Chapitre 11 : La vieille flamme

Les Automates quittaient leur post, oui, mais par ordre d’importance. Par conséquent il fallait un plus gros incendie pour chasser de leur tour ceux qui étaient de garde.

Il entra par la porte arrière dans les écuries où les cheveux hennissaient nerveusement. Il les libéra un à un. Il manqua de se faire renverser par les équidés affolés mais parvint à atteindre la porte qu'il ouvrit en grand pour laisser le troupeau se déverser dans le camp déjà en proie à la panique. Après quoi il mit le feu aux écuries.

Lorsqu'il émergea du bâtiment en flamme, il fut abasourdi par la fumée dense et le rugissement des langues rougeoyantes qui jaillissaient vers le ciel noirâtre. Ombres élancées à la démarche raide, les Automates s'organisaient sans un mot pour tenter d'éteindre le tourbillon incandescent qui résistait sans mal au sable qu'on lui lançait.

Le brasier gagna les autres bâtiments, la tension monta d'un cran. Mais il ne s'était pas encore emparé des remparts. Le Baroudeur l'y aida en brisant sa dernière bouteille d'acide sur la barrière de bois. Le feu surgit dans l'ombre de la palissade, lui bondissant au visage. Il sentit sa morsure brûlante et étouffa un cri. L'espace d'un instant, il ne vit plus rien. Il se roula au sol avec un grognement douloureux.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il fut soulagé de constater qu'ils n'avaient pas été touchés. Il se redressa, la douleur courait sur sa peau au niveau de ses mains, de son torse et de son visage. Mais la conscience des flammes qui l'enserrait la chassa. Paniqué, il chercha des yeux un échappatoire, mais les flammes avaient englouti tout ce qu'il y avait de solide autour de lui tandis que la fumée envahissait l'air. Il sortit sa gourde et, ignorant sa peau brûlée, en aspergea un pan de tissu pour en faire un masque. Il se servit du reste de liquide pour tracer un chemin éphémère qu'il emprunta alors que le feu jaillissait de nouveau du sol pour venir lui lécher les jambes.

Il s'effondra un peu plus loin, la douleur revenant en une vague dévastatrice. Il se sentit faiblir face aux flammes qui le poursuivaient. Après tout, ce n'était peut-être pas plus mal qu'il meure ici. L’au-delà était sans doute le seul endroit où Spart ne pouvait l'atteindre.

Il laissa sa main retomber sur sa besace alors que ses iris voilées fixaient avec indifférence le brasier qui courait vers lui. Mais ses doigts crispés sentirent derrière le cuir de son sac les contours d'un chapeau. Il eut soudain l'impression de recevoir un coup de pied.

- Lèvre-toi, abruti ! s'écria une voix nasillarde.

Il sursauta, bondit sur ses pieds, fouillant le paysage du regard à la recherche d’une silhouette aux cheveux pâles. Il crut l’apercevoir, mais son ombre dansante se confondit avec les flammes approchantes. Des larmes fraîches vinrent couler sur sa peau calcinée. Il saisit le peu de force qu'il lui resta et échappa au brasier rampant. Les prisonniers avaient encore besoin de lui.

Il parvint au camp d’emprisonnement qui était agité de vagues humaines affolées.

- Reculez ! Hurla-t-il.

La marée informe se tassa lorsqu'il pointa sur les barbelés une arme qu'il avait récupéré dans un tonneau. Il visa un piquet de maintien.

La détonation se perdit dans le grondement de l'incendie et brisa le piquet qui fit s'affaisser la barrière. Les prisonniers n'attendirent pas un signe de sa part et foncèrent dessus. Les fils de fer ne tardèrent pas à céder et une foule dense et puante s'engouffra dans la brèche.

- Prenez des armes dans les tonneaux ! Cria leur sauveur, mais sa voix se perdit dans le brouhaha.

