Chapitre 12 : le plan

Par Makara
Notes de l’auteur : Bonjour à tous, c'est un nouveau chapitre qui a émergé lors de la réécriture !

La cérémonie de la filiation était projetée sur tous les écrans de la ville. C’était un véritable événement où un couple jumelé recevait leur « enfant ». À cette occasion, les habitants pouvaient quitter leur travail et se rendre à la grande place pour voir de leurs propres yeux la mise en scène.

En grande pompe, les Têtes emmenaient le clone tout juste sorti de la couveuse. Souvent, il ne savait pas encore marcher. La plupart du temps, les nouveaux clones avaient entre dix et quinze ans. Seuls les trois premiers génomes commençaient leurs vies en tant que nourrisson.

Ce jour-là, il s’agissait d’un Génome Quatre. Il remplaçait donc le frère de Jun. La jeune femme reconnut sa grand-mère – malgré son masque – qui portait un petit garçon de trois ans. Il ouvrait sur le monde des yeux ahuris et terrifiés. Camilla le déposa dans les bras du couple et déclara d’une voix vibrante d’émotion :

— Vous avez été choisis pour élever un clone supérieur. Votre travail et votre loyauté sont récompensés. Élevez-le dans la bienveillance et le respect de nos lois pour qu’il devienne un citoyen sage et avisé.

Les applaudissements retentirent alors que les Têtes liaient l’enfant numériquement à ses parents. Pour cela, ils posèrent son petit pouce sur le cadran digital de la montre. La liaison fut créée et son visage apparut sur les écrans. Alya imagina la peine de Jun. Ce nouveau clone ressemblait trait pour trait à son frère. D’autres images projetèrent le couple enlacé puis leur nouvel appartement bien plus spacieux que le précédent et la foule suivit avec fascination leur compteur de point augmenter à toute vitesse. Un rêve pour certains.

Alya sentit les doigts de sa mère sur ses épaules.

— Ils ne se rendent pas compte à quel point cette cérémonie est artificielle. Ce couple ne souhaite même pas d’enfant. Ce qu’ils recherchent c’est l’opulence et la renommée. Quand j’étais enceinte de toi, les gens ne comprenaient même pas pourquoi j’avais le ventre aussi rond. Ils avaient oublié comment un enfant est conçu et comment il vient au monde alors que c’est la plus belle chose qui soit. Les points, le confort, le travail à côté de cette expérience ne sont rien. C’était une si belle période !

— C’est après ma naissance que tu as perdu tes sensations ?

Si sa mère fut étonnée qu’elle aborde le sujet, elle ne le montra pas.

— Oui. J’ai cru que c’était normal. Après tout, aucune femme de Mallaig n’avait accouché depuis des décénies. Je pensais que c’était un effet secondaire de ta venue au monde, qu’il était normal que je ne ressente plus rien comme si je t’avais tout donné, tout transmis…

Alya se retourna, touchée par les paroles de sa mère et l'enlaça. Ses bras se refermèrent autour de ses épaules et elle vint blottir sa tête contre la sienne.

— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? murmura-t-elle.

— Tu portes déjà tellement de choses. Je ne voulais pas alourdir ton fardeau.

Comment pouvait-elle imaginer l’abandonner ? Elle restèrent un moment enlacées.

Le regard de la jeune femme se posa sur l’heure. L’entraînement approchait. Elle soupira, déposa un baiser sur la joue de sa parente et récupéra ses affaires de sport.

Éline resta debout dans le salon, face à la baie vitrée, les yeux plongés dans le labyrinthe de gratte-ciel. Le cœur d’Alya se serra. Sa mère, d’une certaine façon, ne vivait plus à Mallaig. Elle s’évadait par l’esprit.

Plongée dans ses pensées et tracassée par le choix qu’elle devait faire, les couloirs et les ascenseurs se succédèrent jusqu’à l’entrée de la salle d’entraînement. Alya avait attendu ce moment avec impatience. Son quotidien l’étouffait plus que tout ces derniers temps et elle devait se faire violence pour ne pas rendre visite à Jun ou chercher les autres recrues dans la Cité. Les heures d’entraînement passaient à une vitesse fulgurante, mais elles étaient l’oxygène nécessaire pour affronter le quotidien. Savoir aussi que parmi ces visages identiques certains se rebellaient, n’acceptaient pas le système, lui redonnaient une force, un espoir qu’elle pensait enterré.

Devant la porte, elle eut l’impression que ses pensées s’éclaircissaient de nouveau, elle avait à chaque fois le sentiment que sa journée commençait au moment de rejoindre le groupe.

