Chapitre 12 - Libération

Lise élevait ses enfants. Elle utilisait les pouvoirs de Mebaadia à fond. Ainsi, la famille se promenait souvent dans Central Park, avec des androïdes reproduisant les gestes des actuels promeneurs, humains ou animaux.

Ils visitèrent des musées, firent du shopping dans des centres commerciaux, partirent une semaine en randonnée en montagne, étudièrent les fonds marins.

Les pouvoirs des enfants se développèrent. Christophe cherchait par tous les moyens à attirer l’attention de son père. Pour cela, il s’acharnait à dépasser sa sœur et son frère en tout. Peu importait ses efforts, Mebaadia n’accordait jamais ni mot ni regard à l’enfant.

Magda s’était assagie, un peu trop aux yeux de Lise. La jeune fille rebelle était devenue renfermée et distante. Elle parlait peu et restait souvent seule de longues heures. Elle refusait de se livrer. Elle arrivait en retard à tous les repas, subissant, imperturbable, la punition physique de Mebaadia. Lise en soupirait de désespoir. Les méthodes éducatives du dieu de la souffrance, de la destruction et de la mort ne portaient pas mieux que les siennes. La preuve : Magda continuait à arriver en retard malgré les chocs électriques toujours plus violents.

Charles passait tout son temps avec son père. Lorsque le garçon lança son premier sort, Mebaadia l’emmena à l’écart. Ils pouvaient ainsi disparaître des heures entières. Que faisaient-ils ? Lise l’ignorait mais le résultat était là : Charles lançait des sorts d’une complexité ahurissant pour son âge.

Christophe demandait à Lise de lui montrer. La magicienne faisait de son mieux, lisant les meilleurs ouvrages, demandant à des androïdes d’expliquer, de montrer. Elle travaillait avec Chris, les deux progressant en même temps.

Malgré cela, Charles restait bien meilleur. En l’absence de Mebaadia, le cadet ne prenait pas de repos. Il continuait à s’entraîner, sans relâche, comme si sa vie en dépendait. Mebaadia lui avait-il indiqué quel serait son avenir ? Charles, marqué par le dieu de la mort, souhaitait-il lui plaire au point de se dépasser pour lui ?

Lise l’ignorait. Elle ne pouvait que constater l’évidence : Charles adorait son père. Il souriait dès qu’il arrivait et le rejoignait avec joie.

Magda ne se plaignait pas, ne pleurait pas, ne gémissait pas, mais Lise voyait la peine de sa fille. Depuis l’arrivée de Charles, Magda avait doucement cessé d’exister pour Mebaadia qui ne lui adressait désormais presque plus la parole. Magda avait cessé de travailler. À quoi bon ? Mebaadia, qui l’encourageait quand elle était petite, avait totalement cessé pour ne regarder que Charles.

Magda passait ses journées devant la télévision et dans les centres commerciaux. Elle comblait le temps en essayant des vêtements, achats compulsifs interminables.

Si Magda existait peu aux yeux de Mebaadia qui ne posait les yeux sur elle que pour s’assurer qu’elle s’agenouillait bien pour le saluer, bien pire était son attitude envers Christophe.

Mebaadia avait d’abord interdit à Lise de nourrir Christophe, alors âgé de trois ans, arguant qu’il était bien assez grand pour le faire lui-même et que Lise devait prendre soin d’elle, ce qui impliquait de ne pas faire double journée à cause du bâtard.

Lise s’était soumise mais avait adapté les menus de Christophe afin qu’ils soient faciles à manger pour l’enfant. Mebaadia était de nouveau intervenu, lui ordonnant de cesser, que cela doublait également la préparation, ce qui était inacceptable. Christophe devait manger comme eux.

Lise avait cédé. Elle mettait de côté la part de Christophe, la laissant au chaud le temps du repas, puis servait l’enfant qui mangeait seul pendant que Lise faisait la vaisselle. Cela n’avait toujours pas convenu à Mebaadia. Le surplus de nettoyage déplaisait au maître des lieux. Christophe dut manger à même les plats et se contenter des restes de ses frères et sœurs.

Un jour que Charles, affamé, s’était jeté sur la nourriture pour n’y rien laisser, Lise avait chipoté sur son assiette, faisant mine de ne pas avoir faim pour s’assurer que son fils ait quelque chose à manger. Mebaadia n’avait pas supporté cet affront. Lise avait connu le fouet. Christophe se résigna à se contenter des restes froids et Lise ne s’opposa plus. La magicienne trouvait cela tellement injuste. Christophe l’aidait à préparer le repas et à faire la vaisselle. Il aurait dû en avoir plus que Magda et Charles qui ne faisaient rien.