Il s'extirpa de la masse paniquée et tendit le cou pour essayer de retrouver Kotla. Il appela, mais ses cris étaient inaudibles dans le vacarme alentour. Son cœur emballé le poussa en avant, il s'enfonça de nouveau dans la foule à la recherche de traits familiers, mais la lumière inconstante du brasier l'empêchait de distinguer les visages. Il déboucha avec les prisonniers sur le terrain d'entraînement qui faisait face à la porte.

Cet espace dégagé rendit la foule moins dense, mais le chaos plus grand. Chevaux, hommes, femmes, soldats couraient en tout sens au milieu des flammes rugissantes. Des détonations retentissaient dans la tourmente, entre les Automates qui restaient figés, incapables de prendre une initiative. Les remparts en proie aux flammes ne laissaient aucun échappatoire, et le ciel avait disparut derrière un épais nuage noir.

- Kotla !

Cette situation lui rappelait douloureusement l’attaque de la Communauté. Des larmes serpentèrent sur ses joues brûlées alors qu’il se faisait bousculer et jeter à terre. Un cheval paniqué lui fonça dessus, ses sabots frappèrent le sol à un cheveux de son crâne. Il se releva, chancelant.

- KOTLA !

Il entendit soudain des pleurs de fillette, dilués dans les cris des adultes. Son regard se posa avec horreur sur Ona.

Elle avait poussé depuis la mort de sa mère, mais elle restait un bambin. Elle courait partout, pleurant les bras tendus.

Il demeura figé, incapable de bouger. Elle lui rappelait trop ce jour. Ce jour où Gloria Spart avait pris l’ascendant sur lui. Ce jour où sa liberté était morte. Il se mit à trembler.

Un craquement retentit, ses iris embuées se posèrent par réflexe sur l’origine du bruit. La vision qui s’offrit à lui chassa celle d’Ona.

Le portail venait de s’affaisser, révélant une silhouette squelettique et élancée dressée sur un cheval couleur cendre.

Gloria Spart ne devait revenir que trois jours plus tard, pourtant.

Il s’étrangla.

Le général talonna sa monture, suivie de sa troupe. Ses ordres claquèrent et les Automates jusque là dépassés s’organisèrent.

Ils avaient une priorité, désormais. Retenir ou tuer tous ceux qui tentaient de s’évader.

Le chaos fit place à l’enfer. Les soldats bien que peu armés étaient plus nombreux. Les quelques dagorions que les évadés avaient pu récupérer ne suffirent pas à stopper le rouleau compresseur qui écrasait leur fuite.

La foule courut en sens inverse, mais le Baroudeur resta là, les bras ballants, les jambes flageolantes, le corps contracté.

Bientôt la scène fut dégagée, seule demeurait Spart sur sa monture à la robe luisante. Son regard torve s’écrasa sur lui, il tomba à genoux. Le cheval s’avança, le son de ses sabots étaient ceux de sinistres tambours. La lueur des flammes dessinaient la silhouette du général, la rendant incandescente.

Elle ne prononça aucun mot se contentant de le fixer de ses yeux immensément lourds.

Il émit un râle, comme une supplication.

L’Inflexible le dominait.

Il baissa la nuque, tous ses espoirs s’envolèrent.

Mais un cri lui fit lever les yeux.

Une silhouette familière se précipita sur le général, l’attrapa et le fit tomber à terre. Le Baroudeur fixa, stupéfait, cet imbécile de Kotla qui roulait dans la poussière. Le Pokla ne tardait pas à être maîtrisé. L’Inflexible se redressa et pointa le canon de son arme sur lui.

- Ne bouge pas, ordonna-t-elle à son cartographe.

Il se tendit, suffoqua. Il vit le doigt de Spart se resserrer lentement sur la détente, il lui semblait que son cœur allait exploser.

Il sentit soudain une main le pousser dans le dos. Une impulsion infime qui pourtant le fit bondir en avant. Il tendit sa propre arme et tira, mais Spart l’évita en roulant sur le côté. Il ne lui laissa aucun répit et continua de l’arroser de balles en hurlant, sans parvenir à la toucher. Kotla se releva, il aperçut du coin de l’œil son sourire impromptu.