Elle pénétra dans la salle d’entraînement et chercha Jun du regard. Il était bien là et cela la rassura. Son visage grave et concentré n’avait plus les accents de désespoir qu’elle lui avait connus. Il dissimulait de nouveau ses sentiments sous un masque impavide. Seule la blessure de sa main témoignait de l’épisode du restaurant qui remontait déjà à plus d’une semaine. Alya avait tant de questions sur son père et sur lui, mais ils ne s’étaient pas retrouvés seuls depuis.

Alors qu’elle regardait les membres de l’expédition s’entraîner sur les machines, elle se demanda pourquoi elle trouvait Jun si différent. Il était un clone lui aussi, pourtant il ne ressemblait en rien aux autres. C’était en même temps fascinant et effrayant de comprendre qu’il était devenu unique à ses yeux. Elle ne pouvait plus le confondre avec un autre Génome six.

Son regard balaya la quinzaine d’individus disséminés dans la salle, occupés à reconnaître les animaux et leur niveau de danger. Alya commençait petit à petit à accorder plus d’intérêt aux autres clones. Elle ne retenait pas encore leurs prénoms, ne savait toujours pas les reconnaître, mais elle ne les voyait plus comme des marionnettes : un pas de géant pour elle.

Jun leva la tête et son regard croisa le sien. Alya lui sourit avant de rejoindre un groupe.

Deux clones s’entraînaient à deviner des espèces animales. Alya n’apercevait presque rien des cartes tant elle était gênée par l’impressionnante chevelure rousse de Mina – un génome treize – qui obstruait sa vue. Pavel, un génome quarante-huit, essayait de deviner l’espèce du serpent.

— Je n’y arrive pas, déplora-t-il en haussant les épaules.

Mina le rassura d’une voix douce :

— Mais si, regarde la forme de sa queue.

— C’est un serpent à sonnette ? demanda-t-il avec espoir.

— Oui ! répondit la jeune fille.

Un immense sourire apparut sur le visage du garçon. Alya soupira intérieurement. Étant donné son génome, il aurait certainement oublié cette information d’ici cinq minutes.

Les quarante-huit n’avaient pas un physique très plaisant, ils étaient trapus, le cheveu rapidement gras, le nez fort aplati et les yeux tombants : en somme, Alya leur attribuait un air de benêt.

Elle se demanda si Jun avait eu raison de les sélectionner pour l’expédition tant leur mémoire à court terme et leur perspicacité semblaient limitées. Elle se força à chasser ses préjugés de sa tête, les clones faisaient des efforts avec elle pour se montrer amicaux, elle devait leur rendre la pareille.

Jun appela l’ensemble des recrues, ce qui la fit sortir de ses pensées.

Elle se leva nonchalamment et s’assit sur le tatami avec les autres.

— Nous allons passer à la prochaine étape de la préparation, commença Jun, l’entraînement au combat. 

Un silence plana sur le groupe.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda innocemment Pavel.

— Eh bien il s’agit de savoir se défendre et contre-attaquer, expliqua Jun. Nous ferons plusieurs exercices dans les semaines à venir et nous continuerons à l’Extérieur. 

Les clones murmurèrent entre eux en entendant ces précisions.

— Tu veux dire que l’on va devoir être violent ? souffla Mina d’une petite voix.

— Tout à fait. Depuis l’enfance, on vous répète que la violence est mauvaise, mais à l’Extérieur, la violence est une loi qui régit la nature et la société. Si vous ne savez pas vous défendre, vous mourrez. Ici vous êtes protégés de cela.

Alya tressaillit sur les derniers mots de Jun.

— C’est sûr qu’ici, ils abusent de violence psychologique parce qu’ils sont particulièrement inquiets pour notre sécurité, ironisa-t-elle.

Certaines recrues hochèrent la tête en accord avec sa remarque.

La jeune femme reprit :

— La déprogrammation est une violence, l’amnésie forcée est une violence, elle n’est peut-être pas comme toi tu l’entends, Jun, mais elle existe réellement et c’est une cruauté plus perfide que la violence physique.

Jun la dévisagea un instant. Alya se demanda si elle avait bien fait de l’interrompre, elle ne voulait pas le discréditer, seulement pointer du doigt certains faits de sa connaissance.

— Tu as raison, Alya. Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire. Je souhaite insister sur le fait qu’à l’Extérieur, vous pouvez être tués pour un peu d’eau, un morceau de pain. Il n’y a pas de distribution générale de repas ni de déprogrammation de la cité si quelqu’un vous a nui. En aucun cas je ne veux sous-entendre que les actions de la Cité ne sont pas violentes. Elles sont même plus perverses, car elles sont déguisées.

Les recrues acquiescèrent, quelques-unes la regardèrent, attendant qu’elle surenchérisse ou argumente. Elle n’en fit rien, elle ne souhaitait pas mettre davantage Jun dans l’embarras.

— Je ne prétends pas faire de vous des soldats, seulement des hommes et des femmes qui savent se défendre, ajouta-t-il en direction d’Alya.

La jeune femme approuva.

Suite à son mouvement de tête, il fit un signe à Pavel. L’homme se leva et le rejoignit. Jun commença à leur montrer une technique de défense dans le cas où un agresseur leur attrapait le poignet. Il fallait redresser la main emprisonnée, serrer le poing en l’air, s’aider de l’autre main pour avoir plus de force et se dégager. Il démontra que la rotation du bassin permettait d’avoir davantage de puissance. Ils reproduisirent l’exercice plusieurs fois puis Jun s’arrêta et proposa aux recrues de se mettre par deux. Alya se retrouva seule. Jun lui assigna immédiatement Pavel.

La jeune femme se leva avec peu d’entrain. Ce type d’exercice l’horripilait. Quand on parlait de violence, une seule image lui revenait en tête : celle de son grand-père.

Son poing qui écrabouillait le visage d’un autre homme.

Le sang qui giclait.

Son vêtement brun souillé par le sang.

Alya ignorait la raison de l’acte de son aïeul et les patrouilleurs avaient pris un malin plaisir à effacer l’ensemble de ses souvenirs sauf ce moment de brutalité. La violence n’avait donc dans son esprit aucune justification.

Pavel se plaça en face d’elle, Alya tendit son bras, indolente. Il lui saisit la main. La poigne du garçon était particulièrement forte : un étau. Alya reproduisit les gestes, mais n’arriva pas à se dégager. Pavel souriait, il avait l’air d’apprécier qu’elle ne puisse rompre le contact. Jun, de loin, lui mima le mouvement de rotation. La jeune femme appliqua la technique, mais ne parvint qu’à faire craquer son épaule. 

— Tu vas me lâcher oui ? finit-elle par lui hurler au visage après plusieurs essais infructueux.

Rien à faire, Pavel était toujours pour elle, brutal et dénué d’intelligence.

Pavel s’exécuta, un brin confus. Alya se tourna vers Jun qui aidait un autre clone un peu plus loin.

— La prochaine fois, Jun, est-ce tu pourrais me mettre avec quelqu’un d’encore plus fort ? Là c’est tellement facile ! railla-t-elle.

— Parce que tu crois que tu vas choisir qui t’attaque, Alya ?

La jeune femme le fusilla du regard, mais admit mentalement qu’il avait raison. Elle reporta son attention sur son poignet qui venait de prendre une teinte vermeille.

— Mais, regarde ma main, idiot ! C’est un entraînement ! Tu ne dois pas me couper la circulation sanguine !

Le garçon haussa les épaules puis lui proposa d’inverser les rôles. Alya jubila intérieurement, prête à lui faire payer son précédent supplice. Elle lui attrapa avec énergie le poignet. L’instant suivant, sans comprendre ce qui lui arrivait, elle se retrouva projetée au sol. Sonnée, elle mit un moment à reprendre ses esprits. Jun apparut dans son champ de vision, au-dessus d’elle, l’air inquiet.

— Ça va ? Rien de cassé ? lui demanda-t-il.

— Ma fierté, si… chuchota-t-elle.

Il lui tendit la main pour l’aider à se relever. Sa poigne était ferme, mais l’étreinte bien plus agréable que celle de Pavel. Les battements de son cœur s’accélérèrent.

— Merci, lui dit-elle une fois debout.

Elle tenta de récupérer sa main, mais en fut bien incapable, Jun maintenait la pression sur son poignet : elle sourit, autant de frustration que d’amusement.

— Jun. Je n’ai pas envie, soupira-t-elle.

— Allez ! Il faut t’entraîner !

Jun la dévisageait, attendant patiemment qu’elle mette en pratique sa méthode. Elle fit mine de se préparer, secoua un peu sa chevelure puis, contre toute attente, s’avança subitement vers lui et l’embrassa sur la joue. L’acte, totalement inattendu, surprit le jeune homme qui recula et lâcha instantanément son emprise. Alya virevolta sur elle-même avec un petit rire espiègle.

— Il n’y a pas qu’une seule méthode pour se défendre ! se vanta-t-elle avec malice.

Le visage de Jun se teinta d’une expression mémorable : un mélange d’embarras, de stupeur et d’énervement. Malgré lui, un léger sourire flotta sur ses lèvres. Alya se figea en notant que l’ensemble des clones la fixaient, interdits. Bon, peut-être que l’espace d’un instant, elle avait oublié qu’ils n’étaient pas tout seuls… 

Soudain, des bips réguliers retentirent dans la pièce, mettant fin à son malaise. Leurs bracelets annonçaient l’heure du couvre-feu. Immédiatement, tous les génomes se mirent en mouvement et récupérèrent leurs affaires. Alya s’activa aussi au moment où Jun s’adressait aux recrues.

— On se donne rendez-vous après-demain, à la même heure. Si tout va bien vous serez prêts dans quelques semaines. L’heure approche !

Les clones répondirent par un mouvement de tête avant de disparaître par la porte d’entrée. Jun l’appela. Elle attendit qu’il la rejoigne. Son visage avait retrouvé cette placidité qui le caractérisait.

— Alya, tu dois prendre au sérieux ces exercices… Je ne voudrais pas que l’on te fasse du mal à l’Extérieur.

— Je sais, Jun, j’en ai conscience, mais j’associe encore trop la violence à la lâcheté.

— C’est parce que ton père et ton grand-père en ont fait usage que tu penses ceci.

Alya fixa intensément le sol en réfléchissant à cette possibilité, peut-être est-ce le cas ? Comment savait-il pour son grand-père ?

Un nouveau bip retentit. Un message s’afficha sur l’écran de sa montre :

 

Alya, où es-tu ?

Maman.


 

La jeune femme plongea son regard dans celui de Jun.

— J’ai encore énormément de questions à te poser.

— Je sais, admit-il, je te raccompagne chez toi ?

— Avec plaisir.

Ils sortirent de la salle. Les couloirs étaient déserts. À cette heure-ci, seuls les rendez-vous entre jumelants restaient autorisés.

— J’ai l’impression que Pavel est insensible. Il me tenait bien trop fermement le poignet sans vraiment s’en rendre compte.

— Oui, il est atteint.

— Tu le savais ? demanda la jeune femme, interloquée.

— Oui.

Alya fronça les sourcils, vexée que Jun ait choisi de la faire s’entraîner avec une personne qui ne contrôlait pas sa force.

— Il aurait pu me faire mal !

— Je sais. Mieux vaut ici que dehors, répliqua-t-il d’une voix sèche.

Elle serra les dents, irritée par son raisonnement. Parfois, elle ne le suivait pas. Un instant, elle pensait qu’elle lui importait et dix minutes plus tard ce sentiment disparaissait comme neige au soleil.

— De plus en plus de clones révèlent à la FSOR leur insensibilité, renchérit Jun sans relever l’énervement de la jeune femme. Mon supérieur m’a dit que l’on compterait plusieurs milliers de cas…

— Autant que ça ? Mais pourquoi est-ce que ça empire subitement ?

— Je ne sais pas. C'est peut-être à cause des Oublis. Les Patrouilleurs les utilisent de plus en plus. Ce n’est pas tout. Dans les hauts quartiers, certains génomes se sont révoltés. Les quarante huit en particulier qui sont très touchés par l’insensibilité ont attaqué des patrouilles. Ceux-ci en représailles ont déprogrammé des centaines de clones ces trois derniers jours.

— Que veux-tu dire par attaquer ?

— Ils ont tué des hommes… L’insensibilité, pour certains, engendre un sentiment d’invincibilité.

— Nous ne sommes pas au courant de ces événements…

— Tu te doutes bien que les Têtes ne veulent pas que cela s’ébruite. Ils sont complètement paniqués, la situation échappe à leur contrôle…

En effet, la grand-mère d’Alya, ces derniers temps, était toujours absente, elle rentrait tard et partait tôt à la tour de commandement. Les rares fois où elles se croisaient, Alya ne répondait pas à ses questions, elle ne répliquait plus à ses piques ou ses réflexions. Elle lui en voulait trop d’avoir banni son père. Sa mère avait bien essayé de temporiser, mais Alya restait sourde aux propositions de dialogue. Elle avait été tolérante suffisamment longtemps. Sa grand-mère ne méritait pas son pardon.

— Alya, il faut te tenir prête à partir à tout moment, j’ai peur de savoir ce que nos dirigeants nous préparent…

La jeune femme acquiesça gravement devant son domicile. Elle passa son bracelet devant le lecteur de puce et la porte s’ouvrit.

— Bonne nuit, Jun, murmura-t-elle en pénétrant dans son appartement, on se voit bientôt.