Lise, qui ne souhaitait pas que Mebaadia puisse lui reprocher quoi que ce soit, faisait en sorte de consacrer autant de temps aux uns et aux autres. Ainsi, elle proposait des activités communes, à quatre, mais aussi à chacun de ses enfants, un par un. Ceux laissés seuls ne risquaient de toute façon rien dans ce paradis sous contrôle.

Lise accompagnait souvent Magda dans les galeries commerçantes. Elle pouvait passer des heures dans les rayons à se choisir des vêtements, des chaussures, des bijoux, du maquillage, des sacs. Elle aimait ce qui brillait, les robes, les jupes, les accessoires féminins. Elles revenaient toujours les mains pleines de sacs pour lesquels elles n’avaient évidemment pas dépensé un centime, tout ceci étant faux.

Christophe préférait les légo et les puzzles, les jeux de patience, de concentration. Il maîtrisait les échecs et les jeux de stratégie. Il jouait au basket avec des joueurs animés.

Charles demandait exclusivement de la magie, toujours de la magie, encore de la magie. Lise lui enseignait volontiers. De la pratique, jamais de théorie, que le jeune homme haïssait.

En famille, ils se rendaient dans des piscines ou des zoos. Lise ne parla jamais de son monde d’origine à ses enfants. Ils la croyaient terrienne et elle ne tenait pas à ce qu’ils pensent autre chose. Son passé était mort. Elle ne voulait pas y repenser.

Depuis qu’elle avait tué le prêtre des Aar’myths, alors l’avatar d’Izanagi, elle ne s’était plus rendue dans sa chapelle pour prier Baca. Elle vivait pour ses enfants, survivant chaque jour, offrant à Mebaadia ce qu’il voulait, espérant sa clémence.

Il se montrait tendre et aimant. Tant qu’on lui obéissait, tout se passait bien. Magda était la seule à lui tenir tête, arrivant en retard à chaque repas. Mebaadia ne semblait pas s’en agacer. Il prenait plaisir à entendre sa fille hurler, tout autant que la blessure mentale de Lise le ravissait.

 

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- Tu veux un peu de compagnie ? proposa Christophe.

- Pas la tienne, gronda Magda en retour.

- Tu préfères celle du chouchou ? argua Christophe.

- Ta gueule, bâtard.

- M’appelle pas comme ça, grogna Christophe.

- Empêche-moi ! répliqua Magda.

- Je n’ai pas envie de te faire du mal.

Magda ne répliqua pas. Ils savaient tous les deux qu’en cas de combat, la jeune femme perdrait. Elle avait lâché l’affaire depuis longtemps. Magda avait bien plus d’énergie en réserve que Christophe mais sa maîtrise était faible. À quoi bon s’acharner ? Tout le monde s’en fichait et pourquoi se donner la peine de s’améliorer ? Si Magda voulait quelque chose, il lui suffisait de demander. Père offrait ses pouvoirs à tous ceux qui demandaient gentiment.

- Père s’en charge déjà assez bien, poursuivit Christophe.

Magda avala difficilement sa salive. La veille, Magda était une fois de plus arrivée en retard au dîner. La jeune femme s’était retrouvée au sol et ses hurlements n’avaient ému personne.

- Je comprends, indiqua Christophe. Au moins, il s’intéresse un peu à toi.

- Ferme ta gueule, répéta Magda.

- Ça fait mal ? demanda Christophe.

- T’es con ?

- Tu en redemandes alors il y a de quoi se poser la question. Si je m’asseyais pour manger à table avec vous, tu crois qu’il daignerait lever les yeux sur moi ?

- Il te massacrerait. Fais pas ça, Chris, supplia Magda.

Même si elle se montrait cruelle envers le jeune homme, il restait son frère et elle l’aimait.

- Tu n’y arriveras jamais, poursuivit Magda.

Christophe lui lança un regard interrogateur.

- À dépasser Charles, précisa Magda. Pourquoi tu t’acharnes ? Charles apprend directement de père. Lise fait ce qu’elle peut mais elle n’est pas à la hauteur.

- Pour la même raison que tu arrives en retard à tous les repas, admit Christophe.

Tout pour un peu d’attention de père, sous n’importe quelle forme.

- Tu crois qu’un jour, on verra de vrais gens ? demanda la jeune femme.

- On est quoi selon toi ?

- Des vrais gens autre que notre famille, précisa Magda. On est où ici ?

- Dans le paradis que père a crée pour nous.

- Pour nous protéger, je sais, s’écria Magda. Je connais la rengaine. Maman nous la sert à chaque fois, joli petit texte appris par cœur et répété comme une bonne esclave docile. Sauf que c’est pas le paradis ici, c’est une prison.

- Tu peux aller où tu veux, répliqua Christophe.

- Je peux me rendre dans une putain d’illusion, oui. Je veux le vrai monde.

Christophe grimaça.

- Magda ? dit Lise en apparaissant près des enfants. Ça te dit une sortie au centre commercial ?

- Oui, dit Magda en se levant.

- Chris ? Tu veux nous accompagner ? proposa Lise.

- Non, merci, répondit Christophe qui n’avait aucune envie de passer des heures au milieu de chiffons.

Les deux femmes apparurent dans un centre commercial bondé. Des magasins de vêtements et de maquillage, ainsi que des bars et des restaurants bordaient les allées. Lise demandait les créations provenant de la Terre, se sachant incapable d’imaginer ces habits elle-même.

- Maman ?

- Oui, Magda ?

- Où est le danger ?

- Comment ça ?

- Cet endroit est bien la reproduction d’une galerie commerciale sur Terre ?

- En effet, et alors ?

- Alors pourquoi ne pouvons-nous pas tout simplement y aller, dans la vraie, je veux dire. Pourquoi cette copie avec ces faux gens ?

- C’est dangereux.

Lise ne mentait même pas. Si Magda sortait et se faisait repérer par des dieux, ils mettraient tout en œuvre pour la tuer afin de priver Mebaadia de ce levier d’action.

- Où est le danger ? répéta Magda. Je ne le vois nulle part. Juste des gens qui achètent des fringues.

- Le danger ne vient pas des autres clients. Magda, nous ne pouvons pas…

- Pourquoi ? Pourquoi ne vivons-nous pas dans un monde réel ? Où sommes-nous ?

- Dans le paradis crée par votre père pour…

- Nous protéger, je sais. De quoi ?

- Des maladies, des crimes, des fous, des guerres, des voleurs, des assassins, des accidents, dois-je continuer ? Dans le jardin ensorcelé, rien de mal ne peut vous arriver.

- Rien de bien non plus, dit tristement Magda.

- Que veux-tu dire ?

- Est-ce que tu aimes papa ?

Lise ne s'attendait pas à cette question, posée aussi abruptement. La réponse était très compliquée. Elle aimait Esteban pour son corps, pour les efforts dont il était capable, pour sa touchante naïveté. Mebaadia, lui, ressemblait davantage au prince charmant, adorable, raffiné, élégant mais également inaccessible. Alors que Lise cherchait toujours comment répondre, Magda annonça :

- Ton silence est une réponse en soi.

- Ce n'est pas ce que tu crois.

- Si tu l'aimais, dire que c'est le cas serait facile.

- C'est compliqué, dit Lise mais Magda ne fut pas convaincue.

De fait, elle aimait Esteban. Aimait-elle Mebaadia ? Depuis qu’elle l’avait trahi, rien n’avait plus été comme avant. Il se montrait distant, comme s’il réfrénait ses émotions, qu’il se contenait. Lise le craignait et lui obéissait au doigt et à l’œil. Si elle avait apprécié un jour sa présence, ce n’était plus le cas aujourd’hui. Par sa faute, elle avait dû tuer un prêtre de sa religion. Elle ne lui pardonnerait jamais ce crime affreux. Elle le haïssait de toute ses forces. Non, elle ne l’aimait pas.

- Je l'aime, continua Lise en pensant à Esteban, de tout mon cœur, de toute mon âme.

Magda hocha la tête.

- Tu l'as rencontré sur un monde réel.

Mebaadia, oui, Esteban, non. Cette conversation devenait complexe.

- Oui, choisit de répondre Lise.

- Où suis-je censée rencontrer quelqu'un ? Je voudrais avoir des amies, sortir en boîte, danser, rentrer tard, m'amuser, avoir des petits copains, embrasser, caresser, faire l'amour. Comment cela pourrait-il m'arriver dans le monde protégé de père ?

Lise resta muette de tristesse. Sa fille n'aurait jamais tout ça. Lise ignorait que Magda pensait à cela. Elle comprit que sa fille puisse être aussi taciturne. Elle rêvait de liberté, tout simplement. Ça n'avait rien à voir avec sa mère. Magda avait compris depuis longtemps qu'elle ne pouvait rien contre son père alors elle avait tout mis sur sa mère. Lise se sentit mal. Une boule se forma dans sa gorge.

- Je ne suis plus une enfant, continua Magda. Les sorties au zoo ou même au centre commercial ne me suffisent plus, maman. Il me faut davantage. Mon ventre gronde. Serais-je mère un jour ?

Lise gémit en réponse à cette question. Que pouvait-elle répondre à sa fille ? Oui, tu seras mère le jour où ton père te violera pour que tu mettes au monde ses futurs avatars ?

Magda regarda sa mère et elle sut qu'elle souffrait mais la jeune femme ne lâcha pas l'affaire. Elle voulait des réponses.

- Ces parodies ne me suffisent pas, maman. Je veux la réalité ! Je veux parler avec des vraies gens !

- Tes frères et sœurs sont des vrais gens, répondit Lise.

- Ils ne me suffisent pas ! Père m’ignore, Charles me méprise et le bâtard ne mérite pas que je…

- Ne parle pas ainsi de ton frère ! gronda Lise.

- Chris a toujours été ton préféré !

- Ce n'est pas vrai, se défendit Lise.

- Père me fait souffrir par magie. Tu ne fais rien, l'accusa Magda.

- Que suis-je censée faire ? Ton père est tout puissant. Arrête de le défier.

- Je veux être libre, répéta Magda. Je ne veux pas devenir comme toi.

Lise s’en figea de tristesse. Magda fit apparaître un vortex et disparut, laissant sa mère anéantie derrière elle.

- Mon trésor ?

Mebaadia ne l’avait pas appelée ainsi depuis des années. Quant au ton employé, doux, triste, caressant, Lise ne pensait pas le réentendre un jour.

La magicienne se tourna vers Mebaadia pour constater qu’il lui tendait la main. Elle la saisit et le décor changea. Elle se retrouva dans le salon.

- À genoux, mon trésor, chuchota-t-il tendrement.

Lise obéit. Charles, qui s’entraînait adossé au mur, leva le nez vers la scène. Magda et Christophe approchèrent.

- Le moment est venu, annonça Mebaadia. Vous êtes assez grands et votre mère a assez donné. À mon tour de la servir.

Lise posa les mains sur le sol, incapable de se maintenir correctement à genoux sous le choc. Christophe observa sa mère, sans comprendre. Leur père allait la servir ? Première nouvelle. Le maître des lieux ne servait jamais personne.

- Accordé, dit son père.

À qui le maître des lieux venait-il de s’adresser ? Christophe constata que l’attitude de son père changea. Il se tenait moins droit. Son regard se fit plus doux et intensément chaud.

- J’t’aime, fils, dit-il.

Christophe n’avait entendu son père parler de cette manière, en mâchant ses mots. Et puis, cette déclaration, cela ne lui ressemblait tellement pas !

- Détends-toi et laisse-toi faire. C’est juste un moment mauvais à passer. Après, t’oublies. J’suis désolé, Chris, mais j’en peux plus. J’aurais aimé t’protéger. J’ai échoué. Pardonne-moi.

Christophe constata que sa mère pleurait silencieusement. Magda observait la scène sans comprendre. Charles restait à l’écart, observant la scène les lèvres pincées, comme s’il s’évertuait à s’empêcher de chier.

Christophe vit son père reculer d’un pas et attendre, les yeux baissés. Que pensait-il qu’il allait se passer ? Christophe sentit alors une présence familière mais terrifiante près de lui et jamais une douleur aussi forte ne le transperça.

- C’est parfait, s’entendit-il dire. Voilà qui conviendra à merveilles.

Christophe tenta de reprendre le contrôle de son corps mais la souffrance le cloua sur place. Pourtant, il bougeait et parlait, mais sans maîtriser ses gestes. Il constata, effaré, la présence d’un pistolet dans sa main. Il pointa l’arme sur son père et le coup de feu résonna, doublé du cri horrifié de Magda.

Christophe ressentit un immense soulagement et un bonheur indicible. Il venait de tuer son père et en ressentait du plaisir ? Mais pourquoi ?

- Christophe ? s’écria Magda.

- Ce n’est pas Christophe, indiqua Charles. C’est père.

- Père ? Quoi ? s’exclama Magda, totalement perdu.

Christophe non plus ne comprenait pas. Que se passait-il ? Charles expliqua :

- Père vient de changer officiellement d’avatar. Bien sûr, cela fait des années qu’il me prend de temps en temps quand il a besoin mais Christophe sera son principal.

Magda regarda Christophe puis Charles, le regard plongé dans l’incompréhension la plus totale.

