Quelques chevaux de la Compagnie avaient réussi à sortir du camp. Ils furent réquisitionnés par les prisonniers qui s’empressèrent de s’éloigner des lumières du brasier. L’incendie qui avait précédemment frappé le camp avait dégagé un espace sans herbe autour des remparts, ainsi le feu ne se propagea pas à la plaine.
Lorsque l’aube pointa, seule l’immensité lacunaire des steppes les poursuivait encore. Le groupe harassé fit une pause à la lumière pâle du soleil affleurant l’horizon. Le Baroudeur avait chevauché aux côtés de Kotla toute la nuit. La question de leur direction s’était posée, ils avaient décidé avec les fuyards de se réfugier dans les pics du Pageant qui abritaient un réseau de galeries. Ils faisaient donc route pleine ouest.
- On doit penser à la nourriture, fit Kotla. On peut se rationner, mais ça va être difficile de nourrir trois cents personnes.
- On pourra pas, on est trop, lâcha le Baroudeur. Il faut se diviser en plusieurs petits groupes.
- C’est dangereux.
- Pas tant que ça. De toutes façons, à cinquante ou à mille, si la Compagnie nous rattrape on est foutus. Au contraire, se séparer augmentera les chances de survie globale. Il faudrait définir des itinéraires différents.
- Oui mais on doit suivre les routes de migrations des aurochs, sinon on n’aura pas assez à manger.
- Il y a les lièvres coursiers, les bagals, et j’en passe ! Je sais que tu n’es pas trop habitué, mais je peux te garantir que cette plaine est loin d’être aussi vide qu’elle n’y parait. En plus, parmi nous, certaines tribus sont des Teppias, ils n’auront aucun mal à survivre.
Kotla se mordit la lèvre inférieur, inquiet.
- D’accord, on fait comme ça. Enfin, s’ils acceptent.
- Bien.
Les pleurs d’Ona résonnèrent un peu plus loin. Une Shepa accourut vers les deux hommes, l’enfant dans les bras.
- Je suis désolée, bégaya-t-elle avec un accent marqué. Elle… elle ne veut pas téter mon sein…
- Ce n’est pas grave, merci ! répondit Kotla.
Ona vint se blottir contre le Baroudeur.
- Elle t’a adopté, on dirait, lança le Pokla.
- Sauf que j’ai pas de lait, moi, grinça-t-il.
Le visage de son interlocuteur s’assombrit.
- J’aurais aimé que Mounga soit encore là, je n’aurais pas dû la laisser seule dans la fuite…
- Tu l’as laissée pour venir me chercher… ?
- Oui.
Un silence s’écoula doucement.
- Bon, il serait de faire un petit somme, non ? lança soudain Kotla. On a une longue route à faire. On ne peut pas se permettre de se reposer trop avec la Compagnie aux trousses.
- Je ne pense pas qu’ils cherchent à nous rattraper.
- Ah bon, tu penses ?
- On a pris trop d’avance, ils vont plutôt chercher à prendre de nouveau prisonniers. Une attaque était prévue sur les Kaplas dans la Vallée Béate, je pense que Spart va la maintenir.
Il frissonna en prononçant ce nom.
Kotla le fixait avec intensité.
- Ils vont attaquer les Kaplas ? Tu en es sûr ?
- Non, mais c’est très probable.
Le Pokla bondit presque sur ses pieds.
- Il faut qu’on aille les prévenir !
- Quoi ? Non ! Tu es fou, on va se faire reprendre par Spart ! Il faut s’enfuir, s’éloigner le plus possible d’elle !
- Hors de question de les laisser vivre ce qu’on a vécu, Barou ! Tu voudrais qu’on les abandonne ?
Le Baroudeur eut un mouvement de recul.
- Je… je veux survivre. Non, je veux ne plus être sous le joug de Spart.
Kotla s’approcha et entoura la visage de son ami de ses mains.
- Tu ne seras plus jamais son prisonnier, je te le promets. Mais il faut que l’on aille prévenir ceux qui risquent de l’être. On ne peut pas les laisser se faire tuer et réduire en esclavage.
- Mais…
- J’irai, seul ou accompagné.
- Tu connais pas le chemin, ducon…
- Bah je me débrouillerai. J’ai pas mal cavalé pendant un an, figure toi. Je sais m’orienter.
- C’est bon. Je viens avec toi.
Les fossettes de Kotla apparurent.