—  Bonne nuit.

Alya entra dans sa demeure, sa mère l’attendait, à moitié endormie dans le fauteuil du salon.

— Maman, c’est moi. Tu peux aller dormir.

Éline se força à ouvrir les yeux et posa sur sa fille un regard tendre.

— Tu m’as inquiétée, ce jeune homme ne devrait pas te retenir si tard… Cela va t’attirer des ennuis… Et ta grand-mère, ma puce, elle est revenue ?

— Elle n’est pas là ? répondit Alya étonnée.

— Non. C’est vraiment rare qu’elle revienne après le couvre-feu. Il doit y avoir des problèmes à la tour de commandement.

— C’est le cas maman, c’est le cas.


 

*      *

*

Lorsqu’elle pénétra dans la salle deux jours plus tard, elle fut étonnée de découvrir Jun vêtu d’une tunique de soin bleue. Il avait fait transporter un fauteuil médical et attendait patiemment ses recrues. Alya s’adossa contre le mur en attendant les clones. Ils arrivèrent au compte-gouttes et restèrent immobiles près de la porte, interdits devant le spectacle. Jun leur dédia un regard rassurant et leur fit signe de s’avancer.

— N’ayez pas peur. Approchez. Aujourd’hui vous n’allez pas vous entraîner. Je vais vous vacciner.

Une clone s’exclama :

— À quoi ça sert ? Ça va faire mal ?

— Un petit peu, Irys, mais c’est supportable. Les vaccins visent à vous protéger des maladies de l’Extérieur, à vous immuniser.

Alya fixa la seringue avec effroi. Étrangement, la vue de l’instrument lui hérissa les poils. Elle avait l’impression que son corps se souvenait d’événements passés : cela n’augurait rien de bon…

— Est-ce qu’on est obligés ? demanda Mina. Tu pourrais avoir mis n’importe quoi dans ces seringues…

— En effet. Mais je pars du principe que vous êtes ici, car vous croyez en ce projet. Vous avez envie qu’il réussisse. Ce serait inconscient de vous laisser partir sans être vaccinés. Faites-moi confiance, je ne veux que vous protéger.

Les clones se regardèrent, indécis. Alya prit son courage à deux mains et s’avança. Elle était celle qui avait le plus confiance en Jun, elle devait montrer l’exemple.

Le jeune homme lui sourit et elle le rejoignit, le cœur battant à tout rompre, les mains moites. Elle s’assit dans le fauteuil et respira fortement pour s’armer de courage. Jun lui saisit avec douceur l’épaule et baissa son haut, dévoilant ses omoplates. Elle sentit la froideur de ses mains gantées, l’odeur du désinfectant qu’il appliquait sur son épaule, le pincement de sa peau entre son pouce et son index, l’aiguille qui pénétrait subitement sa chair et la douleur brève, mais marquante. Après un instant, Jun enleva l’aiguille et posa un pansement sur la zone piquée. Il ne lui resta que des picotements désagréables.

— Il faudra veiller à ce que personne ne voie ce pansement ni votre piqûre, déclara-t-il en s’adressant à tout le groupe. Cela serait trop suspect.

Alya acquiesça et laissa la place aux autres membres de l’expédition. Elle s’assit contre un mur et commença à lire un ouvrage sur les plantes du désert. Peu à peu, les recrues la rejoignirent. Certains se massaient l’épaule, d’autres avaient les larmes aux yeux. Une jeune femme d’une vingtaine d’années, aux yeux bridés et au regard éteint, s’assit près d’elle.

— Tu vas bien ? lui demanda Alya.

Celle-ci la fixa d’un air morne et finit par hocher la tête. Mina les rejoignit.

— Yumi ne parle pas. Jun m’a dit qu’elle a subi un trop grand nombre d’Oublis. Elle ne sait plus parler.

Un mélange de pitié et de compassion s’empara d’Alya à son égard. Puis, elle ressentit une forte admiration pour elle. Malgré ce handicap, elle était résolue à partir. Qu’avait-elle fait pour être autant amnésié ?

Une fois que Jun eut fini de vacciner tout le monde, il rangea son matériel et s’approcha.

— Bon, je sais que ce n’était pas agréable, mais c’est une bonne chose de faite. Je suis rassuré.

Après avoir dit ces mots, il regarda sa montre, pianota sur le petit écran et projeta un hologramme de la cité.

— Aujourd’hui, je vais vous expliquer comment nous allons nous enfuir.

Aussitôt, le silence fut d’or. Alya remarqua que toutes les recrues retenaient leur souffle.

