, dans sa magnifique armure dorée. Impénétrable. Comment pouvait-elle se mesurer à ça ? La brune se détourna du reflet pour lui faire face. Elle entendit Dix soupirer bruyamment avant de s'éloigner. La lâcheuse... pensa la chasseuse sans détourner une seule fois les yeux.

– Qu'est-ce que tu viens faire ici ?

– Je viens prendre des nouvelles de ma rivale, et de ma collègue de travail.

– Nous ne sommes pas collègues.

– Nous participons toutes à ce spectacle. Je nous considère un peu comme une grande famille, déclara la belle blonde d'un ton taquin.

– Tu as une drôle de vision de la famille.

Un long silence en découla. Niké la rendait vraiment mal à l'aise. Quelque chose chez elle la gênait, elle ne saurait cependant le nommer.

– Que la meilleure gagne, déclara-t-elle avant de s'éclipser.

La tension s'évanouit. Le corps de Cera se liquéfia suite à cette rencontre. Niké était vraiment impressionnante. Son charisme obligeait ses interlocuteurs à se tenir droit et à l'écouter du début à la fin. Elle sentit Dix revenir près d'elle.

– Court mais intense comme échange... Tu la trouves jolie ?

– Qui ne la trouverait pas jolie ? Rétorqua la brune en ajustant son brassard.

– Tu te sens attirée par elle ? Reformula sa collègue.

– Qu'est-ce que tu t'imagines encore ? Bien sûr que non !

Où voulait-elle en venir ? La chasseuse ne ressentait rien de ce qu'elle insinuait. La seule personne qui parvenait à lui faire ressentir un semblant d'inhabituel était aussi celle qui tourmentait son existence. Cera préféra ne pas y penser. Son mystérieux regard argenté ne devait pas la détourner de ce qui l'attendait.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez