Chapitre 11 - Sanction

La première chose que Lise fit à son arrivée sur le jardin paradisiaque fut de vomir. Le simple fait d'être là la rendait malade. La seconde fut de ressentir la perte de tous les ancrages. Mebaadia venait de retirer les routines rattachées à elle. Enfin, la terreur qui la transperça lui apprit qu’Esteban n’était plus. Mebaadia vint se placer devant elle.

- Donne-moi ton fils, susurra Mebaadia.

Lise le serrait contre elle. C'était son bébé. Elle venait de tout perdre pour le sauver. Son instinct de mère lui hurlait de ne pas s'en séparer, surtout pour l'offrir au maître des lieux.

Sauf qu’il venait de donner un ordre et il détestait par dessus-tout ne pas être obéi. La punition serait brutale et incommensurable. Consciente de ne pas avoir le choix, elle lui tendit Chris en tremblant.

Mebaadia s'empara de l'enfant et l’observa un long moment. Lise aurait été incapable de savoir ce que pensait le dieu. Il semblait partagé entre la rage, l’incrédulité, le bonheur et la colère.

- À genoux, Lise.

La magicienne avait perdu ses réflexes. Elle se soumit, espérant qu’il ne lui tiendrait pas rigueur de cet oubli. Elle constata qu’il l’avait appelée par son prénom et non « mon trésor ». Lise craignit la suite. Qu’allait faire le dieu de la souffrance, de la destruction et de la mort ?

- Nul doute qu'il deviendra un grand magicien. Forme-le bien, Lise.

Mebaadia lui tendit Chris. Lise le récupéra sans comprendre. Voilà, c’était tout. Pas de punition ? Pas de torture ? Pas de souffrance. Il l’acceptait. C’était aussi simple que ça.

- Va t’occuper de Magda, ordonna-t-il.

À ces mots, il disparut, laissant une Lise déboussolée, ravie et inquiète. Cela ne présageait rien de bon. La punition viendrait après, elle le pressentait.

Chris gazouilla, la ramenant au présent. Elle avait deux enfants à charge. Il s’agissait de ne pas se perdre dans ses pensées. Elle avait du boulot.

Lise se leva et entra dans la maison, Chris dans les bras. Elle arriva dans la pièce centrale pour constater que celle-ci avait été totalement modifiée. La fontaine avait cédé la place à un parc pour enfant. Le sol était mou par endroits.

Dans le parc, une fillette jouait. Lise resta en arrêt. La petite était assise, de trois quarts de dos par rapport à la jeune femme. Ses cheveux bruns presque roux étaient bouclés. Elle avait grandi, tellement grandi.

La fillette se rendit compte d'une présence à ses côtés. Elle se tourna et Lise croisa son regard marron. L'enfant cligna plusieurs fois des yeux. Elle semblait analyser la situation.

« Est-ce le premier être vivant qu'elle voit ? » se demanda Lise. « Comment Mebaadia, sans avatar, a-t-il fait pour s'en occuper ? Des androïdes, probablement. »

- Bonjour, Magda. Je m'appelle Lise et voici ton frère Chris.

Lise s'approcha et déposa son fils dans le parc. Magda le regarda et posa une main sur le ventre du garçon. Chris gazouilla et Magda rit. Lise caressa une boucle de sa fille avant de continuer :

- Je vais prendre soin de toi à partir de maintenant.

La petite hocha la tête.

- On joue ? proposa Lise et la fillette ramassa une bouée en plastique avant de la lui tendre.

Lise sourit. Elle avait envie de pleurer mais se retint. Elle joua avec plaisir tandis que Chris dormait.

Mebaadia rejoignit Lise tandis qu’elle préparait le repas sous le regard attentif de Magda. Lise s’agenouilla devant le maître des lieux.

- Bonjour, Magda, dit Mebaadia en s’accroupissant devant la fillette. Je suis ton père et je vais continuer à prendre soin de toi. Tu me reconnais ?

La fillette, ressentant la présence bienfaisante l'environnant depuis sa naissance, hocha la tête.

- À genoux, toi aussi, comme ta maman, tu vois ? Imite la.

Lise frémit. Demander cela à une enfant aussi jeune lui donna la nausée. Pourtant, Magda obéit.

- C’est bien, dit Mebaadia. Tu agiras de cette manière à chaque fois que tu me verras pour la première fois de chaque journée. Maintenant, tu peux venir me faire un câlin.

La fillette se propulsa avec joie dans les bras de son père, geste qu'elle n'avait pas encore eu envers Lise. Mebaadia déposa un tendre bisou sur la joue de sa fille qui gloussa d’aise. La magicienne baissa les yeux. Le voir proche de Magda fut une véritable torture pour la prisonnière. Elle se souvint que la fillette portait la marque du dieu de la mort, qu’elle désirait autant sa présence qu’elle répugnait à Lise.

Mebaadia indiqua d’un geste à Lise qu’elle pouvait se relever, s’assit sur le plan de travail et, Magda dans les bras, annonça :

- Mes collègues sont dans une rage folle, tu n’imagines même pas. Izanagi n’a jamais pleuré aussi fort.

Lise n’en revenait pas. Il reprenait la vie comme avant, comme si rien ne s’était passé. Elle poursuivit la préparation du repas tandis qu’il parlait sous les oreilles attentives de la fillette qui n’en perdait pas une miette.

- Depuis que tu as tué son avatar, il réclame que je t’inscrive dans le registre. J’ai répliqué que tu n’avais rien à y faire, n’ayant jamais contenu mon essence.

Lise écouta en silence, comme avant.

- Ensuite, ils se sont moqués de moi parce que j’avais perdu mes deux avatars.

Lise se crispa. Allait-il lui en faire le reproche ?

- Je savais que vous étiez sur Terre mais je ne pouvais pas vous chercher sans attirer l’attention. Or ils me surveillaient de près, tu t’en doutes.

Lise voulait bien le croire.

- Ils sont dégoûtés de vous savoir de nouveau à moi. Izanagi chouine, se plaignant du fait que j’ai deux avatars, que c’est injuste. Je réplique en insistant sur le fait que non, je n’ai pas deux avatars.

- Aucun d’eux n’a encore compris ? demanda Lise.

- Non, rit Mebaadia.

- Comment expliquent-ils que vous choisissiez de n’utiliser que le plus mauvais des deux magiciens ?

- Pour préserver le bon, répondit Mebaadia. Le mauvais se fatigue et risque sa vie. Le bon gagne en puissance en attendant.

- Ils ne savent pas à quel point je suis puissante, comprit Lise.

- Ce n’est pas moi qui vais le leur révéler, s’amusa Mebaadia. Cette conversation t’ennuie.

Lise constata qu’il venait de s’adresser à Magda.

- Bien sûr, Magda. Je suis d’accord avec toi. Allons jouer à côté pendant que ta maman finit de préparer le repas.

Mebaadia sortit de la cuisine avec Magda, laissant Lise seule. La magicienne se crispa puis reprit la préparation. Avant, Mebaadia restait avec elle. Voilà qu’elle se retrouvait seule. Il lui préférait Magda. Lise enfouit sa jalousie au fond d’elle ainsi que sa peine d’être seule.

Ils ne revinrent qu’une fois le repas servi. Lise nourrit Magda tandis que Chris dormait dans un couffin au sol. Ce premier dîner se passa bien. Mebaadia prit congé. Lise coucha Magda, allaita Chris qui s’endormit juste après puis rangea la cuisine.

Elle se sentait épuisée. Lorsqu’elle avait quitté la Terre, c’était le beau milieu de la nuit. Elle tenait à peine debout. Elle pouvait bien sûr utiliser ses pouvoirs pour se régénérer un peu mais autant dormir.

Elle se dirigea vers la salle de bain mais Mebaadia apparut et lui fit signe de le suivre. Incrédule, elle entra dans la chambre bleue puis se tourna vers le maître des lieux qui fermait la porte.

- Déshabille-toi, ordonna-t-il.

- Maître ? J’ai accouché il y a à peine quinze jours et j’allaite Chris.

- Et donc ? grinça Mebaadia.

Lise baissa les yeux et fit tomber sa robe au sol. Elle devait avouer ne pas comprendre mais n’osa pas s’opposer à la volonté du maître des lieux.

- Allonge-toi sur le lit.

Il usait d’un ton tellement froid. Lise se sentit glacée jusqu’aux os. Peu désireuse de mettre le dieu en colère, elle obtempéra. Alors qu’elle se plaçait sur le dos, elle constata qu’il retirait ses vêtements. Il ne l’avait jamais fait avant. Que se passait-il ?

Il se plaça sur elle, reposant sur ses coudes pour ne pas l’écraser. Lise fut tellement surprise qu’elle n’eut pas la présence d’esprit de refuser le baiser qui suivi, un contact sauvage, brutal et en même temps tendre et passionné. Ses mains, brûlantes, entreprirent de caresser son corps comme…

- Maître ? Je vous en prie, non ! supplia Lise.

Il agissait comme Esteban, l’imitant à la perfection. Il allait détruire tous ses souvenirs. Il allait salir tout le bonheur obtenu sur Terre.

- Tu m’as trahi, Lise, siffla Mebaadia, le regard plus noir que jamais. De la manière la plus abjecte qui soit.

Lise en gémit de terreur. Jamais la sensation n’avait été aussi intense.

- Tu avais quatre milliards de bites à ta disposition sur Terre et il a fallu que tu t’offres à la seule et unique que je t’avais interdite ?

Lise s’enfonça encore dans le matelas. Elle aurait voulu disparaître.

- Tu aurais choisi n’importe lequel des quatre milliards de mâles tous prêts à te satisfaire que ton engeance n’aurait pas été magicien et j’aurais alors pu le laisser là-bas. Mais non ! Il a fallu que tu ouvres les cuisses pour le seul et unique dont je t’avais indiqué l’interdiction formelle, m’obligeant à accueillir ce bâtard sous mon toit !

Il avait crié l’insulte. Lise comprit qu’il se retenait jusque-là. Dans ce lit, dans cette chambre, dans cette intimité, il dévoilait toute l’étendue de sa rage. Lise se trouva incapable de bouger ou de parler. Pétrifiée, elle attendait la sentence avec angoisse.

- Si je l’avais laissé, il serait devenu l’avatar d’un de mes collègues et c’est inacceptable, poursuivit Mebaadia. Me voilà obligé de subir la présence permanente de la preuve de votre trahison.

Lise eut soudain peur que Mebaadia ne décide de tuer Christophe. Elle sentit son âme hurler de terreur. Mebaadia reprit ses caresses et entreprit même d’embrasser Lise dans le cou.

- Maître ? gémit Lise, ne comprenant pas ce qu’il faisait.

- Tu veux mon pardon ? demanda-t-il en arrêtant un instant ses attouchements.

Lise hocha fébrilement la tête.

- Alors donne-moi ton plaisir, plus de fois que tu ne le lui as donné à lui.

Lise se figea. Il voulait qu’elle… jouisse… avec lui ? Elle ne supportait pas son contact. C’était impossible !

- Ne t’inquiète pas. Je ferai ce qu’il faut. J’ai un excellent guide, assura Mebaadia en désignant son crâne. Et puis, ce corps te plaît, non ? Il sent bon, Esteban, hein ?

Lise gémit. Elle ne voulait pas.

- Tu vas jouir pour moi, Lise, dussé-je y consacrer toute la nuit. Je recommencerai chaque soir, encore et encore, jusqu’à ce que tu te sois davantage donnée à moi qu’à lui. Alors seulement, je t’accorderai mon pardon.

Lise rendit les armes. Il venait d’annoncer la sentence. Il ne reviendrait pas dessus. Il reprit ses caresses et Lise ne chercha pas à s’opposer. Elle fut en revanche incapable de se laisser aller. Elle pleura beaucoup.

- Maître ? Puis-je aller nourrir Chris, s’il vous plaît ? demanda-t-elle en plein milieu de la nuit alors que ses seins la tiraient.

- Tu as joui ?

- Non, maître.

- Alors non. Tu ne quitteras cette chambre qu’une fois ton plaisir obtenu ou Magda levée. Le bâtard attendra.

Lise ne put rejoindre son fils qu’au matin. La magicienne était épuisée de cette nuit blanche passée à lutter et à sangloter. Elle ne rêvait que de repos. Heureusement, la sieste des petits lui apporta un peu de répit.

Il fallut un mois pour que Lise offre enfin au dieu ce qu’il voulait. Par la suite, il l’obtint chaque nuit mais après plusieurs heures de douces attentions. Après son orgasme, Lise se retrouvait seule, prostrée, le ventre attaqué par les billes mortelles, avec plus personne pour la rassurer.

 

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La magicienne était épuisée. Les nuits étaient courtes et Magda réclamait une attention constante. La fillette, très jalouse de son frère, faisait tout pour accaparer sa mère. La gamine avait vite compris que gémir, sangloter, pleurer ou crier lui permettait de tout obtenir de sa mère.

Lise craignait que Mebaadia ne lui reproche de ne pas s’occuper de sa fille, ou de lui préférer Christophe alors elle délaissait souvent son fils pour couver sa première d’attentions. Magda devenait un peu plus chaque jour un enfant tyran et Lise ignorait comment changer cela. Elle s’en voulait tellement de l’avoir abandonnée qu’elle ne pouvait se résoudre à simplement la punir dans sa chambre.

Chris commençait enfin à se tenir assis seul. Lise, ravie, installa un midi une chaise haute dans la cuisine afin de tenter, pour la première fois, un repas solide. Si elle pouvait réduire l’allaitement, peut-être une nuit complète serait enfin envisageable.

- Retire ça, Lise, ordonna Mebaadia lorsqu’il entra dans la salle à manger une fois le repas prêt.

Magda, qui s’apprêtait à s’asseoir à sa place, se figea, observant la scène avec attention.

- Le bâtard ne mangera pas à ma table, gronda le dieu.

Tous les muscles de Lise se tendirent. Il avait osé l’appeler ainsi devant les enfants. Chris, trop petit, continua à jouer tranquillement sur son tapis d’éveil mais Magda n’en rata pas une miette. Bien sûr, elle était trop petite pour saisir pleinement l’insulte, mais l’enfant sentit la gravité du moment.

- Il se nourrira après nous, indiqua Mebaadia, à la cuisine.

Lise espéra qu’il ne réclamerait pas en plus qu’il fasse le service. Après tout, il aurait pu le faire. Il était le maître. Ses désirs, quels qu’ils soient, étaient des ordres. Lise retira la chaise haute sans rien dire et le repas se fit sans le cadet qui attendit sagement, sans se plaindre. Mebaadia parla beaucoup, sous le regard d’une Magda captivée. Une douleur sourde pulsait dans la poitrine de Lise qui s’obligea à manger pour satisfaire le maître des lieux.

Chris avala volontiers sa purée dans la cuisine. L’allaitement put décroître pour finalement cesser. Lise se paya le luxe d’une nuit complète. La deuxième fut scindée par une violente douleur déchirant son ventre de l’intérieur. Malgré l’heure tardive, Mebaadia apparut immédiatement, les yeux rieurs.

- Tu es merveilleuse, annonça-t-il, ravi. Monte ton bouclier.

- Je suis fatiguée, pleura Lise.

- Tu vas y arriver. Tu es forte.

Lise obéit mais elle le sentait, cette grossesse-là, elle n’y survivrait pas. Elle garda le silence, peu désireuse de mettre en colère le maître des lieux.

Le lendemain soir, Mebaadia la pria de le rejoindre dans la chambre bleue.

- Maître ? gémit Lise. Je suis enceinte.

- Et alors ? répliqua le dieu. Ce que nous faisons là n’est pas de la reproduction. Ce bébé, c’est juste la cerise sur le gâteau.

Lise trembla. Il ne s’arrêterait pas tant qu’il n’aurait pas supplanté son concurrent. Son pardon était à ce prix.

- En revanche, je vais arrêter d’éjaculer. Ça devrait te faire plaisir.

Lise dut admettre que l’idée de ne pas subir l’assaut des billes mortelles après chaque jouissance la réjouissait.

- Comme ça, poursuivit Mebaadia, Esteban souffrira le martyre.

Lise retint ses larmes.

- Obligé de te voir prendre du plaisir entre mes mains sans avoir le droit de recevoir le sien.

Lise donna à son ravisseur ce qu’il demandait, impuissante face à la détresse et la douleur de son compagnon. Elle n’avait de toute façon pas le choix.

 

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Le ventre de Lise était rond. Charles – nommé par Mebaadia lui-même – viendrait dans deux mois. Lise s’assit aux côtés de Christophe qui riait aux mouvements batifolants d’un papillon mécanique lui tournant autour. Lise avait amélioré le jardin, y rajoutant des animaux, pour plus de réalisme. Bien sûr, rien n’était vivant mais cela apportait beaucoup aux enfants. Elle leur demandait de respecter ces vies – même fausses. Elle leur faisait des leçons de choses. Ils purent même voir un papillon sortir de sa chrysalide.

- Voilà, mon fils, c’est fini, dit Lise.

Christophe leva les yeux vers sa mère. Il ne comprenait pas. Il était trop petit.

- Fini ? dit Magda qui dessinait à côté d’elle sur le sol.

Lise toucha son ventre. Elle n’avait plus d’énergie. Elle retiendrait encore une ou deux attaques du bébé, pas davantage. Mebaadia accepterait-il de faire sortir le bébé avant terme ?

- Maître ?

Mebaadia apparut quelques instants plus tard.

- Je suis vide, annonça-t-elle sans changer de position. Soit il sort maintenant, soit vous nous perdez tous les deux.

Mebaadia s’agenouilla près d’elle. Toute terreur disparut et Lise reçut de l’énergie de la part du magicien.

- Esteban ? murmura-t-elle.

- Chut, répondit l’avatar.

Il lui donnait sa magie. Personne ne faisait jamais ça. C’était trop intime, trop personnel et surtout, ça ne suffirait pas. Esteban était trop faible par rapport à Lise. Il donna tout ce qu’il put puis se leva et sortit dans le jardin, sans un regard pour ses enfants ou leur mère. Lise supposa qu’il avait reçu des ordres stricts. Vide, il ne pouvait plus contenir l’essence de Mebaadia sans mourir, privant ainsi le dieu de son avatar jusqu’à ce que son énergie remonte. Esteban devait méditer, sans aucun doute. Grâce à l’énergie transmise, Lise estima pouvoir tenir un jour, grand maximum.

- Maman ? lança Magda.

- Ton père vient de m’aider, annonça Lise. Ça va mieux.

Magda conserva un regard inquiet puis son esprit d’enfant se tourna de nouveau vers son dessin.

- Où père ? demanda Magda au dîner.

- Il ne viendra pas, annonça Lise. Il est occupé.

- Là, dit Magda en désignant le vide autour d’elle.

- Bien sûr que ton papa est toujours près de toi, ma chérie.

Magda sourit pleinement, rassurée. Lise aussi sentait la présence immatérielle du dieu qui, faute d’avatar, ne pouvait s’ancrer. Le repas fut aussi difficile que d’habitude. Magda se plaignait du menu, refusait de manger, réclamait des mets sucrés, jetait son assiette et crachait sur sa mère. Lise ne savait pas comment répondre. En présence de Mebaadia, la petite se tenait à peu près. En son absence, elle fut infecte.

À peine Magda fut-elle sortie de la salle à manger qu’elle réclama l’attention de sa mère, qu’elle savait pourtant occupée à nourrir Christophe. Lise délaissait son fils - qui attendait sagement - pour ramasser le crayon roulé sous le meuble ou tailler la mine émoussée.

Lise fut heureuse quand, enfin, les deux enfants dormirent. Elle attendit un peu mais Mebaadia ne vint pas. Pour la première fois depuis son retour au jardin, Lise ne subirait pas un viol. Elle tomba à genoux et sanglota de soulagement. Elle rejoignit sa chambre et dormit d’une traite jusqu’au matin.

Reposée, elle tint bien mieux face à Magda mais juste après le déjeuner, Lise ne put que constater l’évidence : sa magie arrivait à son terme. La nuit complète lui avait permis de bien se régénérer mais cela ne suffisait pas. Ce bébé-là ne se calmait pas. Magda ne s’était pas montrée aussi agressive.

Lise laissa ses enfants seuls dans la salle de jeu et sortit. Sans surprise, elle trouva Esteban à genoux, les yeux fermés, dans son temple vide. Lise lui toucha l’épaule. Instantanément, elle sentit la magie de son compagnon couler vers elle. Elle l’absorba en pleurant. Il resta muet et immobile. Lise ressortit le cœur lourd. Elle venait de gagner sa dose quotidienne de magie mais savoir Esteban à la fois aussi proche et intouchable la blessait profondément.

Nul doute que Mebaadia se montrerait intraitable s’ils osaient le moindre geste l’un envers l’autre. Lise tenait à maintenir les choses en l’état actuel. Ça n’allait pas si mal. Elle choisit de faire profil bas.

 

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- Je veux du gâteau au chocolat.

Devant Magda se trouvaient ses haricots et sa purée de pommes de terre. Lise, qui allaitait Charles dont elle avait accouché le matin-même, leva sur Magda un regard tendre.

- Vide d'abord ton assiette, répondit Lise d'une voix douce sans le moindre soupçon d'autorité.

Magda sourit. Elle saisit son assiette, la leva, la renversa au dessus du sol puis la reposa sur la table.

- Elle est vide, annonça fièrement l’enfant. Je veux du gâteau au chocolat.

Lise soupira. L’accouchement s’était bien passé mais elle était épuisée. Plus que tout, la crise de Magda se faisait devant Mebaadia, de retour après deux longs mois d’absence durant lesquels le comportement de la fillette n’avait fait qu’empirer.