Mais son chargeur finit par crachoter du vide. Le général leva immédiatement son pistol et tira. Le projectile fut stoppé par un mur de flammes qui s’éleva entre eux.

Un ricanement rauque retentit derrière eux tandis que Mâ s’approchait en frappant le sol de son bâton. Ses yeux flamboyaient derrière sa tignasse noire et sa maigre main tendue en avant semblait contrôler les flammes.

- Élu de Hôs ! tonna-t-elle.

Elle abattit son bâton sculpté sur la tête du Baroudeur en se mettant à marmonner des paroles inintelligibles. Elle tourna autour de lui, le bousculant de temps en temps. Elle acheva sa danse étrange en poussant un cri strident. Pour finir, elle passa un collier autour du cou du jeune homme stupéfait.

- Élu de Hôs, accepte Sa protection.

- Dis « j’accepte », l’enjoignit Kotla.

Il ne dit rien, se contentant de fouiller le brasier du regard, redoutant le retour de Spart.

- J… j’accepte…

- Bien ! s’écria-t-elle le faisant sursauter.

Elle lui fourra un bocal de verre dans la main.

- C’est l’essence de la petite, souffla-t-elle.

Il ne répondit pas, les yeux écarquillés. Il fixa le bocal, croyant percevoir une lueur timide à l’intérieur.

La vieille femme le bouscula de nouveau.

- Je suis élue de Furhô, je vais contrôler les flammes. Vous, fuyez avec les autres !

- Viens avec nous, Mâ ! fit Kotla.

- Laisse-moi mourir avec classe, siffla la sorcière. Allez, ouste !

Elle les poussa en avant et presque aussitôt le brasier la recouvrit, s’élevant en une tornade qui alla fondre sur les rangs serrés des Automates.

Les flammes qui dévoraient le portail s’éteignirent soudain, les prisonniers se mirent à courir vers le morceau de ciel étoilé qui les appelait.

- Mâ ! s’écria Kotla.

- On a pas le temps, viens, le pressa son ami.

Le Pokla se détourna du feu pour le suivre, ravalant ses larmes.

Parmi la foule qui se ruait vers l’extérieur, le Baroudeur ne vit pas Ona. Il fit volte-face, fouillant le paysage des yeux à la recherche d’une petite silhouette.

- Qu’est-ce que tu fais ?!

- Vas-y, je te rattraperai ! répondit-il en se ruant en sens inverse.

- Attends !

Il fut de nouveau entouré de flammes rugissantes. Les ombre des Automates en feu hurlaient tout autour de lui. Le vacarme était tel qui faillit manquer les pleurs qui émanaient d’un tonneau renversé. Il stoppa sa course, recula et s’accroupit. Dans l’ombre de l’abris de fortune, des yeux embués de larmes brillèrent.

- Viens, Ona.

Elle se tassa contre la parois, évitant la main qu’il tendait.

- Ona, s’il te plaît.

Elle poussa un bref cri et parut enfouir sa tête dans ses bras.

- Je… je suis désolé pour ta mère. Je ne… voulais pas ça.

La petite hoqueta.

- Ona… Je… je te promets de me rattraper. Je vais te sauver, et sauver plein monde. S’il te plait, viens. Je ne peux pas te laisser ici.

Elle resta silencieuse quelques instants, ou peut-être était-ce lui qui n’arrivait pas à l’entendre ?

Sa main rencontra soudain de minuscules doigts boudinés et il frissonna. Il saisit le petit bras et le tira doucement à l’extérieur.

Ona cacha ses yeux et poussa un cri de terreur en voyant les flammes se dresser tout autour d’eux. Il la prit dans ses bras, guettant une issue, mais le feu les encerclait.

Soudain, le rideau incandescent s’écarta en un chemin qui menait droit au portail lointain.

La Baroudeur eut une pensée pour Mâ. Il s’élança avec gratitude.

