Elle se leva finalement et rejoignit l'immense porte en bois. L'usure du métal n'était qu'une illusion venant parfaire le décor grecque de l'endroit. Cera souffla, le regard rivé droit devant elle. Elle s'étira les membres, sautilla plusieurs fois sur place comme un boxer qui s'apprêtait à monter sur le ring, puis elle ajusta sa plaque de protection.
La voix du présentateur s'éleva de l'autre côté de la porte. La foule excitée encouragea le lancement du prochain combat. Un grincement. Puis la lumière du soleil qui dévoila peu à peu la jeune femme. Cette dernière rejoignit le centre de l'arène où étaient disposées la vitrine d'armes. Elle savait qu'elle n'y aurait pas le droit mais elle était obligée d'assister au choix de sa concurrente.
A quelques pas d'elle, l'armure de Niké éblouissait tout ceux qui avaient le malheur de poser les yeux sur elle. Eric Crow invita la « reine » à sélectionner l'outil qui servirait à la détruire. La brune attendit, les poings serrés.
La jolie blonde prit plaisir à faire durer le suspens : elle déambula quelques minutes devant les lames, essayant certaines d'entre elles, avant de les reposer. Elle choisit finalement une longue épée au tranchant aiguisé. Cera sentit son cœur s'emballer.
Elle lui a tranchée la tête.
Sa gorge se serra. Elle vit la guerrière s'approcher du présentateur et lui prendre son micro. Sa voix résonna dans toute l'arène :
– Je veux un combat juste et équitable. J'autorise donc Treize de la Maison Emrys à prendre une arme.
Eric Crow sembla déconcerté dans un premier temps avant de relancer le public :
– Dans sa grandeur d'âme, la Reine de la fosse permet à sa concurrente, la jeune Treize, à prendre les armes !
Des applaudissements et des encouragements fleurirent tout autour de l'arène. Cera, elle, s'avança vers la vitrine. En temps normal, elle n'aurait jamais accepté la clémence d'une adversaire. Sa fierté de chasseuse l'en aurait empêché. Seulement, cette fois, sa vie était en jeu. Elle ne pouvait pas sous-estimé Niké.
La jeune femme réfléchit longuement à ce qui serait le plus approprié dans sa situation. Elle n'avait pas l'habitude de manier de longues lames comme la blonde, et les poignards n'auraient aucun impact sur son armure. Son regard s'accrocha à une surface circulaire. Elle s'en saisit pour en étudier le poids. Le bouclier en bronze était plutôt lourd mais suffisamment épais pour résister à une épée.
– Le combat entre notre chevaleresse préférée et la jolie gladiatrice promet d'être épique !
Les vitrines furent enlevées. Cera se retrouva rapidement seule face à son adversaire. Elle n'entendit qu'à moitié les encouragements du public, bien trop obnubilée par l'autre guerrière. Elle ne pouvait pas la lâcher du regard. Tout se jouait ici et maintenant.
Le premier coup provoqua des secousses dans tout son corps. Cera serra les dents. Recroquevillée derrière son bouclier, la brune avisa sa position. La chevaleresse s'apprêtait à abattre son épée une nouvelle fois. Sa victime banda les muscles avant de resserrer sa prise sur son seul sursis. Ses membres tremblèrent sous l'effort. La sueur commençait déjà à s'accumuler sur son front et sur sa nuque.
Maintenir le blindage de cuir au-dessus de sa tête lui demandait énormément d'énergie. Son genou droit, quant à lui, souffrait de la morsure du sable. Il allait être difficile de tenir dans ses conditions.
Au troisième coup, elle repoussa l'épée et sa propriétaire en un cri de rage. Cera vit la guerrière reculer, et elle bloqua sa riposte. Nouvelle vibration. Elle prit une grande inspiration tout en observant son adversaire. Cette dernière avait l'audace de sourire. Son visage parvint davantage à la mettre en rogne. Elle tenta d'éloigner la lame à nouveau mais la force de Niké l'en empêcha.
La brune avait l'impression de combattre un mur. Inébranlable. Imbattable. Il ne lui restait qu'une alternative pour qu'elle survive : la fuite. Cera rejoignit les murs de l'arène, seul endroit protégé par les assauts du soleil. Elle profita de ce bref répit pour s'essuyer le visage et se maudit face à ses mains moites de sueur. Sa prise sur le bouclier pouvait se relâcher à tout moment.
Elle vérifia la distance la séparant de la blonde avant de poser son bouclier et de s'essuyer les mains sur sa plaque de cuivre. Le ridicule de la situation n'échappa pas à Eric Crow qui se nourrit de l'ambiance générale pour dire :
« On dirait que notre belle gladiatrice rencontre un petit problème technique... Y aurait-il quelqu'un prêt à l'aider ?
OH ! Attendez... Niké de la Maison Kirsteein est en route ! Et on dirait qu'elle apporte avec elle la solution... »
Les traits de son adversaire s'étaient durcis. Cera reprit son bouclier. Sa peau était toujours aussi moite et son cœur, lui, tambourinait toujours aussi violemment dans sa poitrine. Elle avait peur. Elle était terrifiée à l'idée de mourir.
Son premier jour ici, elle avait été dans une situation similaire. Elle se souvint de la jeune China, de sa fougue, mais aussi de sa panique quand elle comprit son erreur. Être dos au mur pouvait tout aussi bien se transformer en allié qu'en ennemi.
Niké sembla comprendre où elle venait en venir puisqu'elle resta à une distance raisonnable du mur. Sa lame ne viendrait pas s'émousser contre la pierre.
– Arrête de fuir et affronte-moi, déclara-t-elle, le mine sombre.
