Chapitre 13

Par Eyram

Le lendemain matin, alors que le soleil avait à peine percé l'horizon, Kaelis fut réveillée par Lira qui entrouvrit délicatement les rideaux. Elle ouvrit les yeux avec difficulté et fixa un instant la jeune femme qui se tenait devant elle, le regard encore embrumé, comme pour rassembler ses pensées.

- Il est l'heure, Ma Dame, murmura Lira d'une voix douce. Avez-vous bien dormi ?

Kaelis fut surprise par cette interrogation. Lira n'avait pas pour habitude de lui poser des questions.

- Étrangement bien, mentit-elle.

Lira la regardait avec une expression douce, presque compatissante. Dans ses yeux, Kaelis lut une forme de solidarité muette, comme s'ils semblaient lui dire “je comprends ce que vous traversez”. Elle détourna le regard et se laissa guider par les gestes attentifs et presque maternels de Lira, venue la préparer pour l'Effacement.

Kaelis insista toutefois pour se laver et s'habiller seule, prétextant le besoin d'un moment d'intimité, et prit soin de dissimuler à Lira le nouveau tatouage apparu sur sa peau. Heureusement, le symbole n'était pas très étendu, et sa poitrine en masquait naturellement une partie.

Elle devait revêtir une simple robe blanche en lin, semblable à une chemise de nuit. Lira noua ses cheveux en une natte sobre. Aucun bijou, aucun parfum ne vint parfaire sa tenue. Rien ne rappelait la parure cérémonielle de l'Éveil du Sang. À quoi bon l'orner d'or et de soie, quand on s'apprêtait à la dépouiller de son âme ? Kaelis avait l'impression qu'on la menait à la guillotine, comme une condamnée à mort que l'on habille juste assez pour couvrir sa honte.

Lira lui avait expliqué qu'elle devait être à jeun, et Kaelis n'avait, de toute manière, pas le moindre appétit.

Lorsque les deux femmes quittèrent la chambre, une demi-douzaine de gardes et de domestiques les attendaient déjà. Kaelis se sentit cernée, comme prise au piège entre les murs du palais. Son rythme cardiaque s'emballa, et elle eut du mal à respirer. Pourtant, elle avança sans protester, guidée à travers les couloirs dans un silence de mort.

Ils descendirent jusqu'au rez-de-chaussée, puis encore plus bas. Des escaliers étroits, sinueux, s'enfonçaient dans les entrailles du palais. À mesure qu'ils progressaient, la lumière se faisait plus rare, les murs plus humides, l'air plus dense. Après ce qui lui parut une éternité, Kaelis déboucha dans une vaste crypte aux voûtes basses, éclairée de quelques torches dont les flammes vacillantes brillaient fébrilement.

La salle, brute et froide, taillée à même la pierre, avait quelque chose de primitif. Des runes anciennes, dont elle ne connaissait pas le sens, étaient gravées dans le sol. Le plafond semblait peser sur elle. L'humidité collait à la peau, et une odeur de cendre et de moisissure saturait l'air.

Au centre de la pièce se dressait une large table de pierre. Une dalle, plutôt. Un autel. Elle évoquait plus un lieu de sacrifice qu'un lieu de soin. Derrière l'autel, un homme d'âge mûr l'attendait. Il portait des habits sobres, et son visage était aussi figé que la pierre qu'il côtoyait. À ses côtés, se tenaient Vaeren et ses parents. Les gardes et les serviteurs prirent place en cercle autour de l'autel, formant une assemblée solennelle, et personne ne vint briser le silence de plomb qui régnait dans la salle.

Kaelis fut invitée à s'allonger sur la pierre. Elle obéit, sans un mot. Le contact rugueux de la dalle lui meurtrissait les omoplates, et les regards posés sur elle lui donnaient la sensation d'être nue. Une bête de curiosité, voilà ce qu'elle était.

Elle ferma les yeux pour se concentrer sur sa respiration. Elle ne voulait rien entrevoir de ce lieu sordide.

Le maître arcaniste entama la préparation du rituel. Il fit brûler des herbes aux parfums âcres, aux notes terreuses et poisseuses. L'odeur était écœurante, presque putréfiée. Elle lui évoquait la mort. Puis il entonna des incantations dans une langue ancienne, aux sonorités rugueuses. Les flammes des torches pâlirent, comme si le feu lui-même reculait. L'atmosphère devint oppressante et l'air vibrait d'une tension invisible.

Kaelis s'efforçait de rester présente, de ne pas s'échapper. Elle se raccrochait à sa respiration, à son souffle, à ce qu'elle savait encore réel.