- C’est bien bichou.
***
Les fuyards furent divisés en six groupes. Une fois sûrs que chaque groupe avaient les ressources nécessaires pour survivre et parvenir à sa destination, ils se séparèrent.
Le Baroudeur promenait sa main nerveuse sur le bocal que Mâ lui avait donné. Devant lui défilaient des Ouestiens de tribus diverses. Fébriles, ils lui faisaient leurs adieux d’une voix solennelle, osant parfois lui caresser l’épaule malgré son uniforme.
- Au revoir, Hêsog, disaient-ils.
Hêsog. Le Baroudeur baissa la tête. Il n’avait rien du « libérateur » qu’ils voyaient en lui.
Ona fonça soudain sur lui en pleurant, poursuivie par Kotla.
- Elle ne veut être avec personne d’autre ! déplora-t-il, essoufflé.
Le Baroudeur saisit ses petits bras maigres dans ses mains calleuses. Mal à l’aise, il planta son regard dans celui de la fillette.
- C’est trop dangereux, là où on va. Tu ne peux pas venir avec nous.
- J’veux pas, j’veux rester avec Hêsog.
- Je ne m’appelle pas Hêsog.
- J’veux rester avec ta… toi.
- C’est hors de question.
Elle se mit à crier.
Kotla s’accroupit près d’elle pour la bercer.
- Tu m’obliges à employer les grands moyens, murmura-t-il.
Il la serra contre lui, chuchotant des paroles douces mais inaudibles.
Peu à peu, elle se calma. Il la reposa à terre.
- Tu resteras avec Ogpa, d’accord ?
Elle fit la moue.
- Oui… finit-elle par lâcher.
- C’est bien, tu es une gentille fille.
Il fit un baiser sur le front.
- Maintenant, dis au revoir à Barou.
Elle s’approcha en traînant des pieds.
- Au r’voir.
- Au revoir, prends soin de toi, écoute les adultes et…
- On se r’verra, hein ?
- Oui… bien sûr.
Elle enfouit sa tignasse hirsute au creux du cou du Baroudeur. Il sentit l’étau de ses petits bras le serrer avant qu’elle ne se dégage et parte.
- Comment tu as fait ? souffla-t-il à Kotla.
- Bah j’ai utilisé le don de Makou, mon Esprit protecteur. Toi aussi, tu verras, après t’être exercé, tu pourras le contrôler.
- Contrôler quoi ?
- Le don de Hôs. Mâ te l’a confié pendant l’incendie.
- C’était ça qu’elle faisait en me tournant autour ?
- Oui.
- Tu sais que je ne crois pas à ces histoires d’esprits.
- Libre à toi. Mais tu perds un grand pouvoir, Hôs est l’Esprit du vent, il est puissant. Et puis, comment Mâ aurait-elle pu mettre l’essence de Chiara dans le hokaâ sans les Esprits ?
Les yeux du Baroudeur se vrillèrent sur le bocal que la vieille femme lui avait donné. Il ne voyait rien à l’intérieur.
- C’est… c’est quoi cette histoire d’essence ?
- Son âme. Elle a mis son âme dedans.
Le Baroudeur sentit son cœur s’emballer, il rejeta l’objet sur le sol.
- Arrête avec tes conneries ! s’écria-t-il.
- Mais…
- Occupe-toi des préparatifs !
- Barou…
- Chiara est morte, ok ?! C’est pas la peine de parler de sa putain d’âme comme si elle était encore là !
Il s’éloigna sous les yeux intrigués des fuyards, les poings serrés.
***
Le dernier groupe disparut à l’horizon, tapis sombre sur une étendue infinie. Kotla et le Baroudeur se retrouvèrent seuls, minuscules. Ils ne perdirent pas de temps et se remirent en route vers la Vallée Béate, au sud-ouest. Un silence entrecoupé des sifflements du vent les enveloppa. Le hokaâ pesait lourd dans la besace du Baroudeur.
L’herbe se fendait parfois pour laisser entrevoir deux longues oreilles aux aguets ou une échine souple. Le soleil acheva sa course, s’écrasant dans la plaine, faisant exploser le rouge du crépuscule dans l’air rêche.
Ils bivouaquèrent près d’un rocher qui semblait jaillir du sol pour s’élancer vers le ciel. Le Baroudeur profita des dernières lumières du jour pour attraper un lièvre coursier. Malgré ses talents de tireur, il eut du du mal à atteindre l’animal aussi rapide qu’une antilope du désert.