— La seule manière de s’enfuir de Mallaig sans attirer l’attention est de se faire passer pour des Patrouilleurs Itinérants. Vous possédez les bons génomes pour sortir et certains de vos doubles sont donc des Patrouilleurs. Nous emprunterons ainsi leur identité le temps d’une soirée. Mon père est le commandant des Patrouilleurs, je peux ainsi me procurer un document avec son sceau et le falsifier pour les besoins de notre expédition. J’ai aussi accès aux uniformes des Patrouilleurs. Une fois vêtu de l’habit rouge, l’artifice fera son œuvre.

— Ça pourrait fonctionner, chuchota une femme dont Alya n’avait pas encore retenu le prénom.

— Cela fonctionnera, Ness, vous devrez simplement vous convaincre d’être un soldat de la ville.

— Ce n’est pas facile d’incarner ce qu’on déteste, reprit la jeune femme.

— Cela dépend de l’enjeu. Ce n’est qu’un rôle à jouer. Un rôle qui vous permettra d’être libres !

Alya dévisagea la clone, l’une des plus âgée de la salle. Elle avait le visage assombri par l’annonce du plan. D’immenses gants recouvraient ses bras jusqu’aux coudes et une partie de son cou portait des traces de brûlures.

— Lorsque vous recevrez un message de moi sur votre terminal, il vous faudra être dans les quinze minutes à la porte Est, ajouta Jun en faisant apparaître un point rouge sur l’hologramme au niveau d’une sortie.

Les recrues acquiescèrent, tous sauf Ness qui resta plongée dans ses pensées. Alya s’exclama :

— Et moi, Jun ? Comment vais-je faire ? Je n’ai pas de double, je ne peux pas me faire passer pour quelqu’un d’autre…

Les clones la dévisagèrent, se rappelant peut-être sa position un peu particulière. Leurs yeux se teintèrent d’inquiétude.

— Tu ne pourras pas nous accompagner. Ta présence ferait échouer toute l’opération. Tu vas devoir rejoindre une autre sortie. Nous nous rassemblerons seulement à l’Extérieur. Je te l’expliquerai plus en détail tout à l’heure.

Alya sentit un courant froid s’emparer d’elle. La peur la saisit d’être séparée du groupe, d’être séparée de Jun. Elle perçut la main de Mina se poser sur son épaule comme un lointain pont avec la réalité. Celle-ci tenta de la rassura du regard, mais cela n’eut comme effet que de la terroriser davantage.

Les clones posèrent de nombreuses questions, mais Alya ne les imprima pas tant la cristallisation de la fuite et sa séparation avec le groupe rendaient le présent nébuleux. Pourquoi devait-elle être isolée des autres ? Elle s’imagina seule dans une grande salle, incapable d’en sortir alors que ses compagnons couraient à l’Extérieur, heureux d’avoir échappé aux griffes de Mallaig. Elle resterait enfermée, abandonnée une nouvelle fois. Jun la laisserait derrière. Qui était-elle pour lui ? Rien ni personne. Elle devrait vivre indéfiniment dans cette cité oppressante, se jumeler, subir les Oublis encore et encore jusqu’à ne plus savoir son nom ou ne plus savoir parler. Une boule se forma dans sa gorge alors que son imagination l’emportait de plus en plus loin dans des scénarios sinistres.

— Alya ?

La jeune femme desserra les bras qu’elle avait noués autour de ses genoux et releva la tête. Jun se tenait assis en face d’elle, le regard inquiet. Ils étaient seuls.

— Tu vas bien ?

La jeune femme tenta de se ressaisir et hocha la tête.

— Tu t’inquiètes, car tu seras séparée de nous ?

Elle acquiesça en tentant de déloger la boule dans sa gorge.

— Il y a une salle qui possède le symbole de ton sillage. Ton père est entré par là-bas et je sais qu’il a pu en sortir ainsi. Il n’y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas pour toi aussi.

— Jun, je ne sais tellement rien de ce Sillage. Je ne sais pas si je dois faire quelque chose, dire quelque chose…

Je suis sûr que cela fonctionnera, Alya. On se retrouvera de l’autre côté. Tout ira bien.

Oui. Théoriquement.

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Joren
Posté le 21/10/2021
Ca va partir en vrille cette histoire. Je le sens tellement mal hahaha. Déjà Jun il est tellement sombre à tous les niveaux qu'il ne faut pas s'y attacher trop longtemps. M'enfin je peux me tromper.

Superbe cette tendresse désarmante provoquée par le baiser sur la joue pour vaincre l'adversaire !