D’un sort, Lise remit la nourriture en place dans l’assiette. Nul risque de maladie : aucun microbe n’existait dans ce monde irréel.

- Mange ton dîner.

Magda se mit à sangloter puis à pleurer franchement. Lise rougit de honte. Que Magda se comporte de cette manière devant Mebaadia la déshonorait. Elle voulait que sa fille se calme et permette au dîner de se finir dans le calme, et ce à n'importe quel prix.

Elle voulait que ce retour se passe bien. Il la tiendrait responsable de ce désastre, à n’en pas douter. Il transperçait Lise des yeux, guettant sa réaction. Charles ayant arrêté de téter, elle referma son haut et plaça le bébé sur son épaule pour lui faire faire son rot.

- Magda, ton frère a besoin de calme.

En réponse, Magda hurla de plus belle, de sa petite voix aiguë insupportable.

- Silence, Magda, ordonna Mebaadia.

La fillette se tut, se tourna vers son père, puis vers sa mère, puis se remit à crier.

- Tu viens de me désobéir, jeune fille, annonça gravement Mebaadia.

Un éclair apparut dans la main du dieu.

- Non ! s’exclama Lise mais le regard du maître des lieux la fit taire.

Magda se figea, contemplant l’arc dansant entre les doigts de son père sans comprendre. N’ayant aucune idée de la nature du phénomène, elle ne s’en inquiéta pas outre mesure et recommença à crier. Une décharge fusa vers l’enfant qui, cette fois, hurla de douleur.

Le premier réflexe de Magda devant cette souffrance fut de se tourner vers sa mère. Elle la découvrit, les yeux baissés, en position soumise, face au père qui la tourmentait. Magda n’en revenait pas. Sa mère ne la protégerait pas.

- Tes méthodes éducatives ont montré leurs limites. Nous allons essayer les miennes, annonça Mebaadia. Magda, mange.

L’enfant regarda son père, puis sa mère et entreprit de mâcher ses haricots.

- Lise, toi aussi, gronda Mebaadia. Tu dois prendre soin de toi. Tu as besoin de reprendre des forces.

La magicienne attrapa précipitamment sa fourchette pour obéir. Ce faisant, le couvert tomba. Rouge de honte, Lise le ramassa puis mangea. Le silence fut rapidement interrompu par Mebaadia qui se mit à raconter sa journée sans s’inquiéter le moins du monde de l’ambiance écrasante autour de lui.

Une fois Christophe nourri et la cuisine rangée, Lise eut la désagréable surprise de recevoir une visite de Mebaadia. Il lui fit signe de le suivre et Lise frémit en découvrant qu’il l’emmenait à la cave. Il lui lia les mains au dessus de la tête par des chaînes.

- Quelles sont les trois choses que tu dois faire ?

- Prendre soin de moi, ne pas coucher avec Esteban, élever les enfants, énuméra immédiatement Lise, la respiration haletante, le cœur battant à mille à l’heure.

Elle aurait tant voulu que ce retour se passe bien. Mebaadia, celui d’avant, lui manquait, celui dont le regard brillait quand il se posait sur elle, celui qui l’invitait à danser et lui récitait des poèmes. Il n’existait plus. Elle l’avait trahi. Ne restait que des cendres. Lise ne put s’empêcher de pleurer.

- Étrange, car j’ai eu la sensation qu’aujourd’hui, j’ai dû élever moi-même ma fille.

- Pitié, maître. Je suis fatiguée.

- Ne t’inquiète pas. Tu n’auras pas d’autres enfants. En revanche, je veux que ceux-là me soient soumis. Je veux des repas calmes et des enfants obéissants. Comment se fait-il que Christophe soit un garçon adorable, poli, serviable et calme là où Magda est une peste ? Ferais-tu une préférence, mon trésor ?

« Mon trésor » ? répéta Lise. Il ne l’appelait presque plus jamais ainsi. Elle comprit pourquoi il venait de le faire. Il s’apprêtait à la faire souffrir et s’en délectait. Avant, il faisait tout pour l’éviter. Aujourd’hui, il s’en satisfaisait.

- Non, maître, je vous jure que non.

- Faire souffrir nos enfants me fait plaisir et je le referai si nécessaire. Tu seras punie à chaque fois pour ton incompétence. Tu peux faire venir tous les spécialistes du monde. Tu as le droit de recevoir des conseils et même de parler à un psy si tu veux. Débrouille-toi comme tu veux, mon trésor, mais fais en sorte que ça marche ou ils souffriront et toi aussi.

