Chapitre 13

Notes de l’auteur : Hello ! Voici un nouveau chapitre, assez particulier, mais je ne vous en dis pas plus... Bonne lecture !

Un an avant le Cataclysme

 

En franchissant l’enceinte du palais, Leto fit signe à ses gardes de se retirer. Il n’attendit pas de les voir disparaître pour s’engager sur un petit chemin qui le mena à un jardin isolé, ceint d’un muret en pierre au pied duquel il s’écroula, la respiration sifflante. L’air embaumait le thym et le laurier. Les médecins du palais cultivaient ici nombre de plantes utiles à leurs remèdes, aussi les visiteurs lambdas étaient rares.

Il inspira profondément. Il avait fait bonne figure sur le chemin du retour, mais figer la grande place de Mineas et tous ceux qui s’y trouvaient lui avaient demandé une énergie faramineuse. Au moins, le calme était revenu après son intervention.

Pour combien de temps toutefois ?

Ces scènes devenaient de plus en plus fréquentes, un petit groupe d’agitateurs œuvrait depuis quelque temps pour dresser le peuple contre la royauté et les divinités, à tel point que Leto redoutait la guerre civile qui se profilait à l’horizon. Car entre la sécheresse des derniers mois, les attaques de barbares le long des côtes et ces émeutes en ville, il pressentait que le pire soit encore à venir. Et puis… il soupçonnait que les intentions de ces agitateurs n’avaient rien d’altruiste, malgré ce qu’ils prétendaient, mais il ne parvenait pas à mettre le doigts sur ce qui le dérangeait.

Le pouvoir des divinités devrait nous appartenir, disaient-ils.

Ils désiraient du pouvoir, toujours plus de pouvoir…

— Tu as fait forte impression tout à l’heure.

Leto entrouvrit ses paupières. Dans le contre-jour se découpait une silhouette familière aux étranges yeux incolores et à l’expression sereine. Beaucoup peinaient à soutenir ce regard perçant, qui recelait une sagesse aussi ancienne que le monde. Leto, lui, s’y était habitué à force de s’y abîmer.

— J’aurais aimé ne pas avoir à le faire, répondit-il.

— C’est ce que j’apprécie chez toi, s’amusa son interlocuteur.

Leto garda le silence un moment, la peau chauffée par les rayons du soleil. Il cueillit une branche de thym et la fit tournoyer devant son visage.

Sois inébranlable, lui répétait souvent sa mère.

Il était l’héritier du trône de Mineas, il n’avait pas le droit de faillir.

Bien que leur système diffère des royautés traditionnelles, il succéderait un jour à sa mère, serait à son tour le gardien de leur peuple et de la magie, l’intermédiaire entre les divinités et le reste de leur société, secondé par une poignée de prêtres et de prêtresses. Mais en ce qui concernait la politique, toutes les décisions étaient prises en accord avec un conseil composé de citoyens, et son rôle ne serait jamais plus que celui d’un médiateur.

— Il est normal que tu doutes. C’est ce qui fera de toi un bon roi lorsque tu monteras sur le trône.

— J’espère que ma mère règnera encore longtemps, grinça-t-il.

Son interlocuteur partit d’un grand éclat de rire.

— Je vous le souhaite.

Malgré cette bonne humeur, Leto ne se détendit pas, rongé par ces scènes dont il avait été témoin en ville, par la violence que dégageaient ces attroupements.

— Ténéa… Sais-tu quel est l’avenir de notre peuple ?

Il y eut d’abord un silence, puis :

— Je ne peux voir ce qui n’existe pas encore.

Leto laissa la tige de thym tomber sur ses genoux. Pour beaucoup, l’essence même de leur magie consistait à voir le passé, et le rôle véritable des souverains de Mineas était de se référer aux époques d’antan pour guider le peuple vers l’avenir le plus sûr. Mais il y avait plus, tellement plus… Leur magie agissait sur le temps, brisait les barrières entre passé et présent, pouvait figer le monde à un instant choisi. C’était ainsi que Leto avait immobilisé toutes les personnes présentes sur la place quelques heures plus tôt. C’était ainsi que la civilisation ténéenne était devenue l’une des nations les plus prospères.

Cette magie était leur héritage, le cadeau que Ténéa leur avait offert il y a plusieurs siècles.

— Tout ira bien, Leto. Tu es encore jeune, tu as le temps d’apprendre.

Leto se releva en inclinant légèrement la tête. Il avait recouvré ses forces, du moins suffisamment pour aller trouver sa mère et lui faire un compte-rendu sans s’écrouler en plein milieu du palais, à la vue de tous.

— Allons, il n’y a pas besoin de tant de formalisme entre nous.

Cette fois, un sourire flotta sur les lèvres de Leto.

— Tu es une divinité, Tēnēa anmoera. Il ne s’agit que du respect qui t’est dû.

La divinité laissa échapper un rire éthéré, de petits plis au coin des yeux. Son regard était empli d’une affection étrangement humaine, et, Leto s’en aperçut, d’une inquiétude qu’iel ne parvenait pas tout à fait à camoufler.