- Tu en veux ? Lança-t-il à Kotla en allumant un feu.
- Non merci, tu sais bien que je ne mange pas d’animaux.
- Tu devrais. Il n’y a pas beaucoup de plantes comestibles ici, tu as besoin d’énergie.
- Mais si, regarde, j’ai trouvé des champignons !
Le Baroudeur soupira et fit griller le lièvre, son estomac s’éveilla immédiatement lorsque le fumet vint lui chatouiller les narines. Cela faisait un jour entier qu’il n’avait rien avalé. Son dernier repas, c’était à la cantine de la Compagnie.
- J’ai trouvé de l’herbe-soupir, aussi, fit Kotla.
Son compagnon releva vivement la tête.
- Où ça ?
Il ne parvint pas à cacher l’excitation de sa voix.
Le Pokla soupira.
- Je croyais qu’après tout ce temps dans la Compagnie, on t’aurait sevré.
- Ils l’ont fait. Mais je ne suis plus dans la Compagnie.
- Ce n’est pas raisonnable, et puis on a pas de pipou
- On peut improviser.
Kotla secoua la tête.
- Ça ne sert à rien de fuir, tu sais, souffla-t-il. Quand tu te réveilleras, Chiara ne sera plus là.
Le Baroudeur fronça les sourcils.
- Justement. Je veux la voir, même si c’est pour la quitter de nouveau.
- Ce n’est pas le moment Barou. Dormons, nous avons de la route.
- Je sais, siffla-t-il.
Il s’allongea, tournant délibérément le dos à Kotla. Il dut se faire violence pour ne pas partir à la recherche de la précieuse herbe-soupir. Il avait envie de rêver, de rêver d’elle. Seul, il n’y parvenait plus.
Frissonnant dans l’air froid de la plaine, il serra sa besace contre lui comme un coussin de fortune. Il sentit sous sa paume les contours cylindriques du hokaâ. Il lui semblait chaud.
***
- Viens, murmura la voix évanescente de Chiara.
Les feuilles du saule pleureur épousèrent son corps lorsqu’elle passa la barrière végétale.
-Viens.
Elle disparut, il s’avança pour repousser les branches, dévoila la jeune femme soudain nue. Ses cheveux pâles formaient une robe vaporeuse sur sa peau halée. Il tendit la main pour se perdre dans la chevelure douceâtre.
Un rire grésilla dans l’air, un sourire apparut. Il le fit disparaître en un baiser.
Un instant doucereux passa lorsqu’il entoura son corps élancé de ses bras fébriles. Mais Chiara le repoussa.
- Tu dois me laisser partir, souffla-t-elle.
- Quoi ? Mais je t’aime, je…
- Je veux m’envoler.
Il la fixa, les yeux larmoyants.
- Tu veux me quitter ? croassa-t-il.
- Non.
Elle recula dans la rivière qui avait pris l’allure d’un torrent déchaîné. Il s’avança pour la retenir.
- Je veux m’envoler. Être libre de ta douleur, pas de toi.
- Chiara, attends…
- Bouge pas, bichou. Laisse-moi faire.
Elle recula encore, l’écume la frappa et elle sembla se dissoudre.
- Chiara !
- Arrête de gémir ! s’écria une voix, jaillissant des tourbillons blanchâtre. Et libère-moi !
La voix prit des accents rauques. Une gerbe d’écume froide le cingla.
Le Baroudeur sursauta et ouvrit les yeux. La respiration haletante, il balaya le paysage du regard. L’aube se levait sur la plaine Teppiante, nimbant l’étendue d’herbe d’un rose éthéré.
Il frissonna en sentant la chaleur du hokaâ contre lui. Il sortit le bocal de sa besace. Le verre semblait vibrer doucement. Une lueur brillait à l’intérieur. Elle pulsait à un rythme régulier, évoquant une minuscule luciole.
Libère-moi.
D’une main tremblante, il ouvrit le hokaâ. Le couvercle émit un petit « poc » en se soulevant. La lumière se fit soudain plus forte à l’intérieur, elle se mit à pulser plus vite. Elle s’éleva hors de sa prison de verre. Le Baroudeur ne put retenir un geste vers elle. Sa main brassa le vide, il ne décela qu’une chaleur diffuse.