Le maître arcaniste décrivait de ses mains de vastes cercles au-dessus de son corps. À chaque mouvement, la lumière des torches semblait vaciller davantage, des ombres dansaient contre les parois, se contorsionnaient de façon anormale, formant des silhouettes indistinctes. Il posa sur sa poitrine un disque de pierre orné de runes gravées, que Kaelis sentit vibrer contre sa peau. Une énergie froide s'en dégageait, pétrifiante, néfaste. Puis il délia de sa ceinture une petite bourse de cuir d'où il sortit une poudre cendrée, qu'il jeta autour d'elle en traçant des symboles à même le sol. Chaque trace s'embrasait légèrement avant de disparaître, comme absorbée par la pierre. 

Les murmures du maître arcaniste s'amplifièrent. Sa voix monocorde se fondait avec la pierre, le feu, l'air. Elle n'était plus un son mais une vibration, qui entrait dans son corps et résonnait dans ses os. L'air devint plus dense, chargé d'une présence invisible. Le plafond paraissait s'abaisser, les murs se refermer.

Une lumière étrange, ni chaude ni froide, se mit à émaner du glyphe de Kaelis. Il palpitait sous sa peau, appelant, résistant. En réponse, une force noire, gluante, invisible, s'infiltrait lentement en elle.

Elle sentit alors la magie l'envahir. Une magie hostile, étrangère. Elle s'insinuait dans son corps comme un poison, cherchait quelque chose. Elle savait exactement ce qu'elle venait prendre : sa magie. Elle la sentit tirer, gratter, lacérer de l'intérieur, sans le moindre ménagement. La sensation était insoutenable, une force extérieure tentait d'arrachait ce qu'elle avait de plus intime, avec une brutalité implacable.

Des hallucinations vinrent alors l'assaillir. Des éclats d'images incohérentes, des visions de flammes, de visages tordus, de souvenirs déformés. Elle entendait des voix sans source, des mots hachés, des gémissements. Tout se brouillait.

Elle sentait son pouvoir fuir par tous les pores de sa peau. Il lui glissait entre les doigts. Alors elle se battit. Elle plongea mentalement dans cette chose en elle, cherchant ce noyau de chaleur, ce lien ténu mais vivant. Et elle le trouva. Il était là. Infime, incandescent, prêt à céder. Elle s'y agrippa. Elle le serra de toutes ses forces. L'effort était titanesque. Elle avait l'impression de lutter contre un ouragan, sans bouger un muscle.

Le monde extérieur, lui, ne voyait rien. Kaelis semblait calme, son corps était immobile, laissant la magie pénétrer à l'intérieur de son esprit. Mais en elle, c'était un combat féroce. Une lutte à mort. La douleur était partout. Brûlante. Étouffante. Elle ne savait plus si elle allait tenir.

Une goutte de sang coula de son nez. Puis une autre. Elle devint pâle. Mortellement pâle. Des perles de sueur glacée jaillirent de son front. Et soudain, son corps se mit à convulser, par vagues violentes et saccadées.

- Assez ! lança Vaeren, s'avançant d'un pas, la voix tendue. Arrêtez maintenant !

Mais ses parents restèrent de marbre. Un simple hochement de tête adressé au maître arcaniste lui intima de continuer.

Kaelis se tordait à présent sur la pierre. Le glyphe sur sa poitrine brillait d'une lumière aveuglante, puis s'éteignit soudainement. Ses lèvres se teintaient de bleu et du sang s'écoula de ses oreilles. Puis sa tête retomba sur la pierre et son corps cessa de bouger, gisant sur la dalle.

Le silence retomba dans la crypte, oppressant. Vaeren se précipita vers elle et posa la main sur son bras. Sa peau était rigide et glacée.

- Amenez-la dans la salle des soins, immédiatement, ordonna-t-il, d'un ton ferme.

Même ses parents, figés jusqu'alors dans une neutralité froide, paraissaient troublés, et leurs regards se teintèrent d'inquiétude.

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Agna Caravia
Posté le 05/06/2025
Bonjour,

J'ai bien apprécié cette suite avec l'héroïne qui se bat, même si les les autres ne le voient pas et j'ai trouvé la scène de lutte pour garder la magie assez originale. Je me demande ce qui va lui arriver ensuite et ce qu'elle va faire, si elle va changer de lieu, faire de nouvelle rencontre et si son mari jouera un rôle dans tout cela. J'aurais parfois voulu pouvoir mieux imaginer la scène : quand il est dit que l'arcaniste est vêtu de façon sobre je ne visualise pas bien à quoi cela correspond en terme de tenu (coupe, couleur, type de vêtement ou autre), pour les runes j'aurais aussi aimé en savoir un peu plus, l'héroine ne les connait pas mais sait qu'elles sont très anciennes pourquoi qu'est-ce qui l'explique?

Merci encore pour ce nouveau chapitre, j'aurai plaisir à lire la suite.
Eyram
Posté le 08/06/2025
Bonjour,
Merci pour ton commentaire, je prends note de tes remarques pertinentes pour la suite ! Tu as raison, j'aurais pu décrire davantage certains éléments pour éclairer davantage le lecteur, j'en tiendrai compte et j'espère que la suite te plaira !
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