Et sinon :
"— Un petit peu, Irys, mais c’est supportable. Les vaccins visent à vous protéger des maladies de l’Extérieur, à vous immuniser.

Alya fixa la seringue avec effroi. Étrangement, la vue de l’instrument lui hérissa les poils. Elle avait l’impression que son corps se souvenait d’événements passés : cela n’augurait rien de bon…

— Est-ce qu’on est obligés ? demanda Mina. Tu pourrais avoir mis n’importe quoi dans ces seringues…

— En effet. Mais je pars du principe que vous êtes ici, car vous croyez en ce projet. Vous avez envie qu’il réussisse. Ce serait inconscient de vous laisser partir sans être vaccinés. Faites-moi confiance, je ne veux que vous protéger."

Au vu de l'actualité, j'ai trouvé ça très cocasse^^, mais je ne me permettrai aucun commentaire politique !
Makara
Posté le 21/10/2021
Rerecoucou !
"Ca va partir en vrille cette histoire. Je le sens tellement mal hahaha" => hihi, je ne peux rien te dire mais tu as le nez fin ! Ahah !
"Superbe cette tendresse désarmante provoquée par le baiser sur la joue pour vaincre l'adversaire !" => Contente que cette scène ne t'ai pas fait lever les yeux au ciel XD. Quand je la relis, je me dis qu'elle est trop nunuche cette scène XD

Tes remarques par rapport aux vaccins sont très justes ! J'avais même pas fait le lien ! Les ressemblances allaient même plus loin car dans ma première version de 2019, c'est un virus qui rendait les gens insensibles (donc plus de goût, plus d'odorat...) Bref on dirait le covid quoi^^ ahah. J'ai changé l'année dernière en disant que c'était une dégénérescence des clones pour qu'on fasse pas de lien avec le covid et ça m'arrange :)
Pleins de bisous volants !
Makara
Posté le 21/10/2021
Rerecoucou !
"Ca va partir en vrille cette histoire. Je le sens tellement mal hahaha" => hihi, je ne peux rien te dire mais tu as le nez fin ! Ahah !
"Superbe cette tendresse désarmante provoquée par le baiser sur la joue pour vaincre l'adversaire !" => Contente que cette scène ne t'ai pas fait lever les yeux au ciel XD. Quand je la relis, je me dis qu'elle est trop nunuche cette scène XD

Tes remarques par rapport aux vaccins sont très justes ! J'avais même pas fait le lien ! Les ressemblances allaient même plus loin car dans ma première version de 2019, c'est un virus qui rendait les gens insensibles (donc plus de goût, plus d'odorat...) Bref on dirait le covid quoi^^ ahah. J'ai changé l'année dernière en disant que c'était une dégénérescence des clones pour qu'on fasse pas de lien avec le covid et ça m'arrange :)
Pleins de bisous volants !
Eryn
Posté le 23/09/2020
Coucou !
J’ai failli faire une remarque sur les différentes armes deux chapitres plus tôt, je me disais que c’était bizarre que les gens ne sachent se défendre qu’avec des armes et pas sans, surtout s’ils ont appris le maniement de différentes armes… Mais du coup je trouve ça cool qu’ici on apprenne à se défendre sans rien d’autre que ses mains et ses pieds !
Super aussi l’évocation des séquelles des trop nombreuses amnésies, ça donne vraiment une raison pour s'enfuir ! ça serait bien qu'elle récupère ses capacités par la suite, mais en même temps c'est plus horrible qu'elle garde son handicap !
"Nous emprunterons ainsi leur identité le temps d’une soirée. Mon père est le commandant des Patrouilleurs, je peux ainsi me procurer un document avec son sceau" = répétition de « ainsi », sans ça, ça me parait un bon plan, on a envie de les voir y arriver ! Je l'aime bien ce Jun !
Sans ça, le fait qu'Alya doive s'enfuir différemment des autres met une incertitude sur sa réussite ou non, on comprend que cela l'effraie !
Makara
Posté le 23/09/2020
Re-coucou !
Whaou tu t'es enchaînée pas mal de chapitres 0_0
Merci <3
"J’ai failli faire une remarque sur les différentes armes deux chapitres plus tôt, je me disais que c’était bizarre que les gens ne sachent se défendre qu’avec des armes et pas sans, surtout s’ils ont appris le maniement de différentes armes… " => La tu parles des armes à Etioli ? Ou à Mallaig ? A Mallaig, personne n'utilise d'armes à part les patrouilleurs...
Je note pour la répétition ! Merci !
Je l'aime bien ce Jun ! => Moi aussi :)
"Sans ça, le fait qu'Alya doive s'enfuir différemment des autres met une incertitude sur sa réussite ou non, on comprend que cela l'effraie !" => C'est sûr ! L'inconnu ça effraie à la base mais là toute seule...
En tout cas c'est un plaisir de lire ton ressenti et tes réactions :D
Eryn
Posté le 23/09/2020
J'aime beaucoup ton texte et j'essaie d'avancer un peu dans ma pal... au détriment de mes projets personnels XD ! / Je me posais la question des armes dans toutes les différentes villes en fait, j'ai pas du faire attention qu'elles étaient toutes différentes sur ce point. C'est pas que c'est pas renseigné, je pense juste qu'en lisant sur l'ordi, j'ai tendance à oublier certains éléments.
Rimeko
Posté le 04/05/2020
Yo Makara !
C'était bizarre de recevoir une notif' de nouveau chapitre sur Sillages T1 xD