La luciole s’envola, de plus en plus brillante. Au-dessus d'elle, les nuages jusqu’alors disparates s’assemblaient à vue d’œil. Le ciel s’assombrit, la lumière s’intensifia.
Kotla, après avoir remué, se réveilla.
- Qu’est-ce que tu as fait ?! s’écria-t-il en bondissant sur ses pieds.
Il tendit les bras, mais l’âme de Chiara était désormais inaccessible. Elle pulsait au même rythme que le cœur affolé du Baroudeur. Toujours plus vite, toujours plus fort.
Soudain, les nuages lancèrent vers le sol des filaments vaporeux qui se mirent à tourbillonner telle une tornade naissante. Le vent rugit, des brindilles s’envolèrent. La pointe de la tornade aspira la luciole sans toucher la terre. Cette dernière lança un éclat puissant avant d’être voilée par les nuages. Elle remonta, pâle lueur, jusqu’au manteau sombre. Alors, la lumière courut derrière les nuages, se propageant dans le ciel.
Un grondement tonitruant ébranla l’air. Un éclair frappa la plaine non loin, les chevaux hennirent. L’espace d’un instant, le Baroudeur ne vit plus rien si ce n’est une lumière intense. Et au centre, une silhouette à peine visible qui lui faisait un signe de la main.
Des larmes s’échappèrent de ses yeux meurtris, il tomba à genoux. La foudre frappa de nouveau, le tonnerre résonna. Puis, l’orage se mit en mouvement et se déplaça vers l’est. Le soleil filtra au travers des nuages restants.
- Tu as fait un rêve ? s’enquit Kotla d’une voix tremblante.
- O… oui…
Il baissa la tête, lui aussi pleurait.
- Alors c’est mieux comme ça.
Il ramassa ses affaires, les lèvres frémissantes.
- On fera mieux de partir, lança-t-il.
Le Baroudeur hocha la tête et se releva, hésitant. Il s’approcha de sa monture nerveuse.
- Alors, tu ne crois toujours pas aux Esprits ? entendit-il dans son dos.
Un sourire amer lui effleura les lèvres.
- Si, tu avais raison.
De joyeuses fossettes apparurent dans son champ de vision.
- Je te l’avais dit.
***
Coincée entre la plaine et la forêt abrupte du Pageant, une cuvette accueillit la lueur matinale. Ses bords escarpés laissaient place à une grande prairie d’herbes douces mouchetée de bosquets. Une rivière slalomaient entre eux, s’élargissant en un point pour former une petite île. Des fumée s’élevaient d’un village, tâche sombre sur cet îlot vert pâle.
- La Vallée Béate, déclara le Baroudeur.
Kotla hocha la tête d’un air grave. Ils talonnèrent leur monture qui dévalèrent la pente vers le camp des Kaplas.
- Ils faisaient donc route pleine (plein ?) ouest.
- Kotla se mordit la lèvre inférieur (e)
- ils vont plutôt chercher à prendre de nouveau (nouveaux) prisonniers
- il eut du du (y a un “du” de trop) mal à atteindre l’animal
- - Tu en veux ? Lança-t-il (lança-t-il) à Kotla
- et puis on a pas de pipou (.)
- - Bouge pas, bichou. ( Bichou)
- Une rivière slalomaient (slalomait) entre eux
- Des fumée (fumées) s’élevaient d’un village
- Ils talonnèrent leur (s) monture (s) qui dévalèrent la pente
Remarque
- La majuscule de “Bichou” est aléatoire, des fois il y en a des fois il n’y en a pas.
dommage qu'ils aient du tous se séparer, mais je comprend que c'est nécessaire... enfin j'y connais rien en stratégie mais effectivement qu'on soit 20 ou 300 face a une armée de 10000 ça change pas grand chose, au moins les 20 ont une chance de passer inaperçus.
Trop beau le rêve, "je veux m'envoler" T_________T j'adore que le baroudeur l'ait libérée !
et j'ai un doute sur l'age d'Ona, je pensais qu'elle avait genre 6/7 ans mais elle tête encore ???
Voilà c’est ça
^^
Ah bah non elle a 3 ans ! C’est vrai que je précise son âge que quand on la rencontre, ça commence à dater... tu crois que je devrais faire un rappel ?
Merci pour ta lecture et ton com ! Je vais faire une pause sur le Baroudeur à partir de ce chapitre, je ne sais pas quand je vais reprendre.