Cera eut du mal à soutenir son regard. Le soleil se reflétait si fort contre son armure qu'elle en devenait similaire à l'astre. Son adversaire prit son attitude pour de la peur, et cette vision la plongea dans une colère noire. La brune eut tout juste le temps de relever son bouclier pour bloquer l'attaque. Elle grogna sous la force du coup.
La chasseuse relâcha légèrement sa garde pour donner un coup de pied dans son tibia. Ses caligaes n'eurent pas l'impact escompté contre son armure. Elle gémit en sentant la lame entamer son flanc. Cera glissa maladroitement sur le côté et gémit en sentant sa plaque appuyer sur la plaie. La brune releva son bouclier pour contrer l'assaut.
Elle ne survivrait pas aujourd'hui, pensa-t-elle en sentant ses bras trembler. Tous les entraînement du monde ne l'aurait pas préparé à cet affrontement. Elle était une chasseuse, pas une guerrière.
La brune repoussa l'épée et utilisa la surface externe du bouclier pour frapper son bras. Quand elle vit la lame tombée, Cera y vit sa chance.
Elle sauta sur la chevaleresse qui s'effondra sous son poids. La chasseuse serra sa main autour de sa gorge, le seul endroit accessible. A califourchon sur la femme, elle put enfin voir la sueur perlant son visage. Cera ne vit pas, cependant, le bras se glisser jusqu'à sa tête. Elle gémit en sentant la main tirer sur ses cheveux. Ses doigts se retirèrent et leur position s'inversa.
Tandis que la prise de Niké se referma sur sa gorge, son regard se perdit dans l'immensité du ciel. Sa salive s'accumulant, la gladiatrice n'entendit plus rien d'autre que son cœur s'élever dans sa poitrine. Elle était en train de mourir.
Les mains crispées sur le sable fin, la jeune femme eut un vague souvenir d'une après-midi passée sur l'île. Elle se revoyait, allongée sur les grains dorées, profitant de la brise et du soleil. Le flot des vagues s'échouant près d'elle la fit sourire. Au-dessus de sa tête, des goélands virevoltaient, à la recherche d'une proie. Elle remua lentement les doigts, percutant mollement une surface dure. Bien malgré elle, elle s'y accrocha. Cera rouvrit les yeux et abattit la surface lisse de son bouclier sur le crâne de la blonde.
Un craquement. Puis un corps qui s'effondre.
Cera repoussa la silhouette pour chercher l'air qui lui manqua cruellement. Les larmes aux yeux, elle tenta vainement de reprendre son souffle. Des petits pastilles de couleurs voilaient son regard et bientôt, elle s'affaissa pour sombrer elle-aussi dans le néant.
*
Priam suivit attentivement le combat sous ses yeux. Le jeune homme regrettait sérieusement sa mise. Sa lionne avait choisi un bouclier comme seule et unique arme. Y avait-il une quelconque chance de gagner ? Le jeune homme en douta sérieusement. Un doute partagé par le reste de l'assistance qui avait voté en majorité en faveur de Niké.
Il toucha nerveusement l'appareil à son oreille en voyant Treize fuir la lionne. L'héritier essayait de rester digne au milieu de ce banc de requin, mais difficile de garder son calme devant le sourire arrogant de Abraham Kirsteein. Ce dernier avait demandé de lui la maison de vacances obtenue un mois plus tôt. Il n'était pas dans l'étique d'exiger la nature du prix, mais l'homme ne s'embarrassait plus des convenances depuis qu'il était à la tête des Jours sans fin.
– Nous n'avons pas abordé le prix si je venais à gagner, aborda Priam en voyant la chevaleresse s'approcher de sa proie.
– Et que voulez-vous ?
– Un hélicoptère et un pilote.
Le jeune homme y avait beaucoup réfléchi. Il savait que Abraham possédait plusieurs appareils. L'héritier le soupçonnait même d'avoir un avion privé. Les privilèges d'un homme de pouvoir. A cause des tensions avec le pays voisin, le gouvernement avait réglementé les autorisations de décoller. Il était donc rare aujourd'hui de pouvoir se déplacer dans les airs.
– Marché conclu, mon garçon. Et moi, je veux cette maison bleue.
Ils se serrèrent la main. Autour d'eux, des exclamations se firent entendre. Niké se tenait désormais au-dessus de son adversaire, enserrant son cou dans un étau. Le visage de Priam vira au blanc. Sa gorge se serra. Treize était vraiment en très mauvaise posture. Il l'imaginait difficilement sortir de cette situation. Devait-il intervenir ? Il hésitait... Priam n'avait pas envie de la perdre. Cette femme venue des îles lui avait coûté une petite fortune. Elle était à deux doigts de lui rapporter un bénéfice. Elle ne pouvait pas mourir.
Il s'apprêtait à se lever pour demander l'arrêt du combat quand il vit son bouclier assommer Niké. L'héritier se redressa pour voir Treize remplir ses poumons. Il observa son corps retomber inerte tandis que Eric Crow annonçait le résultat :
– EGALITE PARFAITE ENTRE NOS DEUX CONCURRENTES ! Pour la première fois depuis la mise en place de la fosse, aucune lionne ne la remporte !
L'héritier fronça les sourcils. Treize avait perdu connaissance après Niké. Elle remportait donc le duel. Il voulut en discuter avec Kirsteein, mais celui-ci s'était déjà éclipsé. Il se tourna alors vers Charles Argonaute.
– J'ai gagné, pas vrai ?
– Il n'y a pas eu de mort, rétorqua le plus jeune en haussant les épaules.
– Mais Treize était la dernière debout. Elle a gagné.
Pourquoi ces gens ressentaient-ils le besoin de voir un cadavre toutes les semaines ? De véritables psychopathes...
Il se leva pour quitter la pièce. Il avait besoin de se renseigner sur le règlement de la fosse, et sur l'état de Treize...