- J’avais intérêt à être le meilleur, précisa le cadet. Père m’avait prévenu : il prendrait comme avatar principal le plus mauvais de nous deux, se gardant le meilleur pour les cas d’extrême urgence, en secours en somme. J’ai donné et Christophe, désolé mon frère, mais sur ce coup-là, j’ai choisi d’être égoïste. Je préfère autant toi que moi.

- Je ne comprends pas ! chouina Magda.

- Je suis Mebaadia, le dieu de la souffrance, de la destruction et de la mort. Christophe et Charles sont mes avatars. Toi, tu vas me donner les suivants. Tu voulais être mère ? Ça ne va pas tarder, chère enfant. Préfères-tu que le bâtard t’engrosse ou que Charles s’en charge ?

- Que… Quoi ? bafouilla Magda.

- Pour ma part, ça m’est égal, précisa Mebaadia.

- Je préférerais autant passer mon tour, indiqua Charles.

- Je ne veux pas que le bâtard me touche ! cingla Magda.

- Lequel vais-je écouter ? Le gentil fils obéissant ou la méchante fille rebelle ?

Magda ouvrit de grands yeux terrifiés. Christophe, l’esprit noyé dans la souffrance, avait fini par lâcher prise. Il écoutait et suivait l’échange comme dans un bain de lave. Il comprit qu’il allait devoir coucher avec sa sœur.

Il observa sa mère, le visage trempé, caresser avec tendresse l’homme étendu sur le sol, celui qui l’avait appelé « fils », qui lui avait dit l’aimer. « L’avatar précédent du dieu de la souffrance, de la destruction et de la mort », comprit Christophe qui savait ce qu’était un avatar, pour l’avoir appris lors d’une des nombreuses leçons de Lise. À bien y réfléchir, celle-ci revenait régulièrement, davantage que les autres. Christophe n’y avait jamais prêté attention.

Christophe ressentit un immense peine à cette vision, comme si on lui arrachait le cœur. Il se sentit empli de jalousie. Il voulait que Lise cesse de caresser ce corps inanimé, qu’elle le regarde, lui. Plein de rage, Christophe vit son bras se lever, pointant l’extrémité de son arme sur la tête de sa mère.

- Mebaadia ? murmura Lise en le fixant dans les yeux.

Son index se figea à un cheveu de la détente. Enfin, elle le voyait.

- Est-ce qu’il est au paradis ? demanda Lise.

Elle voulait de ses nouvelles. Elle ne s’intéressait qu’à lui. Il n’était qu’un simple pourvoyeur d’information. Un instant, il eut envie de ne pas répondre, de la laisser dans l’incertitude et soudain, il craqua et un amour violent, sincère et profond l’envahit, sensation incommensurable, puissante et inaliénable. Il voulait son bonheur. Il désirait la voir sourire.

Il n’avait pas besoin de vérifier. Il ressentait toutes les âmes dont il prenait soin. Il savait où Esteban se trouvait. Il fut heureux. Il verrait un sourire, un dernier.

- Maât a été clémente, indiqua Mebaadia.

Le dieu de la souffrance, de la destruction et la mort obtint le geste tant désiré. Les larmes de joie de Lise se mêlèrent à son sang tandis qu’elle rejoignait son amour dans une éternité de paix.

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Honey41
Posté le 07/10/2023
Donc Lise et Esteban se retrouvent au Paradis, Mebaadia a perdu son amour, Charles est devenu un puissant magicien, et Chris et Magda vont devoir coucher ensemble.
Très glauque en effet.
Nathalie
Posté le 07/10/2023
J'avais prévenu dès le départ. J'espère malgré tout que tu as passé un beau moment de lecture
Bruno
Posté le 28/07/2023
Petite correction à apporter au quatrième paragraphe : Elle arrivait en "regard" à tous les repas.
Gorge nouée et montée de larmes à la fin du récit, tel est mon sentiment à la fin de cette lecture, on ne pouvait rien attendre de mieux du dieu de la souffrance, de la destruction et de la mort mais heureusement même un dieu peut aimer. Merci pour ce récit malgré sa noirceur, il y a toujours un rayon de lumière...
Nathalie
Posté le 29/07/2023
Bonjour Bruno

Correction effectuée. Merci beaucoup.

Ce roman est sombre, triste et glauque. Il n'est pas noté "horreur" pour rien, c'est certain. Vu sa façon d'aimer, a-t-on vraiment envie de subir Son amour ? Ravie de vous avoir une fois de plus contenté !
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