Coquillettes :
"Alya n’avait jamais été douée pour se rappeler des prénoms. En particulier ceux des clones." C'est-à-dire ceux de tout le monde, du coup ?
"Il était plus de 23 (vingt-trois) heures passées"
"Rien à faire, Pavel était toujours pour elle, brutal et dénué d’intelligence." Le placement de la virgule me paraît bizarre...
"elle avait les yeux plongés dans le labyrinthe de gratte-ciel(s)"
"Plongée dans ses pensées et tracassée par l’état mental de sa mère, les couloirs et les ascenseurs se succédèrent jusqu’à l’entrée de la salle d’entraînement." Problème de syntaxe : les adjectifs ont pour "sujet" Alya, mais le verbe de la principale se rapport aux couloirs et ascenseurs... Peut-être rajouter un truc genre "elle voyait à peine les couloirs..." ?
"Qu'avait-elle fait pour être autant amnésié(e) ?"

Donc je vois que t'as un peu développé les entraînements comme tu en avais parlé, en réintégrant la scène avec Pavel, c'est bien géré ! Les vaccins, tu as totalement rajouté la scène, non ? Moi qui aime pas les piqûres, ça m'aurait marquée xDD Il me semble aussi que tu as un peu développé le dialogue entre Alya et Jun sur la maladie... ?
J'aime bien en tous cas le fait que tu introduises déjà certains clones (Pavel, comme dans la version d'avant, mais surtout Mina, Yumi et Ness) ! C'est sûr que ça marche mieux pour le lecteur d'apprendre leurs noms petit à petit, comme ça le côté "groupe" pose un peu moins de problème, on a le temps d'assimiler l'info... est-ce que ça a du sens ce que je raconte :P (Oh, et le fait que Yumi ne puisse plus parler à cause des Oublis, c'est super glauque o.O)
Je me demande toujours ce que la mère d'Alya a deviné de son départ d'ailleurs. C'est vraiment un drôle de perso...
Voilà voilà, bon courage avec la suite de la réécriture, tu vas rendre Sillages encore mieux, c'est trop cool <3
Makara
Posté le 04/05/2020
Coucou Rim :p
Bah je ne pensais pas que tu commenterais les nouveaux passages ! T'es trop shoupi <3
En effet, le passage sur le vaccin est totalement nouveau ! C'était un peu logique qu'ils passent par là^^ ahaha.
J'ai rajouté aussi des infos sur les membres du groupe un peu partout dans le roman^^ Depuis le 1er chapitre de rencontre !
(Oh, et le fait que Yumi ne puisse plus parler à cause des Oublis, c'est super glauque o.O) => Ouais, je trouve aussi :p
Il me semble aussi que tu as un peu développé le dialogue entre Alya et Jun sur la maladie... ? > Oui je l'ai remanié mais il va certainement encore changé^^
Je me demande toujours ce que la mère d'Alya a deviné de son départ d'ailleurs. C'est vraiment un drôle de perso... => J'avoue que je voulais qu'elle soit lunaire, décalée, je crois qu'il faut que je développe un peu plus sa relation avec Alya encore mais je ne sais pas où placer ça...
Merci de ta lecture :p
T'es à jour sur le tome 2 ? Tu m'as pas dit ce que tu pensais des deux derniers chapitres ?
Ps : je note pour les coquillettes, merci
Pleins de bisous volants <3
Rimeko
Posté le 04/05/2020
... COMMENT CELA DES NOUVEAUX CHAPITRES
mais z'ai pas eu la notif moi o.O
Makara
Posté le 05/05/2020
C'est normal ! T'as pas mis le tome 2 dans ta PAL :p
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