Les cinq coups de fouet arrachèrent le dos de Lise. Elle ne se plaignit pas et remonta misérablement retrouver les enfants. Le maître des lieux avait interdit à Lise de se soigner alors elle subit la douleur. Lise se renseigna beaucoup pour tenter d’améliorer la situation. Sa propre dépression l’empêchait de sortir la tête de l’eau. Elle se noyait.

 

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Charles venait de finir son premier repas solide. Lise était ravie. Plus d’allaitement. Un sacré poids lui était ôté. Magda ne fit aucune scène et Christophe mangea avec appétit pendant que Lise faisait la vaisselle. Le jeune garçon débarrassa même ses affaires. Il se montrait toujours prévenant.

Lise et Christophe rejoignirent le salon, surpris de trouver Mebaadia auprès de Magda et Charles.

- Votre mère est fatiguée, annonça-t-il en regardant Magda et Charles. Elle va partir une semaine en vacances. Je m'occuperai de vous.

Lise ouvrit de grands yeux. Mebaadia leva les yeux sur elle avant de désigner la porte.

- Un vortex de téléportation t'attend dans le jardin.

- Mais je… Je n'ai… rien demandé, finit-elle difficilement.

Mebaadia se contenta de la regarder. Il n'était pas menaçant, pas agressif. Il attendait qu'elle lui obéisse et il savait qu'elle le ferait. Il ne fut pas déçu. Lise embrassa ses enfants avant de sortir.

Le vortex était bien là. Quelle était cette nouvelle duperie ? Elle le traversa à contrecœur. Elle s'attendait à arriver aux enfers mais apparut dans une chambre d'hôtel. Le paysage visible depuis la fenêtre était magnifique : des palmiers, des acacias, des baobabs, des gommiers rouges et plus loin, un désert de sable.

- Je m'appelle Mya.

Lise sursauta et se retourna. Un androïde féminin venait d'entrer dans la chambre.

- Je suis là pour vous servir. Un massage vous ferait-il plaisir ?

Lise avait du mal à le croire. Avait-elle vraiment le droit à des vacances ? Elle ne comprenait pas. Elle cessa de chercher à comprendre et profita du moment présent. Elle accepta le massage, les bains aux huiles, le sauna, le jacuzzi.

Elle dormit plus de quinze heures par jour. Depuis la chambre, elle pouvait commander des animations pour la journée : feu d'artifice, promenade à dos de chameaux, quad dans le désert, mais également visites de musées ou de zoo. Elle choisit de visiter un aquarium et on lui proposa celui de la baie de Monterey, normalement présent en Californie, aux États-Unis. Lise s'y sentit bien seule. Elle demanda des androïdes mais rien n'avait l'air vrai, pas même les poissons.

- Je voudrais que tous les androïdes reproduisent les mouvements des actuels visiteurs et animaux de l'aquarium.

Immédiatement, la vie naquit. Lise sourit pleinement. Si Esteban avait été là, il aurait été époustouflé par son idée brillante. La jeune femme profita enfin vraiment de sa visite. Naturellement, les visiteurs l'ignoraient mais ils bavardaient et bougeaient comme des vrais êtres humains, de quoi ravir la magicienne.

À la fin de la semaine, Lise se sentait immensément mieux. Ses enfants lui manquaient cependant énormément et ce fut avec plaisir qu'elle vit apparaître le vortex qu'elle traversa volontiers. Mebaadia l'attendait de l'autre côté.

- Merci, maître, c'était très agréable.

Mebaadia sourit. Elle sentit qu'il comptait partir sans rien dire de plus. Rapidement, elle ajouta :

- Pourquoi ?

- Est-ce si important ?

- Oui, affirma-t-elle.

Mebaadia soupira.

- Tu étais vraiment à bout, commença-t-il. Tu ne te rendais probablement pas compte à quel point mais ça devenait critique. Ma magie peut t'aider mais la vie a des nécessités contre lesquelles je suis moi-même impuissant. Ça ne change pas que c'est à toi de les élever et que je ne souhaite pas avoir à intervenir. J'ai donné pendant une semaine, merci bien.

Lise sourit.

- Maintenant que tu es en forme, continua Mebaadia, ça devrait être plus facile. Ne les laisse pas décider. C'est toi qui commande, pas eux.

Lise hocha la tête. Mebaadia disparut et Lise alla embrasser ses enfants. Magda et Charles ne cachèrent pas leur joie de revoir leur mère. Les câlins et demandes de bisous furent nombreux.