Il émergea du camp et rejoignit les prisonniers.

À peine avait-il lâché Ona que Kotla lui sauta dans les bras, manquant de le faire tomber.

- Merci, Barou, souffla-t-il. Tout ça c’est grâce à toi.

L’intéressé ne répondit pas tout de suite, se contentant de laisser échapper quelques larmes.

Les flammes éclairaient la nuit de la plaine d’une lumière rageuse. Leur grondement était assourdissant.

Mais derrière lui.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Guimauv_royale
Posté le 24/05/2020
Coquilles

- - Lèvre-toi, (lève-toi) abruti !
- Les ombre (s) des Automates en feu
- et sauver plein (de) monde.

Remarques

- le peu de force qu'il lui resta (restait peut être ? Ce serait plus beau)
- Le Pokla ne tardait (tarda ? Là aussi ce serait mieux) pas à être maîtrisé.
AudreyLys
Posté le 04/07/2020
Merci !
Sorryf
Posté le 21/10/2019
petites fautes... une qui m'a fait rire au tout début "à son post" xDD
et a un moment tu dis que la balle est arrêté par les flammes... je m'y connais pas en physique des balles et du feu mais ça m'a paru improbable.
Je vois que tu es restée sur l'acide inflammable, et tu m'as expliqué que c'était possible dans ta réponse de com, mais ça me perturbe toujours O.o

SInon... YEAHHHH ! VIVA LA REVOLUCION ! j'ai eu peur pour Kotla, très très peur ! heureusement, cette main qui a poussé le Baroudeur au bon moment... qui est probablement Chiara... alala c'est trop beau.
J'aime pas quand tu tues des persos, mais dans le cas de Chiara, la manière dont tu la rappelles tout le temps est tellement belle que je suis à ça de dire que ça valait le coup ! en tout cas tu es pardonnée <3!!
AudreyLys
Posté le 21/10/2019
Oui...heu ça s’écrit avec un e post ? Nan mais c’est la force des flammes qui jaillissent tu vois... oui bon je vais changer on va dire qu’elle est déviée pis voilà
XD pour l’instant on reste sur ça

Oui c’est Chiara <3 ah super tu m’as pardonnée, je peux tuer quelqu’un d’autre maintenant ;-)

Sinon j’ai quelques questions au sujet de la vieille, t’as compris ce qu’elle a fait à Barou ? Et Ona, tu t’en rappelais ?

Merci pour ta lecture et ton com^^
Sorryf
Posté le 24/10/2019
Ben oui ! les "post" sans e c'est les posts sur les forums xD
AH NON HEIN ! c'est quoi ce un pardon = un meurtre ? Puis bon j'ai pardonné pour Chiara mais j'ai pas pardonné pour TOUS LES AUTRES MORTS ! D******* STP ! (j'ai caché le nom pour pas spoiler mais je suis plus sure de son nom si ça se trouve il commence pas par D, et en plus c'est mort parce que tu as au moins un autre perso mort dont la lettre commence par D donc tu risque de confondre... mais tu sais laquelle de tes victimes m'a le plus brisé le coeur T.T

Je n'ai pas compris ce qu'a fait Mâ, je me suis dit que ce serait expliqué plus tard. je pense a un genre de bénédiction ou de protection.
Oui je me rappelle de la petite Ona :-( malgré mes nombreux effots pour oublier T.T
AudreyLys
Posté le 24/10/2019
Ah ok XD je confonds
D ? Dans ClockGirl ? Bah je sais pas laquelle de mes « victimes » t’as le plus touché, mais je veux bien savoir.
Et puis bon, c'était une blague ;-) Je sais pas encore qui va survivre dans le Baroudeur...

Mmmmh, je sais pas comment je vais le formuler, faudrait peut-être que je précise. En tout cas je vais l’expliquer dans le chapitre suivant, mais ce serait bien que le lecteur fasse tilt dès celui-là.
Bah elle est sauvée maintenant, haut les cœurs !
Vous lisez