En quittant le jardin, Leto songea avec tendresse à cette relation surprenante, que beaucoup peinaient à concevoir. Dans son cœur, Ténéa était à la fois parent, adelphe, confident et ami. Iel l’avait vu grandir, lui qui n’avait jamais connu son père, mort avant sa naissance, et n’avait ni frère ni sœur, et Leto lui vouait une loyauté absolue. Il supportait d’autant plus mal les insultes à son égard, qui pullulaient dans les rues depuis quelque temps, qu’il savait la peine qu’elles causaient à la divinité, qui avait abandonné sa place aux côtés de Tusca, Tyrrhéna et Tria dans l’éther pour côtoyer les humains.

Ténéa aimait profondément l’humanité.

Leto traversa la vaste cour intérieure autour de laquelle était bâti le palais, se gorgeant de la chaleur du soleil sur sa peau. Ces murs ocres et la teinte rouge des colonnes au fût inversé avaient quelque chose de réconfortant. L’édifice était construit sur plusieurs étages, et le jeune homme apercevait d’où il était les fresques qui décoraient les façades de certaines pièces ouvertes sur l’extérieur. Des gens s’agitaient dans tous les sens, conseillers, prêtres, militaires, domestiques… Tous inclinaient la tête, le poing refermé sur leur poitrail, lorsque Leto passait devant eux.

Il trouva sa mère assise sur son trône de pierre, discutant avec l’un de ses conseillers. Il patienta près d’une colonne jusqu’à ce que l’homme se retire, et, enfin, sa mère se tourna vers lui, sans pour autant laisser tomber son masque de souveraine. Elle était grande, impressionnante, et une cape drapait ses épaules carrées, fermée par une broche en or, seul attribut témoignant de son rang. Son regard perçant s’attarda sur les traits de Leto, sans qu’il ne parvienne à deviner ses pensées.

Au cours des dix-neuf années de vie de son unique enfant, Iliora l’avait plus souvent traité comme l’héritier du trône que comme son fils. Leto s’en était toujours contenté ; elle lui avait appris à être juste et sévère, à prendre les décisions qui s’imposaient même lorsqu’elles lui déplaisaient ; elle lui avait appris à régner. L’une de ses plus grandes craintes était de la décevoir, qu’elle ne l’estime plus digne de lui succéder. Mais parfois, elle se souvenait également qu’elle était mère et lui témoignait alors un semblant de tendresse maladroite.

— Mère, la salua-t-il. Comment vas-tu ?

Elle balaya la question d’un geste de la main.

— Raconte-moi ce qu’il s’est passé en ville aujourd’hui.

Il s’exécuta, retraçant sa visite au Grand Temple de Mineas, sa promenade dans les rues de la ville pour sonder les besoins du peuple, jusqu’au conflit qui avait éclaté sur la place centrale.

— C’est de plus en plus fréquent, constata Iliora.

Elle tapota l’accoudoir de son trône, et Leto laissa son regard dériver sur les fresques peintes en rouge et blanc qui narraient divers épisodes de la fondation de Mineas. Là, on voyait des gens agenouillés au milieu de cultures pour remercier Tusca d’avoir fait pleurer le ciel et Tyrrhéna d’avoir rendu la terre fertile, là, des guerriers acclamaient Tria, qui les avait aidés à repousser l’envahisseur…

— J’ai besoin que tu te rendes sur notre camp au nord de l’île, annonça brusquement Iliora. Nos soldats ont essuyé des pertes et nous devons leur montrer qu’ils peuvent s’appuyer sur nous.

— Mais les tensions en ville…

— Tu ne peux rien y faire pour l’instant, le coupa sa mère. Il ne s’agit que d’agitateurs, ils n’ébranleront pas notre royaume implanté sur ces terres depuis des millénaire, et les divinités sont de notre côté. Les attaques que nous subissons sur les côtes me préoccupent davantage.

Leto serra les dents pour ravaler son opinion sur la question. Contrairement à Iliora, il était persuadé que la royauté devait prendre ces fauteurs de trouble au sérieux. Leurs revendications, l’énergie qu’ils mettaient à convaincre le peuple, leurs interventions de plus en plus fréquentes… Quelque chose se tramait, quelque chose dont il ne parvenait pas encore à cerner les contours.

Le pouvoir des divinités devrait nous appartenir.

Il se promit que, dès son retour, il se mettrait en quête des instigateurs de cette agitation pour mettre un terme à celle-ci une bonne fois pour toutes.

— Tu partiras demain.

— Bien, Mère, acquiesça-t-il, la nuque raide.

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Raza
Posté le 19/07/2025
Hello !
Oh, un nouveau fil d'histoire ! Pas sûr d'avoir compris le fait de figer le temps, mais ce n'est pas grave, je verrai bien. Subtilement tu nous glisse la limitation du pouvoir de la déesse.
Je suis intrigué par cette histoire de vol de pouvoir, comme si on pouvait récupérer les attributs de la divinité, c'est fort intéressant.
Merci et à bientôt!
Mathilde Blue
Posté le 28/07/2025
Hello !

Eh oui, j'avais hâte de pouvoir enfin incorporer ces chapitres au récit et de vous faire découvrir une nouvelle époque et un nouveau personnage !

Concernant la magie du temps, elle sera plus développée au fil des chapitres du point de vue de Leto, donc je pense que ça s'éclaircira au fur et à mesure :)

Merci pour ton retour à et bientôt !
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