- Où est Chris ? interrogea Lise.

- Dans sa chambre, répondit sombrement Magda. Il n'a pas le droit d'être dans la même pièce que père.

- Votre père ne s'est pas occupé de Chris ? comprit Lise et Magda confirma d'un geste de tête. Il s'est lavé et habillé seul ?

- Je ne crois pas qu’il se soit lavé ou changé, précisa Magda. Il a mangé tout seul aussi, ajouta-t-elle.

Pauvre garçon, abandonné pendant une semaine. Lise se dirigea vers la chambre, retenant ses larmes. Le petit garçon était assis sur son lit. Il ne faisait rien. Quand il vit sa mère, il se mit à pleurer et Lise vint l'enlacer. Le petit garçon ne possédait pas les mots.

- Pardon, mon chéri. Je suis tellement désolée.

Lise resta plusieurs heures avec Chris. Magda vint passer la tête dans la chambre de son frère mais retourna rapidement dans le salon sans rien dire.

Chris resta accroché à sa mère tout le temps qu'elle prépara le déjeuner. Lorsque le repas fut prêt, Lise annonça :

- Tu vas devoir me lâcher, mon chéri. Nous allons manger. Va jouer. Je viendrai te nourrir après.

- Non, pleurnicha Chris en s'accrochant à la jambe de sa mère.

- Chris, lâche-moi tout de suite, dit Lise d'un ton ferme mais sans crier.

L'enfant obéit et resta prostré, silencieux. Lise mit la table, le cœur serré de devoir laisser son petit garçon seul dans la cuisine tandis que le reste de la famille mangeait ensemble dans la salle à manger.

Le repas se fit dans le calme, au plus grand bonheur de Mebaadia qui fut encore plus intarissable que d’habitude.

L'après-midi fut calme. Lise proposa à Magda des dessins conseillés par des spécialistes : ils étaient censés permettre progressivement à l'enfant d'apprendre à écrire. Ainsi, Magda remplissait le toit d'une maison de tuiles, futurs "U". La fillette le faisait avec plaisir. Les jeux mathématiques lui plaisaient également beaucoup.

Christophe observait et tentait de l’imiter mais il était bien trop petit pour y parvenir. Il persévérait cependant. Charles gazouillait. Lise dut admettre que cette cure de sommeil lui avait fait le plus grand bien.

Une fois les enfants couchés, Lise rejoignit Mebaadia dans la chambre bleue. Elle fut surprise qu’il ne lui ordonne pas de retirer sa robe. Il soupira puis annonça :

- Ta dernière jouissance avant tes vacances m’a permis de surpasser Esteban. Ta dette est payée.

Lise n’en revenait pas. Elle n’avait pas compté. Elle ignorait que ce fut le cas.

- Je me demande, Lise, auquel de mes collègues je vais pouvoir vendre Christophe et contre quelle faveur.

Une douche froide glaça Lise de l’intérieur. Que venait de dire Mebaadia ?

- Ils se plaignent tout le temps. Ce geste de ma part serait apprécié et j’y gagnerai… dix, cent, mille mondes ? Des centaines de millions de partisans. Grisant, n’est-ce pas ? Devrais-je le vendre à Izanagi le geignard ou bien… Tu n’as pas l’air de vouloir que je m’en sépare.

Lise ne pouvait empêcher son corps de trembler compulsivement. Il comptait lui retirer son fils, l’offrir à un de ses confrères ? Lise tomba à genoux.

- Je vous en prie, non !

- Je ne peux pas offrir Charles, répliqua Mebaadia. Il porte ma marque. Christophe est neutre. Il conviendra à n’importe qui. Il est une monnaie d’échange de grande valeur.

- Par pitié, maître ! Ne me retirez pas Chris, supplia Lise.

- Et quoi ? Je devrais accepter gratuitement la présence de ce bâtard sous mon toit ?

Gratuitement, répéta Lise dans sa tête. Elle comprit immédiatement ce que Mebaadia voulait. Elle se releva et retira sa robe.

- Je vois que nous nous comprenons, annonça-t-il.

 

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Honey41
Posté le 07/10/2023
Mebaadia est vraiment intransigeant, je le comprends un peu mais laisser le petit 1 semaine sans s'en occuper c'est dur quand même.
bon après sa réaction est légitime, j'espère qu'il aura de nouveaux des sentiments pour Lise.
Nathalie
Posté le 07/10/2023
Mebaadia est un dieu maléfique...
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